Prise en charge des patients avec troubles anxieux entre 2010 et 2014 dans les établissements ayant une autorisation en psychiatrie en France métropolitaine : analyse des données du RIM-P

// Hospitalization and ambulatory care of patients with anxiety disorders in public psychiatric settings in metropolitan France from 2010 to 2014: Analysis of medical administrative data from the RIM-P database

Christine Chan Chee (christine.chan-chee@santepubliquefrance.fr), Lynda Badjadj
Santé publique France, Saint-Maurice, France
Soumis le 04.06.2018 // Date of submission: 06.04.2018
Mots-clés : Troubles anxieux | Hospitalisation | Prise en charge ambulatoire
Keywords: Anxiety disorders | Hospitalization | Ambulatory care

Résumé

Introduction –

Les troubles anxieux regroupent un ensemble de pathologies anxiophobiques et de pathologies de l’adaptation à un facteur de stress. L’objectif est de décrire les patients atteints de ces troubles et pris en charge dans un établissement de santé ayant une autorisation d’activité en psychiatrie en France métropolitaine.

Méthodes –

Ont été incluses dans l’analyse toutes les personnes, hospitalisées ou prises en charge en ambulatoire dans des établissements ayant une autorisation en psychiatrie, pour lesquelles au moins un trouble anxieux (codes CIM-10 F40 à F48) a été noté en diagnostic principal ou associé. Les données de 2010 à 2014 ont été extraites de la base nationale de recueil d’informations médicalisé en psychiatrie (RIM-P).

Résultats –

Entre 2010 et 2014, 1 351 649 patients ont été pris en charge pour troubles anxieux. Dans environ 9 cas sur 10, le diagnostic de troubles anxieux était noté en diagnostic principal. Au cours de ces cinq années, une augmentation annuelle de 3,6% du taux de prise en charge pour troubles anxieux a été observée chez les femmes (p<0,001) et de 3,7% chez les hommes (p<0,001). Les augmentations de ces taux concernaient les réactions à un facteur de stress important et troubles de l’adaptation (F43) ainsi que les troubles anxieux autres que phobiques (F41), tandis que les troubles phobiques (F40), troubles obsessionnels compulsifs (TOC, F42) et troubles somatoformes (F45) étaient stables dans le temps. En 2014, le taux de prise en charge était de 670,3 pour 100 000 personnes (780,0 chez les femmes et 553,5 chez les hommes). Plus de la moitié des patients pris en charge pour troubles anxieux présentaient des réactions à un facteur de stress important et troubles de l’adaptation (F43). Quelle que soit la pathologie anxieuse étudiée, à l’exception des TOC qui concernaient autant les deux sexes, les femmes étaient plus souvent prises en charge que les hommes, avec un pic chez les jeunes filles de 15-19 ans. Chez les hommes comme chez les femmes, des taux de prise en charge pour troubles anxieux supérieurs de 20% au taux national ont été observés dans les régions du nord de la France (Bretagne, Normandie, Hauts-de-France et Grand Est).

Conclusion –

Face à une augmentation de recours aux soins pour certains troubles anxieux au cours de ces dernières années, une surveillance épidémiologique devrait être mise en place à l’aide d’enquêtes et d’analyses des bases de recours aux soins. Le repérage dès l’enfance ou l’adolescence serait nécessaire afin d’instaurer une prise en charge précoce et éviter la chronicisation des troubles, le développement des comorbidités et les conduites suicidaires.

Abstract

Introduction –

Anxiety disorders are a group of disorders including phobia, panic attacks, obsessive and adjustment disorders. The aim of this study is to describe patients with such anxiety disorders in psychiatric facilities in metropolitan France.

Methods –

All patients hospitalized or managed in ambulatory care in psychiatric public settings between 2010 and 2014 with at least one principal or secondary diagnosis for anxiety disorders (ICD-10 codes F40 to F48) were included through an analysis of the French national hospital database in psychiatry (RIM-P).

