Mortalité attribuable à la pollution atmosphérique en Île-de-France. Quelle évolution depuis 10 ans et quels bénéfices d’une amélioration de la qualité de l’air dans les territoires ?

// Mortality due to air pollution in Île-de-France. Changes over the past 10 years and benefits of improved air quality in French territories

Sabine Host1 (sabine.host@institutparisregion.fr), Adrien Saunal1, Thomas Cardot1, Véronique Ghersi2, Fabrice Joly2
1 Observatoire régional de santé d’Île-de-France, Paris
2 Airparif, Paris
Soumis le 19.05.2022 // Date of submission: 05.19.2022
Mots-clés : Pollution de l’air | Mortalité | EQIS | Recommandations OMS
Keywords: Air pollution | Mortality | QHIA | WHO recommendations

Résumé

Introduction –

L’amélioration continue de la qualité de l’air en Île-de-France a permis de sauver de nombreuses vies. Toutefois, l’impact observé encore aujourd’hui reste substantiel. L’Observatoire régional de santé (ORS) d’Île-de-France accompagne depuis plus de trente ans les politiques d’amélioration de la qualité de l’air par la réalisation d’évaluations quantitatives d’impact sur la santé (EQIS). Conduite en partenariat avec Airparif (l’observatoire de la qualité de l’air en Île-de-France), cette étude vise à qualifier l’évolution de la mortalité attribuable à l’exposition à la pollution atmosphérique d’origine anthropique depuis dix ans en Île-de-France, et à évaluer les bénéfices attendus si les concentrations observées en 2019 étaient ramenées au niveau des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle comporte également une analyse de l’effet des mesures de restriction mises en place en 2020 dans le cadre de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19.

Méthodes –

 Cette EQIS s’appuie sur les guides méthodologiques produits par Santé publique France. Les données de population mobilisées sont géoréférencées au bâtiment. Le croisement de ces données avec les concentrations de polluants PM2.5 (particules fines), NO2 (dioxyde d’azote) and O3 (ozone) estimées par Airparif pour les périodes 2008-2010 et 2017-2019 à une résolution fine permet d’évaluer les niveaux d’exposition de la population qui sont ensuite rapportées à un niveau de référence (niveau minimal sans pollution anthropique, recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), niveaux modélisés). La part de décès attribuables (ou évitables) à ce différentiel est jaugée en mobilisant les risques relatifs issus de la littérature (méta-analyses récentes). Cette part, rapportée aux nombres de décès observés dans la population (années de référence 2004-2008 et 2011-2015), permet d’estimer l’impact en nombre de décès attribuables (ou évitables) ainsi qu’en perte moyenne (ou gain moyen) d’espérance de vie.

Résultats –

 Entre 2010 et 2019, le nombre annuel de décès attribuables à l’exposition prolongée aux particules fines PM2,5, l’un des principaux polluant de l’air, est passé de 10 350 [3 840-15 660] à 6 220 [2 240-9 650], et a donc baissé de 40%. Cela correspond à un gain d’espérance de vie de près de huit mois en moyenne par habitant en Île-de-France. Si de nouvelles mesures étaient prises pour abaisser les niveaux actuels de pollution de l’air sous les valeurs guide de l’OMS, plus de 7 900 [2 240-13 630] décès pourraient être évités chaque année en moyenne en Île-de-France, qui représentent la somme de l’impact des PM2,5 et de l’O3 (chiffres 2019).

Conclusion –

Ces chiffres permettent d’objectiver l’enjeu de santé publique que représente la pollution de l’air et peuvent être utilisés pour informer les parties prenantes, orienter les politiques publiques d’amélioration de la qualité de l’air et favoriser l’acceptabilité sociale des mesures.

Abstract

Introduction –

The continuous improvement of air quality in the region of Île-de-France has saved many lives. However, the negative impact observed remains substantial.

