État de santé des patients se déclarant mineurs non accompagnés et non reconnus mineurs : enquête rétrospective au sein de la Permanence d’accès aux soins de santé de l’Hôtel-Dieu
// Health condition of patients self-reporting as unaccompanied minors and not recognized as such: Retrospective survey within the Hôtel-Dieu health platform PASS
Résumé
Introduction –
Le nombre de mineurs non accompagnés (MNA) a augmenté de façon exponentielle ces dernières années. Après une première évaluation de la minorité au sein du Dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation des mineurs isolés étrangers (Demie), on estime à 57% le nombre de jeunes non reconnus mineurs. Le cadre juridictionnel autour de ce statut reste flou et l’accès aux soins est entravé. Une étude rétrospective a été menée afin d’évaluer l’état de santé de cette population.
Matériel et méthodes –
Le recueil a été effectué de manière rétrospective à partir du dossier médical Orbis®. Les patients inclus étaient ceux se déclarant MNA mais non reconnus mineurs par le Demie lors de la consultation à la Permanence d’accès aux soins de santé de l’Hôtel-Dieu (Paris). Ont été recueillis : les données démographiques, les diagnostics de consultation, la prévalence de pathologies cibles, les hospitalisations et les correspondants associatifs.
Résultats –
Entre le 1er janvier 2019 et le 9 octobre 2019, 301 patients ont été inclus et un total de 1 035 consultations ont été analysées. La proportion d’homme était de 95% et l’âge moyen déclaré de 16,2 ans. La prévalence des psychotraumatismes était de 27,7% et des infections chroniques par le virus de l’hépatite B (VHB) de 12,8%. Les principaux diagnostics de consultation concernaient l’appareil locomoteur, la dermatologie et la gastro-entérologie. Le taux d’hospitalisation suite à la consultation était de 6%.
Discussion –
Il s’agit d’une population fragile et isolée. Les prévalences des pathologies graves et le taux d’hospitalisation sont plus élevés qu’attendus. L’adhésion à la prise en charge au sein de la structure est bonne.
Conclusion –
La population des MNA non reconnus mineurs est une population à risque pour laquelle l’accès aux soins doit être facilité et amélioré.
Abstract
Introduction –
The number of unaccompanied minors (UAM) has increased exponentially in recent years. After an initial assessment of the national system for the shelter, evaluation and orientation of unaccompanied foreign minors (DEMIE), we estimated that 57% of unaccompanied minors are not recognized as such. The jurisdictional framework around this status remains unclear and access to healthcare is hampered. A retrospective study was conducted to assess the health status of this population.
Material and methods –
The data collection was carried out retrospectively from the Orbis® medical file. The patients included were those self-reporting being UAM and not recognized as minors at the consultation of the Hôtel-Dieu hospital (Paris). Demographic data, consultation diagnosis, prevalence of pathologies of interest, hospitalizations and correspondents were collected.
Results –
Between 1 January 2019 and 9 October 2019, 301 patients were included and a total of 1,035 consultations were analyzed. The proportion of men was 95% and the average age 16.2 years. The prevalence of psycho-traumatism is 27.7% and chronic HBV infection 12.8%. The main consultation diagnosis concerned the musculoskeletal system, dermatology and gastroenterology. The hospitalization rate after consultation was 6%.
Discussion –
Non-recognized UAMs are a fragile and isolated population. The prevalence of serious illnesses and the hospitalization rate are higher than expected. Adherence to care within the structure is good.
Conclusion –
the population of UAM not recognized as minors is a population at risk for which access to care must be facilitated and improved.
Introduction
Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés définit comme mineur non accompagné (MNA), une « personne âgée de moins de 18 ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable, qui est séparée de ses deux parents et n’est pas prise en charge par un adulte ayant, de par la loi ou la coutume, la responsabilité de le faire. »
Au cours des cinq dernières années, le nombre de MNA déclaré sur le territoire français a augmenté de façon exponentielle passant de 2 555 en 2013 1 à 17 022 en 2018 2.
La loi n°2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance a apporté des précisions quant à la prise en charge de ces mineurs non accompagnés. Elle vise à faire face à l’accroissement du nombre de MNA, en les répartissant dans les départements métropolitains, et à harmoniser leur prise en charge. L’évaluation de la minorité et de l’isolement familial de la personne se déclarant MNA est réalisée au sein du Dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation des mineurs isolés étrangers (Demie) départemental.
