Évaluation quantitative d’impact sur la santé de la pollution de l’air ambiant en région Auvergne-Rhône-Alpes pour la période 2016-2018

// Quantitative health impact assessment of air pollution in the Auvergne-Rhône-Alpes region of France for 2016-2018

Jean-Marc Yvon (jean-marc.yvon@santepubliquefrance.fr)
Santé publique France – Auvergne-Rhône-Alpes, Lyon
Soumis le 21.06.2022 // Date of submission: 06.21.2022
Mots-clés : EQIS | pollution de l’air | particules fines | NO2 | mortalité | morbidité | Auvergne-Rhône-Alpes
Keywords: QHIA | Air pollution | Fine particles | NO2 | Mortality | Morbidity | Auvergne-Rhône-Alpes

Résumé

Contexte –

La pollution atmosphérique constitue un enjeu environnemental majeur pour la santé, en France et dans le monde. De nombreuses études toxicologiques et épidémiologiques mettent en évidence les multiples effets néfastes de la pollution de l’air extérieur sur la santé.

Une évaluation quantitative d’impact sur la santé (EQIS) de la pollution de l’air ambiant a été réalisée dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, pour permettre aux acteurs locaux de mesurer les bénéfices potentiels de l’amélioration de la qualité de l’air sur la mortalité et différents indicateurs de santé sur leur territoire.

Méthode –

 Pour estimer l’exposition moyenne de la population à la pollution de l’air dans toutes les communes de la région, les concentrations en particules fines de diamètre inférieur à 2,5 µm (PM2,5) et en dioxyde d’azote (NO2 : polluant traceur de la pollution liée au trafic) issues d’une modélisation à fine échelle (période 2016-2018), ont été reliées à des données de population.

L’impact de ces polluants a été évalué en considérant les événements de santé suivants : décès, hospitalisation pour accident vasculaire cérébral (AVC), survenue de cancers du poumon, recours aux urgences pour asthme chez l’enfant.

Résultats –

Chaque année, en Auvergne-Rhône-Alpes, près de 4 300 décès seraient attribuables à une exposition de la population aux PM2,5 et 2 000 décès à une exposition de la population au NO2, représentant respectivement 7% et 3% de la mortalité totale annuelle. Ces deux résultats ne peuvent cependant pas être additionnés car une partie des décès peut être attribuée à l’exposition conjointe à ces deux polluants.

Cette étude évalue également que près de 200 cancers du poumon, 780 AVC et 550 passages aux urgences pour asthme chez les enfants seraient attribuables à l’exposition aux PM2,5.

Conclusion –

Ces résultats confirment l’impact important de la pollution de l’air ambiant sur la santé de la population de la région et tout l’intérêt de renforcer les actions d’amélioration de la qualité de l’air, notamment au niveau local.

Abstract

Background –

Air pollution is a major environmental health issue in France and around the world. Numerous toxicological and epidemiological studies highlight the multiple harmful effects of outdoor air pollution on health. A quantitative health impact assessment of ambient air pollution carried out in the Auvergne-Rhône-Alpes region aimed to help stakeholders to measure the potential benefits of improving air quality in relation to mortality and various health indicators within their territory.

Methods –

To estimate the average exposure of the population to air pollution in all municipalities of the region, the concentrations of fine particles less than 2.5 µm in diameter (PM2.5) and nitrogen dioxide (NO2: trace pollutant linked to traffic pollution) established using fine-scale modeling (period 2016-2018) were linked to population data.

The impact of these pollutants was assessed by considering the following health events: death, hospitalization for stroke, occurrence of lung cancer, emergency room visits for child asthma.

Results –

Each year in Auvergne-Rhône-Alpes, nearly 4,300 deaths are attributable to exposure of the population to PM2.5 and 2,000 deaths to exposure of the population to NO2, representing 7% and 3% of the total annual mortality, respectively. However, these two results cannot be added together because part of the deaths can be attributed to joint exposure to both pollutants.

This study also estimates that nearly 200 lung cancers, 780 strokes and 550 emergency room visits for child asthma are attributable to PM2.5 exposure.

Conclusion –

These results confirm the significant impact of ambient air pollution on the health of the region’s population and show the importance of strengthening actions to improve air quality, particularly at the local level.

