Prévalence de la symptomatologie dépressive et exposition aux facteurs professionnels psychosociaux chez les actifs affiliés à la Mutualité sociale agricole de cinq départements en 2010 : résultats de la phase pilote de la cohorte Coset-MSA

// Prevalence of depressive symptoms and exposure to psychosocial occupational factors among working people affiliated to the Agricultural Social Mutual Fund in five French districts in 2010: Results of the pilot phase of COSET-MSA Study

Imane Khireddine-Medouni (Imane.khireddine@santepubliquefrance.fr), Gabrielle Rabet, Guilhem Deschamps, Béatrice Geoffroy-Perez
Santé publique France, Saint-Maurice, France
Soumis le 25.10.2018 // Date of submission: 10.25.2018
Mots-clés : Symptomatologie dépressive | Facteurs professionnels psychosociaux | Mutualité Sociale Agricole
Keywords: Depressive symptoms | Psychosocial work factors | Agricultural workers

Résumé

Introduction –

La phase pilote de la cohorte Coset-MSA a permis d’évaluer, chez les actifs affiliés à la Mutualité sociale agricole (MSA) de cinq départements, la prévalence de la symptomatologie dépressive selon des caractéristiques sociodémographiques et professionnelles, de décrire les expositions aux facteurs professionnels psychosociaux et la prévalence de la symptomatologie dépressive selon ces expositions.

Méthode –

Les participants à la phase pilote de la cohorte Coset-MSA ont été recrutés, dans cinq départements, par tirage au sort dans les bases de données de la MSA et invités à remplir un auto-questionnaire. L’échantillon d’analyse comprenait les personnes ayant déclaré au moins une activité professionnelle en 2010 (salariée ou non). La prévalence de la symptomatologie dépressive était calculée à travers l’échelle Center for Epidemiologic Studies-Depression (CES-D), les expositions aux facteurs professionnels psychosociaux étaient mesurées à travers le questionnaire du déséquilibre efforts/récompenses (Effort-Reward Imbalance (ERI)). La prévalence de la symptomatologie dépressive était décrite selon l’exposition professionnelle aux efforts, aux récompenses et au ratio efforts/récompenses d’après le questionnaire ERI.

Résultats –

La prévalence de la symptomatologie dépressive était, chez les salariés, de 14,7% (IC95%: [11,8-17,6]) chez les hommes et de 21,2% [17,1-25,4] chez les femmes ; chez les non-salariés, elle était de 13,6% [10,5-16,8] chez les hommes et de 19,1% [13,0-25,2] chez les femmes. Chez les hommes salariés, la prévalence de la symptomatologie dépressive augmentait significativement avec l’âge. Chez les hommes quel que soit le statut (salarié ou non) et chez les femmes salariées, l’exposition à des efforts plus élevés, à un ratio efforts/récompenses plus élevé ou à de plus faibles récompenses était associée à une plus forte prévalence de la symptomatologie dépressive.

Discussion-conclusion –

Cette étude apporte un nouvel éclairage sur la prévalence de la symptomatologie dépressive et l’exposition aux facteurs professionnels psychosociaux chez les actifs affiliés à la MSA dans cinq départements en 2010. Ces résultats seront approfondis à partir des données de l’extension nationale de la cohorte Coset-MSA dont le recrutement s’est achevé en 2018.

Abstract

Introduction –

The pilot phase of the COSET-MSA cohort enabled to estimate, among working people affiliated to the Agricultural Social Mutual Fund (Mutualité Sociale Agricole – MSA) in five French districts, the prevalence of depressive symptoms according to sociodemographic and professional factors, to describe exposures to psychosocial work factors and prevalence of depressive symptoms according to these exposures.

