Maladies à caractère professionnel chez les intérimaires en France entre 2009 et 2014
// Work-related diseases in temporary workers in France between 2009 and 2014
Résumé
Introduction –
L’objectif de ce travail était de comparer la fréquence et les caractéristiques des maladies à caractère professionnel (MCP) chez les intérimaires et chez les salariés en contrat à durée indéterminée (CDI) en France entre 2009 et 2014.
Matériel/méthodes –
Les médecins du travail participant au programme de surveillance des MCP ont signalé les cas de MCP et leurs agents d’expositions pour tous les salariés vus en visite pendant les périodes de recueil. Les troubles musculo-squelettiques (TMS) et la souffrance psychique ont été analysés selon le type de visite, en utilisant une analyse multivariée.
Résultats –
Parmi les 370 064 salariés étudiés (6,2% intérimaires, 93,8% en CDI), aucune association n’a été mise en évidence entre le statut d’intérimaire et les TMS de l’épaule, du coude ou de la main/poignet liés au travail. Le statut d’intérimaire était associé négativement à la souffrance psychique liée au travail (OR=0,4, IC95%: [0,3-0,5]), quel que soit le type de consultation, et aux TMS du rachis en visite à la demande de reprise (OR=0,2% [0,1-0,5] ou en visite périodique (OR=0,3 [0,2-0,7]).
Discussion/conclusion –
Si les résultats concernant les TMS du rachis reflèteraient plutôt l’effet travailleur sain, les résultats concernant la souffrance psychique suggèrent qu’une santé mentale dégradée, souvent mise en évidence chez les intérimaires dans les études antérieures, pourrait être plutôt liée à une dégradation de l’état de santé global ou à l’insécurité vécue au travail plutôt qu’aux conditions de travail elles-mêmes.
Abstract
Introduction –
the objective of this study was to compare the frequencies and the characteristics of uncompensated work-related diseases (UWRD) in temporary workers with permanent contract workers in France between 2009 and 2014.
Material/Methods –
Occupational physicians participating in the WRD surveillance program reported cases of WRD and their exposure agents for all employees seen during collection periods. Musculoskeletal disorders (MSDs) and mental distress were analyzed by type of visit, using multivariate analysis.
Results –
Of the 370, 064 salaried workers analyzed (6.2% and 93.8% with temporary and permanent contracts, respectively), no association
were observed between temporary status and work-related shoulder, elbow and hand/wrist MSD. Temporary status was negatively
associated with MHD irrespective of the type of consultation (OR=0.4, 95%CI: [0.3-0.5]) and with rachis MSD during on-demand/return-to-work
consultations (OR=0.2 [0.1-0.5] and during periodic check-ups
(OR=0.3 [0.2-0.7]).
Discussion/conclusion –
If results regarding rachis MSD may be a reflect of the healthy worker effect, the results regarding MHD suggest that the poor health status found in temporary workers in previous studies may be linked more to their general health status and perceived job insecurity, or decreasing trajectories than to poorer working conditions.
Introduction
Depuis les années 80, le pourcentage de travailleurs intérimaires augmente dans de nombreux pays européens. En France, il est passé de 1,0 à 3,1% entre 1982 et 2019 1,2. L’environnement de travail des intérimaires se caractérise souvent par une insécurité dans l’emploi et une exposition à des conditions de travail plus difficiles, liées notamment à l’occupation des postes les moins qualifiés. Par conséquent, de nombreuses études ont investigué l’état de santé de cette population, en particulier la santé mentale. Elles ont montré que le travail temporaire était souvent associé à une moins bonne santé mentale que les autres types de travail 3,4,5,6,7. De plus, les travailleurs temporaires sont plus souvent exposés aux contraintes biomécaniques, en particulier de la main-poignet, qui peuvent conduire à un risque plus élevé de troubles musculo-squelettiques (TMS) 8,9,10. Cependant, il n’est pas facile d’établir clairement si la santé dégradée chez les intérimaires est une cause ou une conséquence du travail intérimaire 11,12,13. Bien que des études chez les travailleurs intérimaires aient investigué leur état de santé global, à notre connaissance, aucune n’a étudié spécifiquement les maladies liées au travail ou la fraction attribuable au travail. La plupart des études se sont intéressées aux accidents du travail ou aux absences pour maladie liée au travail. Elles ont montré que les intérimaires présentaient un risque plus élevé d’accident du travail que les travailleurs permanents 14,15,16,17, attribué aux périodes de formation plus courtes, au manque d’expérience dans les tâches et au manque de connaissance des dangers sur le lieu de travail 14. A contrario, les études sur les absences pour maladie liée au travail montrent soit un risque plus faible, soit aucune association significative avec le travail intérimaire 18,19,20. L’utilisation des maladies professionnelles reconnues par les systèmes d’indemnisation comme indicateur de maladies liées au travail chez les intérimaires est difficile en raison de la sous-déclaration de ces maladies, d’autant plus importante pour cette population. En effet, les intérimaires sont moins enclins à déclarer leurs maladies liées au travail que les salariés permanents 21. En France, l’existence du système de surveillance des maladies à caractère professionnel (MCP) depuis 2007 représente une opportunité pour étudier spécifiquement les maladies en lien avec le travail chez les intérimaires.