Results –

Between 2010 and 2014, 1,351,649 patients were hospitalized or in ambulatory psychiatric care for anxiety disorders. The diagnosis of anxiety disorder was reported as the main diagnosis in about 90% of the patients. There was a significant annual increase of 3.6% in the rates for females (p<.001) and 3.7% in the rates for males (p<.001) between 2010 and 2014. This increase was due to an increase in reactions to severe stress, and adjustment disorders (F43) and in other non-phobic anxiety disorders (F41) while phobic anxiety disorders (F40), obsessive-compulsive disorders (OCD, F42) and somatoform disorders (F45) showed stable rates. In 2014, the standardized rate of psychiatric care for anxiety disorders was 670.3 per 100,000 inhabitants (780.0 in women and 553.5 in men). More than 50% of the patients hospitalized or in ambulatory psychiatric care for anxiety disorders had a diagnosis of reactions to severe stress and adjustment disorders (F43). All anxiety disorders except OCD showed higher rates in females than in males with the highest rates observed in 15 to 19 year-old females. For both males and females, standardized rates of psychiatric healthcare for anxiety disorders 20% higher than the national rate were found in the northern regions of France: Britany, Normandy, Hauts-de-France and Grand-Est.

Conclusion –

The increase in psychiatric care for anxiety disorders in the past years should encourage the implementation of their epidemiological surveillance through epidemiological studies and analyses of medical administrative databases. Prevention strategies should also be carried out including early detection and management of these disorders to prevent risk of chronicity, development of comorbidities and suicidal conducts.

Introduction

Les troubles anxieux recouvrent un ensemble de syndromes anxiophobiques, obsessionnels et adaptatifs qui en font des troubles psychiatriques fréquemment rencontrés en population générale et en médecine générale 1. Des états de stress ou d’anxiété peuvent émerger à certaines périodes de la vie mais ces symptômes ne constituent un diagnostic de trouble anxieux que s’ils persistent pendant au moins six mois et entravent le bon fonctionnement de la vie quotidienne 2. Les personnes atteintes présentent une anxiété intense, prolongée et excessive par rapport à la menace réelle. Les troubles anxieux sont plus fréquemment rencontrés chez les femmes que chez les hommes et les symptômes apparaissent généralement dans l’enfance et l’adolescence (pour les phobies et troubles obsessionnels) ou au début de l’âge adulte (pour l’anxiété généralisée) 2. Il existe très souvent une comorbidité entre les différentes entités de troubles anxieux, ainsi qu’entre ces derniers et la dépression, la consommation abusive d’alcool ou les affections physiques, notamment cardiovasculaires et asthmatiques 2. De plus, leur lien avec un risque suicidaire élevé est bien établi 3,4.

Les recherches épidémiologiques ont porté essentiellement sur certaines entités de ces troubles : troubles paniques, phobiques, anxiété généralisée (TAG), obsessionnel compulsif (TOC) et état de stress post-traumatique (ESPT), alors que, dans la 10e révision de la classification internationale des maladies de l’OMS (CIM-10), l’ensemble des troubles anxieux regroupés sous le libellé « troubles névrotiques, troubles liés à des facteurs de stress et troubles somatoformes » comprenait aussi d’autres pathologies, dont des réactions au stress autres que l’ESPT et des troubles somatoformes 5. En France métropolitaine, deux enquêtes épidémiologiques nationales ont estimé la prévalence de certains troubles anxieux en population générale adulte. Selon les questionnaires utilisés et la méthodologie d’enquête, la prévalence déclarée allait du simple au double. Dans l’étude ESEMeD (European Study on Epidemiology of Mental Disorders) conduite entre 2001 et 2003, la prévalence déclarée des troubles anxieux au cours des douze derniers mois avait été estimée en France à 9,8%, répartis en TAG (2,1%), trouble panique (1,2%), ESPT (2,2%), agoraphobie (0,6%), phobie sociale (1,7%) et phobie spécifique (4,7%) 6, tandis que l’enquête Santé mentale en population générale (SMPG) menée entre 1999 et 2003 retrouvait une prévalence de 21,6% au cours des six derniers mois : TAG (12,8%), trouble panique (4,2%), ESPT (0,7%), agoraphobie (2,1%) et phobie sociale (4,3%) 7.

Au-delà de l’analyse des prévalences, dans la mesure où les pathologies anxieuses entraînent des difficultés de fonctionnement dans la vie personnelle, sociale, professionnelle et nécessitent souvent un recours aux soins, il semble important d’étudier les caractéristiques des patients pris en charge pour ces troubles. L’objectif de la présente étude est de compléter les données déclaratives sur les troubles anxieux par des données issues de bases médico-administratives sur leur prise en charge dans des établissements de santé. Ainsi, dans le cadre de la surveillance des troubles psychiatriques, nous avons décrit les patients hospitalisés, ou pris en charge en consultation ambulatoire non libérale, pour troubles anxieux au cours des années 2010 à 2014 dans des établissements de santé ayant une activité autorisée en psychiatrie en France métropolitaine.