Method –

Participants in the pilot phase of the COSET-MSA cohort were randomly selected from MSA databases from five districts and asked to complete a self-questionnaire. The analysis sample included, those who reported at least one professional activity in 2010 (employed or self-employed). The prevalence of depressive symptoms was calculated through the Center for Epidemiologic Studies-Depression (CES-D) scale, exposures to psychosocial work factors were measured by the Effort-Reward Imbalance (ERI) questionnaire. The prevalence of depressive symptoms was described by occupational exposure to effort, reward and effort/reward ratio according to the ERI questionnaire.

Results –

Among employed, depressive symptoms concerned 14.7% (95%CI [11.8-17.6]) of men and 21.2% [17.1-25.4] of women, and among self-employed 13.6% [10.5-16.8] of men and 19.1% [13.0-25.2] of women. Among employed men, the prevalence of depressive symptoms increased significantly with age. For men regardless of status (employed or self-employed) and among employed women, higher efforts, a higher effort/rewards ratio or lower rewards were associated with a higher prevalence of depressive symptoms.

Discussion-conclusion –

This study shed new light on the prevalence of depressive symptoms and the exposure to psychosocial work factors among the working people affiliated to the MSA in five French districts in 2010. These results will be further developed through the national extension of the COSET-MSA cohort whose recruitment ended in 2018.

Introduction

Les actifs travaillant dans le secteur agricole (agriculteurs exploitants et ouvriers agricoles) présentent une mortalité par suicide supérieure à celle observée dans d’autres professions et secteurs d’activité, en France comme à l’étranger 1,2.

En France, un certain nombre d’études portant sur la mortalité par suicide chez les affiliés de la Mutualité sociale agricole (MSA) ont été menées. Tout d’abord, chez les agriculteurs exploitants, une étude transversale répétée sur cinq années a montré que les hommes présentaient entre 2008 et 2010 une surmortalité par suicide par rapport à la population générale masculine, particulièrement marquée dans les secteurs d’élevages bovins (lait et viande) 3. Dans un second temps, une étude similaire a été menée chez les salariés affiliés à la MSA, qui constituent un groupe social hétérogène relevant du secteur agricole et aussi d’autres secteurs d’activité en rapport avec le monde agricole, tels que la construction, la banque, les assurances, l’enseignement, etc. Cette étude a montré qu’entre 2007 et 2013, les salariés affiliés à la MSA présentaient une sous-mortalité par suicide par rapport à la population générale, ce résultat pouvant être expliqué par un ensemble de mécanismes de sélection regroupés sous le nom d’effet du travailleur sain 4.

S’il existe un certain nombre de travaux sur la mortalité par suicide chez les actifs affiliés à la MSA, en revanche, à notre connaissance, aucune étude n’a porté sur la prévalence de la symptomatologie dépressive dans cette population. La littérature épidémiologique internationale semble suggérer que les actifs travaillant dans le secteur agricole ont un risque plus élevé d’avoir des troubles de santé mentale qu’en population générale 5.

Les troubles dépressifs ont une origine multifactorielle mêlant facteurs génétiques et environnementaux. Certains facteurs professionnels psychosociaux, notamment ceux modélisés par des concepts théoriques tels que le modèle du déséquilibre efforts-récompenses (Effort-reward imbalance – ERI) développé par Johannes Siegrist 6,7, sont associés à un plus fort risque de dépression 8,9,10. Cette association est principalement constatée chez les salariés, peu d’études ayant étudié cette association chez les non-salariés.

Santé publique France, en collaboration avec la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), a mis en place l’étude Coset-MSA (Cohortes pour la surveillance épidémiologique en lien avec le travail), dispositif d’observation longitudinal généraliste de surveillance de la santé en relation avec le travail destiné à décrire l’état de santé des affiliés à la MSA. Une phase pilote a été mise en œuvre en 2010 dans cinq départements pour en tester la faisabilité, avant que le dispositif ne soit étendu à la France entière 11.

L’objectif de cette analyse est de décrire, à partir des données de la phase pilote, chez les actifs (non-salariés et salariés) affiliés à la MSA, la prévalence de la symptomatologie dépressive selon des caractéristiques sociodémographiques et professionnelles, les expositions aux facteurs professionnels psychosociaux modélisés par le questionnaire ERI et la prévalence de la symptomatologie dépressive selon ces expositions.