Le Demie vise à harmoniser les prises en charge selon les départements et à faire face à l’accroissement des demandes. Une personne se déclarant MNA est ainsi évaluée au sein du dispositif 3. C’est au terme d’un entretien d’évaluation reposant sur le récit fait par les jeunes et l’étude de leurs éventuels documents d’identité que leur est reconnu ou non le statut de minorité. Si leur minorité est reconnue, ils relèvent de l’aide sociale à l’enfance, sinon c’est le droit des étrangers qui s’applique.
La cellule nationale des MNA du ministère de la Justice estimait en 2017 à 57% le nombre de MNA non reconnus mineurs à l’issue de cette première évaluation 4. Ces jeunes vont, pour la plupart d’entre eux, faire appel de cette décision devant le juge des enfants 3. Pendant le temps de cette procédure, qui peut durer plusieurs mois, leur statut administratif reste indéterminé, ni mineurs ni majeurs, leur statut ne renvoie de ce fait à aucun cadre légal. Dans ces circonstances, leurs conditions de vie se retrouvent extrêmement précaires et l’accès aux soins est entravé.
Devant ces constats, des réflexions au niveau des associations et du corps médical ont été menées et exposées aux tutelles. Ainsi, une note d’instruction de l’Agence régionale de santé (ARS) Île-de-France a été publiée le 15 juillet 2019 5. Elle concerne la prise en charge médicale des MNA non reconnus en tant que tels par le Demie et en attente de recours juridique. Elle stipule que ces jeunes bénéficient de la présomption de minorité. Il convient donc pour les soignants de les considérer comme tels. La prise en charge médicale ne doit pas être entravée par l’absence d’autorité parentale. En l’absence d’urgence, il est recommandé que le mineur soit accompagné par un majeur de son choix. S’il se présente seul, il peut désigner un accompagnateur adulte au sein du service de soins où il consulte ou, dans certaines conditions, consentir seul à ses soins. Afin de faciliter le parcours de soins de ces jeunes, l’ouverture de droits est facilitée avec un accès à l’aide médicale d’État (AME) sans condition de résidence de trois mois sur le territoire. En pratique, ces mesures restent difficiles à appliquer : ces jeunes sont de fait seuls.
En raison de ces vulnérabilités particulières, ces jeunes sont souvent adressés vers les Permanences d’accès aux soins de santé (Pass). En effet, les Pass, créées en 1998, ont pour mission de lutter contre l’exclusion et la précarité. Au sein de ces dispositifs, les professionnels de santé et les travailleurs sociaux travaillent en étroite collaboration, avec pour principaux objectifs de permettre l’accès aux soins des personnes les plus précaires et de les accompagner dans la reconnaissance de leurs droits. Les Pass constituent un lieu clé de la prise en charge de ces jeunes non reconnus mineurs.
Par ailleurs, l’association Médecins sans frontières (MSF) a créé depuis novembre 2017 une mission dont l’objectif est de soutenir les MNA en attente de reconnaissance de leur minorité, tant sur le plan juridique, social, psychologique que médical 6. C’est dans ce contexte que la Pass de l’Hôtel Dieu collabore étroitement avec MSF afin d’assurer le suivi médical de certains de ces jeunes. Quand ils sont adressés à la Pass de l’Hôtel-Dieu, une prise en charge globale leur est proposée, avec un interrogatoire médico-social, une prise en compte de leur motif de consultation, un examen clinique soigneux, mais aussi des actions de dépistage, de prévention et d’éducation à la santé. Ainsi, un dépistage par un bilan complémentaire dit de « primo-arrivant » est proposé à chaque individu à l’issue de la première consultation. Il est composé d’un bilan sanguin et urinaire ainsi que d’une radiographie de thorax de dépistage de la tuberculose. L’objectif est de mettre en évidence les pathologies les plus fréquemment observées chez les patients issus de la migration.
La santé des mineurs non accompagnés non reconnus mineurs est une problématique encore peu étudiée en France. Il existe peu de données disponibles à ce sujet dans la littérature en dehors du rapport d’activité de Médecins du monde publié en mai 2018 7 et du plaidoyer de MSF publié en juillet 2019 6. Ces derniers ont mis en évidence une forte prévalence de maladies chroniques en lien avec des pathologies infectieuses endémiques au sein des pays d’origine de ces mineurs (VHB, VHC, VIH, tuberculose), mais aussi liées aux raisons de leur départ, à leur parcours migratoire ponctué de violences et à leurs conditions de vie une fois arrivés en France. Ces rapports soulignent la forte prévalence de troubles psychiques au sein de cette population ainsi que des troubles digestifs, dentaires, ophtalmologiques, ostéo-articulaires et dermatologiques. Des conditions de précarité extrême y sont décrites. Elles constituent, entre autres, un frein à l’accès aux soins.
