La tuberculose, plus que jamais une maladie d’actualité

// Tuberculosis, more than ever a reality

Arnaud Trébucq, MD, MPH
Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires

En 1920, lors de la séance inaugurale célébrant la création de L’Union internationale contre la tuberculose, le Pr Léon Bernard, premier président de cette association, déclarait : « Il est nécessaire que tous les pays souhaitant l’éradication de la tuberculose décident entre eux des méthodes à employer, s’accordent sur le choix des armes les plus efficaces et fassent front ensemble à l’ennemi commun… Mais, avant tout, il faut que les chercheurs puissent cerner complètement le problème afin de transmettre aux gouvernements l’information nécessaire ». Les expressions guerrières correspondaient à l’époque, mais le rôle fondamental de l’État pour une lutte efficace contre la tuberculose était mis en avant. Pratiquement 100 ans plus tard, c’est toujours d’actualité, et c’est une bonne chose que la lutte antituberculeuse soit reconnue comme étant de la compétence de l’État et que le rôle essentiel des Centres de lutte antituberculeuse (Clat) soit affirmé.

Après avoir cru dans les années 1980 que la tuberculose allait disparaître d’elle-même et ne nécessitait plus une attention particulière, on a vu au début des années 1990 une recrudescence de cette affection, qui a demandé une remobilisation des services de santé dans le monde entier, notamment après le cri d’alerte de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1993, qui a déclaré « l’état d’urgence face à la tuberculose » 1. Cette mobilisation internationale se poursuit au travers des financements sans précédent du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, auquel la France est le deuxième contributeur historique. Tout récemment, en novembre 2017, une conférence ministérielle mondiale pour mettre fin à la tuberculose, première du genre, a été organisée à Moscou, réunissant 75 ministres de la Santé 2. Elle a reconnu que la tuberculose est aujourd’hui la maladie infectieuse la plus meurtrière au niveau mondial, que les conséquences économiques et sociales en sont considérables et que la tuberculose multirésistante représente un grave danger.

Ce BEH permet de faire le point sur l’organisation de la lutte en France, les tendances et la situation actuelle de l’épidémie. L’évaluation régulière du fonctionnement des services et de leurs résultats est reconnue comme un élément indispensable pour une lutte efficace contre la tuberculose. La standardisation des rapports des Clat, l’enquête annuelle de la Direction générale de la santé (voir l’article de G. Lailler et coll. dans ce numéro), la compilation des données de dépistage, de notification et des issues de traitement sont des activités essentielles.

Si la tuberculose a bien diminué en France entre 2008 et 2014, elle peut concerner toutes les populations, comme le montre la mini-épidémie récente dans un lycée des Pyrénées-Atlantiques (S. Pueyo et coll.). Ce sont cependant les populations les plus précaires qui payent le plus lourd tribut, et la recrudescence du nombre de cas à Paris en 2016, après une baisse régulière les années précédentes (F. Antoun et coll.), traduit ce que tout le monde peut voir dans les rues de la capitale : la multiplication de la mendicité et des personnes sans logement. La tuberculose a toujours été un indicateur sensible des problèmes de société.

Avec 7,2 cas de tuberculose déclarés pour 100 000 habitants, la France se situe dans la moyenne des pays de l’Europe de l’Ouest, définis comme la Communauté européenne avant l’an 2000 : médiane 6,9, extrêmes 3,7-17,9. Ces chiffres sont toujours nettement plus élevés pour les pays d’Europe de l’Est ayant rejoint la Communauté après 2000 : médiane 11,6, extrêmes 4,6-64,0 3.

La surveillance des issues de traitement a été instaurée en France en juillet 2007. Le pourcentage de cas déclarés analysés est passé de 60% en 2008 à 71% en 2014 ; de même, le taux de traitement achevé parmi les malades dont l’issue de traitement est connue a légèrement augmenté, de 73% en 2008 à 77% en 2014 (J.P. Guthmann et coll.). Ces progrès sont réels, mais encore très insuffisants, d’autant qu’en prenant les définitions de l’OMS, le dénominateur pour les issues de traitement ne doit pas être le nombre de cas analysés, mais le nombre de cas déclarés. Pour 2014, cela donnerait 2 580 traitements achevés sur 4 888 cas déclarés, soit un taux de succès thérapeutique de 53% seulement. La France serait alors classée en queue du peloton des pays d’Europe de l’Ouest, juste devant la Finlande et le Danemark. Ceci ne correspond probablement pas à la réalité car, parmi les malades « non évalués », il est plus que probable qu’un certain nombre d’entre eux soient guéris. D’où l’importance capitale d’améliorer le taux de complétude des recueils si on veut une analyse exacte des résultats de traitement. Il faut cependant remarquer que plusieurs pays européens (Espagne, Grèce, Italie, Luxembourg) ne publient pas de résultats d’issues de traitement. Le système de suivi apparaît plus performant en Europe de l’Est, où plus de la moitié des pays indiquent un taux de succès thérapeutique supérieur à 80%.

Il semble que les Clat pourraient être mis bien davantage à contribution pour améliorer les informations sur les issues de traitement. Les exemples de Paris et des Pyrénées-Atlantiques présentés dans ce numéro montrent que les Clat sont capables de conduire de manière presque exhaustive les enquêtes de dépistage autour des cas, et qu’ils sont donc bien impliqués dans le suivi des malades, même s’ils ne sont pas à l’origine du diagnostic et de la mise au traitement. Sans que les Clat soient forcément directement responsables du suivi clinique des patients, les informations sur le devenir de ces derniers pourraient être collectées par ce réseau, permettant une analyse beaucoup plus précise de la qualité du suivi et, simultanément, une probable amélioration de celui-ci.

Les objectifs internationaux en matière de tuberculose sont très élevés et reprennent ceux du Pr Léon Bernard : l’OMS a développé la « End-TB strategy » dont les indicateurs mondiaux sont, en 2035, la diminution de 95% par rapport à 2015 du nombre de morts dus à la tuberculose et de 95% de son incidence, pour parvenir à moins de 10 cas pour 100 000 habitants 4. La France, comme la plupart des pays à revenu élevé, a déjà atteint ce seuil d’incidence, mais tant que le problème ne sera pas résolu dans les pays à forte prévalence, une très grande vigilance est toujours nécessaire d’autant que dans nos pays, les cas importés représentent la majorité des cas déclarés.

Références

1 WHO Global Tuberculosis Programme. TB: a global emergency. WHO report on the TB epidemic. 1994. 32 p. http://apps.who.int/iris/handle/10665/58749
2 OMS. Centre des médias. Nouvel engagement mondial pour mettre fin à la tuberculose, 17 novembre 2017. http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2017/commitment-end-tuberculosis/fr
3 World Health Organization. Global tuberculosis report. Geneva, Switzerland: WHO, 2017. 262 p. http://www.who.int/tb/publications/global_report/en
4 World Health Organization. Implementing the End TB strategy: the essentials. Geneva, Switzerland: WHO, 2015. 130 p. http://www.who.int/tb/publications/2015/The_Essentials_to_End_TB/en/

Citer cet article

Trébucq A. Éditorial. La tuberculose, plus que jamais une maladie d’actualité. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(6-7):94-5. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/6-7/2018_6-7_0.html