Ce travail préliminaire est mené en préparation d’analyses plus approfondies, qui seront effectuées à partir des données de l’extension nationale de la cohorte lancée en 2017 et dont le recrutement s’est achevé en 2018. Les résultats obtenus permettront ensuite d’identifier les groupes les plus à risque afin d’orienter des actions de prévention.

Méthode

La phase pilote de l’étude Coset-MSA a été conduite en 2010 dans cinq départements (Bouches-du-Rhône, Finistère, Pas-de-Calais, Pyrénées-Atlantiques et Saône-et-Loire), par tirage au sort de 10 000 personnes dans les fichiers de l’assurance retraite du Régime agricole.

Ces personnes étaient âgées de 18 à 65 ans au 31 décembre 2008 et avaient été assurées à la MSA en tant qu’actif au cours de l’année 2008, quel que soit leur type d’activité. Elles ont été invitées à remplir un auto-questionnaire postal envoyé à leur domicile.

La population de cette analyse concernait les personnes qui avaient déclaré au moins une activité professionnelle en 2010 (salariée ou non).

Données étudiées

La symptomatologie dépressive a été mesurée par la version française validée de l’échelle Center for Epidemiologic Studies-Depression (CES-D) 12. Elle est constituée de 20 items de type Likert à quatre modalités. À chacune de ces modalités est associée une valeur comprise entre 0 et 3 ; la somme des 20 items permet d’obtenir un score compris entre 0 et 60. Afin de prendre en compte le score obtenu, il a été décidé de tolérer un maximum de quatre réponses manquantes sur le questionnaire, avec une imputation simple sur les items manquants par la valeur la plus favorable. Des seuils différents selon le sexe ont été utilisés (femmes 20, hommes 16) conformément aux recommandations en population française 13.

Le questionnaire ERI explore le déséquilibre entre deux dimensions : les efforts consentis lors du travail et les récompenses obtenues en retour. La version courte a été utilisée comportant 10 questions : trois items évaluant les efforts et sept items évaluant les récompenses 14,15. Les modalités de réponse étaient en échelle de Likert en 5 points. Le questionnaire a été adapté pour les non-salariés en modifiant en partie la formulation de quatre items.

Le score des efforts pouvait varier entre 3 et 15, celui des récompenses entre 7 et 35. Les deux dimensions ont été explorées séparément à travers les quartiles des distributions des scores (découpage en classes comportant chacune environ 25% de l’effectif pondéré).

Le ratio efforts/récompenses a été calculé de la façon suivante :

Il pouvait varier entre 0,2 et 5. Ce ratio a également été exploré à travers les quartiles de la distribution.

La troisième dimension du questionnaire ERI, le « surinvestissement », qui vient moduler le rapport des deux précédentes dimensions, ne figurait pas dans la version du questionnaire de cette phase pilote.

Les caractéristiques sociodémographiques et professionnelles étudiées étaient :

l’âge en années, en trois classes : [20-39], [40-49] et [50-67] ;

le statut du principal emploi actuel (salarié ou non-salarié) ;

la catégorie socioprofessionnelle, codée en utilisant la nomenclature de l’Insee « Professions et catégories socioprofessionnelles » (PCS) de 1994 ;

le secteur économique des salariés (primaire, secondaire, tertiaire) ;

l’orientation agricole chez les non-salariés, selon une variable de nomenclature interne de la MSA décrivant le type d’activité agricole principale du chef d’exploitation.

Analyses statistiques

Les analyses ont été effectuées séparément chez les hommes et les femmes, ainsi que chez les salariés et les non-salariés. La population d’analyse a été décrite selon les caractéristiques sociodémographiques et professionnelles. La prévalence de la symptomatologie dépressive (et son intervalle de confiance à 95%, IC95%) a ensuite été décrite selon ces caractéristiques. Les scores moyens et médians (et leurs intervalles de confiance à 95%) des expositions professionnelles aux efforts, aux récompenses et au ratio efforts/récompenses ont été calculés. Enfin, la prévalence de la symptomatologie dépressive (et son intervalle de confiance à 95%) a été étudiée selon ces expositions. Les associations avec la symptomatologie dépressive ont été étudiées par des tests du Chi2.

