Le temps de sommeil, la dette de sommeil, la restriction de sommeil et l’insomnie chronique des 18-75 ans : résultats du Baromètre de Santé publique France 2017
// Total sleep time, sleep debt, sleep restriction and insomnia in adults (18-75 years old). Results from the Santé publique France 2017 Health Barometer
Résumé
Introduction –
Le temps de sommeil total (TST) est un déterminant de santé fort, corrélé à plusieurs comorbidités métaboliques, vasculaires, mentales et accidents. Mieux connaître le TST, les petits dormeurs et les sujets en dette ou en restriction de sommeil permettra de mieux agir pour la prévention de ces comorbidités.
Méthode –
Un module sommeil du Baromètre de Santé publique France 2017 a été posé à 12 637 sujets (18-75 ans) représentatifs de la population française. Le TST nocturne, de sieste et par 24 heures a été investigué par un agenda, non seulement en semaine, mais aussi les jours de repos. Les indicateurs suivants ont été calculés : 1) sommeil court : ≤6 h/24 h ; 2) insomnie chronique : critères ICSD-3 ; 3) dette de sommeil : TST idéal-TST>60 min (dette sévère : >90 min) ; 4) restriction de sommeil : TST jours de repos-TST jours de travail = 1 à 2 h, (restriction sévère >2 h).
Résultats –
Le TST moyen/24h est de 6h42 en semaine et 7h26 au repos. Parmi les sujets, 35,9% sont des courts dormeurs, 27,7% sont en dette de sommeil (18,8% en dette sévère), 17,4% en restriction (14,4% sévère). Plus d’un quart des adultes (27,4%) font au moins une sieste en semaine, d’une durée moyenne de 50 minutes, un tiers (32,2%) en font le week-end, d’une durée moyenne de 59 minutes. L’insomnie chronique touche 13,1% des 18-75 ans, 16,9% des femmes et 9,1% des hommes.
Discussion – Conclusion –
Si le TST/24 h est proche de 7 heures en France, et que les 18-25 ans dorment le plus longtemps, une proportion cependant élevée de Français dort moins de 6 heures, sont en dette ou en restriction de sommeil. Plus d’un quart des français parviennent à faire la sieste pour compenser cette dette, mais l’insuffisance de sommeil demeure un enjeu crucial de prévention des maladies chroniques.
Abstract
Introduction –
Total sleep time (TST) is a strong health determinant, correlated to numerous metabolic, vascular and mental comorbidities, and accidents. Our aim was to better understand TST, short sleepers and those with sleep debt and sleep restriction in order to better preventing these comorbidities.
Method –
Sleep items in the Santé publique France 2017 Health Barometer survey was applied to a representative sample of 12,367 subjects (18-75 years old). TST at night, when napping, and over 24 hours was assessed by a sleep log, on workdays and leisure days. Retained items were: 1) short sleep: ≤6 h/24h; 2) chronic insomnia: ICSD-3 criteria; 3) sleep debt: ideal TST– TST >60 min (severe >90 min), 4) sleep restriction: leisure TST-workdays TST = 1 to 2 h (severe >2 h).
Results –
Average TST/24 hours was 6h42min on weekdays and 7h26 on leisure. Among subjects, 35.9% were short sleepers, 27.7% had a sleep debt (18.8% severe), 17.4% had a sleep restriction (14.4% severe). Over one fourth of adults (27.4%) had at least one nap a week on weekdays (average 50 min) and 32.2% on leisure (59 min). Chronic insomnia affected 13.1% of 18-75 year-olds, 16.9% of women and 9.1% of men.
Discussion – Conclusion –
Even though TST/24h is around 7 hours in France, and that the 18-75 year-olds sleep longer, a high rate of French people sleep less than six hours and/or are affected by sleep debt and sleep restriction. More than one fourth manage to have a nap to cope with sleep debt. However, sleep insufficiency is a crucial issue with regard to the prevention of chronic diseases.
Introduction
Il est fréquemment recommandé « une bonne nuit de sommeil », au même titre qu’une bonne alimentation ou qu’une activité sportive, comme étant bénéfique à la santé. On sait que le sommeil joue un rôle crucial dans l’équilibre métabolique et thermodynamique, la restauration des tissus, la réparation des blessures, la croissance, la mémoire et le tri des idées ainsi que la régulation des émotions 1,2,3,4. Mais le besoin de sommeil nécessaire à chacun, en fonction de son âge, de son activité et de son environnement est moins bien connu. Faut-il dormir 7 ou 8 heures pour un adulte ? Peut-on dormir moins de 6 heures ? En un seul ou en plusieurs épisodes ? Faut-il faire une sieste, et de quelle durée ? Cette question de valeurs « normatives » du sommeil qui pourraient être recommandées au plus grand nombre pour permettre une bonne efficacité du sommeil est débattue par de nombreuses autorités internationales de santé publique et de spécialistes 1,2.
