Incidence de la maladie de Parkinson chez les agriculteurs et en population générale en fonction des caractéristiques agricoles des cantons français
// Incidence of Parkinson’s disease in farmers and in the general population according to agricultural characteristics of French cantons
Résumé
Objectifs –
Le rôle de l’exposition professionnelle aux pesticides dans la maladie de Parkinson (MP) est documenté, mais aucune étude n’a évalué l’excès de risque de MP parmi la population agricole française. De plus, peu d’études ont porté sur le rôle de l’exposition non-professionnelle en population générale.
Méthodes –
Les cas incidents de MP en France métropolitaine (2010-2012) ont été identifiés à partir des bases de données du Système national d’information interrégimes de l’Assurance maladie (Sniiram). L’incidence de la MP (2011-2012) parmi les affiliés à la Mutualité sociale agricole (MSA) a été comparée à celle des affiliés aux autres régimes d’assurance maladie. La relation entre les caractéristiques agricoles, définies à partir du recensement agricole de 1988, et l’incidence de la MP dans les cantons français métropolitains a été étudiée. Les risques relatifs (RR) et intervalles de confiance (IC) à 95% ont été estimés par régression de Poisson.
Résultats –
L’incidence de la MP était plus élevée parmi les affiliés à la MSA (RR=1,09, IC95%: [1,05-1,13]), notamment les exploitants agricoles (RR=1,13 [1,08-1,17]), par rapport aux autres régimes d’assurance maladie. L’incidence de la MP augmentait avec la proportion de terres consacrées à l’agriculture des cantons français (p<0,001). Parmi 18 types d’activités agricoles, l’association la plus forte était observée pour les cantons les plus fortement viticoles (RR=1,10 [1,05-1,16]). Cette association était confirmée parmi les affiliés au régime général de l’Assurance maladie.
Conclusion –
Cette étude, reposant sur l’ensemble de la population française métropolitaine, confirme que l’incidence de la MP est plus élevée parmi les exploitants agricoles affiliés à la MSA que dans le reste de la population. L’incidence de la MP en population générale augmente avec la proportion de la surface des cantons consacrée à l’agriculture, notamment à la viticulture. Ces résultats suggèrent que l’exposition environnementale aux pesticides pourrait être associée à la MP et que le nombre de cas de MP attribuable aux pesticides pourrait être plus élevé que si seule l’exposition professionnelle était impliquée.
Abstract
Objectives –
The role of occupational exposure to pesticides in Parkinson’s disease (PD) is well documented, but no study has ever assessed the excess risk of PD among the French agricultural population. In addition, few studies have focused on the role of non-occupational exposure in the general population.
Methods –
Incident PD cases in metropolitan France (2010-2012) were identified from the databases of French health insurance system (SNIIRAM). PD incidence (2011-2012) among members of the Mutualité sociale agricole (MSA) and those of other health insurance schemes was compared. The relationship between agricultural activities based on the 1988 agricultural census and PD incidence in French cantons was studied. Relative risks (RRs) and 95% confidence intervals (CIs) were estimated by Poisson regression.
Results –
PD incidence was higher among MSA members (RR=1.09, 95%CI [1.05-1.13]), in particular farmers (RR=1.13 [1.08-1.17]), compared to members of other health insurance plans. PD incidence increased with the proportion of land devoted to agriculture in French cantons (p <0.001). Among 18 types of agricultural activities, the strongest association was observed for cantons with the highest proportion of vineyards (RR=1.10 [1.05-1.16]). This association was confirmed among members of the general health insurance scheme.
Conclusion –
This study, based on the entire French metropolitan population, confirms that PD incidence is higher among farmers affiliated with the MSA compared to the rest of the population. PD incidence in the general population increases with the proportion of the area of the cantons devoted to agriculture, especially vineyards. These results suggest that environmental exposure to pesticides may be associated with PD and that the number of PD cases attributable to pesticides may be higher than if only occupational exposure was involved.