Les effectifs présentés sont ceux observés dans l’échantillon, tandis que les estimations utilisent la pondération issue du plan de sondage et la correction des poids pour prendre en compte la non-réponse totale ; ceci permet d’obtenir des estimations à l’échelle de la population source. La correction des poids de sondage avait été précédemment effectuée en s’appuyant sur les données disponibles pour l’ensemble des personnes tirées au sort (répondants et non-répondants), à la fois les données sociodémographiques issues de la base de sondage, des données socioprofessionnelles issues de la MSA (caractéristiques de la dernière activité professionnelle) et des données relatives à la santé issues du système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie (Sniiram) (remboursements de soins) 16. Le calage des poids obtenus, sur les distributions par sexe, classe d’âge, statut salarié/non-salarié et département dans la population source, avait finalisé cette correction.

Les analyses ont été réalisées avec le logiciel SAS Enterprise Guide 7.1®.

Résultats

Au total, 2 363 personnes ont rempli un questionnaire, soit un taux de participation de 24%. L’échantillon d’analyse, constitué des personnes qui avaient déclaré au moins une activité professionnelle en 2010 (salariée ou non), comprenait 2 185 individus, dont 1 363 hommes et 822 femmes.

Caractéristiques de la population d’analyse

La population d’analyse comprenait 68% d’hommes et 32% de femmes (tableau 1). Elle était constituée à 59,2% de salariés chez les hommes et à 69,3% de salariées chez les femmes. Pour les deux sexes, les non-salariés étaient plus âgés que les salariés.

Chez les non-salariés, les agriculteurs exploitants étaient largement les plus nombreux (90,0% chez les hommes, 96,2 % chez les femmes). L’orientation agricole la plus fréquente était l’élevage bovins-lait chez les hommes (19,4%) et l’élevage bovins-viande chez les femmes (20,7%).

Chez les salariés, les catégories socioprofessionnelles qui comportaient le plus d’individus étaient celles des ouvriers agricoles chez les hommes (36,9%) et des employées chez les femmes (31,0%). Les hommes relevaient davantage du secteur primaire (60,6%) et les femmes du secteur tertiaire (47,5%).

Tableau 1 : Caractéristiques sociodémographiques et professionnelles de la population d’analyse* issue de l’étude pilote Coset-MSA, 2010
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Prévalence de la symptomatologie dépressive

Parmi les salariés, 14,7% (IC95%: [11,8-17,6]) des hommes et 21,2% [17,1-25,4] des femmes présentaient une symptomatologie dépressive (tableau 2). Chez les hommes, la prévalence de celle-ci augmentait avec l’âge ; chez les femmes il n’y avait pas de différence significative selon l’âge. Pour les deux sexes, il n’y avait pas de différence statistiquement significative selon la catégorie socioprofessionnelle ou le secteur économique.

Tableau 2 : Prévalence de la symptomatologie dépressive chez les salariés selon les caractéristiques sociodémographiques et professionnelles. Étude pilote Coset-MSA, 2010
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Parmi les non-salariés, 13,6% [10,5-16,8] des hommes et 19,1% [13,0-25,2] des femmes présentaient une symptomatologie dépressive (tableau 3). Chez les agriculteurs exploitants, la prévalence s’élevait à 15,3% [11,5-19,1] chez les hommes et 18,4% [11,6-25,3] chez les femmes. Il n’y avait pas de différence significative de prévalence de la symptomatologie dépressive selon l’âge. Concernant l’orientation agricole, les éleveurs bovins-lait et bovins-viande semblaient présenter une prévalence de la symptomatologie dépressive de même ordre de grandeur que celle retrouvée chez l’ensemble des agriculteurs exploitants.