Contexte

L’exposition quotidienne sur plusieurs années à la pollution de l’air favorise le développement de maladies chroniques comme les maladies cardiovasculaires, respiratoires, neurologiques, ou encore les cancers, ce qui se traduit par une augmentation de la mortalité, une baisse de l’espérance de vie et un recours accru aux soins. La pollution de l’air ambiant reste par ailleurs le premier facteur de risque environnemental en France et dans le monde.

Bien que la qualité de l’air s’améliore globalement chaque année en Auvergne-Rhône-Alpes 1, la pollution de l’air ambiant reste un enjeu majeur pour la deuxième région la plus peuplée de France, où la majorité de la population régionale reste exposée à des niveaux de pollution atmosphérique supérieurs aux valeurs guides de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) 2.

L’évaluation quantitative d’impact sur la santé (EQIS) permet de rendre compte des conséquences de la pollution de l’air en calculant le « poids » que représente la pollution de l’air sur des événements de santé (mortalité ou morbidité). Ainsi, en quantifiant les bénéfices sanitaires attendus d’une amélioration de la qualité de l’air, ces évaluations permettent d’informer le public, de sensibiliser et d’appuyer les acteurs locaux dans la mise en œuvre des politiques publiques visant à améliorer la qualité de l’air.

En s’appuyant sur une modélisation fine des concentrations de polluants fournie par Atmo Auvergne-Rhône-Alpes (observatoire de la qualité de l’air), cette première EQIS menée à l’échelle régionale avait pour objectif de fournir des résultats régionaux actualisés par rapport aux résultats régionaux de l’étude nationale de 2016 3 qui portait sur les années 2007-2008, et de les produire aux différentes échelles infrarégionales de mise en œuvre des politiques publiques d’amélioration de la qualité de l’air.

Méthode

La méthode de cette étude suit une démarche classique d’EQIS contrefactuelle, afin d’estimer l’impact sur la santé attendu d’une diminution de la pollution de l’air ambiant, toutes choses égales par ailleurs, sans prendre en compte le délai entre la baisse de pollution et l’apparition des bénéfices sur la santé. Les choix faits lors de la réalisation de cette étude s’appuient sur les recommandations du dernier guide méthodologique EQIS de la pollution atmosphérique (EQIS-PA) de Santé publique France publié en 2019 4.

Cette EQIS a estimé les impacts sur la mortalité et sur plusieurs indicateurs de morbidité à partir de deux indicateurs d’exposition (PM2,5 et NO2). Les fonctions concentration-risque, ou risques relatifs (RR), qui représentent les relations entre un indicateur d’exposition de la population à la pollution de l’air ambiant et un indicateur de santé, sont présentées dans le tableau 1. Ces RR et leurs intervalles de confiances à 95% ont été sélectionnés parmi ceux préconisés par le guide EQIS-PA 4.

La méthode, résumée dans cet article, est présentée en détail dans le rapport d’étude 5 qui comporte également l’ensemble des résultats au niveau infrarégional et des éléments d’évaluation en lien avec l’ozone, non présentés dans cet article.

Tableau 1 : Risques relatifs utilisés selon les couples polluants-effets étudiés
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Zone d’étude

La région Auvergne-Rhône-Alpes concentre 12% de la population française (7,9 millions d’habitants, Insee 2015) sur 13% du territoire de la métropole. Elle est composée de 12 départements et de 164 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) inclus majoritairement dans la région, dont 90 ont une population supérieure à 20 000 habitants, seuil en dessous duquel il n’est pas recommandé de produire des résultats 4. La région Auvergne-Rhône-Alpes compte également 9 territoires prioritaires (1) pour la qualité de l’air, dont la majorité sont couverts par un plan de protection de l’atmosphère (PPA).

Estimation de l’exposition de la population

Les concentrations des polluants dans l’air ont été modélisées par Atmo Auvergne-Rhône-Alpes en utilisant une chaîne de modélisation combinant des modèles de chimie-transport et des approches géostatistiques. Ce modèle fournit une estimation des concentrations des polluants (PM2,5, NO2) sur une maille de 10 m par 10 m sur l’ensemble de la région Auvergne-Rhône-Alpes pour chacune des trois années 2016, 2017 et 2018.