Une enquête sommeil nichée dans le Baromètre santé 2010 auprès de 24 671 français avait trouvé un temps de sommeil total (TST) moyen de 7 heures 13 minutes ; 17,9% pouvaient être considérés comme « courts dormeurs », avec un TST moyen jusqu’à 6 heures, et 2,7% dormaient plus de 10 heures 3. De même, la plupart des enquêtes annuelles de l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV) retrouvent un TST moyen dans la population française adulte aux alentours de 7 heures 4.
En effet, il est partout observé que le temps de sommeil, mis en concurrence avec le temps de travail, de transport et le temps consacré aux nouvelles technologies pour les loisirs ou le travail, a tendance à baisser parmi de nombreux groupes de jeunes adultes ou professionnels. Dans les enquêtes successives de l’INSV, il est observé que, même si le TST moyen reste aux alentours de 7 heures depuis 10 ans, les proportions de personnes dormant moins de 6 heures en semaine augmentent significativement, en particulier chez les jeunes adultes et les jeunes professionnels chez lesquels elles atteignent respectivement jusqu’à 25 et 33% des sujets interrogés 4. Par ailleurs, de plus en plus d’études montrent que dormir trop peu (moins de 6 heures par 24 heures) est associé à une augmentation de la morbidité et de la mortalité métabolique, accidentelle et cardiovasculaire, en particulier du risque d’obésité, de diabète de type 2, d’accident vasculaire cérébral, d’hypertension et d’accidents 5,6,7,8,9,10,11,12,13,14,15.
Dormir trop (c’est-à-dire plus de 9 à 10 heures chez l’adulte) est parfois considéré aussi comme un facteur de risque de comorbidités et de mortalité 3,10,11,13,14,15. Mais la plupart des études retrouvent ce risque chez des personnes plus âgées et l’hypothèse la plus retenue est que l’aggravation de maladies chroniques s’accompagne d’une augmentation du temps passé au lit et du temps de sieste chez les personnes malades qui se trouvent affaiblies 3.
Dans ce contexte, il semble plus important de s’intéresser au temps de sommeil en relation avec les facteurs sociodémographiques qu’aux pathologies du sommeil. Mais il ne faut pas délaisser l’insomnie, le trouble du sommeil le plus fréquent, qui touchait près de 16% des Français en 2010 16, et qui peut expliquer la réduction involontaire du temps de sommeil. Dans ce souci, un module complet sur le sommeil, construit en collaboration avec l’INSV, a été incorporé au questionnaire du Baromètre de Santé publique France 2017. Comparativement au premier module intégré en 2010, ce module a été complété par des questions portant sur la sieste, la durée des éveils nocturnes et les différences entre semaine et week-end. En effet, il est important de pouvoir considérer le sommeil du week-end, car, comme l’a décrit une étude suédoise récente, la récupération du week-end peut réduire le risque lié au sommeil court au cours de la semaine 17. L’objectif de cet article est de décrire, au vu de ces nouvelles questions, le sommeil et la prévalence de l’insomnie chronique dans la population des 18-75 ans. Il s’agit également d’explorer l’évolution de la qualité du sommeil selon l’âge, les principales différences de genre, et de mieux comprendre ce que l’on entend par « sommeil trop court », « dette de sommeil », « restriction de sommeil », des notions qu’il semble urgent d’intégrer dans une politique de prévention favorisant le bon sommeil.