Introduction
La France fait partie des pays qui utilisent le plus de produits phytopharmaceutiques au monde 1, et environ 90% sont dédiés à l’usage agricole 2 ; dans la suite de cet article, le terme de pesticides est utilisé en référence aux produits phytopharmaceutiques, incluant les fongicides, insecticides et herbicides. En 2001, la France était le premier consommateur européen de pesticides en termes de tonnage et occupait le 4e rang lorsque la consommation était rapportée au nombre d’hectares cultivés (hors prairies permanentes), derrière le Portugal, les Pays-Bas et la Belgique 3.
Plusieurs études ont montré une association entre l’exposition professionnelle aux pesticides et la maladie de Parkinson (MP) parmi les agriculteurs, lesquels représentent la population la plus exposée à ces produits 4. Des résultats similaires ont été observés en France 5,6 où, sous certaines conditions, la MP est reconnue comme maladie professionnelle pour la population agricole. Toutefois, la MP est d’origine multifactorielle, d’autres facteurs de risque ou protecteurs pouvant intervenir ; or, aucune étude n’a comparé l’incidence de MP chez les agriculteurs et parmi la population générale pour l’ensemble de la France métropolitaine.
Cette association soulève la question du rôle de l’exposition non-professionnelle aux pesticides (par exemple liée à une exposition environnementale ou à des usages domestiques de pesticides) en population générale. Très peu d’études sont disponibles dans ce domaine 7,8. Si cette dernière jouait un rôle, le nombre de cas de MP attribuable à l’exposition aux pesticides serait plus élevé que si seule l’exposition professionnelle était impliquée.
Cet article se fixe deux objectifs. Le premier est de quantifier l’excès de risque de MP chez les agriculteurs français. Le deuxième est d’étudier, à travers une approche écologique, la relation entre les différentes activités agricoles et l’incidence de la MP dans les cantons français. Il s’agit de déterminer si les personnes vivant dans des zones présentant des activités agricoles fortement utilisatrices de pesticides ont un risque plus élevé de MP, même lorsqu’elles n’exercent pas le métier d’agriculteur.
Méthodes
Identification des cas incidents de MP (2010-2012)
Afin d’identifier les patients parkinsoniens, les données du Système national d’information interrégimes de l’Assurance maladie (Sniiram) ont été utilisées, plus précisément le Datamart de consommation interrégimes (DCIR), qui comprend de façon individuelle et anonyme l’ensemble des remboursements de soins externes (délivrances de médicaments, consultations, examens, etc.) de près de 97% de la population française 9. L’identification des cas de MP incidents entre 2010-2012 repose sur une méthodologie déjà décrite en détail 10,11.
Définition de la population agricole et du métier d’agriculteur
L’affiliation au régime d’assurance maladie de la Mutualité sociale agricole (MSA) définit la population agricole. La MSA garantit les prestations d’assurance maladie (y compris après la retraite) pour le monde agricole. En 2012, la MSA comptait environ 3,4 millions d’affiliés (5% de la population française). Parmi les affiliés à la MSA, on distingue 48% d’exploitants et 52% de salariés. Ce dernier groupe est hétérogène et comprend – sans que l’on puisse les distinguer dans les données – les salariés agricoles (environ 35% des salariés) et les salariés de coopératives agricoles et/ou d’administrations.
Parmi l’ensemble des cas incidents (2010-2012), il a été possible d’identifier les affilés à la MSA et de distinguer, parmi eux, les exploitants agricoles des salariés entre 2011-2012.
Population à risque
Afin de calculer les personnes-années entre 2010 et 2012 pour l’ensemble de la population française (au niveau national et par canton), les estimations mises à disposition par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ont été utilisées.
