Sommeil et consommation de substances psychoactives : résultats du Baromètre de Santé publique France 2017

// Sleep characteristics and psychoactive substances consumption: Results from the Santé publique France 2017 Health Barometer

Raphaël Andler1 (raphael.andler@santepubliquefrance.fr), Arnaud Metlaine2,3, Jean-Baptiste Richard1, Abdelkrim Zeghnoun1, Viêt Nguyen-Thanh1, Damien Léger2,3
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Université Paris Descartes, EA 7330 VIFASOM, Paris, France
3 APHP, APHP5, Hôtel Dieu, Centre du sommeil et de la vigilance, Paris, France
Soumis le 30.11.2018 // Date of submission: 11.30.2018
Mots-clés : Sommeil court | Insomnie | Tabac | Alcool | Addictions
Keywords: Short sleep | Insomnia | Smoking | Alcohol | Addictions

Résumé

Introduction –

Le sommeil est indispensable à l’équilibre métabolique et psychologique, mais il est sensible et vulnérable. Les substances psychoactives peuvent notamment avoir une influence sur le sommeil, les caractéristiques de ce dernier pouvant également influencer leur consommation. L’objectif de cet article est de décrire les associations entre sommeil et pratiques addictives dans la population française.

Méthode –

Un module du Baromètre de Santé publique France 2017 portant sur le sommeil a été posé à 12 637 participants, sous-échantillon représentatifs des 18-75 ans résidant en France métropolitaine. Trois indicateurs du sommeil ont été analysés : sommeil de courte durée (moins de 6 heures de sommeil par 24 heures), insomnie chronique (classification internationale ICSD-3) et chronotype « du soir ». Les substances psychoactives incluses dans l’analyse étaient le tabac (consommation actuelle et passée), l’alcool (consommation quotidienne et alcoolisations ponctuelles importantes régulières), le cannabis (Cannabis Abuse Screening Test) et les autres drogues (consommation dans l’année).

Résultats –

Les fumeurs quotidiens, peu ou fortement dépendants, étaient plus fréquemment courts dormeurs que les occasionnels et les non-fumeurs. Les fumeurs quotidiens fortement dépendants étaient également nettement plus sujets à l’insomnie chronique que les autres fumeurs et les non-fumeurs. Le sommeil court et l’insomnie chronique n’était pas significativement associés aux consommations d’alcool, de cannabis ou d’autres drogues illicites. Le chronotype « du soir » était significativement associé aux consommations de tabac, d’alcool et de cannabis.

Conclusion –

Notre étude met en évidence des liens significatifs entre consommation de substances psychoactives et caractéristiques du sommeil parmi les adultes, soulignant ainsi l’importance de la prise en compte de chacune de ces thématiques dans l’appréhension de l’autre.

Abstract

Introduction –

Sleep is crucial for our metabolic and psychological balance. However, it is sensitive and vulnerable. Psychoactive substances can particularly impact sleep quality, the characteristics of which may also influence their consumption. We aimed to describe the associations between sleep characteristics and addictions in the French population.

Method –

The Santé publique France 2017 Health Barometer survey included a section dedicated to sleep which was completed by 12,637 participants, a sub-sample representative of the general population aged 18-75 years in metropolitan France. Three sleep indicators were analysed: short sleep (less than 6 hours of sleep every 24 hours), chronic insomnia (according to the ICSD-3 classification), and the eveningness chronotype. Psychoactive substances included tobacco (current or former consumption), alcohol (daily consumption and weekly binge drinking), cannabis (Cannabis Abuse Screening Test), and other drugs (consumption during the past year).

Results –

Daily smokers, lightly or heavily dependent, were more frequently short sleepers than occasional smokers and non-smokers. Heavily dependent daily smokers were more likely to suffer from insomnia than other smokers and non-smokers. Short sleep and chronic insomnia were not significantly related to the consumptions of alcohol, cannabis or any other illicit drug. Eveningness chronotype was significantly related to the consumption of tobacco, alcohol and cannabis.

Conclusion –

Our study highlights significant relations between the consumptions of psychoactive substances and sleep characteristics among adults, emphasizing the need to take into account each one of them when dealing with the other.