L’objectif de cette étude est d’apporter des éléments nouveaux permettant de mieux connaître l’état de santé de cette population et ses spécificités par rapport aux populations migrantes adultes consultant habituellement à la Pass.
Matériel et méthodes
Il s’agit d’une étude rétrospective, observationnelle et monocentrique. Elle a fait l’objet d’une déclaration de conformité auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) selon la méthodologie de référence MR004.
Ont été inclus tous les patients inscrits en consultation à la Pass de l’Hôtel-Dieu, se déclarant mineurs et non reconnus mineurs par le Demie au jour de la première consultation. Le recueil a été effectué du 1er janvier 2019 au 9 octobre 2019, date à laquelle un total de 300 patients avait été enregistré.
Le recueil anonyme de données a été effectué de manière rétrospective par consultation du dossier patient informatisé sur le logiciel Orbis®, logiciel choisi par l’AP-HP comme solution de dossier patient unique et utilisé au sein de la Pass de l’Hôtel-Dieu. Deux investigateurs ont été chargés du recueil des données, standardisé dans un tableur Excel selon plusieurs paramètres : âge, sexe, association correspondante, pathologies issues du dépistage (virus de l’immunodéficience humaine (VIH), virus de l’hépatite B (VHB), virus de l’hépatite C (VHC), syphilis et tuberculose), présence d’un psychotraumatisme et diagnostic de consultation identifié par spécialité d’organe. Les données ainsi recueillies ont été analysées grâce au logiciel Excel afin de pouvoir caractériser les pathologies présentes dans cette population.
Comme le suggérait la littérature, nous nous sommes intéressés à certaines pathologies à forte prévalence dans les populations issues de la migration, et tout particulièrement à deux catégories de pathologies :
–les infections chroniques par le VIH, le VHB, le VHC, la syphilis et la tuberculose, du fait de leur caractère endémique au sein des pays d’origine ;
–le psychotraumatisme, du fait de la fréquence des violences subies au sein du pays d’origine, au cours de la migration, mais également une fois arrivés en France 7.
Les données infectieuses étaient recueillies à partir des résultats des examens complémentaires effectués lors du bilan initial.
Un psychotraumatisme était retenu à partir des données issues du dossier médical quand il figurait un événement de vie traumatisant associé à des répercussions sur le plan psychique au moment de la consultation et/ou à un suivi spécialisé en cours.
Afin de caractériser les problématiques plus spécifiques de cette population, les diagnostics de consultations ont été recueillis. Ils ont été rassemblés par pathologie d’organe. Le diagnostic « prévention » était recueilli si le patient venait, au cours de son suivi, uniquement pour un acte de prévention sans aucun autre motif (vaccin ou bilan de dépistage).
Les hospitalisations ont été recensées à partir des données issues du dossier médical Orbis®. Seules les hospitalisations ayant lieu au sein d’un service utilisant ce logiciel ont pu être visualisées. Cette méthode de recensement illustre donc essentiellement les hospitalisations dans les services des hôpitaux de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP).
Les données démographiques ainsi que les associations correspondantes (ayant adressé le jeune ou participé au suivi) ont été enregistrées afin de mieux caractériser le parcours de soin de cette population.
Résultats
Sur la période du 1er janvier 2019 au 9 octobre 2019, 301 patients déclarés MNA non reconnus mineurs ont été admis au sein de la Pass de l’Hôtel-Dieu, représentant un total de 1 035 consultations. Le nombre moyen de consultations par patient était de 3,4 (médian : 3 ; min : 1 ; max : 15). Sur l’ensemble des patients admis, 66 n’ont bénéficié que d’une seule consultation (21,7%).
Caractéristiques démographiques
Sur les 301 patients suivis, 286 étaient des hommes (95%). La moyenne d’âge déclarée était de 16,2 ans. Les patients étaient essentiellement originaires d’Afrique de l’Ouest. Les trois nationalités les plus représentées dans cette population étaient les Maliens (43,2%), les Guinéens (16,9%) et les Ivoiriens (13,6%). Les données démographiques sont résumées dans le tableau 1.