L’Insee ne réalise pas d’estimations de la population en fonction du régime d’assurance maladie. Afin d’estimer la population à risque, c’est-à-dire celle couverte en maladie par la MSA ou les autres régimes d’assurance maladie, l’ensemble des personnes avec au moins un remboursement de soins (médicament, consultation médicale, soin infirmier, kinésithérapie, test sanguin…) entre 2010 et 2013 ont été identifiées. À partir de l’année de naissance, du sexe, de la commune de résidence et du régime d’assurance maladie de chaque personne, le nombre de personnes-années (au niveau national et cantonal) a été calculé par classe d’âge (quinquennale) et par sexe, pour l’ensemble de la population française ainsi que pour les affiliés à la MSA et aux autres régimes d’assurance maladie. Cette approche permet d’estimer correctement le nombre d’affiliés âgés de plus de 55 ans 12.
Analyses statistiques
Relation entre l’affiliation au régime agricole (MSA) et l’incidence de la MP en France métropolitaine, 2011-2012
Pour comparer l’incidence de la MP parmi les affiliés à la MSA et les affiliés à un autre régime, les taux standardisés en fonction de l’âge (/5 ans) et du sexe ont été calculés en utilisant la standardisation directe (population de référence, France 2012). Une régression de Poisson ajustée sur l’âge (/5 ans), le sexe, l’interaction entre ces deux variables et la surdispersion a été réalisée pour estimer les risques relatifs (RR) et leurs intervalles de confiance à 95% (IC95%). Les exploitants agricoles étant traditionnellement davantage impliqués dans l’épandage de pesticides que les salariés 13 et ces derniers constituant un groupe hétérogène, les exploitants ont été distingués des salariés parmi les affiliés à la MSA.
Le rôle des facteurs environnementaux de la MP pouvant changer en fonction de l’âge 14 et le type de tâches exposantes étant différent entre les hommes et les femmes 5,15,16, les interactions entre l’appartenance au régime agricole et l’âge ou le sexe ont été testées et des analyses stratifiées ont été réalisées lorsque les interactions étaient significatives (p≤0,05).
Une analyse de sensibilité a été effectuée en réalisant un ajustement externe probabiliste par simulation de Monte-Carlo afin d’examiner l’influence du tabagisme 17. L’odds ratio (OR) de MP retenu pour les personnes ayant fumé par rapport à celles n’ayant jamais fumé est de 0,64 (IC95%: [0,60-0,69]) 18. En France, en 2013, la fréquence des personnes ayant fumé (fumeurs actuels et ex-fumeurs) était comprise entre 40 et 50 % et les agriculteurs exploitants ont fumé 2,4 fois moins (OR=0,41 [0,34-0,51]) que le reste de la population (hommes, OR=0,46 [0,37-0,59] ; femmes, OR=0,14 [0,08-0,23]) 19. Il a été considéré que 35% des salariés étaient des ouvriers agricoles avec la même prévalence de tabagisme que les exploitants et que les 65% de salariés restants avaient la même prévalence de tabagisme que la population générale.
Relation entre les activités agricoles et l’incidence de la MP en population générale dans les cantons de France métropolitaine, 2010-2012
Afin d’étudier la relation entre les activités agricoles et l’incidence de la MP, les ratios standardisés d’incidence (SIRs) (référence, incidence de la MP en France, 2010-2012 ; standardisation sur l’âge et sexe) ont été calculés par standardisation indirecte pour chaque canton métropolitain (N=3 689). Les cas parkinsoniens ont été localisés à partir de leur commune de résidence renseignée au moment du dernier remboursement de médicament antiparkinsonien de l’année d’incidence. Les cantons représentent de petites unités administratives (superficie médiane=146,8 km², intervalle interquartile [IQR]=142,3 ; population médiane en 2010=10 273 habitants, IQR=14 562).
Ces analyses ont été réalisées pour l’ensemble de la population française, puis restreintes aux affiliés du régime général de l’Assurance maladie (environ 59 millions de personnes, 89% de la population) afin d’exclure les affiliés à la MSA.