Dans cette population pour laquelle il existe peu de données sur les maladies en lien avec le travail, cette étude a pour but de comparer les MCP entre les intérimaires et les salariés en contrat à durée indéterminée (CDI) afin d’identifier leurs caractéristiques chez les intérimaires.
Méthode
Le programme de surveillance des MCP repose sur un réseau multirégional de médecins du travail volontaires et leurs équipes, qui participent à des périodes de recueil de données de 15 jours deux fois par an, appelées « Quinzaines MCP » 22. Ces médecins recueillent les données socioprofessionnelles de tous les salariés vus en visite médicale du travail et des données médicales pour les salariés diagnostiqués avec une MCP pour toutes les consultations ayant lieu durant les Quinzaines. Dans ce programme, une MCP est définie comme tout symptôme ou toute maladie considérés comme liés au travail par le médecin du travail et qui ne sont pas reconnus en maladie professionnelle au moment de la visite médicale. Cette définition s’appuie sur l’article L 461-6 du code de la Sécurité sociale : « Est obligatoire, pour tout docteur en médecine qui peut en connaître l’existence, notamment les médecins du travail, la déclaration de tout symptôme d’imprégnation toxique et de toute maladie, lorsqu’ils ont un caractère professionnel et figurent sur une liste établie par arrêté interministériel, après avis du conseil supérieur de la prévention des risques professionnels. Il doit également déclarer tout symptôme et toute maladie non compris dans cette liste mais qui présentent, « à son avis », un caractère professionnel ». Les médecins du travail signalent également les agents d’exposition identifiés en lien avec les maladies diagnostiquées sur la base de leur expertise professionnelle, dans ce cas aussi. Ils recueillent en clair ces informations sur une fiche recto. La pathologie ou les symptômes sont ensuite codés selon la classification internationale des maladies – 10e révision (CIM-10). Les agents d’expositions sont codés selon le thésaurus des expositions professionnelles 23.
Les informations recueillies incluent le sexe, l’âge, le secteur d’activité codé selon la classification 2008 de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) 24, la profession (codée selon la classification socioprofessionnelle 2003 de l’Insee 25), et le type de contrat (intérimaire, contrat à durée déterminée (CDD), contrat à durée indéterminée (CDI), saisonnier, apprenti…). Le type de visite médicale est également enregistré : visite d’embauche, périodique, de reprise, pré-reprise ou à la demande. La définition des intérimaires retenue pour cette étude a été basée sur la variable « type de contrat », en retenant la modalité « intérim ».
Entre 2009 et 2014, de 11 à 15 régions métropolitaines (sur 22) ont été inclues annuellement dans le programme et entre 453 à 962 médecins ont participé. Les données ont été cumulées sur ces six années afin de disposer d’un nombre suffisant d’intérimaires pour réaliser les analyses. Les intérimaires ont été comparés aux salariés en CDI. Bien que non nulle, la probabilité qu’un même salarié soit inclus plusieurs fois dans le recueil MCP sur une même année ou sur plusieurs années est très faible.
Les taux de prévalence des MCP et leur intervalle de confiance à 95% (IC95%) ont été calculés en divisant le nombre de salariés diagnostiqués avec une MCP par le nombre total de salariés ayant été vus pendant les Quinzaines.
