Surveillance épidémiologique de la maladie de Parkinson en France

// Epidemiological surveillance of Parkinson’s disease in France

Marie Vidailhet
Département de neurologie, Hôpital de la Salpêtrière, AP-HP Paris, Sorbonne Université, Faculté de médecine ; CNRS UMR 7225, UMR S 1127, Institut du cerveau et de la moelle épinière, Paris, France

Les maladies neurologiques représentent aujourd’hui la principale cause d’invalidité et la deuxième cause de décès dans le monde 1. Parmi elles, la maladie de Parkinson (MP) est celle dont le nombre de cas a le plus augmenté entre 1990 et 2015 : il a plus que doublé 1. Cette augmentation est en partie expliquée par le vieillissement de la population et l’augmentation du nombre de personnes âgées, mais pas seulement puisque, sur cette période, le taux de prévalence standardisé sur l’âge a également augmenté d’environ 15% 1.

La MP est une maladie neurodégénérative caractérisée par des symptômes moteurs et non-moteurs, responsables d’une diminution de la qualité de vie et d’un retentissement important sur l’activité professionnelle et les liens sociaux et familiaux. Au fil de son évolution, les malades vont faire face à une augmentation du risque de dépendance, notamment en raison de complications motrices (dyskinésies, fluctuations, chutes) et cognitives (déclin cognitif, hallucinations, démence). Ainsi, la MP constitue un fardeau important, aussi bien sur le plan familial que social et économique. Les traitements mis en œuvre sont complexes, tant dans le domaine pharmacologique que par l’utilisation de dispositifs implantables (pompes avec infusions sous-cutanées ou intestinales, stimulation cérébrale profonde). Ceci nécessite une expertise spécifique et l’émergence de nouveaux métiers, avec la maîtrise des bénéfices et des risques des prises en charges médicales et médico-sociales, dans le respect d’un accès au soin égalitaire, en proximité et dans les centres de référence, grâce à un maillage du territoire.

Compte tenu de la gravité de la MP et du vieillissement de la population, il est important de pouvoir estimer le nombre de patients parkinsoniens en France, de décrire son évolution au cours du temps ainsi que la répartition géographique des malades, d’évaluer les conséquences de la pathologie, d’identifier des sous-groupes de patients nécessitant des prises en charge spécifiques et d’essayer de mieux comprendre l’étiologie de la maladie. Les politiques publiques ont besoin de réponses précises à ces questions pour pouvoir mettre en œuvre des mesures, qu’elles soient sanitaires ou médico-sociales, et allouer les moyens nécessaires à la prise en charge des patients et, idéalement, à la prévention de la maladie.

Depuis plusieurs années, Santé publique France s’est dotée d’un programme de surveillance des maladies neurodégénératives qui a consacré plusieurs travaux à la MP. Ils reposent principalement sur le Système national des données de santé (SNDS) et sont possibles grâce à un algorithme validé permettant d’identifier les patients parkinsoniens à partir des remboursements de médicaments antiparkinsoniens 2,3. Dans ce numéro du BEH, les travaux présentés ont pour objectif d’essayer d’apporter une réponse à certaines des questions soulevées ci-dessus.

F. Moisan et coll. ont estimé la prévalence et l’incidence de la MP entre 2010 et 2015 et présentent des chiffres détaillés par âge, sexe et région/département, qui seront mis à disposition de la communauté via une application Web. Fin 2015, le nombre de patients parkinsoniens traités était de l’ordre de 160 000, avec environ 25 000 nouveaux cas par an ; il est important de noter que près de 17% des nouveaux cas étaient âgés de moins de 65 ans. À l’aide d’un modèle statistique prenant en compte l’allongement de l’espérance de vie et les projections de la population française en 2030, et en faisant l’hypothèse d’une incidence constante, les auteurs estiment que le nombre de patients parkinsoniens aura augmenté de 56% en 2030 par rapport à 2015, avec une personne atteinte sur 120 parmi celles âgées de plus de 45 ans. Ces chiffres de prévalence représentent probablement une sous-estimation dans la mesure où certains patients ne sont pas diagnostiqués et ne sont donc pas traités, en particulier parmi les plus âgés.

Une grande cohorte se patients parkinsoniens a été constituée au sein du SNDS avec un suivi maximum de 7 ans (L. Carcaillon-Bentata et coll.). Le taux de mortalité de ces patients y était deux fois plus élevé que celui de la population générale, après prise en compte de l’âge et du sexe. Plus de 90% des décès ont lieu après 70 ans. Il est observé un impact plus important de la maladie sur le risque de mortalité chez les femmes et les patients jeunes. Il est important de poursuivre ces travaux pour identifier des facteurs pronostiques et des sous-groupes de patients qui pourraient faire l’objet de prises en charge spécifiques, afin d’essayer de prévenir des complications de la maladie associées à une mortalité plus élevée. Le suivi de cette cohorte va être étendu afin d’estimer le taux de mortalité des patients à plus long terme, et l’identification d’un groupe de sujets référents appariés permettra des comparaisons plus fines.