Matériel et méthode

Le Recueil d’informations médicalisé pour la psychiatrie (RIM-P) enregistre depuis 2007 toutes les activités des établissements de santé ayant une autorisation en psychiatrie, dénommés ci-après établissements psychiatriques. Depuis 2010, l’exhaustivité du RIM-P est suffisante pour en analyser les données 8. Sont renseignés dans le RIM-P les hospitalisations à temps plein ou à temps partiel en établissement psychiatrique privé ou public ainsi que les soins ambulatoires en établissement public 9. Les soins psychiatriques ambulatoires dans le secteur libéral n’y sont donc pas inclus.

Dans le RIM-P, les pathologies sont distinguées en diagnostic principal ou diagnostics associés codés selon la CIM-10 5. Regroupées dans le chapitre V « Troubles mentaux et du comportement » sous les codes F40 à F48, les différentes entités composant ce chapitre sont :

les troubles anxieux phobiques (F40) ;

les autres troubles anxieux (F41) regroupant les troubles paniques (F41.0), TAG (F41.1), troubles anxieux et dépressifs mixtes (F41.2), autres troubles anxieux mixtes (F41.3) et troubles anxieux non spécifiés (F41.8 et F41.9) ;

le TOC (F42) ;

la réaction à un facteur de stress important et troubles de l’adaptation (F43), qui distinguent la réaction aiguë à un facteur de stress (F43.0), l’ESPT (F43.1), les troubles de l’adaptation (F43.2) et les autres réactions à un facteur de stress sévère (F43.8 et F43.9) ;

les troubles dissociatifs (F44) ;

les troubles somatoformes (F45) ;

les autres troubles névrotiques (F48).

Toutes les personnes domiciliées en France métropolitaine hospitalisées ou prises en charge en ambulatoire dans des établissements psychiatriques de France métropolitaine entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2014 avec des troubles anxieux en diagnostic principal (DP) ou diagnostic associé (DA) ont été incluses dans l’analyse. Notre objectif étant de rendre compte des caractéristiques de l’ensemble des patients pris en charge pour troubles anxieux, nous avons fait le choix d’inclure les patients dont les troubles étaient notés en DP ou DA. De fait, les DA étaient rarement renseignés. Pour la grande majorité des patients (entre 88% et 93% selon les années), le diagnostic de troubles anxieux était noté en DP.

Une procédure de chaînage permet de relier les différentes hospitalisations à un même patient grâce à un numéro d’identification unique. Ce chaînage s’est amélioré avec le temps passant de 95% des hospitalisations correctement reliées en 2010 à 98% en 2014. Par ailleurs, les hospitalisations et les prises en charge ambulatoires d’un même patient peuvent aussi être reliées au sein d’une même entité juridique. Après exclusion des séjours en hospitalisation complète ou partielle, dont l’identifiant patient n’est pas valide, les données de 1 351 649 patients atteints de troubles anxieux durant les cinq années d’étude ont été analysées.

Dans un premier temps, nous avons quantifié le nombre annuel de patients souffrant de troubles anxieux pris en charge en établissement de santé et calculé les taux standardisés annuels correspondants par la méthode de standardisation directe, en prenant la structure par âge de la population européenne de l’année 2010 comme référence 10. L’ensemble des taux présentés sont des taux standardisés. L’évolution des taux annuels a été calculée par un modèle de régression négative binomiale ajusté sur l’âge et le sexe 11.

Dans un deuxième temps, nous avons analysé de façon plus détaillée les caractéristiques des patients pris en charge en 2014 selon le sexe, l’âge et la région de résidence.

Résultats

Évolution entre 2010 à 2014

Le nombre de patients pris en charge annuellement pour troubles anxieux est passé de 353 000 en 2010 à 427 000 en 2014 (ces troubles étaient notés en DP pour 310 000 patients en 2010 et 375 000 en 2014). Dans la suite de l’article, les résultats sont donnés pour les troubles anxieux notés en DP ou DA. Les femmes représentaient chaque année 60% de l’ensemble des patients pris en charge pour troubles anxieux, soit 209 000 en 2010 et 253 500 en 2014.

La figure 1 montre les taux standardisés des patients pris en charge pour troubles anxieux selon le sexe. Chez les femmes, ce taux est passé de 651 pour 100 000 en 2010 à 780 pour 100 000 en 2014, soit une augmentation significative de 3,6% par an (p<0,001). Chez les hommes, les taux allaient de 462 pour 100 000 en 2010 à 554 pour 100 000 en 2014, soit une augmentation annuelle significative de 3,7% (p<0,001).