Correspondants
Parmi les patients inclus, 88,6% étaient adressés par MSF, 3,7% par d’autres associations et 2% venaient par leurs propres moyens (figure).
Psychotraumatisme
Un psychotraumatisme était suspecté chez 82 patients (27,2%).
Infection
Une infection chronique par le VHB a été détectée chez 39 patients soit 12,8% de la population. Une infection par le VIH a été objectivée chez 1 patient (0,3%). Une infection par le VHC a été mise en évidence chez 1 patient (0,3%). Une infection syphilitique était positive chez 3 patients (1%). Une tuberculose a été diagnostiquée chez 2 patients (0,7%). Parmi ces patients, 3 d’entre eux étaient porteurs de co-infections.
Hospitalisation
On dénombre 17 hospitalisations sur la période de recueil, soit 6% de la file active. Les motifs sont, par ordre de fréquence :
–orthopédie (4) : abcès, ténolyse et chirurgie ligamentaire ;
–psychiatrie (3) : syndrome dépressif, état psychotique ;
–pneumologie (3) : tuberculose, grippe ;
–cardiovasculaire (3) : coarctation de l’aorte, embolie pulmonaire, fistule artério-veineuse ;
–gastro-entérologie (1) : douleur abdominale fébrile ;
–urologie (1) : torsion testiculaire ;
–ORL (1) : perforation tympanique ;
–social (1).
Diagnostics de consultation
On dénombre en moyenne 2,4 diagnostics par patient posés au fil des consultations (nombre médian : 2 ; min : 1 ; max : 8).
Les 10 diagnostics les plus fréquents par pathologie d’organe sont : appareil locomoteur (32%), dermatologie (25,6%), gastro-entérologie (22,9%), infectieux (19,2%), dentaire (15,3%), ophtalmologie (13,6%), ORL (11%), psychiatrie (10,3%), cardiovasculaire (10%) et urologie (9,6%) (tableau 2).
du 1
On note également qu’au cours de leur suivi 41,9% des patients ont consulté au moins une fois dans un unique but de prévention (dépistage ou vaccination).
Discussion
Données sociodémographiques
La population étudiée est constituée d’une forte majorité d’homme (95%) ce qui est en accord avec le rapport annuel d’activité
de la Mission MNA 2018 du ministère de la Justice 2. Ces données exposent une réelle divergence en comparaison aux patientèles adultes des Pass qui sont composées à 60%
d’hommes 8. Cela suppose une plus grande protection des jeunes filles par les familles et l’existence de circuits différents selon le
sexe.
Concernant les origines géographiques, on constate qu’une majorité des patients sont originaires d’Afrique de l’Ouest. Malgré une plus forte proportion de patients d’origine malienne, cela est en accord avec le même rapport 2.
Ces données tendent à démontrer que notre échantillon se rapproche des données connues concernant cette population.
Les études faites sur les migrants adultes montrent une large majorité de Soudanais et d’Afghans 8. Ces résultats sont aussi retrouvés dans les études sur les MNA faites en Allemagne 9. Cette différence d’origines géographiques est importante à prendre en compte notamment dans la prévalence des pathologies selon les pays d’origine dans les dépistages proposés.
Partenariats associatifs
La majorité de ces patients sont adressés par l’association MSF (88,9%). Cette collaboration est un élément clé de la prise en charge des MNA reçus à la Pass de l’Hôtel-Dieu, de par la fonction d’orientation et de suivi médico-social de cette association. Seuls 2% des patients viennent en consultation d’eux-mêmes, preuve de leur difficulté d’accès aux soins en l’absence des réseaux associatifs. De plus, dans ce même dispositif, on sait que 25% des patients majeurs migrants viennent en consultation par eux-mêmes ou par le bouche-à-oreille 10. Cette différence s’explique, pour les MNA, par un étroit réseau de connaissance du système de santé mais surtout à un grand isolement.
Recours aux soins
Le nombre médian de consultations était de 3, ce qui est conséquent pour une population jeune. Toutefois, les consultations n’étaient pas toutes en lien avec la maladie et répondaient également à un besoin de soins de prévention, à savoir un suivi médical régulier et une mise à jour des vaccinations.
On observe que 79,3% des patients sont revenus au moins pour une seconde consultation ; cela témoigne d’une bonne adhésion aux soins et au dispositif Pass. On note que 41,9% des patients revenaient en consultation dans une démarche de prévention, ce qui souligne cette adhésion au projet de soins. Il s’agit pour la majorité de vaccination.