Tableau 3 : Prévalence de la symptomatologie dépressive chez les non-salariés selon les caractéristiques sociodémographiques et professionnelles. Étude pilote Coset-MSA, 2010
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Exposition professionnelle aux efforts, aux récompenses et au ratio efforts/récompenses d’après le questionnaire ERI et prévalence de la symptomatologie dépressive selon ces expositions

Il ne semblait pas y avoir globalement de différence d’exposition entre les hommes et les femmes chez les non-salariés, tandis que chez les salariés, les femmes semblaient présenter des expositions aux efforts et au ratio efforts/récompenses plus élevées que les hommes, et des expositions aux récompenses plus faibles que les hommes (tableau 4). De même, chez les hommes, les non-salariés semblaient être exposés à des efforts et à un ratio efforts/récompenses plus élevés, et à des récompenses plus faibles que les salariés ; ces différences ne semblaient pas être retrouvées chez les femmes.

Tableau 4 : Exposition professionnelle aux efforts, aux récompenses et au ratio efforts/récompenses d’après le questionnaire ERI. Étude pilote Coset-MSA, 2010
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Chez les salariés quel que soit le sexe, comme chez les non-salariés hommes, que l’on considère l’exposition aux efforts ou au ratio efforts/récompenses, les personnes ayant des scores dans les quartiles les plus élevés (c’est-à-dire exposées aux efforts et aux ratios efforts/récompenses les plus élevés) présentaient des prévalences de la symptomatologie dépressive significativement plus élevées que celles ayant des scores dans les quartiles les plus bas ; par ailleurs, concernant l’exposition aux récompenses, les personnes ayant des scores dans les quartiles les plus bas (c’est-à-dire exposées aux plus faibles récompenses) présentaient des prévalences de la symptomatologie dépressive significativement plus élevées que celles ayant des scores dans les quartiles les plus élevés (tableau 5). Chez les femmes non salariées, ces différences semblaient être retrouvées, mais elles n’étaient statistiquement significatives (au seuil de 5%) que dans le cas de l’exposition aux plus faibles récompenses.

Tableau 5 : Prévalence de la symptomatologie dépressive selon l’exposition professionnelle aux efforts, aux récompenses et au ratio efforts/récompenses d’après le questionnaire ERI. Étude pilote Coset-MSA, 2010
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Discussion – conclusion

Cette analyse portant sur les données de la phase pilote de la cohorte Coset-MSA dans cinq départements en 2010 a permis de décrire la prévalence de la symptomatologie dépressive chez les actifs affiliés à la MSA selon des caractéristiques sociodémographiques et professionnelles, de décrire les expositions aux facteurs professionnels psychosociaux modélisés par le questionnaire ERI et la prévalence de la symptomatologie dépressive selon ces expositions.

Chez les hommes salariés, il y avait une augmentation significative de la prévalence de la symptomatologie dépressive avec l’âge. Ce résultat, même s’il est retrouvé dans une précédente étude 17, peut apparaitre en contradiction avec l’effet du travailleur sain, qui est constitué d’un ensemble de mécanismes de sélection permettant aux salariés qui sont globalement en meilleure santé de se maintenir en emploi, tandis que les autres sont écartés de la vie active, notamment pour longue maladie ou pour incapacité ou invalidité 18. Récemment, une analyse à partir des données de la cohorte Constances a montré que, chez les salariés de la cohorte âgés de 45 à 60 ans, 16% d’hommes et 18,5% de femmes présentaient une symptomatologie dépressive 19. Ces résultats sont du même ordre de grandeur que ceux retrouvés dans le cadre de notre analyse. L’extension nationale de la cohorte Coset-MSA permettra d’étudier plus en détail la prévalence de la symptomatologie dépressive selon l’âge.