Figure 1 : Taux de patients pris en charge pour l’ensemble des troubles anxieux dans les établissements ayant une activité autorisée en psychiatrie en France métropolitaine entre 2010 et 2014, selon le sexe
Agrandir l'image

Selon les entités diagnostiques, les évolutions des taux annuels n’étaient pas les mêmes. L’augmentation la plus importante était observée pour les réactions à un facteur de stress et troubles de l’adaptation (F43), avec une augmentation annuelle de 5,9% chez les hommes (p<0,001) et de 5,5% chez les femmes (p<0,001). Les taux annuels des troubles anxieux autres que phobiques (F41) ont augmenté de 3,4% chez les hommes (p<0,001) et de 4,0% chez les femmes (p<0,001), tandis que ceux des troubles phobiques (F40), TOC (F42) et troubles somatoformes (F45) sont restés stables dans le temps. Les taux des troubles dissociatifs de conversion (F44) étaient stables chez les hommes mais ont diminué de 5,6% par an chez les femmes (p<0,001), et les taux des autres troubles névrotiques (F48) ont diminué de 3,6% par an chez les hommes (p<0,001) et de 3,0% par an chez les femmes (p<0,001).

Caractéristiques des patients en 2014

Répartition des troubles et de leur prise en charge

La répartition des différents troubles est présentée dans le tableau. Parmi l’ensemble des patients pris en charge pour troubles anxieux, la moitié présentaient des réactions à un facteur de stress important et troubles de l’adaptation (F43), en particulier un tiers des patients avaient des troubles de l’adaptation (F43.2) et 4,5% un diagnostic d’ESPT (F43.1). Les troubles anxieux autres que phobiques (F41) regroupaient 40% des patients dont 13% présentaient des troubles anxieux et dépressifs mixtes (F41.2). Enfin, chacune des autres entités représentait moins de 5% des patients : troubles phobiques (F40) 4,8%, TOC (F42) 3,3%, troubles dissociatifs (F44) 0,9%, troubles somatoformes (F45) 2,7% et les autres troubles névrotiques (F48) 3,7%.

Tableau : Répartition des troubles anxieux pris en charge en 2014 dans les établissements ayant une activité autorisée en psychiatrie en France métropolitaine et taux selon le sexe
Agrandir l'image

Les patients avec troubles anxieux était essentiellement pris en charge en ambulatoire. En 2014, le suivi ambulatoire exclusif concernait 80% des patients, 12% ont été hospitalisés et suivis en ambulatoire, tandis que seuls 8% ont été hospitalisés sans suivi ambulatoire. Avant l’âge de 15 ans, la prise en charge s’effectuait quasi exclusivement en ambulatoire (>95%). Cette répartition n’était pas différente selon les années ni selon le trouble pris en charge.

La comorbidité entre différentes entités de troubles anxieux était peu souvent codée (chez moins de 5% des patients). La comorbidité entre troubles anxieux et d’autres troubles psychiatriques a été approchée par leur prise en charge concomitante au cours d’une même année. Parmi les patients pris en charge pour troubles anxieux, 14% (12,5% chez les hommes et 15,5% chez les femmes) l’ont aussi été pour troubles de l’humeur. De même, respectivement 3,4%, 1,8% et 2,6% des patients pris en charge pour troubles anxieux l’ont aussi été pour des troubles psychotiques, pour schizophrénie et pour des troubles mentaux ou du comportement liés à la consommation d’alcool.

Taux de prise en charge des troubles

En 2014, le taux de prise en charge pour l’ensemble des troubles anxieux était de 670,3 pour 100 000 personnes. Ce taux était 1,4 fois plus important chez les femmes que chez les hommes, respectivement 780,0 et 553,5 (tableau). Quelle que soit la pathologie étudiée (à l’exception des TOC), le taux de prise en charge des femmes était plus élevé que celui des hommes ; le ratio femmes/hommes allait de 1,0 pour les TOC à 3,2 pour les troubles dissociatifs de conversion. Parmi l’ensemble des troubles anxieux, le taux de prise en charge pour troubles réactionnels à des événements stressants (F43) était le plus important et concernait 335,7 personnes sur 100 000 répartis en 215,8 sur 100 000 pour des troubles de l’adaptation (F43.2), 48,4 sur 100 000 pour une réaction aiguë au stress (F43.0) et 30,5 sur 100 000 pour l’ESPT (F43.1). Le taux de prise en charge des troubles phobiques (F40) était de 31,6 pour 100 000 personnes. Les troubles anxieux autres que phobiques (F41) concernaient 262,3 personnes sur 100 000, parmi lesquels les troubles mixtes anxiodépressifs représentaient 85,0 pour 100 000, les TAG 47,4 pour 100 000 et les troubles paniques 22,0 pour 100 000. Pour les TOC, le taux de prise en charge était de 22,1 pour 100 000.