For more than 30 years, the regional health observatory (Observatoire régional de santé, ORS) in Île-de-France has supported public policies to improve air quality by carrying out quantitative health impact assessments (QHIA). Conducted in partnership with Airparif, the present study aimed to qualify mortality over the 10 past years in Île-de-France due to human-induced air pollution and to estimate the benefits should the concentrations observed in 2019 be reduced according to WHO recommendations. We also investigated the impact of restrictions enforced in 2020 due to the COVID-19 pandemic.

Methods –

This QHIA relies on methodological guides produced by Santé publique France, the French public health agency, and uses the relative risks established in scientific literature. Fine-scale geographic data on PM2.5, NO2 and O3 concentrations (reference years 2008-2010 and 2017-2019) and resident populations were used to estimate the distribution of exposure. We applied the estimated attributable fraction to observed mortality (reference years 2004-2008 and 2011-2015) in order to compute the overall benefits of air-quality improvement in terms of preventable deaths and gains in life expectancy.

Results –

Between 2010 and 2019, the number of deaths from long exposure to fine particles (PM2.5), one of the main air pollutants, fell from 10,350 [3,840-15,660] to 6,220 [2,240-9,650], representing a 40% decrease. This is equivalent to an average gain in life expectancy of 8 months per habitant in Île-de-France. Taking further measures and reducing air pollution to a level under the threshold recommended by the WHO could avoid more than 7,900 [2,240-13,630] deaths per year on average in Île-de-France, which represents the combined impact of PM2.5 and O3 (2019 data).

Conclusion –

Assessing the health impact of exposure to pollution provides further evidence for public health action. These estimations are useful to inform stakeholders, guide public policies for air-quality improvement, and encourage social acceptability of measures.

Introduction

La pollution de l’air constitue un enjeu de santé publique majeur en Île-de-France. L’exposition à un air de mauvaise qualité favorise le développement de pathologies chroniques graves, en particulier des pathologies cardiovasculaires, respiratoires et des cancers 1,2,3. Cela se traduit par une augmentation de la mortalité, une baisse de l’espérance de vie et un recours accru aux soins 4,5. Quantifier ces impacts sanitaires a pour but de rappeler l’importance des enjeux sanitaires liés aux expositions à la pollution de l’air afin de mobiliser les acteurs.

Les dernières données épidémiologiques montrent des effets néfastes de la pollution atmosphérique sur la santé, à des concentrations encore plus faibles qu’on ne le croyait auparavant. Ainsi, en septembre 2021, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a publié de nouvelles recommandations de qualité de l’air ainsi que des cibles intermédiaires, renforçant encore cet enjeu 6.

L’Observatoire régional de santé (ORS) d’Île-de-France accompagne depuis plus de trente ans les politiques d’amélioration de la qualité de l’air par la réalisation d’évaluations quantitatives d’impact sur la santé (EQIS).

Cette étude, menée en partenariat avec Airparif, comporte trois grands axes :

évolution de la mortalité attribuable à l’exposition à la pollution atmosphérique d’origine anthropique depuis dix ans en Île-de-France ;

évaluation des bénéfices attendus si les concentrations observées en 2019 étaient ramenées au niveau des recommandations OMS ;

effet des mesures de restrictions mises en place en 2020.

La communication sur les impacts de la pollution atmosphérique, souvent négative, contribue à entretenir l’idée fausse que la situation se dégrade. Il apparaît ainsi plus positif et constructif de parler d’actions bénéfiques et d’améliorations. Ainsi, ce travail a aussi pour objectif de matérialiser les bienfaits sanitaires engendrés par l’amélioration continue de la qualité de l’air sur la dernière décennie. Les bénéfices des réductions de l’exposition entraînées par les mesures de restriction exceptionnelles mises en œuvre en 2020 pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ont également été quantifiés.

Dans un contexte où les mesures de prévention ne tiennent pas toujours compte des caractéristiques des territoires et de leurs populations, il est proposé une territorialisation de l’impact. C’est là l’originalité de ce travail, qui permet par une méthode d’estimation fine de l’impact sanitaire de la pollution atmosphérique, d’identifier plus précisément les enjeux sanitaires au sein des différents territoires.