C. Ha et coll. ont documenté les causes de mortalité associées la MP et leur distribution régionale, grâce au travail réalisé à partir des certificats de décès en 2014. L’âge moyen de décès était de 84 ans, significativement plus élevé de 3,7 ans par rapport aux personnes décédées sans mention de MP. Le taux brut de mortalité augmentait rapidement avec l’âge après 65 ans. Les chutes et une démence, deux complications fréquentes de la MP, étaient retrouvées plus fréquemment comme causes initiales de décès parmi les patients parkinsoniens, tandis que les cancers étaient moins fréquents, probablement en raison de la plus faible prévalence du tabagisme chez ces patients. Les pneumopathies d’inhalation étaient mentionnées chez 15% des cas de MP versus 4% des personnes sans MP, avec un risque 4 fois plus important de décéder avec une pneumopathie chez les patients atteints de MP. Ces résultats incitent à une vigilance accrue face aux troubles de la déglutition et aux troubles de l’équilibre responsables de chutes. Ces résultats pourront être approfondis dans la cohorte de patients parkinsoniens par l’analyse des causes de décès lorsqu’elles seront disponibles dans le SNDS.

Enfin, S. Kab et coll. se sont intéressés à l’exposition aux pesticides comme facteur de risque de MP. Parmi ces produits phytopharmaceutiques, 90% sont dédiés à l’usage agricole, avec un risque plus élevé de MP de l’ordre de 10% chez les agriculteurs. Les auteurs abordent également la question du rôle de l’exposition non-professionnelle aux pesticides (exposition environnementale ou utilisation domestique). Pour l’ensemble de la population française, ils confirment que l’incidence de la MP est plus élevée parmi les exploitants agricoles. Un résultat original est la mise en évidence, à travers une étude épidémiologique, d’une augmentation de l’incidence de la MP en population générale dans les cantons français les plus agricoles, notamment les cantons viticoles, y compris après exclusion des agriculteurs de cette analyse. Une explication possible serait l’utilisation importante de pesticides dans ces cantons, qui aurait pour conséquence une exposition des riverains. Si le rôle de l’exposition non-professionnelle aux pesticides était confirmé dans la MP, la conclusion des auteurs est que « le nombre de cas de MP attribuable aux pesticides pourrait être plus élevé que si seule l’exposition professionnelle était impliquée ». Ces résultats justifient la surveillance de la MP chez les agriculteurs et la poursuite d’études sur le rôle de l’exposition non-professionnelle aux pesticides en population générale. Ils plaident également en faveur de la réduction de l’exposition aux pesticides des agriculteurs et des riverains des cultures, notamment viticoles.

Une caractéristique commune à ces travaux est leur caractère national. C’est un avantage important des bases de données médico-administratives (BDMA) pour l’identification de patients représentatifs de l’ensemble des malades (en termes de sexe, d’âge, de lieu de résidence, etc.) et, par conséquence, pour la surveillance des maladies. En effet, le nombre de patients identifiés par les études de cohorte est habituellement limité et ils ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la population française. Une force des études présentées dans ce BEH est qu’elles reposent sur un grand nombre de patients, permettant la recherche d’interactions et des analyses par sous-groupes. Les BDMA ont toutefois des limites, notamment l’absence de données sur des facteurs de confusion importants comme les comportements de santé qui sont, quant à elles, disponibles dans les études de cohorte.

Les travaux présentés ici ont une portée majeure en termes descriptifs pour la population française et ils ouvrent de nombreuses perspectives, à moyen et long terme, pour la santé publique : identification des trajectoires de soins des patients atteints de MP pour mieux planifier et améliorer leur prise en charge sanitaire et sociale aux moments charnières, repérage de sous-groupes de patients pouvant donner lieu à des actions préventives ou curatives ciblées, caractérisation d’interactions entre facteurs socioéconomiques et environnementaux pour le risque et l’évolution de la MP et mesure de l’influence de facteurs non spécifiques (par exemple sociaux, comme l’isolement, ou comportementaux, comme l’alimentation et l’activité physique).

Il s’agit d’enjeux sociétaux et économiques face à une population à risque ou malade : aménagement de l’habitat puis accompagnement de la dépendance et réduction des facteurs de risque de morbidité et de mortalité, dans un contexte de vieillissement de la population et alors que le nombre de patients parkinsoniens pourrait augmenter jusqu’à atteindre, en 2030, une personne sur 120 parmi les plus de 45 ans.

Références

1 GBD 2015 Neurological Disorders Collaborator Group. Global, regional, and national burden of neurological disorders during 1990-2015: A systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2015. Lancet Neurol. 2017;16(11):877-97.
2 Moisan F, Gourlet V, Mazurie JK, Dupupet JL, Houssinot J, Goldberg M, et al. Prediction model of Parkinson’s disease based on antiparkinsonian drug claims. Am J Epidemiol. 2011;174(3):354-63.
3 Moisan F, Elbaz A. Maladie de Parkinson parmi les affiliés à la Mutualité sociale agricole dans cinq départements. Modèles prédictifs à partir des bases de remboursement de médicaments. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; 2012. 66 p. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=10388

Citer cet article

Vidailhet M. Éditorial. Surveillance épidémiologique de la maladie de Parkinson en France. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(8-9):126-7. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/8-9/2018_8-9_0.html