Répartition par sexe et âge

La figure 2 présente les taux de prise en charge des troubles anxieux et de leurs entités selon le sexe et l’âge. Quel que soit l’âge, la prise en charge des troubles anxieux concernait davantage les femmes que les hommes, à l’exception des TOC qui concernaient autant les deux sexes. Quelle que soit l’entité étudiée, un pic du taux de prise en charge chez les jeunes filles de 15-19 ans a été observé. Pour l’ensemble des troubles anxieux, ce taux était de 1 159 pour 100 000, c’est-à-dire qu’en 2014 une jeune fille de 15-19 ans sur 100 a été prise en charge pour troubles anxieux dans un établissement psychiatrique. Ce taux affichait ensuite une légère diminution avec l’âge chez les jeunes adultes, puis sa relative stabilisation entre 30 et 54 ans (moyenne de 970 pour 100 000 chez les femmes et 700 pour 100 000 chez les hommes) et une décroissance jusqu’à 65 ans. Après 65 ans, les taux se sont stabilisés à une moyenne de 560 pour 100 000 chez les femmes et 300 pour 100 000 chez les hommes. Aux âges plus avancés, ces taux remontaient légèrement chez les hommes.

Figure 2 : Taux de patients pris en charge pour les troubles anxieux et ses différentes entités en 2014 dans les établissements ayant une activité autorisée en psychiatrie en France métropolitaine, selon l’âge et le sexe
Agrandir l'image

Considérant les différentes entités, les taux de prise en charge pour troubles phobiques (F40) et TOC (F42) étaient relativement faibles et diminuaient avec l’avancée en âge. A contrario, les taux de prise en charge pour les autres troubles anxieux (F41) et pour des troubles réactionnels au stress et de l’adaptation (F43) sont restés à des niveaux élevés jusqu’à l’âge de 50-54 ans et, après une décroissance, ils sont remontés jusqu’aux âges les plus avancés, en particulier chez les hommes.

Répartition par sexe et région

En 2014, les taux standardisés de patients pris en charge pour troubles anxieux pour 100 000 variaient de 386 en Île-de-France à 803 en Grand Est chez les hommes, et de 529 en Île-de-France à 1 159 en Grand Est chez les femmes (figure 3). Les régions du nord de la France (Bretagne, Normandie, Hauts-de-France et Grand Est) avaient des taux supérieurs de 20% à la moyenne nationale chez les hommes comme chez les femmes. À l’opposé, nous retrouvons des taux inférieurs d’au moins 10% au taux national en Île-de-France, Corse, Auvergne-Rhône-Alpes et Centre-Val-de-Loire pour les deux sexes, et en Paca uniquement chez les femmes.

Figure 3 : Taux standardisés (pour 100 000) de patients pris en charge pour troubles anxieux en 2014 dans les établissements ayant une activité autorisée en psychiatrie en France métropolitaine, selon la région et le sexe
Agrandir l'image

Discussion

À notre connaissance, il s’agit de la première étude nationale sur la prise en charge des troubles anxieux dans les établissements psychiatriques. Dans ce travail, nous avons fait le choix d’intégrer l’ensemble des patients dont le diagnostic de trouble anxieux était noté en DP ou DA car notre objectif était d’être le plus exhaustif possible sur le nombre de patients souffrant de ces troubles au moment de leur prise en charge en établissement psychiatrique : d’après le guide méthodologique pour la production du RIM-P, un DA correspond à une morbidité associée au DP, ayant contribué à alourdir la prise en charge (1). Chez la grande majorité des personnes prises en charge, le trouble anxieux était noté en DP. Entre 2010 et 2014, cette prise en charge a connu une augmentation de plus de 3% par an chez les hommes comme chez les femmes. Il ne semble pas que cette augmentation puisse être expliquée par l’amélioration de l’exhaustivité des données du RIM-P, car dans une étude antérieure utilisant la même méthodologie avec l’analyse en DP et DA, nous avons montré que la prise en charge des troubles dépressifs était stable dans ces établissements au cours de ces mêmes années 9.