On ne dispose pas de données géographiques détaillées sur l’utilisation de pesticides ; cependant, celle-ci dépend considérablement du type de culture et d’élevage en termes de types de produits, fréquence ou mode de pulvérisation. Les activités agricoles ont donc été utilisées comme proxy de l’utilisation de pesticides. Les données sur les activités agricoles des cantons proviennent du recensement agricole. Ces données sont produites par le ministère de l’Agriculture environ tous les dix ans dans le but de décrire l’agriculture française ; l’utilisation des pesticides n’est pas renseignée. Comme la MP a une longue période de latence 20, le recensement agricole de 1988 a été utilisé pour l’analyse 21. Pour chaque canton, la superficie agricole utile (SAU) a été divisée par la superficie du canton afin de définir un indicateur de l’importance de l’agriculture (proportion de SAU). La proportion de terres agricoles consacrées à 13 cultures (superficie de la culture/SAU) a été calculée. Pour l’élevage (5 types), le nombre d’animaux par km² de terres agricoles a été calculé.
Un modèle de Poisson avec un intercept aléatoire au niveau du canton et prenant en compte la surdispersion a été utilisé afin de modéliser les SIRs en fonction des variables d’exposition et de calculer les risques relatifs (RR) ainsi que leurs IC95%. Tous les modèles sont ajustés sur le tabagisme (taux standardisés de tabagisme selon l’âge et le sexe dans chaque canton, estimés à partir du Baromètre santé 2005 22), un indice cantonal de désavantage social (1999) comme proxy du statut socioéconomique 23, la densité départementale de neurologues pour prendre en compte d’éventuelles disparités d’accès aux soins 24 et la proportion de SAU.
Afin d’examiner la relation entre les densités des cultures ou des élevages et l’incidence de la MP, deux approches complémentaires ont été utilisées :
–un modèle multivarié incluant l’ensemble des caractéristiques agricoles a été construit. Les variables caractérisant les 18 types d’agriculture ou d’élevage ont été catégorisées en 4 niveaux. Pour étudier les tendances linéaires, des variables ordinales ont été définies à partir des médianes de chacune des 4 catégories des variables précédentes. Pour prendre en compte les comparaisons multiples, une méthode de correction (FDR, « false discovery rate ») a été appliquée afin de calculer les valeurs des p-values ajustées (valeurs q) 25,26 ;
–les cantons étant caractérisés par une combinaison d’activités agricoles, une seconde approche a été de définir des groupes de cantons avec des activités agricoles similaires. Pour cela, l’algorithme des nuées dynamiques (k-means) a été utilisé afin de définir 6 clusters de cantons 27. Un modèle avec une variable catégorielle correspondant aux groupes de cantons avec des caractéristiques agricoles similaires a été construit ; le cluster de plus grande taille (cluster 4) a été utilisé comme référence. Les principales cultures des clusters sont :
–Cluster 1 : bovins, porcins, volailles, céréales, fourrages
–Cluster 2 : céréales, cultures industrielles, oléagineux
–Cluster 3 : vignes, légumes frais en plein air
–Cluster 4 : bovins, ovins, céréales, fourrages
–Cluster 5 : fleurs et plantes ornementales, légumes frais en plein air, cultures permanentes
–Cluster 6 : caprins, ovins
Pour les cultures présentant une association positive significative avec l’incidence de la MP, une hétérogénéité géographique en fonction de quatre régions (Nord-Est [NE], Sud-Est [SE], Nord-Ouest [NO], Sud-Ouest [SO]) a été recherchée.
Comme analyse de sensibilité, afin d’étudier l’influence de la migration, les cas dont le département de résidence, d’après les données d’hospitalisation, avait changé dans les cinq années précédant l’année d’incidence ont été exclus des analyses. Des analyses stratifiées par âge et sexe et à partir du recensement agricole de 2000 ont également été réalisées ; leurs résultats sont présentés en détail dans un article déjà publié 28.
Résultats
Métier d’agriculteur et incidence de la MP
En 2011-2012, 45 409 cas incidents de MP (52% hommes, 48% femmes) âgés de 55 ans et plus (âge médian 77,5 ans [EIQ=10]) ont été identifiés, dont 5 005 étaient affiliés à la MSA (11%) ; parmi ces derniers, 74% étaient des exploitants agricoles.