Par ailleurs, les données concernant les couvertures maladies en place pour ces jeunes lors des prises en charge n’ont pas été recueillies lors de cette étude et constituent une limite de cette dernière. Il serait intéressant de préciser ce point lors de la réalisation d’une étude de plus grande envergure.
Pathologies
Les données recueillies concernant la suspicion de psychotraumatisme soulignent une prévalence forte dans cette population : cela concerne presque 1 jeune sur 3. Cause de leur départ du pays d’origine ou conséquence d’un voyage migratoire à un âge très jeune, leur souffrance interroge les soignants. D’autant plus que l’accès au suivi psychiatrique est difficile du fait de leur âge, de leur statut administratif et de leur instabilité de logement.
À cela s’ajoutent les difficultés de vie auxquelles ils doivent faire face une fois arrivés en France et qui constituent des facteurs aggravants. Peu de conduites addictives ont été retrouvées dans cette population, mais elle reste néanmoins particulièrement vulnérable et à risque d’en développer. Ces données sont en accord avec le plaidoyer de MSF publié en juillet 2019 6 qui faisait état de 34% de patients suivis présentant une symptomatologie évocatrice de stress post-traumatique. Une revue du BEH parue en septembre 2017 11 et s’intéressant à l’état de santé psychique des patients migrants adultes ayant consulté au sein du Comité pour la santé des exilés (Comede) fait, quant à elle, état d’une prévalence de 16,6% des syndromes de stress post-traumatiques. Ces données laissent supposer une plus forte prévalence chez les plus jeunes. Elles sont également en accord avec les données apportées par une étude allemande concernant les MNA 9.
Le taux d’infection chronique par le VHB, avec une prévalence très forte (12,8%), est particulièrement prégnant et préoccupant. Ces chiffres sont nettement plus élevés que ceux retrouvés lors de l’enquête transversale AfroBaromètre 2016 12 où la prévalence était de 7% chez les patients migrants originaires d’Afrique subsaharienne. Ces infections chroniques à VHB sont très certainement issues pour la majorité d’infection materno-fœtales 13. Cette population jeune doit être une cible prioritaire des actions de dépistage mais également de prévention.
Concernant les infections tuberculeuses, deux patients ont été diagnostiqués. Les dépistages ont été réalisés par le biais d’une radiographie de thorax. Le test quantiféron n’a pas été réalisé pour des raisons économiques et car il n’était pas encore recommandé chez les patients mineurs de plus de 15 ans lors de l’étude. Une réflexion autour du moyen de dépistage pourrait être intéressante lors d’une étude ultérieure. La problématique du suivi entrerait alors en ligne de compte.
Le taux d’hospitalisations était de 6%, ce qui est très élevé. Les pathologies ayant motivé l’hospitalisation sont, pour la majorité, graves et pouvant engager le pronostic vital. Cela souligne la fragilité de ces patients. Si l’on compare ce taux à celui paru au sein de l’Étude nationale sur les caractéristiques des migrants adultes consultant dans les Pass en 2016 11, qui était de 1%, on observe une fréquence supérieure des hospitalisations chez ces jeunes, ce qui est un révélateur inquiétant de leur état de santé et souligne l’intérêt de mettre en place une politique d’accès aux soins privilégiée pour cette population.
Les données recueillies concernant les diagnostics de consultation sont le miroir des pathologies présentes chez le jeune. Il existe un fort taux de diagnostics concernant l’appareil locomoteur. On retrouve cette même prévalence dans l’étude sur les primo-arrivants adultes réalisée par le Samusocial de Paris en 2015 et 2016 11. Cela s’explique par la fréquence des traumatismes physiques non pris en charge ayant eu lieu dans leur pays d’origine ou sur le parcours migratoire. La prévalence élevée des diagnostics urologiques est une donnée intéressante qui mériterait de plus amples explorations. Une première hypothèse est la prévalence importante de la bilharziose urinaire dans les populations issues de la migration. Cette pathologie était dépistée de manière systématique par le biais d’une bandelette urinaire et des explorations plus poussées étaient alors effectuées sur point d’appel. Elle n’a pas été distinguée des autres problématiques urologiques lors du recueil des données. Une attention toute particulière à cette pathologie pourrait être un point intéressant lors de la réalisation de travaux ultérieurs. La place de la sérologie, actuellement non réalisée pour des questions de coûts, doit en particulier être repensée. Une seconde hypothèse est le plus faible accès aux points d’eau potable et aux commodités, qui pourrait expliquer une survenue plus fréquente d’infection urinaire ou encore de lithiase.