Introduction

Le sommeil est un facteur indispensable à la vie. Il contribue à la croissance, à la restauration de l’ensemble des grandes fonctions physiques et mentales, à la mémoire, à l’équilibre psychologique 1,2. Le sommeil est aussi un processus fragile et complexe influencé par les conditions environnementales (bruit, lumière, température), le mode de vie et les conditions de logement, le contexte psychologique professionnel et personnel, la présence de pathologies pouvant influencer la qualité et la quantité de sommeil (maladies métaboliques, douloureuses, psychiatriques) 3,4.

Dans ce contexte, une proportion élevée de Français souffre de troubles du sommeil, dont les plus fréquents sont l’insomnie (15 à 20% des adultes), le syndrome d’apnées du sommeil (4 à 6% des adultes), le syndrome des jambes sans repos (2% à 8% de la population), les parasomnies (2-4%) et les hypersomnies rares (0,05% à 0,1% de la population) 5. Les publications les plus récentes montrent par ailleurs que de plus en plus de jeunes adultes et d’adultes travaillant se privent de sommeil et ne dorment pas suffisamment : 35% des jeunes adultes (18-35 ans) et 33% des jeunes professionnels (18-45 ans) dormiraient moins de 6 heures par 24 heures en semaine, en France 6. Or, dormir moins de 6 heures est associé à de nombreuses comorbidités de type obésité, diabète de type 2, maladies cardiovasculaires, dépression, accidents 7,8,9,10.

Les consommations d’alcool, de tabac et de cannabis (ainsi que les autres drogues illicites) représentent un enjeu de santé publique prioritaire étant donné leur impact sanitaire et social 11,12,13. Le profil des consommateurs évolue, mais les plus jeunes générations continuent à être séduites par ces drogues et les poly-addictions sont fréquentes. Les substances licites, alcool et tabac, demeurent les drogues les plus consommées dans la population française : 14 millions de personnes (11-75 ans) fument du tabac tous les jours et 9 millions consomment de l’alcool plus de 10 fois par mois. Parmi les drogues illicites, le cannabis est de très loin la substance la plus consommée avec 1,4 million de consommateurs réguliers dans la population adulte 14.

Le lien entre alcool et insomnie est bien connu, puisque l’alcool est utilisé comme somnifère dans les difficultés d’endormissement par un taux élevé d’insomniaques n’ayant pas à leur disposition d’autres produits 15. Toutefois, l’abus d’alcool est néfaste pour le sommeil, provoquant des éveils nocturnes et une fragmentation du sommeil ; réciproquement, les problèmes de sommeil peuvent amener à une consommation croissante d’alcool, la dose nécessaire pour favoriser l’endormissement initial augmentant avec le temps et l’usage. Le cannabis est aussi employé pour favoriser l’endormissement chez les sujets anxieux 16. Le lien entre tabagisme et troubles du sommeil est également documenté. La nicotine est considérée comme un stimulant, sa présence dans le tabac ou les médicaments de substitution nicotinique étant vraisemblablement associée à des troubles du sommeil 17,18,19. Les effets respectifs de la nicotine, de l’alcool et du cannabis sur le sommeil restent cependant à documenter de façon plus approfondie 16. Des études relativement récentes mettent également en évidence l’existence d’interactions entre consommation de substances psychoactives et rythme circadien 20, le chronotype « du soir » pouvant être associé à des conséquences néfastes sur la santé 21.

Nous avons cherché à savoir si, dans la population française, les caractéristiques du sommeil comme le fait d’être court dormeur, d’avoir une typologie circadienne (chronotype) du soir ou du matin, ou être insomniaque étaient associés à des conduites addictives.

Méthode

Source de données : Baromètre de Santé publique France 2017

Les Baromètres de Santé publique France sont des enquêtes téléphoniques réalisées par sondage aléatoire 14. Mis en place dans les années 1990 et aujourd’hui menés par Santé publique France, ils abordent différents comportements et attitudes de santé des personnes résidant en France. Le terrain du Baromètre de Santé publique France 2017 s’est déroulé du 5 janvier au 18 juillet 2017 auprès d’un échantillon représentatif de la population des 18-75 ans résidant en France métropolitaine et parlant le français 22. Au total, 25 319 adultes ont été interrogés. Un module de questions portant sur les habitudes de sommeil a été posé à la moitié des participants (12 637), sélectionnés aléatoirement en début d’entretien et constituant de ce fait un groupe représentatif des 18-75 ans.