La distribution des agents d’exposition signalés par les médecins pour les TMS et la souffrance psychique a été comparée entre les salariés intérimaires et ceux en CDI. Comme l’accès aux visites médicales du travail est influencé par le type de contrat, le taux de prévalence des MCP a été calculé selon le type de visite. Les analyses multivariées ont été réalisées pour évaluer les odds ratio (OR) de MCP chez les intérimaires par rapport aux salariés en CDI, en ajustant sur l’âge, le sexe, le secteur économique (le secteur des services incluant les agences de travail temporaire versus les autres secteurs), la catégorie socioprofessionnelle (ouvrier, employé, profession intermédiaire et cadre) et en stratifiant sur le type de visite, toutes visites confondues sauf si l’interaction entre la variable « type de contrat » et « type de visite » était significative. Les analyses ont été réalisées avec le logiciel Stata® v.11.0.
Résultats
Entre 2009 et 2014, 433 148 salariés (56,7% d’hommes), d’un âge moyen de 39,5 ans (écart-type 1,8 ans) ont été vus en visite dans le cadre du programme MCP dans les régions participantes. Comparée à la population des travailleurs salariés selon le recensement Insee 2014, les hommes vus dans le cadre du programme MCP étaient légèrement surreprésentés (56,7% vs 49,8%). Les secteurs d’activité étaient globalement bien représentés (agriculture/sylviculture/pêche : 1,9% vs 1,2% ; construction : 7,5% vs 5,7% ; commerce : 13,8% vs 12,5% ; transport et stockage : 5,9% vs 5,5%, activités financières, d’assurance, activités spécialisées, scientifiques et techniques et activités de service administratifs et de soutien 13,4% vs 11,3%), à l’exception du secteur de l’industrie et l’extraction surreprésenté (22,0% vs 12,8%) et du secteur de l’administration et de l’éducation/santé/action sociale sous-représenté (19,7% vs 33,7%) (p<0,05).
Parmi les salariés qui ont consulté durant les Quinzaines MCP, 5,3% étaient des intérimaires, 80,2% étaient en CDI, 14,5 % avaient un autre type de contrat (CDD, saisonnier, apprenti…). Ces derniers ont été exclus de l’analyse qui a donc porté sur 370 064 salariés (6,2% d’intérimaires).
En comparaison avec les salariés en CDI, les intérimaires étaient plus jeunes, plus souvent des hommes et plus souvent ouvriers (tableau 1). De plus, parmi les ouvriers, 59,4% des intérimaires étaient non qualifiés, alors que cette part n’était que de 34,0% chez les salariés en CDI (p<0,05).
Comme les intérimaires changent souvent d’emploi, la plupart des consultations concernaient des visites d’embauche (77,1%), suivies par des visites périodiques (17,9%). Pour les salariés en CDI, les visites les plus fréquentes étaient les visites périodiques (61,8%), suivies des visites de reprise/pré-reprise (15,3%).
La prévalence d’au moins une MCP était de 2,2% chez les intérimaires et de 7,0% chez les salariés en CDI. Après ajustement, l’intérim était associé négativement à la souffrance psychique, toutes visites confondues et pour chaque type de visite, et aux TMS du rachis (tableau 2) lors des visites à la demande/de reprise/pré-reprise et lors des visites périodiques. Aucune association n’était observée entre l’intérim et les TMS de l’épaule, du coude, ou de la main-poignet, quel que soit le type de visite.
Pour l’ensemble des TMS, les mouvements répétitifs étaient signalés comme agent d’exposition suspecté plus fréquemment pour les intérimaires que pour les salariés en CDI (tableau 3). A contrario, le port de charges lourdes était plus fréquemment rapporté pour les salariés en CDI que pour les intérimaires. Aucune différence n’était observée entre les deux groupes pour l’exposition aux vibrations (véhicule ou outils à main) ou pour les facteurs psycho-sociaux.
Pour la souffrance psychique, les exigences inhérentes à l’activité (horaires de travail, rythme automatique imposé par des machines…) étaient signalées plus souvent pour les intérimaires que pour les salariés en CDI. A contrario, les problèmes d’organisation du travail (management) et les difficultés relationnelles entre collègues ou avec les supérieurs étaient rapportés moins fréquemment chez les intérimaires.
Discussion-conclusion
Notre étude n’a pas montré d’association entre le statut d’intérimaire et les TMS de la main-poignet, du coude ou de l’épaule liés au travail. En revanche, l’intérim était associé négativement à la souffrance psychique et aux TMS du rachis liés au travail.