Méthodes

Les EQIS de la pollution atmosphérique se fondent sur l’existence d’un lien causal établi entre l’exposition à un polluant de l’air et l’effet sanitaire étudié. Cette EQIS se focalise sur les impacts sur la mortalité (décès et espérance de vie) de l’exposition chronique (à long terme) à trois polluants réglementés : particules fines (PM2,5), dioxyde d’azote (NO2) et ozone (O3), et s’appuie sur le guide méthodologique produit par Santé publique France 7. Les risques relatifs retenus, ainsi que les années de référence utilisées, sont présentés dans le tableau 1.

Tableau 1 : Indicateurs de pollution mobilisés pour estimer les impacts aux niveaux actuels et passé, niveaux de référence et risques relatifs utilisés
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Les données de pollution de l’air ont été modélisées pour ces trois polluants (PM2,5, NO2, O3) à une résolution de maille de 50 m par 50 m pour toute la région. La modélisation repose sur l’exploitation conjointe des sorties de la plateforme inter-régionale de cartographie et de prévision de la qualité de l’air Esmeralda (études multirégionales de l’atmosphère) et des observations aux stations de mesure d’Airparif, couplées à la modélisation des émissions du trafic routier menée par le système Heaven. La chaîne de modélisation a été considérée comme suffisamment constante sur la période d’étude pour permettre une bonne comparabilité des niveaux estimés entre 2010 et 2019. Cette rétrospective n’étant pas disponible pour l’O3, seule la période actuelle a été étudiée pour ce polluant.

Les données de population mobilisées ont été obtenues à partir du recensement de la population de l’Insee (RP, 2009 et 2016) et ventilées au bâtiment sur la base des informations de la BD TOPO® (IGN, 2003 et 2018), du mode d’occupation des sols (L’Institut Paris Région, 2008 et 2017), des fichiers fonciers 2017 et du répertoire d’immeubles localisés (Ril) 2018. Le croisement de ces données avec les données de pollution estimées par Airparif à une résolution fine (50 m x 50 m) permet d’affecter un niveau de pollution à chaque bâtiment et in fine d’estimer le nombre d’individus exposé à chaque valeur de concentration pour les polluants et années étudiés à différents échelons géographiques.

Ces concentrations sont rapportées à un niveau de référence, qui correspond soit à l’absence de pollution anthropique, aux valeurs guides de l’OMS, aux niveaux des années antérieures ou bien à un niveau modélisé (tableau 1) afin de définir un différentiel d’exposition. Le nombre de décès imputables à la pollution d’origine anthropique a été estimé en considérant le niveau le plus bas mesuré dans les milieux les plus préservés de la pollution, niveau appelé « pollution anthropique minimale », déterminé à partir des niveaux moyens annuels minimaux mesurés sur les stations rurales nationales. Pour les PM2,5, ce niveau minimal correspond à la recommandation OMS. Cette méthode n’ayant pas pu être appliquée à l’ozone, c’est la valeur qui avait été prise comme niveau de référence dans l’étude de Santé publique France publiée en 2016, qui a été retenue 10.

La part de décès attribuables (ou évitables) à cette exposition (ou baisses d’exposition) est ensuite estimée en utilisant les risques relatifs (RR), tels que recommandés dans le guide de Santé publique France (tableau 17.

Cette part est ensuite rapportée aux nombres de décès observés dans la population considérée afin d’estimer l’impact en nombre de cas annuels attribuables (ou évitables) ainsi qu’en perte moyenne (ou gain moyen) d’espérance de vie. Le gain en espérance de vie à 30 ans est calculé comme la différence entre l’espérance de vie obtenue à partir de la mortalité observée, et celle obtenue à partir de la mortalité qui serait observée si la pollution était différente. Les données de mortalité totale (Classification internationale des maladies : CIM-10, A00-Y98) annuelle toutes causes non accidentelles et par âge quinquennal chez les personnes âgées de 30 ans et plus à la commune ont été obtenues auprès du CépiDc (Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès) pour les années les plus récentes disponibles (nombre moyen de décès annuels sur les périodes 2004-2008 et 2011-2015).