Par contre, nous ne pouvons exclure que cette augmentation soit partiellement due à une amélioration de la qualité du codage et de la caractérisation des troubles. Toutefois, cette augmentation ne concernait que les réactions au stress important et troubles de l’adaptation (F43) ainsi que les troubles anxieux non phobiques (F41).

En 2014, 427 000 patients ont été pris en charge pour troubles anxieux soit 670,3 pour 100 000 personnes. Ce taux était plus élevé que celui des troubles dépressifs (565 pour 100 000) 9, ce qui montre que les troubles anxieux représentent des pathologies pour lesquelles les prises en charge en établissement psychiatrique sont très fréquentes bien qu’il ne soit pas possible d’extrapoler ces résultats à la prévalence de ces pathologies. Toutefois, celles prises en charge dans les établissements psychiatriques constituent vraisemblablement les catégories les plus graves et handicapantes dans la vie quotidienne.

Le degré de sévérité n’est pas documenté dans les bases médico-administratives et cette interprétation est basée sur les données déclaratives d’enquête. En effet, dans ESEMeD, seules 26% des personnes qui avaient un diagnostic de troubles anxieux selon le questionnaire diagnostique Composite International Diagnosis Interview 12 avaient eu recours à une prise en charge et parmi elles, seulement 22% par l’intermédiaire d’un psychiatre contre 57% par un médecin généraliste 13. Dans cette même enquête, les personnes ayant déclaré avoir recours à une prise en charge par des professionnels de santé mentale avaient aussi déclaré une moins bonne qualité de vie et un nombre plus important de jours d’arrêt de travail que les personnes n’ayant pas de troubles psychiatriques, ou celles avec troubles psychiatriques mais n’ayant pas eu recours aux professionnels de santé mentale 14. Bien qu’un « diagnostic » posé lors d’une enquête déclarative n’implique pas un besoin de soins, ces quelques données déclaratives montrent qu’il y a demande de prise en charge en santé mentale lorsque les troubles impactent la qualité de vie et le fonctionnement dans les activités. De plus, d’après l’enquête SMPG, certaines caractéristiques sociodémographiques (sexe masculin, jeune âge, naissance à l’étranger) et l’absence de comorbidité seraient associées à une absence de recours aux soins dans les troubles anxieux 15.

Parmi les troubles anxieux, nous avons montré que les troubles de l’adaptation (F43.2) étaient ceux qui étaient les plus fréquents parmi les patients suivis en établissements psychiatriques. Les symptômes des troubles de l’adaptation surviennent dans les trois mois suivant l’exposition à un ou plusieurs événements de vie stressants identifiables, avec une réaction qui dépasse la réaction considérée comme normale et adaptative, et ils ne persistent pas au-delà de six mois après la disparition de l’événement à l’origine de ces troubles. Le diagnostic de troubles de l’adaptation repose essentiellement sur le jugement clinique, après élimination des troubles caractérisés autres (tels qu’une dépression ou une anxiété généralisée) et sur le contexte de survenue des symptômes plutôt que sur les symptômes eux-mêmes qui ne sont pas spécifiques 1. Cette absence de spécificité fait que les troubles de l’adaptation ne sont pas inclus dans les questionnaires classiquement utilisés dans les études épidémiologiques. De fait, les troubles de l’adaptation ne sont jamais évalués dans les études épidémiologiques en population générale à l’exception de l’étude Outcome of Depression International Network qui montrait une prévalence peu élevée des troubles de l’adaptation au sein de cinq pays européens 16, probablement parce que n’y ont été pris en compte que les troubles de l’adaptation associés à une dépression. Par contre, d’après la littérature, les troubles de l’adaptation seraient fréquents en médecine générale et dans les consultations de psychiatrie, concernant entre 5 et 20% des patients 17, et leur prévalence serait plus élevée que celle de la dépression chez les patients souffrant de pathologies somatiques, en particulier dans les rechutes cancéreuses et chez les personnes vues aux urgences suite à une tentative de suicide 4.

