Le déclin du temps de sommeil en France n’est pas une fatalité

// The decline of sleep time in France is not a fatality

Damien Léger1,2 & François Bourdillon3
1 Université Paris Descartes, Université de Paris, EA 7330 VIFASOM, Paris, France
2 APHP, APHP5, Hôtel Dieu, Centre du sommeil et de la vigilance, Paris, France
3 Santé publique France, Saint-Maurice, France

Le sommeil est reconnu, par tous et depuis toujours, comme un facteur essentiel d’équilibre psychologique et de récupération physique et mentale, quel que soit notre âge, notre environnement, notre état de santé. Il est aussi un plaisir indissociable du repos, du temps personnel et familial, un moment intime de nos habitudes de vie. Ce sommeil est-il en train de disparaître ?

Un déclin de sommeil préoccupant

Le déclin du temps de sommeil est en effet préoccupant, tant il parait toucher de manière inexorable nos civilisations connectées. Car partout de par le monde, du Brésil au Japon, des États-Unis à la Chine, de l’Europe à l’Australie, le constat est le même : la proportion de petits dormeurs, en dette de sommeil, ne cesse d’augmenter. Face à une accélération des rythmes où chacun se veut présent au monde et connecté à tout moment, le sommeil peut apparaître comme un temps facultatif, et il est en effet bien malmené dans la compétition quotidienne qu’il mène face aux loisirs et au travail.

Les enquêtes du Baromètre de Santé publique France sur le sommeil présentées dans ce BEH montrent que ce déclin est d’abord celui du temps de sommeil total des adultes dans la semaine : en moyenne 6 heures 42 minutes par 24 heures en 2017, soit pour la première fois en dessous des 7 heures minimales quotidiennes habituellement recommandées pour une bonne récupération 1.

Mais ce déclin est aussi visible dans la proportion, toujours plus élevée dans la population française, de courts dormeurs, ceux qui dorment moins de 6 heures par nuit et représentent dans cette étude 35,9% des sujets. Plus d’un tiers des Français dorment donc moins de 6 heures. Or on sait par de très nombreuses études épidémiologiques que dormir moins de 6 heures est associé à un risque plus élevé d’obésité, de diabète de type 2, d’hypertension, de pathologies cardiaques et d’accidents. Dormir moins de 6 heures réduit aussi la vigilance dans la journée, augmente l’irritabilité et perturbe les relations familiales ainsi que la qualité de vie et de travail.

Quelles sont les causes du déclin de sommeil ?

Le travail de nuit en est une reconnue. En France, le nombre de travailleurs de nuit est passé de 3,3 millions (15,0% des actifs) en 1990 à 4,3 millions (16,3%) en 2013 2. Or, on sait que les travailleurs de nuit dorment en moyenne une heure de moins que les travailleurs de jour, donc l’équivalent d’une nuit de moins par semaine et de 40 nuits de moins par an. Les conséquences sanitaires du travail de nuit ont été récemment analysées et publiées dans un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) 3 qui confirme combien les travailleurs de nuit ont significativement davantage de risques de maladies métaboliques, cardiovasculaires, d’accidents et, pour les femmes, de risques lors de la grossesse et de cancer du sein.

Le temps de trajet ou de « connexion » entre domicile et travail est aussi probablement un déterminant fort du déclin du sommeil dans nos mégapoles, de même que pour les habitants des zones rurales de plus en plus éloignés des centres de vie active et qui conduisent entre deux et trois heures par jour, rentrant de plus en plus tard, partant de plus en plus tôt et grignotant sur leur temps de sommeil. L’analyse des données du Baromètre de Santé publique France 2017 confirme cette inégalité sociale et territoriale de santé, mettant en évidence que les personnes les moins diplômées ou vivant dans des agglomérations de plus de 200 000 habitants courent plus de risque d’être courts dormeurs 4.

Le déclin de sommeil est aussi lié, comme chacun peut l’observer, au surinvestissement des adultes comme des enfants dans le temps passé face à des écrans : smartphones, tablettes, ordinateurs et abondance de l’offre culturelle et de divertissement via ces outils, à toute heure de la soirée et même de la nuit, perturbent le temps dévolu au sommeil. Ce comportement, que certains qualifient d’addictif, nuit maintenant gravement à la continuité et à la durée du sommeil quotidien.

Le sommeil insuffisant est aussi lié à notre environnement nocturne. Le bruit est reconnu comme l’un des premiers perturbateurs du sommeil. Ainsi, par exemple, le sommeil est l’un des indicateurs les plus importants de l’exposition au bruit des avions selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En France, l’étude prospective DEBATS est menée autour des aéroports pour mesurer l’impact du trafic aérien sur le sommeil des riverains. En ville, le bruit des deux-roues motorisés et celui des terrasses de café devenues espaces fumeurs ont aussi été maintes fois mesurés comme perturbateurs. Enfin la pollution lumineuse de nos villes de plus en plus éclairées et le réchauffement climatique ont aussi été évoqués comme agissant négativement sur le sommeil des citadins.

Mieux connaître le sommeil pour mieux le préserver

Ce déclin du temps et de la qualité du sommeil ne doit pas être une fatalité. Trop souvent oublié des stratégies de santé publique, le sommeil est, comme l’alimentation et l’exercice physique, une question essentielle d’information, de sensibilisation et d’éducation pour la santé. Il convient de prendre en compte les divers facteurs du déclin du sommeil en intégrant ces questions dans des politiques de santé publique intersectorielles afin de pouvoir agir sur les environnements.

Plusieurs domaines de prévention pourraient être proposés et évalués.