Un indicateur d’exposition annuelle est ensuite calculé pour chaque commune de la région (selon le découpage administratif 2018) et pour chacun des deux indicateurs de pollution. Il s’agit de la moyenne des concentrations annuelles sur le territoire de la commune, pondérée par la population résidente par carré de bâti à partir des données foncières Majic (bases de données décrivant les parcelles, propriétaires et bâtiments) 6. Ces indicateurs expriment l’exposition moyenne aux PM2,5 et au NO2 de la population de la commune concernée.

Construction des indicateurs de santé

Les données de mortalité totale toutes causes chez les 30 ans et plus sont issues de la base de données du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc-Inserm). L’incidence des accidents vasculaires cérébraux (AVC) pour tous les âges est approchée par les hospitalisations pour AVC (en diagnostic principal), extraites des données du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Ces deux bases de données sont accessibles via le portail du Système national des données de santé (SNDS) pour lequel Santé publique France dispose d’un accès permanent.

Les recours aux urgences pour asthme des 0-15 ans sont extraits de la base de données du Système de surveillance sanitaire des urgences et décès (SurSaUD®) qui a été développé par Santé publique France.

Les données de santé collectées ont été traitées conformément aux exigences de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).

Les données d’incidence de cancer du poumon tous âges sont extraites d’une étude précédemment réalisée par Santé publique France, en collaboration avec le réseau français des registres des cancers (Francim), le service de biostatistique-bioinformatique des Hospices civils de Lyon et l’Institut national du cancer (Inca) qui portait sur les estimations régionales et départementales d’incidence et de mortalité par cancers en France 7.

Les données de santé recueillies selon la classe d’âge correspondante aux relations concentration-risques issues d’études épidémiologiques internationales et utilisées dans cette étude sont résumées dans le tableau 2.

Tableau 2 : Nombre d’événements de santé (moyenne annuelle), population cible et taux pour 1 000personnes, Auvergne-Rhône-Alpes
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Scénarios et seuils

Pour les PM2,5 et le NO2, un scénario visant à estimer le « poids total » de la pollution liée aux activités anthropiques a été calculé. En l’absence de valeurs cibles de référence fixant les niveaux de polluants attendus sans activités humaines, ce sont les valeurs moyennes mesurées par l’une des 12 stations rurales nationales de référence située dans la Drôme qui ont été utilisées. Cette station a enregistré les valeurs les plus basses de la région, soit 5,5 µg/m3 pour les PM2,5 et 1,8 µg/m3 pour le NO2 sur la période 2016-2018.

Deux scénarios alternatifs de réduction possible des niveaux de pollution dans chaque commune ont ensuite été considérés. Le premier correspond à une diminution de 30% des indicateurs d’exposition (NO2 et PM2,5), et le deuxième à l’atteinte de la valeur seuil de 10 µg/m3 qui correspond pour le NO2 à la nouvelle valeur guide de l’OMS de 2021, et pour les PM2,5 à l’ancienne valeur guide de l’OMS (également valeur intermédiaire proposée par l’OMS dans la révision 2021).

Résultats

Exposition de la population (2016-2018)

Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, les populations des grandes agglomérations de la région, celles de la vallée du Rhône, de la Saône et des vallées alpines, sont les plus exposées aux PM2,5 et au NO2. L’agglomération de Lyon présente les niveaux d’exposition les plus élevés, suivie de celles de Grenoble, d’Annecy et de Chambéry, puis de la vallée de l’Arve (figures 1 et 2).

Sur la période 2016-2018, l’exposition communale variait pour les PM2,5 de 5 µg/m3 à 15,6 µg/m3, et pour le NO2 de 4 µg/m3 à 33,5 µg/m3. Pour le NO2, cette exposition moyenne peut masquer de fortes disparités d’exposition au sein de la commune, le NO2 étant présent en plus forte concentration à proximité des axes routiers.