Méthode
Sources de données
Le Baromètre de Santé publique France 2017 est une enquête transversale menée par téléphone auprès d’un échantillon aléatoire de la population résidant en France métropolitaine, parlant le français et âgée de 18 à 75 ans. La méthode repose sur une génération aléatoire de numéros de téléphone fixes et mobiles. La réalisation de l’enquête, via un système de Collecte assistée par téléphone et informatique (Cati), a été confiée à l’Institut Ipsos. Le terrain s’est déroulé du 5 janvier au 18 juillet 2017. Le taux de participation était de 48,5% et la passation du questionnaire a duré en moyenne 31 minutes. Au total, 25 319 personnes ont participé à l’enquête. Les objectifs, le contexte de mise en place et le protocole sont détaillés par ailleurs 18. Un module de questions portant sur les habitudes de sommeil a été posé à la moitié des participants (12 637), sélectionnés de façon aléatoire en début d’entretien et également représentatifs des 18-75 ans. Par ailleurs, une question sur les troubles du sommeil au cours des huit derniers jours, posée depuis 1995 et issue d’une échelle de qualité de vie, permet un suivi de l’évolution : « Diriez-vous qu’au cours des huit derniers jours vous avez eu des problèmes de sommeil ? Pas du tout, un peu, beaucoup ». De plus, les travailleurs à horaires alternés ont été interrogés par des questions spécifiques leur permettant de répondre en tenant compte de leur propre situation pour les jours de travail.
Les indicateurs sommeil
Temps de sommeil total (TST) nocturne
Il est calculé à partir des réponses aux questions relatives à l’heure habituelle de coucher, de réveil, à la durée des éveils nocturnes ainsi qu’au temps estimé pour s’endormir : « Le plus souvent, à quelle heure éteignez-vous votre lampe pour dormir ? » ; « Le plus souvent, combien de temps vous faut-il pour vous endormir ? » ; « Vous arrive-t-il de vous réveiller la nuit avec des difficultés pour vous rendormir ? Si oui, en général combien de temps restez-vous éveillé au cours de la nuit ? » ; « Le plus souvent, à quelle heure vous réveillez-vous ? ». À la différence d’autres enquêtes qui mesurent plutôt un temps quotidien passé au lit incluant des phases de lectures et d’endormissement, l’objectif était ici de mesurer un temps de sommeil réel, obtenu ainsi : heure de réveil – heure de coucher – temps d’endormissement – temps d’éveil nocturne. Ces questions ont été posées séparément pour les périodes de semaine (ou jours de travail) et de week-end (ou jour de repos), et un TST moyen est obtenu ainsi : TST moyen = (5*TST_S (semaine) + 2*TST_WE (week-end))/7.
Temps moyen de sieste par jour
Il est obtenu en multipliant le nombre de siestes par la durée moyenne d’une sieste, en le rapportant sur 5 jours en semaine et sur 2 jours le week-end. Les questions posées étaient les suivantes : « En général, combien de fois faites-vous la sieste par semaine en dehors du weekend ? le week-end ? » ; « En général, combien de temps dure-- une sieste que vous faites en semaine ? le week-end ? ».
Comme ces questions ont été posées séparément pour les périodes de semaine (ou jours de travail) et de week-end (ou jour de repos), un temps moyen de sieste est obtenu ainsi :
Temps moyen de sieste par jour = (5*temps moyen de sieste_S (semaine) + 2*temps moyen de sieste_WE (week-end))/7.
Temps de sommeil par 24 heures
Le temps de sommeil en 24 heures, en semaine, le week-end et en moyenne, est obtenu en additionnant le temps de sommeil total nocturne et le temps de sieste, respectivement pour la semaine et pour le week-end, puis globalement : TST-24h moyen = (5*TST-24h_S (semaine)+2*TST-24h_WE (week-end))/7.
Temps de sommeil idéal
Il a été calculé à partir de la seule question suivante : « En moyenne, de combien de temps de sommeil avez-vous besoin pour être en forme le lendemain ? »
Insomnie chronique
Elle a été évaluée selon les critères de l’International Classification of Sleep Disease (ICSD) de l’American Academy of Sleep Medicine 19 (cf encadré ci-après).
Critères de recherche pour le diagnostic de l’insomnie
A. Le sujet rapporte une ou plus des difficultés du sommeil suivantes :
1) Troubles d’endormissement
2) Troubles de maintien du sommeil
3) Réveil précoce
4) Sommeil non récupérateur
B. Ces difficultés surviennent au moins trois nuits par semaine, depuis au moins trois mois, et ce malgré des habitudes et conditions adéquates pour le sommeil.
C. Le sujet rapporte au moins l’une des conséquences diurnes suivantes en relation avec ses difficultés de sommeil :
1) Fatigue/malaise
2) Troubles de l’attention, de la concentration, de la mémoire
3) Troubles du fonctionnement social ou mauvaises performances scolaires
4) Trouble de l’humeur/irritabilité
5) Somnolence diurne
6) Réduction de la motivation/énergie/initiative
7) Tendance aux erreurs/accidents au travail ou en conduisant.