La zone d’étude considérée correspond à l’Île-de-France. Pour tous les scénarios, l’impact est présenté pour l’Île-de-France et par grandes entités géographiques, à savoir :

Paris ;

la Métropole du Grand Paris (hors Paris) ;

la Zone sensible pour la qualité de l’air, selon l’arrêté du 26 décembre 2016 relatif au découpage des régions en zones administratives de surveillance de la qualité de l’air ambiant (hors Métropole du Grand Paris) ;

le reste de l’Île-de-France (appelé schématiquement « Rural » bien que comportant des zones urbanisées) (figure 1).

La figure 1 illustre également les niveaux de pollution rencontrés dans ces différents territoires, avec l’exemple du NO2.

Figure 1 : Carte des niveaux annuels moyens de NO2 en 2019 et délimitation des quatre sous-zones d’étude
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Résultats

La population et les nombres de décès toutes causes des plus de 30 ans observés sont présentés dans le tableau 2.

Tableau 2 : Données de population et de mortalité toutes causes des plus de 30 ans selon les périmètres d’étude pour la période 2004-2008 (source : CépiDc, Insee)
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Une forte baisse de mortalité attribuable à la pollution atmosphérique entre 2010 et 2019

Le nombre annuel de décès attribuables à l’exposition prolongée au PM2,5 est passé de 10 350 [3 840-15 660] en 2010 à 6 220 [2 240-9 650] en 2019, soit une baisse de 40%. Cela représente un gain brut moyen d’espérance de vie de près de huit mois. La part de décès attribuables est passée de 16,5% à 9%. Par ailleurs, le nombre annuel de décès en lien avec l’exposition prolongée au NO2 est passé de 4 520 [1 630-7 050] (7,2% [2,6-11,2]) à 3 680 [1 310-5 770] (5,3% [1,9-8,3]) soit une baisse de près de 19%, ce qui représente un gain brut moyen de deux mois d’espérance de vie. Tous les territoires ont bénéficié de cette amélioration avec des bénéfices particulièrement marqués à Paris où le gain brut d’espérance de vie s’élève à près de dix mois (tableau 3).

Tableau 3 : Nombre et part de décès annuels évitables et gain moyen d’espérance de vie pour les scénarios étudiés
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Tendre vers les seuils de référence fixés par l’OMS pour mieux protéger la santé des populations vis-à-vis de la pollution de l’air ambiant

Si les niveaux moyens annuels de PM2,5 observés sur la période 2017-2019 étaient ramenés à la valeur guide de l’OMS (5 µg/m3), de l’ordre de 6 200 décès [2 240-9 650] pourraient être évités en Île-de-France, soit près d’un décès sur dix (9% [3,2-13,9]), ce qui représenterait un gain moyen d’espérance de vie de près de huit mois. De même, si les niveaux moyens annuels de NO2 observés en 2019 étaient ramenés à la valeur guide de l’OMS (10 µg/m3), environ 2 350 décès [830-3 700] pourraient être évités dans la région, cela représenterait environ 3,4% [1,2-5,3] des décès observés et un gain moyen d’espérance de vie de près de 2,7 mois [1-4,3] (tableau 3). De plus, si les niveaux moyens annuels d’O3 observés actuellement étaient ramenés aux à la valeur guide de l’OMS, de l’ordre de 1 700 décès [0-3 330] additionnels pourraient être évités en Île-de-France, soit 2,4% [0-4,8] des décès observés avec un gain moyen d’espérance de vie de près de 2,2 mois [0-4,3].

Les bénéfices seraient particulièrement importants pour Paris et le reste de la métropole (figure 2) qui regrouperaient les deux tiers des décès évitables par une baisse des niveaux de PM2,5 ramenés à 5 µg/m3. Ceci s’explique du fait de niveaux de PM2,5 plus élevés dans ces territoires conjugués à une densité importante de population. Une baisse de l’ordre de 530 décès [190-820] serait tout de même attendue en zone rurale (zone périphérique). Ces bénéfices deviendraient négligeables dans cette zone pour un objectif à 10 µg/m3, étant donné que cette concentration est atteinte sur la quasi-totalité de ce territoire, donc qu’aucun abattement de pollution ne serait pris en compte (tableau 3).