Figure 1 : Exposition communale annuelle moyenne de la population aux PM2,5, Auvergne-Rhône-Alpes, 2016-2018
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Figure 2 : Exposition communale annuelle moyenne de la population au NO2, Auvergne-Rhône-Alpes, 2016-2018
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Impact de la pollution de l’air ambiant sur la santé

Sur la période 2016-2018, chaque année en Auvergne-Rhône-Alpes 4 301 décès [1 543-6 701] seraient attribuables à une exposition de la population aux PM2,5 et 1 964 [697-3 104] décès à une exposition de la population au NO2, polluant traceur du trafic routier. Ainsi, l’exposition de la population aux PM2,5 et au NO2 serait responsable respectivement de 6,7% et 3,1% de la mortalité annuelle (figures 3 et 4).

Figure 3 : Nombre de décès évitables selon deux scénarios de réduction des niveaux de PM2,5 et mise en perspective avec le nombre de décès attribuables à la pollution atmosphérique, Auvergne-Rhône-Alpes, 2016-2018
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Figure 4 : Nombre de décès évitables selon deux scénarios de réduction des niveaux de NO2 et mise en perspective avec le nombre de décès attribuables à la pollution atmosphérique, Auvergne-Rhône-Alpes, 2016-2018
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L’étude estime également que chaque année dans la région, 200 [92-300] cancers du poumon, soit 4,4% des cancers du poumon, 777 AVC [256-1 283], soit 6,1% des AVC, et 548 [72-995] passages aux urgences pour asthme chez des enfants de 0 à 15 ans, soit 5,2% de ces passages aux urgences, seraient attribuables à une exposition de la population aux PM2,5.

Les zones prioritaires de la région qui représentent 52% de la population régionale, totalisent 59% des événements de santé attribuables aux PM2,5 et 62% des événements de santé attribuables au NO2.

Bénéfices sanitaires attendus d’une baisse de 30% des niveaux de pollution

Si les niveaux moyens annuels de PM2,5 ou de NO2 observés sur la période 2016-2018 étaient diminués de 30% dans toutes les communes de la région, la mortalité totale baisserait de 4,3% pour les PM2,5, soit 2 752 [975-4 334] décès évités chaque année, et de 1,1% pour le NO2, soit 675 [237-1 074] décès évités chaque année (figures 3 et 4).

Bénéfices sanitaires attendus de l’atteinte de valeurs seuils de l’OMS

Si les niveaux moyens annuels de PM2,5 respectaient l’ancienne valeur guide de l’OMS de 10 µg/m3 dans l’ensemble des communes qui dépassaient cette valeur sur la période 2016-2018 (28% des communes regroupant 65% de la population régionale), la mortalité totale baisserait de 1,6%, soit 1 029 [364-1 621] décès évités chaque année (figure 3).

Si les niveaux moyens annuels de NO2 respectaient la valeur guide de l’OMS de 10 µg/m3 dans l’ensemble des communes qui dépassaient cette valeur sur la période 2016-2018 (46% des communes regroupant 83% de la population régionale), la mortalité totale baisserait de 1,3%, soit 855 [302-1356] décès évités chaque année (figure 4).

Pour les deux polluants, sous ce scénario, 81% des décès évités sont situés dans les zones prioritaires de la région.

Pour tous ces scénarios, les résultats présentés pour les PM2,5 et le NO2 ne peuvent pas être additionnés car une partie des décès peut être attribuée à l’exposition conjointe à ces deux polluants.

Discussion

S’appuyant sur les derniers guides de Santé publique France publiés en 2019, cette première EQIS régionale est innovante à plusieurs titres. Tout d’abord, elle présente les premiers résultats régionaux avec des données récentes (2016-2018), depuis la parution de l’étude nationale de 2016 (étude portant sur les années 2007-2008) 3. En complément des résultats sur la mortalité, comme c’était le cas dans les études nationales 3,8 et l’étude sur la vallée de l’Arve 9, elle présente des résultats sur plusieurs événements de santé parmi ceux proposés dans le guide 4. Aussi, elle s’appuie sur une modélisation fine d’estimation des concentrations de polluants, et sur un calcul prenant en compte la densité de la population, pour approcher au mieux l’exposition réelle de la population de la région Auvergne-Rhône-Alpes dont la géographie est contrastée. Depuis la réalisation de cette étude, une deuxième EQIS régionale a été conduite par l’Observatoire régional de santé (ORS) Île-de-France 10.