8) Céphalées de tension ou malaise général en relation avec la perte de sommeil
9) Préoccupations ou ruminations à propos du sommeil.
Autres indicateurs
D’autres indicateurs reflètent une réalité quotidienne observée dans plusieurs travaux et correspondant à une réalité clinique : le manque de sommeil par rapport à ses besoins individuels, avec comme corollaires la somnolence, le risque d’accident, la perte d’attention, les conséquences métaboliques et psychologiques précédemment décrites.
–Les courts et longs dormeurs ont été définis en se basant sur le TST semaine-travail. En effet, la plupart des études, dont celle issue du Baromètre santé 2010, se réfèrent au TST nocturne uniquement. Pour avoir des éléments de comparaison avec la littérature nous avons donc considéré comme :
–courts dormeurs : ceux dont le TST semainetravail ≤6 h ;
–longs dormeurs : ceux dont le TST semaine-travail >8 h.
–La dette de sommeil est évaluée par la différence entre temps de sommeil idéal et temps de sommeil en semaine : si cette différence est supérieure à 60 minutes, on parle de « dette de sommeil » ; si elle est supérieure à 90 minutes, de « dette de sommeil sévère » 20.
–La restriction de sommeil est évaluée par la différence entre temps de sommeil le week-end et en semaine : on parle de restriction moyenne si l’écart est situé entre 61 et 120 minutes, de restriction sévère s’il est de 2 heures ou plus.
Ces deux indicateurs ont également été calculés en tenant compte du TST par 24 heures, incluant la capacité de récupérer le sommeil par des siestes :
–La dette de sommeil par 24 heures (différence entre temps de sommeil idéal et temps de sommeil par 24 heures en semaine) : si cette différence est supérieure à 60 minutes on parle de « dette de sommeil 24 heures non compensée » ; si elle est supérieure à 90 minutes, on parle de « dette de sommeil 24 heures sévère non compensée ».
–La restriction de sommeil par 24 heures (différence entre TST 24 heures repos et TST 24 heures semaine) : on parle de restriction moyenne sur 24 heures si l’écart est situé entre 61 et 120 minutes, de restriction sévère sur 24 heures s’il est de 2 heures ou plus.
Analyses statistiques
Les données ont été pondérées pour tenir compte de la probabilité d’inclusion, puis redressées sur les structures observées dans l’enquête emploi 2016 de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), des variables suivantes : sexe croisé avec âge en tranches décennales, région, taille d’unité urbaine, taille du foyer et niveau de diplôme de la population résidant en France métropolitaine. Les comparaisons de pourcentages ont été testées au moyen du Chi2 d’indépendance de Pearson, avec correction du second ordre de Rao-Scott pour tenir compte du plan de sondage ; seules les différences significatives au seuil de 5% sont mentionnées. Les variations des valeurs quantitatives en fonction des tranches d’âge ont été comparées par analyse de variance. Le temps de sommeil calculé en semaine a pu être comparé aux résultats du Baromètre santé 2010, ce temps étant calculé à partir des heures de coucher, de réveil et du temps d’endormissement. La survenue de problèmes de sommeil au cours des huit derniers jours a pu être comparée aux résultats des enquêtes Baromètres santé menés en 1995, 2000, 2005, 2010 et 2014.
Résultats
Temps de sommeil des 18-75 ans, dette de sommeil et restriction de sommeil selon le sexe
Parmi les 18-75 ans, le temps moyen de sommeil par 24 heures est de 6h55 en 2017, 6h57 pour les hommes et 6h53 pour les femmes. Ce temps de sommeil est plus long le week-end et jours de repos (7h26) que les jours de semaine ou travaillés (6h42), la différence entre les deux étant plus élevée parmi les hommes (47 minutes) que parmi les femmes (40 minutes). Ce temps de sommeil par 24 heures ajoute aux 6h45 du TST moyen nocturne 10 minutes de temps de sommeil accumulé lors de siestes. Le sommeil des Français est également caractérisé par une durée d’endormissement moyenne de 25 minutes, une durée d’éveils nocturnes de 34 minutes (70 minutes parmi les 48,9% de personnes concernées par ces éveils). Le temps de sommeil par 24 heures se révèle inférieur de 19 minutes au temps idéal de sommeil, la différence étant nettement plus grande parmi les femmes (34 minutes) que parmi les hommes (4 minutes).