Une revue de littérature basée sur 87 études dans 44 pays a montré que la prévalence des troubles anxieux au cours des douze derniers mois était estimée à 11,6% [IC95%: 7,6-17,7%], mais elle différait selon le sexe, le statut socioéconomique et culturel du pays, le fait que le pays soit ou non en zone de conflit, et selon la méthodologie (nombre de diagnostics mesurés, questionnaire utilisé) 18. Bien que cette prévalence des troubles anxieux ne puisse pas être comparée aux taux de prise en charge que nous avons retrouvés, sa distribution selon le sexe (prévalence deux fois plus élevée chez les femmes que chez les hommes) et selon l’âge (augmentation de la prévalence vers 10-19 ans avec maintien d’une prévalence élevée entre 20 et 34 ans, suivie d’une diminution jusqu’aux âges les plus avancés) est très proche des distributions observées dans les taux de leur prise en charge en établissements psychiatriques 19. Par ailleurs, nous avons estimé qu’en 2014, une jeune fille sur 100 âgée de 15 à 19 ans a été prise en charge pour troubles anxieux en établissement psychiatrique. Ce taux relativement important nous renvoie au fort taux des hospitalisations pour tentative de suicide chez des jeunes filles de cette même classe d’âge 20 et à la nécessité de rechercher et prendre en charge les troubles anxieux, en plus des troubles dépressifs, dans les conduites suicidaires 3. En effet, des travaux antérieurs ont montré que les troubles anxieux étaient peu diagnostiqués en France lors des hospitalisations dans les services de médecine suite à une tentative de suicide, alors qu’ils étaient présents 20. Chez les enfants avant l’âge de 14 ans, nous avons montré que la prise en charge pour troubles anxieux était plus fréquente chez les garçons que chez les filles. La littérature internationale rapporte une prévalence des troubles anxieux quasi équivalente dans les deux sexes avant l’adolescence, mais les prises en charge précoces sont rares et ne concernent qu’environ 10% des enfants 21. De plus, chez la majorité des adultes présentant des troubles anxieux, le début des symptômes est souvent retrouvé dans l’enfance ou l’adolescence. Par conséquent, un repérage et une prise en charge précoce des problèmes anxieux et émotionnels chez les enfants et adolescents seraient essentiels pour éviter la chronicisation des troubles et le développement des comorbidités 21.

Les disparités régionales dans la prise en charge des troubles anxieux par les établissements psychiatriques sont importantes, avec des taux allant du simple au double. Toutefois, elles ne peuvent être entièrement attribuées à des variations de prévalences selon les régions. Elles peuvent être aussi dues à une différence dans l’offre de soins, dans la prise en charge de ces troubles par les établissements et dans des pratiques différentes de codage des troubles.

Les données administratives représentent une source intéressante pour la surveillance en santé publique. Toutefois, le recueil des données sociodémographiques reste limité au sexe, âge et lieu de résidence. Aucune donnée n’est collectée sur l’activité professionnelle, le handicap, le lieu de vie et la situation familiale, bien qu’ils puissent avoir un impact sur les troubles étudiés. Enfin, cette étude n’inclut pas les personnes consultant exclusivement un médecin libéral, qu’il soit généraliste ou psychiatre : il pourrait s’agir de patients avec des pathologies moins sévères ou stabilisées. La force de cette étude est d’avoir pris en compte l’ensemble des troubles anxieux de la classification de la CIM-10 et d’avoir pu étudier leur prise en charge annuelle sur cinq années. Dans les études épidémiologiques sur la santé mentale, l’évaluation des troubles est ponctuelle et les entités les plus souvent considérées (troubles anxieux phobiques, autres troubles anxieux, TOC et ESPT) ne représentent qu’environ la moitié de l’ensemble des troubles anxieux pour lesquels une prise en charge a été retrouvée dans notre analyse. De plus, la prévalence des troubles anxieux provenant des enquêtes épidémiologiques est très variable selon le nombre de diagnostics retenus : comparées aux études qui prennent en compte 8 ou 9 troubles anxieux, celles comptabilisant 6 ou 7 troubles et celles avec 3 à 5 troubles ont respectivement des prévalences plus basses de 30% et de 40% 18,19.

Conclusion

Au vu du taux élevé de prise en charge des patients en établissement psychiatrique pour troubles anxieux, ces derniers représentent, à l’instar des troubles dépressifs, un réel fardeau en santé publique. Ce travail montre l’importance de mettre en place une surveillance épidémiologique de ces troubles car, pour certains, le recours aux soins semble en augmentation. Cette surveillance doit passer non seulement par des enquêtes mais aussi par l’analyse des bases médico-administratives de recours aux soins. Par ailleurs, un meilleur repérage de ces troubles dès l’enfance ou l’adolescence serait nécessaire afin de les prendre en charge précocement et d’éviter ainsi la chronicisation des troubles, le développement des comorbidités et les conduites suicidaires.