La comparaison avec la littérature est difficile pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la définition de travailleurs intérimaires peut varier selon les études et les pays. De plus, aucune étude n’a investigué spécifiquement les maladies en lien avec le travail chez les intérimaires. Les seules comparaisons possibles concernent les accidents du travail ou les absences pour maladie liée au travail. Elles ont montré que les intérimaires présentaient un risque plus élevé d’accident du travail que les travailleurs permanents 3,7,26,27. En revanche, les études sur les absences pour maladie liée au travail, montrent soit un risque plus faible, soit aucune association significative avec le travail intérimaire 18,19,20. Nos résultats vont dans le même sens que ces études et ne montrent pas un risque plus élevé de maladie liée au travail chez les intérimaires. Plusieurs hypothèses pourraient expliquer ces résultats. Comme les intérimaires changent souvent d’emploi et ont donc des périodes d’emploi plus courtes que les salariés en CDI 14, ils peuvent être moins exposés sur la durée aux différentes contraintes. Une autre explication pourrait être que les intérimaires sous-déclarent leurs problèmes de santé en visite médicale du travail en raison de l’insécurité de leur emploi.
Dans notre étude, nous trouvons que les mouvements répétitifs sont plus souvent signalés par les médecins du travail comme agent d’exposition chez les intérimaires que chez les salariés en CDI. Ceci est cohérent avec plusieurs études qui montrent que les intérimaires sont plus exposés aux contraintes biomécaniques et au travail répétitif, en particulier au niveau des bras/poignet/main 9,14. Pour autant, les TMS de la main-poignet, de l’épaule et du coude n’étaient pas associés au statut d’intérimaire, toutes choses étant égales par ailleurs (notamment l’âge). Les études précédentes qui ont investigué les TMS parmi les travailleurs intérimaires, sans regarder spécifiquement ceux liés au travail, montrent des résultats hétérogènes. Une étude menée en France ne montre pas d’association entre le travail en agence temporaire et les TMS de l’épaule, du coude et du membre supérieur, mais un risque plus élevé de TMS de la main-poignet chez les ouvriers d’agences de travail temporaire 9. Une autre étude française montre que le risque de douleur de l’épaule est plus élevé chez les intérimaires que chez les autres salariés, uniquement chez les femmes 10.
Nous avons mis en évidence une association négative entre l’intérim et les TMS du rachis, en visite périodique et en visite à la demande/reprise/pré-reprise, mais aucune différence en visite d’embauche. Ce résultat pourrait être lié à « l’effet du travailleur sain » 3. Les TMS du rachis sont à l’origine des arrêts de travail les plus longs et les plus répétitifs et sont de ce fait plus stigmatisants. Il est possible que les intérimaires avec des TMS du rachis soient plus fréquemment exclus du travail (et donc non reçus en visite périodique). A contrario, pour les salariés en CDI qui ne peuvent pas être licenciés facilement, des actions de maintien dans l’emploi sont probablement plus fréquentes (ce qui explique que ces salariés continuent d’être vus en visite périodique ou à la demande/reprise/pré-reprise).
Enfin, notre étude montre que la souffrance psychique liée au travail est moins fréquente chez les intérimaires que chez les salariés permanents. Des études précédentes, portant sur la santé mentale ont montré que le travail temporaire était associé à une moindre santé mentale, mais avec des nuances : c’était le cas en particulier chez les travailleurs qui n’avaient pas fait le « choix » d’être intérimaires 28, ceux qui avaient eu des trajectoires professionnelles descendantes (par exemple de salariés en CDI à salariés intérimaires) 7 et ceux qui ressentaient de l’insécurité liée à leur emploi (qu’ils soient intérimaires ou pas) 13,29,30. Nos résultats, montrant une souffrance mentale liée au travail moins élevée chez les intérimaires, suggèrent que les résultats cités ci-dessus pourraient être expliqués par l’insécurité liée à la précarité de l’emploi plutôt que par des conditions de travail dégradées. Comme les intérimaires changent souvent d’emploi, et par conséquent de supérieurs et collègues, ils sont probablement moins exposés aux difficultés relationnelles. En effet, en cas de relations dégradées, ils peuvent demander à l’issue de leur mission, à changer d’entreprise pour la mission suivante. Cette hypothèse est cohérente avec le fait que, dans notre étude, contrairement aux salariés en CDI, la souffrance mentale chez les intérimaires est plus fréquemment associée à des contraintes organisationnelles (horaires de travail…) et moins souvent à des relations délétères avec la hiérarchie ou les collègues.