L’incidence de la MP était plus élevée chez les affiliés à la MSA que chez les affiliés aux autres régimes (RRMSA-total vs Non-MSA=1,09, p<0,001, tableau 1). Elle était plus élevée chez les exploitants agricoles par rapport aux personnes non affiliées à la MSA (RRMSA-exploitants vs non-MSA=1,13, p<0,001) et aux salariés agricoles (RRMSA-exploitants vs MSA-salariés=1,10, p=0,011). Il n’y avait pas de différence entre les salariés agricoles et les personnes non affiliées à la MSA (RRMSA-salariés vs Non-MSA=1,03, p=0,41).
La figure 1 présente les résultats des analyses stratifiées par âge. Il existait une interaction significative entre l’âge et l’appartenance au régime agricole (p<0,001). Les interactions entre le statut agricole et le sexe (p>0,45) et l’âge et le sexe (p>0,60) n’étaient pas statistiquement significatives. L’incidence de la MP était similaire parmi les affiliés à la MSA et parmi les affiliés des autres régimes chez les plus jeunes et les plus âgés. Elle était en revanche plus élevée parmi les affiliés à la MSA âgés de 65 à 84 ans (RRs 1,10-1,23) ; après ajustement sur le tabac, l’association diminuait mais restait statistiquement significative entre 70 et 84 ans (RRs 1,06-1,17). Chez les exploitants agricoles, cette tendance était plus prononcée, avec de plus fortes associations (RRs 1,15-1,30) entre 60 et 84 ans qui restaient significatives (sauf entre 65 et 69 ans) après ajustement externe sur le tabac (RRs 1,07-1,21). Dans le groupe des personnes âgées de 60 à 84 ans, le RR était de 1,18 [1,13-1,22] et de 1,09 [1,05-1,14] après ajustement sur le tabac. Quant aux salariés agricoles, l’interaction avec l’âge était statistiquement significative (p=0,027), mais l’association était restreinte au groupe des 70-74 ans.
Activités agricoles et incidence de la MP
Les analyses reposent sur 69 010 cas incidents en France métropolitaine (2010-2012) ; le nombre médian de cas par canton était de 12 (EIQ=15) et seuls 40 cantons (1,1%) n’avaient aucun cas incident. Parmi l’ensemble des cas, 53 745 étaient âgés de plus de 50 ans et affiliés au régime général ; le nombre médian de cas par canton était de 8 (EIQ=12) et 121 (3,3 %) cantons n’avaient aucun cas incident.
L’incidence de la MP augmentait progressivement (p de tendance linéaire <0,001) avec l’augmentation de la proportion de SAU (figure 2).
Le tableau 2 présente les résultats des analyses sur la relation entre les caractéristiques agricoles et l’incidence de la MP. En population générale, après prise en compte des tests multiples, l’incidence était plus élevée et augmentait progressivement avec la proportion de terres agricoles allouées à la viticulture ou avec une densité importante de caprins. Pour trois autres types d’agriculture (légumes frais sous serre, cultures industrielles, porcins), l’incidence était plus élevée dans les cantons où ces types d’agriculture étaient les plus présents après correction pour tests multiples, mais il n’y avait pas de tendance linéaire significative. L’association la plus forte a été observée pour les cantons avec les proportions de terres agricoles dédiées à la viticulture les plus élevées, avec une incidence de la MP plus élevée de 10% par rapport aux cantons sans viticulture (RRQ4=1,102 [1,049-1,158]). Cette association est retrouvée chez les hommes (RRQ4=1,085 [1,021-1,154]) et les femmes (RRQ4=1,121 [1,048-1,199] ; p-interaction=0,995) ; elle est plus forte parmi les patients ayant débuté la MP après 75 ans (RRQ4=1,158 [1,088-1,232]) par rapport aux patients plus jeunes (RRQ4=1,015 [0,957-1,078], p-interaction=0,05).