Les indicateurs sommeil

Le temps de sommeil total (TST) a été calculé à partir des réponses aux questions relatives à l’heure habituelle de coucher, de réveil, ainsi qu’au temps estimé pour s’endormir : « Le plus souvent (hors vacances et week-end), à quelle heure éteignez-vous votre lampe pour dormir ? » ; « Le plus souvent (hors vacances et week-end), combien de temps vous faut-il pour vous endormir ? » ; « Le plus souvent (hors vacances et week-end), à quelle heure vous réveillez-vous ? ». À la différence d’autres enquêtes, qui mesurent plutôt un temps quotidien passé au lit incluant des phases de lecture et d’endormissement, l’objectif était ici de mesurer un temps de sommeil réel. Ont été considérés comme courts dormeurs, ceux dont le TST était ≤6 heures par 24 heures.

L’insomnie chronique a quant à elle été évaluée selon les critères de l’International Classification of Sleep Disease (ICSD) de l’American Academy of Sleep Medicine 23 : avoir des difficultés du sommeil (une ou plusieurs parmi les suivantes : troubles d’endormissement, troubles de maintien du sommeil, réveil précoce et sommeil non récupérateur) au moins trois nuits par semaine depuis au moins un mois, ce malgré des habitudes et conditions adéquates pour le sommeil, et avoir au moins l’une des conséquences diurnes (parmi : fatigue/malaise, troubles de l’attention, de la concentration, de la mémoire, troubles du fonctionnement social ou mauvaises performances scolaires, trouble de l’humeur/irritabilité, somnolence diurne, réduction de la motivation/énergie/initiative, tendance aux erreurs/accidents au travail ou en conduisant, céphalées de tension ou malaise général en relation avec la perte de sommeil, préoccupations ou ruminations à propos du sommeil) en relation avec ses difficultés de sommeil.

Enfin, les questionnaires souvent utilisés pour définir le chronotype (Horne et Ostberg 24, questionnaire Munich 25) n’ayant pu être inclus dans l’enquête dans leur intégralité, nous avons défini le chronotype des répondants selon trois catégories (les travailleurs à horaires décalés et les individus indiquant des heures de coucher comprises entre 6 heures et 18 heures n’ont pas été inclus dans l’analyse du chronotype). La répartition s’établit de la façon suivante :

« Franchement du soir » pour un coucher en semaine après minuit avec un décalage des horaires de coucher supérieur ou égal à 2 heures les jours de repos, et « modérément du soir » pour un coucher en semaine entre 23 heures et minuit avec un décalage des horaires de coucher supérieur ou égal à 2 heures les jours de repos ;

« Modérément du matin » pour un coucher avant 22 heures en semaine avec un décalage des horaires de coucher supérieur ou égal à 1 heure les jours de repos, et « Franchement du matin » pour un coucher avant 22 heures en semaine avec décalage des horaires de coucher inférieur strictement à 1 heure les jours de repos ;

« Ni du soir, ni du matin » : les autres.

Indicateurs de consommation de substances psychoactives

Le questionnaire du Baromètre de Santé publique France 2017 inclut un volet dédié à la consommation de substances psychoactives 26. Il permet d’identifier les personnes n’ayant jamais fumé, les ex-fumeurs et les fumeurs occasionnels et quotidiens 27 ainsi que l’intensité du tabagisme de ces derniers, mesurée via l’index de fort tabagisme (Heavyness of Smoking Index, HSI) 28. Les consommations d’alcool étant très hétérogènes et marquées socialement 29, deux indicateurs distincts ont été utilisés pour décrire ce comportement :

avoir consommé de l’alcool quotidiennement ;

avoir eu au moins une alcoolisation ponctuelle importante (API) hebdomadaire, correspondant au fait de boire six verres ou plus en une occasion, chaque semaine au cours des 12 derniers mois.

La consommation de cannabis a été évaluée par le Cannabis Abuse Screening Test (CAST) 30, échelle de repérage des consommations problématiques. Enfin, l’usage d’autres drogues, comportement relativement rare en population générale, a été mesuré par le fait d’avoir consommé au moins une drogue illicite autre (1) que le cannabis au cours des 12 derniers mois. Les questions portant sur les drogues illicites n’ont pas été posées aux personnes âgées de 65 ans et plus, restreignant de fait certaines analyses.

Analyses

Afin d’être représentatives de la population de France métropolitaine, les données ont été pondérées pour tenir compte du plan de sondage, puis redressées sur les structures, observées dans l’enquête emploi 2016 de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), des variables suivantes : sexe croisé par l’âge en tranches décennales, taille d’unité urbaine, région de résidence, niveau de diplôme, nombre d’habitants dans le foyer.