Enfin, une comparaison entre les hommes et les femmes n’a pas pu être établie du fait de la faible proportion de femmes dans cet échantillon. Cette comparaison serait digne d’intérêt au cours d’une étude ultérieure à plus grande échelle.
Forces de l’étude
Dans cette étude, 301 patients ont été inclus et 1 035 consultations analysées, ce qui confère une puissance importante aux données étudiées et un caractère significatif aux résultats.
On constate que les données sociodémographiques sont concordantes avec les données publiées par le rapport d’activité de la Mission MNA 2018 2. Elles sont également en accord avec le rapport d’activité apporté par Médecins du monde 7 qui met en évidence une prépondérance d’hommes (96%), une moyenne d’âge de 15,7 ans et, pour 97%, originaires d’Afrique subsaharienne. Nos données présentent donc des similitudes avec celles des études précédentes.
La prise en charge suivait un protocole “primo-arrivant” propre au service et le recueil des données était standardisé. Ces deux éléments assurent la qualité des données recueillies.
Limites de l’étude
Le caractère rétrospectif constitue une faiblesse par le faible niveau de preuve qu’il induit 14.
Le caractère monocentrique induit un biais de sélection accentué par notre partenariat avec MSF. L’association a pu diriger vers la Pass de l’Hôtel-Dieu les patients qui, selon eux, étaient les plus fragiles et ne pouvaient être pris en charge dans les autres structures partenaires, où le plateau technique est plus léger.
Le recueil était standardisé, ce qui a permis d’obtenir une unité des données recueillies. Cependant, le caractère rétrospectif et l’utilisation du dossier médical comme intermédiaire pour l’extraction des données ont pu entraîner un biais de classement, en particulier pour les suspicions de psychotraumatisme.
Le nombre de patients non revus en consultation après la première visite médicale s’élève à 21,7%. Dans la mesure où un bilan biologique et une radiographie de thorax était proposée de façon presque systématique, cette donnée laisse à penser qu’ils ont été perdus de vue.
La notion de perdus de vue peut être expliquée par divers motifs : un défaut de compréhension du patient, une difficulté d’accès aux soins ou encore la poursuite du suivi dans une autre structure. Dans le cas précis des MNA, elle peut également être expliquée par la reconnaissance de leur minorité ou leur placement provisoire en dehors de l’Île-de-France. Les données manquantes peuvent induire un biais d’attrition. Il semble difficile d’estimer le nombre réel de perdus de vue.
Enfin, seules les hospitalisations visibles sur Orbis® ont pu être recueillies. Il existe un risque de sous-estimation de leur nombre par non-indication dans le dossier ou hospitalisation hors de l’AP-HP. Il est utile de noter qu’environ 80% des services des hôpitaux de l’AP-HP utilisent Orbis® et que les hospitalisations y ont lieu préférentiellement pour des raisons d’accessibilité, ce qui limite cette sous-estimation.
Conclusion
Le cadre légal des MNA non reconnus mineurs laisse peu de place à la mise en route d’une prise en charge médico-sociale adaptée.
Or, si l’on en croit les données issues de la littérature et celles de cette enquête, ces jeunes se déclarant MNA et non reconnus en tant que tels, présentent un plus mauvais état de santé qu’attendu : infections virales, pathologies de l’appareil locomoteur et psychotraumatisme mais aussi, plus inquiétant, des pathologies à un stade avancé nécessitant une hospitalisation. Cela s’explique pour partie par un manque de prévention et des prises en charges trop tardives par manque d’accès aux soins. Les données de cette étude soulignent l’urgence de la situation. Il est indispensable de faciliter l’accès aux soins de ces jeunes sans attendre le statut final de leur minorité.
Il ne nous appartient pas, en tant que soignants, de reconnaître leur minorité. En revanche, force est d’admettre ce qui est indéniablement primordial : le nombre croissant de ces jeunes et l’enjeu de leur prise en charge médicale et sociale.
Une étude de cohorte prospective multicentrique menée sur un échantillon plus important de la population serait digne d’intérêt afin de corroborer ces premiers résultats.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
(29-30):609-16. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2017/29-30/2017_29-30_3.html