Figure 2 : Part de décès évitables si les niveaux actuels de PM2,5 étaient ramenés à une moyenne annuelle de 5 µg/m3
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Pour le NO2, l’impact serait particulièrement prégnant pour la zone dense, avec près de 80% des bénéfices attendus à Paris et dans la métropole si les niveaux moyens annuels de NO2 observés actuellement étaient ramenés à 10 µg/m3. Comme précédemment, ceci s’explique par des niveaux de NO2 particulièrement élevés dans ces territoires, couplés à une forte densité de population.

En ce qui concerne l’ozone, la tendance est tout autre. Ainsi, en proportion, l’impact est plus marqué en zones périphériques. La part de décès évitables s’élève 2,8% en zone rurale (zone périphérique) contre 2,1% à Paris pour un objectif à 60 µg/ m3 (valeur guide OMS). Cette géographie illustre l’enjeu sanitaire de l’exposition à l’ozone plus prononcé en zone rurale.

À noter toutefois que les écarts entre la zone dense et la périphérie sont moins marqués que pour les deux autres polluants, dont les niveaux sont plus influencés par les sources locales.

Effet des mesures de restriction mises en œuvre au cours de l’année 2020

Enfin, l’année 2020, marquée par la pandémie de Covid-19, a constitué une année exceptionnelle à bien des points de vue et en particulier en matière de qualité de l’air. Des mesures de restriction d’ampleur inédite ont conduit notamment à une diminution des concentrations de NO2 sans précédent dans l’histoire de la surveillance de la qualité de l’air, et en particulier à proximité des axes routiers, et dans une moindre mesure, des niveaux de PM2,5 dans la zone dense 11. Cette baisse des concentrations en NO2 a permis d’éviter de l’ordre de 340 décès [120-550], soit 0,5% [0,2-0,8] de baisse, et celle des concentrations en PM2,5, de l’ordre de 180 [60-280], soit 0,3% [0,1-0,5] de baisse (tableau 3). La grande majorité de ces gains se situe à Paris et dans le reste de la métropole. Il s’agit d’une évaluation théorique, toutes choses égales par ailleurs. Toutefois, il apparaît intéressant de situer l’effet de ces mesures de restriction particulièrement tangibles pour les Franciliens par rapport aux valeurs guide de l’OMS pour protéger la santé. Ainsi, la figure 3 met en regard l’ensemble des scénarios analysés pour les PM2,5 et le NO2.

Figure 3 : Impacts de l’exposition prolongée aux PM2,5 et au NO2 sur la mortalité annuelle, mise en perspective des différents scénarios
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Discussion

Ont été analysés ici les impacts de la pollution en lien avec les PM2,5 et le NO2, toutefois les nombres de cas estimés ne peuvent pas être directement additionnés car une partie des décès liés à ces expositions se recoupent. En effet, les risques relatifs (RR) établis dans les études épidémiologiques ne permettent pas d’isoler l’effet propre du polluant considéré mais estiment aussi une partie des effets d’autres polluants émis par des sources communes. À l’heure actuelle, il n’y a pas de consensus pour dire en quelle proportion ces effets se recoupent.

Les impacts en lien avec le NO2, traceur du trafic routier, permettent de rappeler l’importance d’agir sur cette source, en particulier dans la zone agglomérée. En effet, pour la cible à 30 µg/m3, aucun bénéfice n’est attendu en dehors de la métropole car les niveaux de NO2 observés actuellement dans ces territoires sont déjà en deçà de ce seuil.