En se basant sur le TST nocturne, 35,9% des 18-75 ans sont des courts dormeurs, sans différence selon le sexe ; 35,2% sont en dette de sommeil et 24,2% en dette sévère de sommeil sur la base du temps de sommeil nocturne en semaine. Sur la base du temps de sommeil moyen par 24 heures, 27,7% des Français sont en dette non compensée et 18,8% en dette sévère non compensée. Notons que les femmes apparaissent plus souvent en dette de sommeil que les hommes : 23,1% d’entre elles sont par exemple en dette sévère non compensée, contre 14,3% des hommes. Aucune différence de genre ne s’observe en revanche concernant la restriction de sommeil. Calculée sur les écarts de temps de sommeil par 24 heures entre semaine et week-end, 17,4% des Français ont une restriction moyenne de sommeil, 14,4% une restriction sévère (tableau 1) 3.
Le temps de sommeil moyen par 24 heures ne diffère pas selon les caractéristiques individuelles, à l’exception de la situation professionnelle, les actifs occupés se distinguant par un temps de sommeil plus court (6h48), à l’inverse des étudiants (7h19), et de la situation financière perçue : les personnes jugeant leur situation financière difficile dorment en moyenne 20 minutes de moins que celles se déclarant à l’aise. La proportion de courts dormeurs semble quant à elle plus fréquente parmi les moins diplômés, parmi les actifs occupés, parmi les personnes vivant seules ou dans des foyers de taille importante, parmi les catégories socioprofessionnelles les moins favorisées et parmi les personnes déclarant une situation financière difficile (tableau 2).
Par rapport aux résultats du Baromètre santé 2010 (1), on observe une stabilité du temps de sommeil déclaré, ceci quel que soit le sexe et l’âge des personnes interrogées (tableau 3).
Heures de coucher et de lever, horaires en semaine et le week-end
Le sommeil moyen des Français qui ont des horaires réguliers peut se décomposer de la manière suivante : en semaine, ils se couchent en moyenne à 23h15, et se réveillent à 6h48 ; le week-end, ces heures sont respectivement minuit et 8h10. La durée d’endormissement est en moyenne de 25 minutes, et celle des éveils nocturnes de 34 minutes. Enfin, la durée moyenne de complément de sommeil apporté par les siestes est de 8 minutes (parmi l’ensemble de la population, y compris ceux qui n’en font pas) en semaine, de 14 minutes le week-end. Le temps de sommeil moyen sur 24 heures atteint ainsi 6h42 en semaine, 7h26 le week-end (tableau 4).
Temps de sommeil selon l’âge
Selon l’âge, le temps de sommeil moyen par 24 heures diminue progressivement de 7h24 parmi les 18-24 ans à 6h35 parmi les 45-54 ans, pour remonter ensuite à 6h48 parmi les 55-64 ans et 6h58 parmi les plus âgés (65-75 ans). Cette tendance s’explique par l’évolution du temps de sommeil par 24 heures en semaine, qui suit une courbe identique. En revanche, le temps de sommeil par 24 heures déclaré le week-end ne cesse de décroître, de 8h19 parmi les 18-24 ans à 6h58 parmi les 65-75 ans. Notons qu’au sein de cette tranche d’âge, les temps de sommeil par 24 heures rapportés entre semaine et week-end sont identiques (figure 1).
Temps de sieste selon l’âge
Plus d’un quart des Français âgés de 18 à 75 ans déclarent faire la sieste au moins une fois par semaine, d’une durée moyenne de 50 minutes, et près d’un tiers d’entre eux déclarent faire la sieste au moins une fois le week-end, d’une durée moyenne d’1 heure. Selon l’âge, il ressort que, parmi les personnes faisant la sieste, la durée moyenne d’une sieste diminue progressivement, que ce soit en semaine ou le week-end. Ainsi la durée moyenne d’une sieste en semaine passe de 63 minutes parmi les 18-24 ans à 41 minutes parmi les 65-75 ans, et la durée moyenne d’une sieste le week-end de 82 minutes à 45 minutes pour ces mêmes tranches d’âge. En revanche, la proportion de personnes faisant la sieste en semaine est relativement stable de 18 à 64 ans, entre 20 et 30%, et concerne 42% des 65-75 ans ; la sieste le week-end concerne un jeune de 18-24 ans sur cinq, un tiers parmi les plus âgés (tableau 5).