L’étude Auvergne-Rhône-Alpes fournit des résultats au niveau régional mais aussi au niveau départemental, des zones prioritaires, des EPCI et des villes de plus de 20 000 habitants permettant à la population et aux acteurs locaux de disposer de résultats sur leurs territoires. Issus de la même étude, les résultats sont comparables. Ces résultats constituent des leviers pour faciliter la mise en place de politiques publiques visant l’amélioration de la qualité de l’air.

Bien que les niveaux de pollution présentent globalement une tendance à la baisse 1, cette EQIS menée sur l’ensemble de la région Auvergne-Rhône-Alpes confirme que l’impact sur la santé de la pollution de l’air ambiant reste majeur dans la région. L’exposition à long terme aux PM2,5 représente ainsi 6,7% de la mortalité dans la région, valeur très proche de la dernière estimation réalisée pour l’ensemble de la France métropolitaine sur la période 2016-2019 (7%) 8 et légèrement inférieure à l’estimation réalisée par l’ORS Île-de-France (9%) pour la période 2017-2019 10 pour cette région très urbaine.

Par rapport à la précédente étude de 2016 portant sur les années 2007 et 2008 menée sur la France continentale 3, qui fournissait également des chiffres régionaux, les résultats sont peu différents (4 382 décès pour l’étude nationale de 2016 vs 4 301 décès pour l’étude régionale de 2021) alors que les niveaux de pollution ont considérablement baissé. Atmo Auvergne-Rhône-Alpes estime, en effet, que les concentrations moyennes annuelles en PM2,5 ont diminué de 60% entre 2007 et 2018 1. La méthodologie utilisée dans les deux études est proche mais le modèle d’estimation de l’exposition utilisé en 2016 portait sur des mailles de 2 km par 2 km et l’exposition estimée au niveau de la commune reposait sur une moyenne des concentrations incluant l’ensemble du territoire de la commune, y compris les zones inhabitées. Enfin, le réseau de mesure de PM2,5 était peu dense avant 2005 et la corrélation spatiale (0,42 en 2007 et 0,12 en 2008) entre modèle et mesures était relativement faible et variable selon les territoires 11. Ceci confirme les limites du modèle de l’étude précédente pour notre région, l’intérêt de l’utilisation d’un modèle avec une résolution spatiale fine et d’une estimation de l’exposition rapportée à la densité de la population dans la région.

Sous un scénario plus atteignable, si l’ancienne valeur recommandée par l’OMS pour les PM2,5 (10 µg/m3) était respectée dans toutes les communes, 1,6% des décès annuels pourraient être évités, soit un peu plus de 1 000 décès dont 81% dans les zones prioritaires de la région.

Les analyses réalisées avec le NO2 permettent d’estimer l’impact sur la santé, lié au trafic routier. Les résultats ne peuvent cependant pas être additionnés avec ceux provenant des analyses réalisées avec l’indicateur PM2,5 car cela entraînerait un double comptage. En effet, le trafic routier émet également des particules fines de diamètre inférieur à 2,5 µm, et une partie des impacts sur la santé, liés à ces particules, provient également du trafic routier. Ainsi, avec l’indicateur NO2, la pollution liée au trafic routier serait responsable de près de 3,1% des décès chaque année dont la majorité (62%) dans les territoires prioritaires. L’estimation de l’ORS pour ce polluant pour l’Île-de-France était de 5,3% des décès pour l’année 2019 10.

Les RR utilisés dans cette étude sont ceux recommandés par le guide de Santé publique France 4 mais d’autres RR existent, et leur choix reste déterminant sur les résultats. Concernant la mortalité par exemple, le RR recommandé au niveau international par l’OMS en 2013 12 est plus faible et conduirait à des résultats d’impact sur la santé deux fois plus faibles (Cf. analyse de sensibilité dans le rapport d’étude 5). Ce RR, issu d’une méta-analyse, est très influencé par les données d’Amérique du Nord 12. Aussi, Santé publique France, en lien avec l’OMS, a considéré que pour la France, il était plus pertinent d’utiliser le RR construit sur des données européennes et françaises 4.