Les comparaisons de pourcentages ont été testées au moyen du Chi2 d’indépendance de Pearson, avec correction du second ordre de Rao-Scott pour tenir compte du plan de sondage ; seules les différences significatives au seuil de 5% sont mentionnées. Des analyses multivariées ont été réalisées afin d’étudier le lien entre indicateurs du sommeil et indicateur de consommation de substances psychoactives. Ces analyses ont été réalisées sur les données non redressées et toutes les variables incluses sont présentées dans les tableaux de résultats. Les odds-ratios (OR), les intervalles de confiance à 95% (IC95%) et les niveaux de significativité sont présentés. Les interactions entre les différents indicateurs de consommation de substances psychoactives (en résumant la consommation de tabac au tabagisme quotidien et la consommation de cannabis à la consommation dans l’année) ont également été testées. Ces estimations ne sont pas présentées mais leurs conclusions sont précisées dans les cas où des résultats significatifs ont été observés.

Résultats

Courts dormeurs

Parmi les 18-75 ans, 36,0% étaient courts dormeurs, sans différence significative entre hommes et femmes (tableau 1). Les différences liées à l’âge étaient en revanche marquées, les 35-64 ans étant plus souvent courts dormeurs (40,3%) que les 18-34 ans (30,5%, p<0,001). Les fumeurs quotidiens, quel que soit leur niveau de dépendance (HSI bas et HSI élevé), étaient plus fréquemment courts dormeurs (respectivement 39,1% et 49,2%) que les fumeurs occasionnels et les non-fumeurs (respectivement 30,6% et 34,6%, p<0,001). La consommation d’alcool, mesurée par les API hebdomadaires et la consommation quotidienne, n’était pas significativement liée au sommeil de courte durée. Enfin le mode de consommation de cannabis et le fait d’avoir consommé une autre drogue illicite dans l’année n’étaient pas corrélés au fait d’être court dormeur.

Tableau 1 : Prévalences de courts dormeurs, insomniaques chroniques et chronotypes selon l’âge, le sexe et les consommations de substances psychoactives, parmi les 18-75 ans. France métropolitaine, 2017
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En contrôlant la structure sociodémographique (modèles multinomiaux), parmi les 18-64 ans, les différences liées au fait de fumer quotidiennement restaient significatives et l’absence de lien avec les autres consommations de substances psychoactives était confirmée (tableau 2). De plus, aucune interaction significative entre les différentes consommations de substances psychoactives n’était observée.

Tableau 2 : Facteurs associés au fait d’être court dormeur, insomniaque chronique et du chronotype du soir ou du matin parmi les 18-64 ans. France métropolitaine, 2017
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Insomnie

Parmi les 18-75 ans, 13,3% étaient sujets à l’insomnie chronique, plus souvent les femmes (17,1%) que les hommes (9,2%, p<0,001). Les fumeurs quotidiens fortement dépendants étaient nettement plus fréquemment sujets à l’insomnie chronique que les autres fumeurs ou les non-fumeurs (25,5% contre 12,6%, p<0,001). Les consommations d’alcool ou de drogues illicites ne faisaient pas ressortir de différence significative concernant l’insomnie chronique (tableau 1).

En contrôlant les facteurs sociodémographiques (modèles multinomiaux), les fumeurs quotidiens fortement dépendants mais également les ex-fumeurs étaient plus à risque d’avoir une insomnie chronique que les autres fumeurs et non-fumeurs. L’analyse des interactions révèle que le lien entre tabagisme quotidien et insomnie chronique ne s’observe que parmi les consommateurs quotidiens d’alcool. D’autre part, l’analyse multivariée confirme l’absence de lien significatif entre consommation de drogues illicites et insomnie chronique (tableau 2).

Chronotypes

Parmi les 18-75 ans, 11,5% étaient du soir (modérément ou franchement), plus souvent les hommes (13,5%) que les femmes (9,6%, p<0,001) et 8,0% étaient du matin (modérément ou franchement), plus souvent les femmes (9,0%) que les hommes (6,9%, p<0,001). Le chronotype était également lié à l’âge, les plus jeunes étant plus fréquemment du soir et moins fréquemment du matin que les plus âgés. Les fumeurs occasionnels et quotidiens étaient plus souvent du soir que les non-fumeurs (20,1% contre 7,5%, p<0,001). Concernant la consommation d’alcool, les personnes ayant des API hebdomadaires étaient nettement plus fréquemment du soir que les autres (35,7% contre 10,5%, p<0,001) tandis que les buveurs quotidiens étaient moins fréquemment du soir que les autres (6,3% contre 12,0%, p<0,001). Enfin, les personnes ayant consommé une drogue illicite au cours de l’année (cannabis ou autre) étaient nettement plus souvent du soir que les autres et moins souvent du matin (tableau 1).