Insomnie chronique
En 2017, 13,1% des 18-75 ans déclarent des symptômes suggérant une insomnie chronique, 16,9% des femmes et 9,1% des hommes (p<0,001). L’insomnie chronique se révèle plus fréquente entre 25 et 64 ans parmi les femmes, autour de 19%, et entre 35 et 64 ans parmi les hommes, touchant environ un homme sur 10. Quel que soit l’âge, les femmes sont environ deux fois plus nombreuses que les hommes à déclarer des symptômes d’insomnie chronique (figure 2).
Relativement à 2010, la proportion d’insomniaques apparaît en baisse en 2017 (16,1% à 13,9%, pour une insomnie présente depuis au moins 1 mois). Cette diminution n’est significative que parmi les hommes, cette proportion étant passée de 12,8% à 9,6%. Selon l’âge, elle n’apparaît en baisse que parmi les 45-54 ans (-5 points) et les 65-75 ans (-4,5 points) (tableau 6).
Dette de sommeil selon l’âge
La dette de sommeil, mesurée par différents indicateurs, apparaît plus fréquente parmi les femmes que parmi les hommes, ceci quel que soit l’âge. Elle semble également plus importante entre 18 et 54 ans, pour diminuer globalement parmi les 55-75 ans. Notons également que la dette de sommeil mesurée sur le temps moyen de sommeil en 24 heures concerne une part plus faible de la population par rapport à celle calculée à partir du seul temps de sommeil nocturne en semaine (figure 3). Ce résultat suggère qu’une part de la population profite du week-end et des moments de sieste pour compenser le déficit de sommeil accumulé lors de la semaine et se rapprocher ainsi de leur temps de sommeil idéal.
Restriction de sommeil selon l’âge
La restriction de sommeil sévère et la restriction de sommeil par 24 heures sont plus fréquentes parmi les 18-25 ans, pour les hommes comme pour les femmes, et concernent entre 25% et 30% des personnes. Entre 25 et 54 ans, la restriction de sommeil sévère par 24 heures est légèrement plus fréquente parmi les hommes (18%) que parmi les femmes (15%). Elle diminue ensuite très fortement pour ne concerner que 1% des 65-75 ans, confirmant la convergence des temps de sommeil déclarés en semaine et le week-end au sein de cette population.
Insomnie chronique, courts dormeurs, dette de sommeil, restriction
Le croisement des différents indicateurs représentant un trouble du sommeil met en évidence une forte corrélation. Notamment, les courts dormeurs sont plus souvent insomniaques que les autres (22,3% ; p<0,001), de même que les personnes en dette de sommeil, ceci d’autant plus que cette dernière est sévère. En revanche, aucun lien n’apparaît entre restriction de sommeil et insomnie chronique (tableau 7).
Par ailleurs, dette de sommeil, restriction et insomnie chronique sont très fortement associés au fait d’être court dormeur. Cela concerne 76% des personnes en dette de sommeil sévère, 81% de celles en dette de sommeil sur 24 heures non compensée, 60% des personnes en restriction sévère et 61% des insomniaques.
Évolutions des troubles du sommeil
La proportion de personnes rapportant des problèmes de sommeil au cours des huit derniers jours (un peu ou beaucoup) atteint près de la moitié des 18-75 ans (15% beaucoup), plus souvent les femmes (56,4%) que les hommes (42,0%). Suivi depuis plus de vingt ans, cet indicateur apparaît stable, ceci quel que soit le sexe (tableau 8).