Une des limites spécifiques à ce travail chez les intérimaires est liée à la population investiguée, tant cette population est volatile et poreuse aux autres groupes : intérimaires qui ne feront qu’une ou deux missions, salariés aujourd’hui en CDI mais ayant passé de nombreuses années comme jeunes intérimaires. Une seconde limite est liée au type de visite, variable selon le statut du contrat. Les intérimaires ont principalement consulté les médecins du travail lors de visite d’embauche, alors que les travailleurs en CDI ont consulté principalement en visite périodique. La propension des travailleurs à évoquer leur problème de santé en lien avec le travail est différente selon ces deux types de visite. Plus spécifiquement, en visite d’embauche, aussi bien les salariés recrutés en intérim que ceux en CDI, sous-déclarent probablement leurs problèmes de santé de la même manière. Et si la visite a lieu rapidement après l’embauche, le temps d’exposition aux contraintes physiques ou organisationnelles n’est pas très long. En revanche, lors des visites périodiques, il est possible que les salariés en CDI déclarent plus facilement leurs problèmes de santé car ils ont moins d’insécurité liée au statut de leur emploi. Cependant, comme l’analyse est stratifiée selon le type de visite, ce biais devrait être limité. De plus, les résultats concernant les visites d’embauche devraient être moins affectés par ce biais. Une troisième limite réside dans le fait que la part des ouvriers non qualifiés qui est plus importante parmi les intérimaires n’a pas été prise en compte dans les analyses. Cependant, une analyse restreinte aux ouvriers, ajustée sur le niveau de qualification, fournit les mêmes résultats que pour l’ensemble des catégories professionnelles (résultats non présentés).
Enfin, le programme MCP comporte par nature certaines limites : d’une part, le manque de représentativité dans certains secteurs d’activité ou selon le sexe, lié au mode de fonctionnement du système de santé au travail. D’autre part, la procédure de recueil fait intervenir le choix du salarié de signaler ou non la présence d’une pathologie au cours de la visite médicale. Les MCP signalées pour un usage collectif, épidémiologique, sont moins sous-déclarées que les maladies professionnelles indemnisables, mais leur signalement reste également limité par des stratégies d’évitement et de dissimulation liées à la crainte de l’inaptitude, notamment lors de la visite médicale d’embauche chez certaines catégories de travailleurs manuels dans lesquelles les intérimaires sont particulièrement représentés. Enfin, la dernière limite concerne l’intervention du jugement du médecin pour l’imputabilité au travail de la pathologie. Cependant, ce dernier point est aussi la principale force de ce programme. En effet, le jugement du médecin du travail et sa double expertise, à la fois clinique et de connaissance du terrain, sont un atout car le lien causal entre l’exposition professionnelle et la pathologie peut être difficile à établir. Un autre point fort de l’étude est l’utilisation d’une définition de l’intérim précise, basée sur le statut du contrat enregistré par les services de santé au travail. Il permet de bien cibler la population des intérimaires (plutôt que d’utiliser le secteur d’activité qui inclut également les employés de l’agence d’intérim), même si ce repérage ne reflète le statut d’intérim qu’au moment où la visite médicale a lieu et ne présage pas du statut passé ou à venir.
Cette étude est une des premières à étudier spécifiquement les maladies liées au travail chez les intérimaires. Elle montre qu’ils ont un risque moins élevé de MCP (TMS du rachis et souffrance psychique) que les salariés en CDI. Si les résultats concernant les TMS du rachis seraient plutôt un reflet de l’effet du travailleur sain, les résultats concernant la souffrance psychique, à confirmer par d’autres études, pourraient suggérer que la santé mentale dégradée observée chez les intérimaires dans les études précédentes, pourrait être associée à l’insécurité de l’emploi ou aux trajectoires professionnelles décroissantes plutôt qu’à des conditions de travail dégradées. Cette hypothèse pourrait être confirmée en utilisant des cohortes, par exemple les cohortes « Coset », qui devraient permettre d’estimer la fraction attribuable au travail de ces pathologies.
Remerciements
Les auteurs remercient les médecins du travail et leurs équipes qui ont participé au programme de surveillance des MCP.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
494-501.
Citer cet article
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