Chez les salariés, quel que soit le sexe, il n’y avait pas de différence statistiquement significative de la prévalence de la symptomatologie dépressive selon la catégorie sociale ; toutefois, les catégories des employés et des ouvriers chez les hommes et des ouvrières chez les femmes semblaient être plus concernées. Les cadres et professions intellectuelles supérieures chez les deux sexes et les professions intermédiaires chez les hommes semblaient être les plus épargnés. D’autres études utilisant le CES-D suggèrent les mêmes profils d’inégalité 17,20.

Pour ce qui concerne le secteur économique, variable permettant de bien rendre compte de l’hétérogénéité des activités des salariés affiliés à la MSA, il y avait peu de différences dans les prévalences de la symptomatologie dépressive. Ce résultat est également retrouvé dans une précédence étude 17, toutefois les contrastes y étaient importants lors de l’utilisation d’une classification des secteurs un peu plus détaillée (Nomenclature d’activités française à 17 niveaux). En raison du caractère pilote de la présente étude et du manque de puissance statistique, l’analyse n’a pas permis une étude fine des secteurs d’activité. Cette exploitation pourra être faite dans le cadre de l’extension nationale de la cohorte Coset-MSA.

Chez les non-salariés, la prévalence de la symptomatologie dépressive des éleveurs bovins-lait et bovins-viande ne semblait pas supérieure à celle de l’ensemble des agriculteurs exploitants. L’intérêt spécifique porté à ces deux orientations agricoles est justifié par le fait que la symptomatologie dépressive peut constituer un facteur de risque de conduites suicidaires 21 et qu’entre 2008 et 2010, une surmortalité par suicide statistiquement significative a été observée chez les hommes éleveurs bovins-lait et bovins-viande par rapport à la population générale masculine d’âge similaire 3. Toutefois, des analyses complémentaires menées au sein de la population des agriculteurs exploitants ont montré que l’orientation agricole n’était pas associée au risque de mortalité par suicide, contrairement à d’autres facteurs professionnels 22. Les résultats obtenus dans le cadre de la présente analyse semblent donc corroborer ces résultats. Notons que les travaux menés sur le suicide des agriculteurs exploitants d’une part 3,22 et des salariés agricoles d’autre part 4 ont été menés à partir des bases de données administratives de la CCMSA, qui ne contenaient pas d’informations sur les revenus, les activités professionnelles complémentaires, l’état de santé de la population d’étude ou les éventuelles expositions à des facteurs professionnels psychosociaux. L’extension nationale de la cohorte Coset-MSA, qui comportera de nombreuses informations sur ces différentes variables et des effectifs plus importants, permettra d’effectuer des analyses détaillées de l’ensemble des facteurs associés à la symptomatologie dépressive chez les salariés et les non-salariés agricoles.

Concernant les prévalences de la symptomatologie dépressive selon les expositions aux efforts, aux récompenses et au ratio efforts/récompenses, les résultats obtenus concordent avec ceux rapportés dans la littérature 8,9,15. Récemment, les données de la cohorte Constances ont montré que, chez les salariés de la cohorte âgés de 45 à 60 ans, les facteurs professionnels psychosociaux modélisés par le questionnaire ERI étaient associés à la présence d’une symptomatologie dépressive selon le questionnaire CES-D 19. La présente analyse apporte un éclairage nouveau sur les non-salariés, pour lesquels la littérature scientifique est éparse quant aux éventuelles expositions aux facteurs professionnels psychosociaux modélisés par le questionnaire ERI et leurs éventuelles associations à la symptomatologie dépressive. Toutefois, les résultats obtenus dans la présente analyse doivent être interprétés avec précaution, n’ayant pas été ajustés sur de potentiels facteurs de confusion, et en raison du caractère transversal de cette étude, avec une déclaration simultanée de l’exposition et de l’évènement de santé. Ces limites devraient être atténuées dans le cadre du suivi de la cohorte à l’échelle nationale ; de plus, les effectifs plus importants permettront d’effectuer des analyses plus détaillées et de gagner en puissance statistique.