Discussion
Un des points forts de cette étude est d’avoir observé précisément, auprès d’un grand échantillon de Français adultes, le temps de sommeil non seulement au cours de la semaine, mais aussi lors des périodes de repos et, d’autre part, au cours de la nuit ainsi que sur 24 heures, en tenant compte du temps de sieste. Dans la discussion autour du temps de sommeil comme déterminant de santé, la plupart des études se contentent d’évaluer le temps de sommeil nocturne, parfois avec un simple item type « combien pensez-vous dormir, chaque nuit » 9,10,11,14,15. Cette étude démontre qu’il est possible d’interroger un grand nombre d’adultes plus précisément sur leurs horaires, en incluant les difficultés d’endormissement et les réveils nocturnes ainsi que le temps de sieste dans la journée. Il est souvent admis que la référence absolue pour connaitre le sommeil est la polysomnographie (PSG). Cependant, cet enregistrement de sommeil à l’aide de multiples capteurs est à la fois onéreux et lourd à supporter pour les sujets bons dormeurs. Une seule étude à notre connaissance a permis une enquête par PSG chez 1 042 sujets à Sao-Paulo au Brésil 21. Très précise sur la composition du sommeil en sommeil lent profond et paradoxal et sur les temps de sommeil et temps d’éveil intra-sommeil, la PSG ne reflète cependant pas, en une seule nuit, le sommeil normal d’un dormeur, puisque celui-ci, équipé de multiples capteurs, a un sommeil souvent plus fragile. Une autre méthode objective pour apprécier le temps de sommeil est l’actigraphie, qui se présente sous la forme d’une montre qui doit être gardée au poignet plusieurs jours. Elle permet, à l’aide d’un quartz piézo-électrique, de mesurer les mouvements et d’apprécier les périodes d’activité-inactivité, sans détecter les stades de sommeil. Cet outil a été bien validé dans des pathologies comme l’insomnie, mais il reste assez coûteux et donc limité d’emploi dans les grands groupes de sujets 22,23. C’est ainsi que les agendas de sommeil comme celui que nous avons utilisé permettent d’aborder, de manière subjective mais très précise, les données de temps de sommeil de milliers d’individus. Pour les personnes âgées ou sans emploi, la différence entre semaine et repos peut être difficile à évaluer, mais elle est aussi dépendante d’éléments altruistes tels que la composition de la famille, ou les occupations socioculturelles du weekend, ou de l’environnement (absence de bruit, maisons de weekend). C’est pourquoi notre enquête s’est attachée à bien différencier ces deux situations, quel que soit l’âge et la situation.
C’est ainsi que notre étude confirme de manière pleine et entière la haute prévalence de l’insuffisance de sommeil dans la population générale Française.
En premier lieu, vis-à-vis du temps de sommeil. Pour la première fois depuis que le sommeil est observé sur le plan épidémiologique en France, le temps de sommeil moyen nocturne est inférieur à 7 heures, en incluant les jours de repos (6h45 minutes). Le temps de sommeil par 24 heures est aussi inférieur à 7 heures (y compris le temps de sieste) : 6h55 minutes. Lorsqu’on se réfère à une analyse plus globale du temps de sommeil nocturne moyen dans la semaine, il reste stable dans notre étude dans toutes les catégories d’âge (tableau 3) par rapport au Baromètre santé 2010.
Ensuite, le pourcentage de courts dormeurs (qui dorment 6 heures et moins) au cours de la semaine est de 35,9%. Cela signifie que plus d’un tiers des Français adultes pourraient se trouver exposés à un surrisque de diabète de type 2, obésité, maladies cardiovasculaires ou accidents associés à un sommeil trop court 9,10,11,12. Compte tenu de l’importante différence observée par rapport à 2010, il est probable que la question n’avait pas été suffisamment précise alors, car un taux de 25 à 35% a bien été observé dans les enquêtes les plus récentes de l’INSV 4. Dans notre enquête, les horaires ont été calculés de manière plus précise qu’en 2010, le temps de sommeil considéré sur 24 heures et non sur une simple nuit, et le seuil modifié en incluant les personnes dormant exactement 6 heures. Près d’un quart (24,2%) sont en dette de sommeil sévère, c’est-à-dire avec plus de 90 minutes de différence entre leur temps de sommeil en semaine et leur temps de sommeil idéal et 18,8% sont en dette non compensée (c’est-à-dire ne parvenant pas à compenser cette dette de sommeil sur les 24 heures). Ce sont 14,4% des Français qui sont en restriction de sommeil sévère au cours de la semaine puisque leur récupération du week-end est supérieure à deux heures. Il s’agit d’un constat sévère et dont on voit qu’il touche les hommes et les femmes (figure 1).
L’évolution de la dette et de la restriction de sommeil depuis plusieurs années n’est pas faciles à évaluer, ni la comparaison avec d’autres études internationales, car notre méthodologie permet une analyse des dettes et restrictions plus précise qu’avec les questions plus générales posées dans les précédentes enquêtes. Parmi les déterminants de ce sommeil trop court, plusieurs enquêtes ont montré combien les horaires de travail et le temps de trajet altéraient la capacité de dormir des travailleurs. Mais les horaires de coucher sont aussi en cause, sans doute liés à des activités de loisir (ce qui n’est pas enquêté ici). En effet l’heure de coucher des Français est assez tardive (23h15 en moyenne) compte tenu d’une heure de lever assez précoce à 6h48.