L’incidence de la MP était plus faible dans les cantons où les proportions de terres agricoles dédiées aux légumes et aux protéagineux et où les densités en ovins étaient les plus élevées. Cependant, les tests de tendance linéaire n’étaient pas significatifs. À l’inverse, pour les cultures oléagineuses pour lesquelles le test de tendance était statistiquement significatif, il n’existait pas de diminution significative de l’incidence dans les cantons avec la plus forte présence de ce type de culture.
Des résultats similaires étaient observés parmi les affiliés du régime général (tableau 2), notamment pour la viticulture (RRQ4=1,127 [1,070-1,187]). On observait également une association positive (quartile supérieur et tendance) pour les « autres cultures permanentes » (incluant les pépinières et arbres fruitiers : kiwis, figues, agrumes, baies rouges, noix).
Comparés aux cantons non-viticoles, il existait une augmentation de l’incidence de la MP dans les cantons viticoles dans les quatre zones géographiques (SO, SE, NO, NE), sans hétérogénéité significative entre les régions, que l’on retrouve de manière plus nette parmi les affiliés au régime général, en particulier dans les cantons de la région SO (tableau 3).
La figure 3 présente les résultats des analyses dans les clusters de cantons. L’incidence de la MP était significativement plus élevée dans le cluster viticole, le seul dont le SIR était au-dessus de la moyenne nationale.
Discussion
Cette étude, reposant sur l’ensemble de la population française métropolitaine, confirme que l’incidence de la maladie de Parkinson est plus élevée parmi les exploitants agricoles affiliés à la MSA que dans le reste de la population. En population générale et parmi la population non agricole, cette incidence augmente avec l’augmentation de la proportion de terres consacrées à l’agriculture au sein des cantons. Parmi les différents types d’activités agricoles, les cantons avec une forte densité de cultures viticoles étaient caractérisés par une incidence plus élevée de MP.
Métier d’agriculteur et incidence de la MP
Ces résultats sont cohérents avec ceux d’une méta-analyse en faveur d’une association entre le métier d’agriculteur et la MP 4. Des données épidémiologiques et toxicologiques suggèrent que l’exposition aux pesticides contribue à cette association 29. Trois méta-analyses récentes sont en faveur d’un lien entre l’exposition aux pesticides et la MP 4,30,31, avec des associations plus fortes pour l’exposition aux herbicides et insecticides 30.
Dans notre étude, la différence entre exploitants et salariés s’explique probablement par le fait que les salariés représentent un groupe hétérogène, comprenant les ouvriers agricoles et d’autres travailleurs peu exposés aux pesticides (employés administratifs notamment). De plus, en France, dans le passé et pour la majorité des cultures, les exploitants agricoles étaient traditionnellement plus impliqués dans la pulvérisation de pesticides que les salariés agricoles 13,15.
Le statut agricole n’était pas associé à la MP chez les personnes les plus jeunes et les plus âgées. Une composante génétique plus forte pour les formes de MP débutant à un âge jeune pourrait expliquer cette tendance 14. Pour les âges les plus avancés, des erreurs de classement sur le diagnostic ainsi que la sous-détection des cas pourraient jouer un rôle, surtout s’ils étaient plus fréquents chez les agriculteurs.
L’association avec la MP restait statistiquement significative après ajustement externe sur le tabagisme et dans les analyses comparant les exploitants aux salariés agricoles, plus susceptibles d’avoir des modes de vie similaires.
Même si de nombreux arguments sont en faveur du rôle de l’exposition professionnelle aux pesticides pour expliquer cette association, on ne peut exclure que d’autres facteurs, liés au métier ou à l’environnement agricole, soient impliqués.
Les principales limites de ces analyses sont liées au manque d’informations sur des facteurs de confusion et à la définition peu précise de certaines informations. En effet, il n’a pas été possible de caractériser les différentes activités des exploitants ni de distinguer, parmi les salariés, les ouvriers agricoles des employés administratifs. De plus, les données individuelles relatives au tabagisme n’étaient pas disponibles dans nos données ; cependant, nous avons conduit une analyse de sensibilité par ajustement externe et observé que la prise en compte du tabagisme n’expliquait pas complètement nos résultats.