Le choix du seuil de référence pour le calcul du poids total de la pollution, c’est-à-dire du niveau de polluants hors apports anthropiques, peut avoir une influence significative sur les résultats. En effet, pour les PM2,5, il est admis qu’il n’existe pas de seuil en deçà duquel il n’y aurait pas d’effet sur la santé. Pour le NO2, les dernières études ne suggèrent pas non plus l’existence d’un seuil en dépit d’un faible nombre d’études incluant de très bas niveaux de NO2 13.

Pour les PM2,5, la valeur de 5,5 µg/m3 correspondant à la moyenne annuelle (2016-2018) mesurée à la station rurale nationale « Drôme rurale sud » a été retenue. Cette valeur est proche des valeurs de 4,5 µg/m3, 4,9 µg/m3 et 5 µg/m3 retenues respectivement pour l’EQIS de la vallée de l’Arve 9, l’EQIS en France continentale publiée en 2016 3, et celle en France métropolitaine publiée en 2021 8. Elle est également très proche de la nouvelle valeur guide préconisée par l’OMS de 5 µg/m3 en concentration moyenne annuelle qui a été publiée en septembre 2021 2.

Pour le NO2, en cohérence avec le choix précédent, la valeur de 1,8 µg/m3 de la station « Drôme rurale sud » a également été retenue. Cette valeur très basse traduit la nature essentiellement anthropique du NO2. Elle est également très proche de la concentration minimale de 1,5 µg/m3 évoquée dans l’étude Escape 14 rapportée par trois cohortes (suédoise, italienne et autrichienne) et de celle de 1,6 µg/m3 correspondant à la moyenne annuelle la plus basse modélisée en 2013 au Royaume-Uni 13. Elle est proche de la valeur de 1 µg/m3 utilisée par l’ORS Île-de-France 10 dans son étude régionale, mais plus faible que celle utilisée dans l’étude nationale de 2021 8 qui correspond à la nouvelle valeur guide préconisée par l’OMS 2 de 10 µg/m3.

Tous les résultats présentés dans cette étude restent des ordres de grandeur. Ils sont associés à plusieurs sources d’incertitude (estimation de l’exposition, données de santé, choix des risques relatifs…) détaillées dans le rapport d’étude 5. Toutefois, ces incertitudes ne remettent pas en cause le fait que la pollution de l’air continue d’avoir un impact significatif sur la santé, et que des actions améliorant la qualité de l’air se traduiraient par des bénéfices importants sur la santé de la population de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

En effet, si cette EQIS confirme l’enjeu sanitaire majeur de la pollution de l’air ambiant, notamment dans les grandes agglomérations, la vallée du Rhône, la Saône, et les vallées alpines, les résultats montrent que tout le territoire de la région peut être concerné et toute réduction de pollution, quel que soit le territoire, permettra un gain sanitaire pour la population concernée.

L’impact sur la santé de l’exposition chronique à la pollution de l’air ambiant justifie la mise en place d’actions visant à réduire durablement la pollution de fond. Compte-tenu de la diversité des sources de polluants (transports, logements, industries, agriculture…), ces interventions permettent également d’induire de nombreux co-bénéfices sanitaires et sociaux. C’est particulièrement le cas avec les politiques visant à réduire la place de la voiture, à promouvoir les modes de transport actifs et à développer un urbanisme favorable à la santé 15. Ces politiques entraînent des gains sanitaires liés à la diminution de la pollution dont il est question dans cette étude, mais aussi des gains sanitaires liés à une augmentation de l’activité physique, à une réduction de l’impact dû au bruit, à une réduction de la contribution du trafic à la chaleur urbaine en période de canicule, et à une meilleure répartition de l’espace entre voies routières, zones piétonnes et mode de transport doux. Enfin, il est essentiel dans le cadre de la politique de lutte contre le changement climatique de limiter les émissions de gaz à effets de serre dont les effets sur le climat ont déjà de fortes répercussions sur la santé 16.