L’étude présente certaines limites concernant le questionnaire ERI, telles que : l’absence de la dimension du surinvestissement qu’il aurait été intéressant d’explorer ; l’utilisation du questionnaire dans sa version courte avec les modalités de réponse en échelle de Likert en 5 points, qui rend plus difficiles les comparaisons des scores avec d’autres études ; la reformulation de certains items pour les adapter aux non-salariés. Dans l’extension nationale de la cohorte, le questionnaire ERI, toujours dans sa version courte récemment validée en français 19, comprends la dimension du surinvestissement et les modalités de réponse en échelle de Likert en 4 points.

Une autre limite de l’étude est que le taux de réponse à cette enquête est relativement faible (24 %) et l’effet de sélection dû à la non-réponse à une enquête peut être source de biais dans les estimations en l’absence de correction. Or, compte tenu des objectifs descriptifs de cette enquête, de nombreuses informations ont été utilisées pour prendre en compte la non-réponse totale lors de la correction des poids de sondage, à la fois sociodémographiques mais également relatives à la santé (volume et nature des soins présentés au remboursement par l’assurance maladie) et à l’activité professionnelle (caractéristiques du dernier emploi), couvrant ainsi l’ensemble des thématiques de l’enquête 16. Un biais résiduel peut néanmoins subsister pour certaines variables si certains facteurs liés à la fois à la non-réponse et à la variable d’intérêt n’ont pas été pris en compte par cette correction.

Enfin, concernant le questionnaire CES-D, l’imputation simple effectuée pour certains questionnaires sur les items manquants par la valeur la plus favorable a pu conduire à une sous-estimation du score global. Cependant, le nombre de questionnaires pour lesquels l’imputation aurait pu fausser le résultat (conclure faussement à l’absence de symptomatologie dépressive) est très faible et donc l’impact sur les estimations est vraisemblablement limité.

Par ailleurs, l’étude présente un certain nombre d’atouts : tout d’abord, la richesse de l’étude Coset-MSA en termes de données disponibles et la possibilité d’utiliser des échelles validées ; ensuite l’apport de résultats inédits en France sur la prévalence de la symptomatologie dépressive en population active agricole (avec la possibilité d’étudier séparément les salariés et les non-salariés) ainsi que la description de l’exposition professionnelle de cette population au déséquilibre efforts/récompenses selon le questionnaire ERI ; enfin, grâce à l’utilisation des poids de sondage corrigés pour prendre en compte la non-réponse totale dans les estimations (et malgré un potentiel biais résiduel), la possibilité de présenter des résultats à l’échelle de la population source de l’étude 16.

Les premiers résultats obtenus dans le cadre de cette analyse ont permis d’explorer les données de la phase pilote de la cohorte Coset-MSA. Ils seront actualisés et approfondis lors de l’exploitation des données de l’extension nationale de la cohorte, dont le recrutement d’environ 27 000 personnes s’est achevé en juillet 2018. Cette cohorte permettra d’enrichir les connaissances sur la symptomatologie dépressive chez les affiliés de la MSA et les expositions professionnelles qui y sont associées, afin de mieux identifier les sous-groupes les plus à risque auprès desquels mener prioritairement des actions de prévention.

Remerciements

À la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole pour son implication dans la mise en place de la cohorte Coset-MSA. À l’ensemble de l’équipe en charge de la cohorte Coset-MSA à Santé publique France et notamment Laetitia Bénézet et Noémie Soullier. À Gaëlle Santin pour son travail effectué sur le pilote de la cohorte Coset-MSA. À Laurence Chérié-Challine pour sa relecture de cet article.

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INV13492

Citer cet article

Khireddine-Medouni I, Rabet G, Deschamps G, Geoffroy-Perez B. Prévalence de la symptomatologie dépressive et exposition aux facteurs professionnels psychosociaux chez les actifs affiliés à la Mutualité sociale agricole de cinq départements en 2010 : résultats de la phase pilote de la cohorte Coset-MSA. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(7):
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