Les résultats des régressions logistiques multinomiales confirment la relation significative entre consommation de tabac et chronotype du soir. Ils soulignent également que, toutes choses égales par ailleurs, les API hebdomadaires étaient associées à une plus grande probabilité d’être chronotype du soir tandis que la consommation quotidienne d’alcool était associée à une moindre probabilité de l’être. De même, les consommateurs de cannabis avaient une probabilité plus grande d’être du soir, la consommation sans risque au sens du CAST étant également associée à une probabilité plus faible d’être du matin. L’analyse des interactions révèle qu’il n’y avait pas de relations entre tabagisme quotidien et chronotype du soir et entre consommation de cannabis et chronotype du soir parmi les personnes ayant des API hebdomadaires. Enfin, après contrôle, aucun lien significatif n’a été établi entre le fait d’avoir consommé une drogue illicite autre que le cannabis dans l’année et le chronotype (tableau 2).

Inégalités sociales et territoriales de santé

En plus des relations entre addictions et caractéristiques du sommeil que nous venons de décrire, les résultats des analyses multivariées mettent en évidence de fortes inégalités sociales et territoriales de santé concernant la qualité du sommeil en France. Toutes choses égales par ailleurs, les personnes les moins diplômées ou vivant dans des agglomérations de plus de 200 000 habitants avaient plus de risque d’être courts dormeurs. Le risque était également plus élevé pour les individus en emploi, les étudiants et ceux sujets à un épisode dépressif caractérisé. Par ailleurs, les personnes aux revenus les plus faibles, au chômage ou sujettes à un épisode dépressif caractérisé avaient une probabilité plus élevée d’être insomniaques (tableau 2).

Discussion

Le point fort de cette étude est de souligner l’association significative entre consommation de substances psychoactives et certaines caractéristiques du sommeil dans un grand échantillon représentatif de la population française adulte. Ce constat est d’autant plus important que certaines conduites addictives sont très fréquentes en France 14 et que les troubles du sommeil y sont également très fréquents 4. L’analyse de la relation entre ces deux problématiques est rendue particulièrement complexe par la simultanéité des phénomènes et la difficulté à mettre en évidence une direction dans la causalité 31.

Dans notre étude, la consommation d’alcool s’avère significativement reliée au chronotype, mais inversement selon qu’il s’agisse d’alcoolisations ponctuelles importantes régulières ou de consommation quotidienne. De même, nous observons un lien significatif entre la consommation de cannabis et le chronotype mais pas avec l’insomnie ou le sommeil de courte durée. Ces constats suggèrent de relativiser le lien entre consommations d’alcool et de cannabis et insomnie ou sommeil de courte durée en population générale. Mais d’autres pathologies comme le syndrome d’apnées du sommeil ou la somnolence n’ont pas été explorées alors qu’elles peuvent être potentiellement affectées par ces addictions.

Le tabac est un cofacteur associé triplement au « court sommeil », à l’insomnie (parmi les consommateurs quotidiens d’alcool) et au chronotype du soir. Il mérite ainsi d’être pris en compte dans les études liant sommeil et indicateurs cardiovasculaires. Il pourrait également être opportun d’une part, d’utiliser le lien entre tabagisme et qualité du sommeil comme un argument nouveau à mettre en avant auprès des fumeurs pour les inciter à arrêter de fumer et, d’autre part, de prendre en compte le lien entre tabagisme et chronotype du soir dans les conseils délivrés aux fumeurs qui souhaitent arrêter.

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Citer cet article

Andler R, Metlaine A, Richard JB, Zeghnoun A, Nguyen-Thanh V, Léger D. Sommeil et consommation de substances psychoactives : résultats du Baromètre de Santé publique France 2017. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(8-9):161-8. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/8-9/2019_8-9_2.html

(1) Champignon hallucinogène, poppers, autres produits inhalés (colles, solvants), ecstasy, MDMA, amphétamines, LSD, cocaïne, crack, héroïne, Subutex, méthadone, GHB ou GBL, purple drank, DXM et autres drogues.