Remerciements

L’auteur remercie Mélanie Yvroud, co-auteur du rapport d’étude, Atmo Auvergne-Rhône-Alpes pour la fourniture des données d’exposition, Delphine Casamatta et Magali Corso (Santé publique France) pour l’extraction des données de santé, l’ensemble des membres du comité technique qui ont accompagné la réalisation de l’étude : Stéphane Socquet-Juglard et Bernard Jouves (Atmo Auvergne-Rhône-Alpes), Armelle Mercurol et Nicolas Grenetier (ARS Auvergne-Rhône-Alpes), Évelyne Bernard et Emmanuel Donnaint (Dreal Auvergne-Rhône-Alpes), Elsa Thomasson (Ademe Auvergne-Rhône-Alpes), Lucie Anzivino (ORS Auvergne-Rhône-Alpes), Clément Pesle (Grenoble-Alpes Métropole).

Liens d’intérêt

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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5 Yvon JM, Yvroud M. Évaluation quantitative d’impact sur la santé (EQIS) de la pollution de l’air ambiant en région Auvergne-Rhône-Alpes (période 2016-2018). Saint-Maurice: Santé publique France; 2021. 66 p. https://www.sante
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8 Medina S, Adélaïde L, Wagner V, de Crouy Chanel P, Real E, Colette A, et al. Impact de la pollution de l’air ambiant sur la mortalité en France métropolitaine. Réduction en lien avec le confinement du printemps 2020 et nouvelles données sur le poids total pour la période 2016-2019. Saint-Maurice: Santé publique France; 2021. 63 p. https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/pollution-et-sante/air/documents/enquetes-etudes/
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9 Pascal M, De Crouy Chanel P, Wagner V, Yvon J, Saura C. Impacts de l’exposition chronique aux particules fines sur la mortalité dans la vallée de l’Arve. Saint-Maurice: Santé publique France; 2017. 41 p. https://www.sante
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10 Host S, Cardot T, Saunal A, Ghersi V, Joly F. Mortalité attribuable à la pollution atmosphérique en Île-de-France : Quelle évolution depuis 10 ans et quels bénéfices d’une amélioration de la qualité de l’air dans les territoires ? Paris: ORS Île-de-France; 2022. 102 p. https://www.ors-idf.org/nos-travaux/publications/mortalite-attribuable-a-la-pollution-atmospherique/
11 Pascal M, de Crouy Chanel P, Wagner V, Corso M, Tillier C, Bentayeb M, et al. The mortality impacts of fine particles in France. Sci Total Environ. 2016;571:416-25.
12 World Health Organization Regional Office for Europe. Health risks of air pollution in Europe – HRAPIE project – Recommendations for concentration-response functions for cost-benefit analysis of particulate matter, ozone and nitrogendioxide. Copenhagen: WHO Regional Office for Europe; 2013. 60 p. https://www.euro.who.int/__data/
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13 Committee on the Medical Effects of Air Pollutants (COMEAP). Associations of long-term average concentrations of nitrogen dioxide with mortality. Public Health England; 2018. 152 p. https://www.gov.uk/government/
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14 Beelen R, Raaschou-Nielsen O, Stafoggia M, Andersen ZJ, Weinmayr G, Hoffmann B, et al. Effects of long-term exposure to air pollution on natural-cause mortality: an analysis of 22 European cohorts within the multicentre ESCAPE project. Lancet. 2014;383(9919):785-95.
15 Pascal M, Roué Le Gall A, Lemaire N, Diallo T. Transformer les villes pour préserver la santé des générations présentes et futures. La Santé en action. 2022;(459):5-9. https://www.santepubliquefrance.fr/docs/transformer-les-villes-pour-preserver-la-sante-des-generations-presentes-ou-futures
16 World Health Organization. Climate change and Health. Geneva: WHO; 2021. https://www.who.int/news-room/
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Citer cet article

Yvon JM. Évaluation quantitative d’impact sur la santé (EQIS) de la pollution de l’air ambiant en région Auvergne-Rhône-Alpes pour la période 2016-2018. Bull Epidémiol Hebd. 2022;(19-20):335-42. http://beh.santepublique
france.fr/beh/2022/19-20/2022_19-20_2.html

(1) Les 9 territoires prioritaires de la région Auvergne-Rhône-Alpes :
– plan de protection de l’atmosphère (PPA) : Lyon, Grenoble, Clermont-Ferrand, Saint-Étienne et vallée de l’Arve ;
– plan local d’amélioration de la qualité de l’air (PLQA) : Annecy et Chambéry, partie française du Grand Genève et zone de Valence.