Activités agricoles et incidence de la MP
Les résultats en population générale présentés ici sont cohérents avec deux méta-analyses montrant une association entre la vie en milieu rural et la MP 4,18. Dans les précédentes études, la vie en milieu rural était généralement auto-déclarée et définie comme une variable binaire. De plus, il n’était pas possible de distinguer le rôle de l’habitat rural de celui de l’exposition professionnelle aux pesticides plus fréquente en milieu rural. L’utilisation de la proportion cantonale de SAU comme marqueur de l’importance de l’agriculture a permis de constater que l’incidence de la MP augmentait avec l’augmentation de cet indicateur.
Quant aux types d’activités agricoles, l’association la plus forte et robuste était observée chez les personnes vivant dans les cantons ayant une présence importante de cultures viticoles. Une étude cas-témoins parmi des agriculteurs français de cinq départements a également retrouvé une association entre la MP et le fait d’avoir travaillé dans une exploitation viticole 6. La viticulture compte parmi les cultures les plus utilisatrices de pesticides. En France, en 2000, la viticulture représentait 3% de la SAU et consommait 20% des tonnages des pesticides, essentiellement en raison d’un usage important de fongicides et d’insecticides 3.
Même si elles sont moins fortes, des associations positives sont retrouvées avec d’autres activités, notamment les cultures permanentes et l’élevage de caprins. Une autre étude chez les agriculteurs français a montré une augmentation de la prévalence de la MP dans les cantons ayant une forte densité de cultures fruitières et permanentes 32. Ces cultures occupent moins de surface que la viticulture mais sont caractérisées par une utilisation importante de pesticides.
L’évaluation de l’exposition est l’une des principales difficultés des études épidémiologiques sur les effets des pesticides sur la santé. Ces difficultés sont liées au grand nombre de pesticides utilisés, souvent en association, aux tendances temporelles d’utilisation de pesticides et à l’évaluation rétrospective de l’exposition chez des personnes souvent âgées. Étant donné que l’agriculture est l’activité la plus fortement utilisatrice de pesticides et que le type de produits et l’intensité des applications dépendent fortement du type d’agriculture, une approche possible consiste à utiliser les activités agricoles comme indicateur indirect d’exposition. Des travaux antérieurs ont montré la présence de pesticides dans l’environnement (air, eau, sol, domestique) dans les régions agricoles 33,34,35,36 ; les mécanismes impliqués dans leur dispersion sont multiples et dépendent des conditions géologiques et climatiques, du type de produit et des conditions d’application 3. Notre interprétation est que les personnes vivant dans des zones caractérisées par des activités agricoles impliquant un usage important de pesticides pourraient être exposées aux pesticides, par exemple à leur domicile ou lieu de travail. Il est également possible que les personnes vivant en zone rurale soient exposées par le biais d’applications de pesticides pour le jardinage ou par la consommation de fruits et légumes provenant de jardins traités ou d’eau de puits contaminée.
L’analyse limitée aux affiliés du régime général nous a permis de vérifier que nos résultats ne s’expliquaient pas uniquement par l’exposition professionnelle aux pesticides des agriculteurs (environ 5% de la population). En France, moins de 10% des pesticides sont utilisés dans des secteurs non agricoles ; même si les travailleurs non agricoles peuvent être exposés aux pesticides, leur niveau d’exposition est généralement plus faible que celui des agriculteurs 2. Il est en outre possible que certains agriculteurs aient changé de profession et rejoint le régime général, mais la similitude des associations chez les hommes et les femmes 28 suggère que cela ne permettrait pas d’expliquer nos résultats car les hommes sont plus impliqués dans l’épandage de pesticides.