Enfin, la proportion de longs dormeurs 15,8% peut être considérée comme particulièrement faible. En comparaison, 28,9% des sujets disaient dormir 8 heures et plus en 2010, mais cette enquête avait interrogé des sujets âgés de 75 à 85 ans 3. De plus, 8 heures est considéré comme une limite basse du long sommeil, certaines études se référant à 10 heures. Nous n’avons pas dans le questionnaire d’items permettant de connaître les causes classiques du long sommeil, en particulier en ce qui concerne le syndrome d’apnées du sommeil ou des hypersomnolences primaires comme la narcolepsie.
Face à ce constat, l’un des premiers points positifs concerne la sieste. En effet, la sieste est considérée comme l’une des contremesures les plus souples et efficaces face au manque de sommeil 24. Plus d’un quart des français (27,4%) font la sieste au moins une fois par semaine, d’une durée moyenne de 50 minutes, et ce sont les 18-24 ans qui siestent le plus longtemps en semaine (63 minutes en moyenne). En outre, près d’un tiers (32,2%) des adultes font la sieste 59 minutes le week-end et, là encore, les 18-24 ans dorment plus longtemps, en moyenne 82 minutes par sieste. Cette capacité à utiliser la sieste pour compenser la dette de sommeil est un enjeu d’éducation pour la santé. En effet, nous pensons qu’il ne suffit pas de constater les effets délétères du manque de sommeil mais qu’il faut savoir proposer des contremesures accessibles au grand public. La sieste est à la fois un comportement involontaire et qui reflète la capacité d’adaptation à la dette de sommeil, et une attitude parfois plus volontariste de sujets soumis à des rythmes soutenus. Elle est conseillée chez les travailleurs postés et de nuit au sommeil insuffisant 24, ou pour éviter la somnolence lors des longs trajets de professionnels ou de particuliers. Elle est aussi recommandée, mais souvent peu pratiquée, dans le monde scolaire. Notre enquête reflète à la fois l’adhésion des Français de tout âge et la faisabilité de cette contremesure. Les recommandations vis-à-vis du grand public et des professionnels sont certainement à personnaliser en fonction des tranches d’âge et des conditions socioprofessionnelles.
De plus, une bonne partie des Français en dette de sommeil compensent ce manque de sommeil le week-end : surtout les jeunes et bien moins les 35-54 ans. Or, récupérer le week-end serait un facteur limitant le risque de comorbidité associé au sommeil court 18. La capacité de récupérer sa dette de sommeil le week-end peut donc aussi être vue comme un facteur positif.
Un autre aspect positif concerne la prévalence de l’insomnie, qui semble moins importante dans notre enquête que celle estimée en 2010. En effet, la prévalence de l’insomnie en France, en se référant aux critères diagnostics de l’ICSD, a longtemps été retrouvée comme concernant 15 à 20% des adultes 25. L’enquête princeps, utilisant ces critères en population française, retrouvait une prévalence globale de 19% en 2000 26. Le Baromètre santé 2010 identifiait 16,1% des adultes se plaignant d’insomnie chronique 27. En 2017, la prévalence de l’insomnie est significativement plus basse (13,9%), en baisse significative chez les hommes (en dessous de 10%), et presque deux fois plus fréquente chez les femmes, cet écart étant également observé au plan international 28. Ce sont significativement les 45-54 ans et les plus de 65 ans qui voient leur prévalence baisser. Il nous semble que les éléments d’analyse développés entre courts dormeurs et insomnie peuvent guider les futures pistes de prévention et de meilleures définitions des critères de sévérité de l’insomnie. Ainsi, 61% des sujets se plaignant d’insomnie sont des courts dormeurs et 22,3% des courts dormeurs sont insomniaques (contre 6 à 8% parmi les personnes dormant plus longtemps). Le temps de sommeil devrait être, à notre avis, un critère plus systématique, pour définir la sévérité et le phénotype de l’insomnie. En effet, s’il fait partie des critères retenus pour le diagnostic de l’insomnie par PSG, il n’est pas inclus dans la définition subjective.
Au final, l’observation du temps de sommeil en France par cette enquête de santé donne de nombreuses informations sur les comportements sommeil des adultes, un déterminant de santé qui nous semble un enjeu crucial de compréhension dans la prévention des maladies chroniques et dans l’éducation pour la santé, au même titre que la nutrition et l’exercice physique.
Références
WCMS_118388/lang--en/index.htm