Alors que l’Île-de-France fait partie des zones visées par un contentieux relatif au dioxyde d’azote, pour non-respect de la valeur limite en moyenne annuelle établie à 40 µg/m3 et par un contentieux pour non-respect des valeurs limites en PM10, les nouvelles valeurs guide de l’OMS peuvent paraître inatteignables pour la zone dense. Pour faciliter l’amélioration progressive de la qualité de l’air et donc l’obtention progressive, mais significative, d’avantages en termes de santé de la population, des objectifs intermédiaires ont été proposés par l’OMS. Ces bénéfices ont été évalués ici, par territoires, afin de rendre compte de leurs spécificités et faciliter l’intégration des résultats des EQIS aux différentes échelles de décision. Ces résultats sont par ailleurs détaillés dans le rapport complet pour les 63 intercommunalités franciliennes 12.

Les bénéfices des mesures de restrictions qui ont contribué à réduire fortement les émissions du trafic routier en 2020 sont supérieurs aux bénéfices attendus du respect de la cible intermédiaire pour le NO2 à 30 µg/m3. Mais ils restent encore inférieurs à ceux attendus du respect de la cible à 20 µg/m3 (figure 3). Cela permet de visualiser les efforts nécessaires pour atteindre une qualité de l’air satisfaisante du point de vue de la protection de la santé. Les contraintes drastiques appliquées au moment du premier confinement, avec des résultats spectaculaires en matière de réduction du trafic routier, n’ont été appliquées que sur une courte période. La concentration moyenne annuelle considérée pour le calcul reflète des conditions plus mesurées le reste de l’année.

Les scénarios théoriques ne renseignent pas sur les leviers à mettre en œuvre pour atteindre des objectifs de qualité de l’air. Ainsi, ce travail est à mettre en regard d’autres approches qui fournissent des données complémentaires utiles à l’élaboration ou la mise à jour des plans d’actions d’amélioration de la qualité de l’air. En particulier, il peut être mentionné une analyse prospective menée par Airparif en matière de scénarios de réduction d’émissions liées aux principales sources de PM2,5 et de NO2 11. En ce qui concerne l’ozone, dont la formation est régie par des phénomènes particulièrement complexes, une action à large échelle géographique sur les précurseurs, du régional au national, est nécessaire pour lutter efficacement contre cette pollution photochimique. La formation d’O3 résulte de réactions chimiques entre certains composés de l’atmosphère sous l’effet du rayonnement solaire et de la chaleur. La teneur en ozone dépend d’un équilibre complexe entre les gaz précurseurs, dont font partie les oxydes d’azote. Ces derniers étant moins présents en dehors des villes, il s’opère dans les zones rurales un déséquilibre favorable à la formation d’ozone. Ainsi, l’impact de ce polluant rappelle que nul n’est épargné par la pollution de l’air et que tout le monde doit être acteur.

Conclusion

Évaluer l’impact sur la santé de l’exposition à la pollution de l’air permet d’objectiver cet enjeu de santé publique et de légitimer les mesures de lutte contre la pollution atmosphérique. Ainsi, les résultats des EQIS peuvent être utilisés pour informer les parties prenantes, orienter les politiques publiques d’amélioration de la qualité de l’air et favoriser l’acceptabilité sociale des mesures.

Si certaines valeurs guides de l’OMS peuvent paraître lointaines, un regard en arrière montre le chemin déjà parcouru. Cette évaluation ne peut qu’encourager la poursuite de l’action qui a permis une amélioration continue de la qualité de l’air. Ces efforts ont été récompensés par une baisse d’au moins 40% des décès annuels attribuables à l’exposition prolongée à la pollution de l’air sur la dernière décennie. Cela se traduit par un gain moyen de près de huit mois d’espérance de vie pour l’ensemble des Franciliens. Ce chiffre conséquent inscrit la lutte contre la pollution de l’air comme une mesure de santé publique particulièrement pertinente et efficace, à poursuivre et à renforcer.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Host S, Saunal A, Cardot T, Ghersi V, Joly F. Mortalité attribuable à la pollution atmosphérique en Ile-de-France. Quelle évolution depuis 10 ans et quels bénéfices d’une amélioration de la qualité de l’air dans les territoires ? Bull Epidémiol Hebd. 2022;(19-20):326-35. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/19-20/2022_19-20_1.html