Conformément aux observations d’une étude parmi les agriculteurs français 5, l’association était plus forte parmi les sujets ayant développé la MP plus tardivement. Plusieurs explications pourraient contribuer à expliquer ce résultat. Premièrement, les facteurs de risque génétiques sont d’avantage associés à la survenue d’une MP à un âge jeune, alors que les facteurs de risque environnementaux joueraient un rôle plus important parmi les cas les plus âgés 14,37. Deuxièmement, l’usage et le type de pesticides ont considérablement évolué au cours du temps, et les personnes les plus âgées pourraient avoir été d’avantage exposées aux organochlorés 5 ou au paraquat 38 que les plus jeunes. Les insecticides organochlorés, pour lesquels des études sur l’exposition professionnelle ont montré une association avec la MP 5,39, ont tendance à s’accumuler dans les tissus adipeux et l’augmentation de leur niveau sérique est corrélée avec l’âge, les personnes les plus âgées ayant été plus fréquemment exposées 40,41. Enfin, si la durée d’exposition joue un rôle important, une plus longue exposition des personnes les plus âgées pourrait expliquer une association plus forte dans ce groupe.
Les principales forces de cette analyse sont sa grande taille et son caractère national. Elle a permis aussi d’analyser toutes les données d’incidence de la MP et de caractériser l’ensemble des contextes agricoles français. Sa principale limite est l’approche écologique. Afin de limiter le biais écologique, le canton a été utilisé comme unité géographique de petite taille, avec un nombre de cas suffisant. En plus de l’âge et du sexe, les analyses ont été ajustées sur un indice de désavantage social et sur la densité de neurologues. Le tabagisme a été mesuré à l’échelle écologique et une association inverse entre le tabagisme et l’incidence de la MP a été observée, sans qu’on puisse exclure un biais de confusion résiduel. Toutefois, plusieurs arguments ne sont pas en faveur d’un biais de confusion lié au tabac : d’une part, l’association avec la viticulture se retrouvait dans plusieurs zones géographiques avec des caractéristiques différentes, notamment en termes de comportements. D’autre part, pour que le tabac explique une association positive entre viticulture et MP, il faudrait qu’il soit spécifiquement associé inversement à la viticulture et non aux autres caractéristiques agricoles qui n’étaient pas associées à la MP. Enfin, l’association entre la MP et les caractéristiques agricoles était similaire chez les hommes et les femmes, or les femmes, notamment les plus âgées, ont moins souvent fumé que les hommes 19.
Une autre limite de nos travaux est l’étude de l’incidence en fonction des cantons de résidence au moment du diagnostic, car cette approche repose sur l’hypothèse que les personnes vivaient dans les mêmes cantons entre 1988 et l’année d’incidence. Pour expliquer les résultats, il faudrait que les cas de MP aient plus souvent déménagé dans des régions rurales ou viticoles que des personnes non malades et cela avant le début de la maladie, puisque les analyses reposent sur l’incidence. S’il n’existait pas de différence de migration entre les patients et les sujets indemnes de MP, celle-ci induirait un biais de classement non-différentiel et conduirait théoriquement à sous-estimer les associations. De plus, il est peu probable que la migration puisse expliquer les associations observées pour la viticulture dans plusieurs régions. L’exclusion des analyses des cas incidents ayant déménagé dans les cinq ans précédant le diagnostic a confirmé ces résultats 28.
En conclusion, cette étude nationale confirme la spécificité de la population professionnelle agricole vis-à-vis de la maladie de Parkinson. En outre, ses résultats suggèrent que l’exposition environnementale liée à l’utilisation agricole de pesticides pourrait être associée à la MP et que les cas de MP liés aux pesticides pourraient être plus nombreux que si seule l’exposition professionnelle était impliquée. Ces résultats doivent encore être confirmés par des études complémentaires afin de mieux caractériser le type d’exposition professionnelle et non professionnelle aux pesticides. Ils suggèrent que les régions avec certains types d’agriculture pourraient être plus particulièrement ciblées par ces études. De plus, les matrices cultures-expositions pourraient aider à une meilleure caractérisation des pesticides spécifiques impliqués dans ces associations.