Informer sur le sommeil des Français

C’est l’objectif du Baromètre de Santé publique France qui, depuis plus de 15 ans, intègre des items sommeil pour mieux décrire et comprendre les habitudes et pathologies du sommeil. C’est en observant mieux les causes de dette et de privation de sommeil qu’on peut orienter une information de qualité et convaincante ainsi qu’une politique de santé du sommeil vers ceux qui sont les plus touchés : actifs employés ou agriculteurs, célibataires, personnes à la situation socioéconomique difficile et fumeurs quotidien, par exemple.

Promouvoir ce qui permet d’améliorer le sommeil

Soigner l’environnement de sa chambre. Préserver son sommeil c’est aussi protéger l’environnement de sa chambre. Idéalement, elle doit être silencieuse, en tout cas bien isolée du bruit des transports extérieurs. Elle doit aussi être suffisamment obscure, en se protégeant de l’éclairage extérieur, car la lumière continue à passer par les paupières fermées au cours de la nuit et perturbe la sécrétion de mélatonine. Les leds ou autres lumières d’alarme doivent être évitées, ainsi que les sonneries des courriels et des téléphones. La température idéale est de 18 °C. Une literie de qualité aide au sommeil. Il est frappant de constater, lorsqu’on demande des photos de leurs chambres à des patients insomniaques, à quel point ces conseils de bon sens ne sont pas respectés.

Inciter à la sieste quand cela est possible. La pratique de la sieste est très simple et sans coût. Il est démontré que lorsqu’elle est bien faite (20 à 30 minutes), elle a une efficacité sur le temps de réaction et la qualité de l’éveil suivant la sieste, elle a aussi des bienfaits biologiques en luttant contre l’état inflammatoire lié à la privation de sommeil. À l’école, comme dans l’entreprise chez les travailleurs de nuit, ou chez les chauffeurs professionnels amenés à faire de longues routes, la sieste a été démontrée comme efficace et préventive. Il est aisé de la proposer plus largement.

Étendre ses heures habituelles de sommeil. L’extension de sommeil est aussi d’une grande efficacité pour faire face à des périodes difficiles de travail, d’examen, de voyage. Le principe, et uniquement lorsqu’on ne souffre pas d’insomnie, est d’étendre ses heures habituelles de sommeil dans la semaine qui précède la période difficile. Grâce aux périodes démontrées d’élasticité et de plasticité du sommeil, chacun peut ainsi prendre des réserves pour affronter des périodes de restriction.

Promouvoir l’activité physique. Plusieurs revues d’experts et de la littérature ont montré aussi qu’un exercice physique modéré et régulier améliorait le sommeil lent profond et diminuait les symptômes d’insomnie. Il est cependant conseillé de ne pas faire cet exercice le soir trop près du coucher.

Améliorer son alimentation. Il y a aussi des liens précis entre alimentation et sommeil : les sucres lents ou rapides sont à préférer lors du repas du soir et l’alcool à éviter.

Le déclin n’est pas une fatalité

Une fois son sommeil et ces règles simples mieux connues, il nous semble tout à fait possible de redonner sa chance au sommeil et de lutter contre son déclin, qui n’est pas une fatalité. Quelques conseils simples peuvent être déclinés et évalués sur des groupes pilotes ciblés en distinguant bien ce qui relève du comportement individuel et de la nécessaire modification de son environnement.

Agir sur les comportements individuels :

encourager le développement d’outils d’automesure simples et validés (applications, objets connectés) permettant d’évaluer son temps de sommeil ;

favoriser les périodes de repos prolongées entre deux cycles de travail de nuit permettant de grandes nuits de sommeil préventives et protectrices de la privation ;

encourager les noctambules et festifs de nos villes et les deux roues motorisées bruyantes à un meilleur respect du sommeil des riverains…

Agir sur les environnements :

faciliter chez les étudiants et lycéens un début des cours plus tardif, leur permettant de s’adapter au décalage de l’horloge biologique des adolescents sans perdre trop de sommeil ;

aménager des espaces de sieste dans les établissements d’éducation, les entreprises, certains wagons réservés des transports en commun, les aires d’autoroute ou certains espaces publics ;

favoriser en entreprise la prise d’horaires de travail décalés et adaptés au profil soir-matin des employés, tout en respectant le temps de travail, la fonction, favoriser le télétravail lorsqu’il est possible…

Ces idées comme bien d’autres doivent être proposées et évaluées, en soutenant les initiatives citoyennes dans le cadre d’une meilleure prise de conscience encouragée par les autorités de santé, pour que le déclin du sommeil ne soit plus dans l’avenir une fatalité.

Références

1 Léger D, Zeghnoun A, Faraut B, Richard JB. Le temps de sommeil, la dette de sommeil, la restriction de sommeil et l’insomnie chronique des 18-75 ans : résultats du Baromètre santé 2017. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(8-9);149-60. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/8-9/2019_8-9_1.html
2 Cordina-Duverger E, Houot E, Tvardik N, El Yamani M, Pilorget C, Guénel P. Prévalence du travail de nuit en France : caractérisation à partir d’une matrice emplois-expositions. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(8-9);168-73. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/8-9/2019_8-9_3.html
3 Évaluation des risques sanitaires liés au travail de nuit. Avis de l’Anses. Rapport d’expertise collective. Juin 2016. 430 p. https://www.anses.fr/fr/content/l%E2%80%99anses-confirme-les-risques-pour-la-sant%C3%A9-li%C3%A9s-au-travail-de-nuit.
4 Andler R, Metlaine A, Richard JB, Zeghnoun A, Léger D. Sommeil et consommation de substances psychoactives : résultats du Baromètre santé de Santé publique France 2017. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(8-9):161-8. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/8-9/2019_8-9_2.html

Citer cet article

Léger D & Bourdillon F. Éditorial. Le déclin du temps de sommeil en France n’est pas une fatalité. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(8-9):146-8. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/8-9/2019_8-9_0.html