Références

1 Boulenger JP. De la névrose aux troubles anxieux. In: Guelfi JD, Rouillon F, (dir.). Manuel de psychiatrie. 3e éd. Paris: Elsevier Masson. 2017. 205-8.
2 Craske MG, Stein MB. Anxiety. Lancet. 2016;388(10063):3048-59.
3 Bolton JM, Cox BJ, Afifi TO, Enns MW, Bienvenu OJ, Sareen J. Anxiety disorders and risk for suicide attempts: Findings from the Baltimore Epidemiologic Catchment area follow-up study. Depress Anxiety. 2008;25:477-81.
4 Casey P, Bailey S. Adjustment disorders: The state of the art. World Psychiatry. 2011;10(1):11-8.
5 Organisation Mondiale de la Santé. CIM-10/ICD-10. Classification internationale des maladies, 10e révision. Chapitre V (F). Troubles mentaux et troubles du comportement. Descriptions cliniques et directives pour le diagnostic. [Internet] http://www.who.int/iris/handle/10665/43316
6 Lepine JP, Gasquet I, Kovess V, Arbabzadeh-Bouchez S, Negre-Pages L, Nachbaur G, et al. Prévalence et comorbidité des troubles psychiatriques dans la population générale française : résultats de l’étude épidémiologique ESEMeD/MHEDEA 2000/ (ESEMeD). Encephale. 2005;31(2):182-94.
7 Leray E, Camara A, Drapier D, Riou F, Bougeant N, Pelissolo A, et al. Prevalence, characteristics and comorbidities of anxiety disorders in France: Results from the “Mental Health in General Population” Survey (MHGP). Eur Psychiatry. 2011;26(6):339-45.
8 Coldefy M, Nestringue C, Or Z. Étude de faisabilité sur la diversité des pratiques en psychiatrie. Paris: Institut de recherche et documentation en économie de la santé; 2012. 62 p. Disponible: http://www.irdes.fr/Publications/Rapports2012/rap1896.pdf
9 Badjadj L, Chan Chee C. Prise en charge des troubles de l’humeur dans les établissements ayant une activité autorisée en psychiatrie entre 2010 et 2014 en France métropolitaine. Analyse des données du RIM-P. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(10):178-85. http://portaildocumentaire.santepubliquefrance.fr/exl-php/vue-consult/spf___internet_recherche/INV13351
10 European Commission. Revision of the European Standard Population. Report of Eurostat’s task force. Luxembourg: Eurostat; 2013. 128 p. https://ec.europa.eu/eurostat/fr/web/products-manuals-and-guidelines/-/KS-RA-13-028
11 Bouche G, Lepage B, Migeot V, Ingrand P. Intérêt de la détection et de la prise en compte d’une surdispersion dans un modèle de Poisson: illustration à partir d’un exemple. Rev Epidémiol Santé Publique. 2009;57(4):285-96.
12 Wittchen HU. Reliability and validity studies of the WHO-Composite International Diagnostic Interview (CIDI): A critical review. J Psychiatr Res. 1994;28(1):57-84.
13 Alonso J, Angermeyer MC, Bernert S, Bruffaerts R, Brugha TS, Bryson H, et al. Use of mental health services in Europe: Results from the European Study of the Epidemiology of Mental Disorders (ESEMeD) project. Acta Psychiatr Scand Suppl. 2004;(420):47-54.
14 Alonso J, Codony M, Kovess V, Angermeyer MC, Katz SJ, Haro JM, et al. Population level of unmet need for mental healthcare in Europe. Br J Psychiatry. 2007;190(4):299-306.
15 Font H, Roelandt JL, Behal H, Geoffroy PA, Pignon B, Amad A, et al. Prevalence and predictors of no lifetime utilization of mental health treatment among people with mental disorders in France: Findings from the ‘Mental Health in General Population’ (MHGP) survey. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol. 2018;53(6):567-76.
16 Ayuso-Mateos JL, Vazquez-Barquero JL, Dowrick C, Lehtinen V, Dalgard OS, Casey P, et al. Depressive disorders in Europe: Prevalence figures from the ODIN study. Br J Psychiatry. 2001;179(4):308-16.
17 Servant D, Pelissolo A, Chancharme L, Le Guern ME, Boulenger JP. Le trouble de l’adaptation avec anxiété. Caractéristiques cliniques et psychométriques chez des patients consultant en médecine générale. Encephale. 2013;39(5):347-51.
18 Baxter AJ, Scott KM, Vos T, Whiteford HA. Global prevalence of anxiety disorders: A systematic review and meta-regression. Psychol Med. 2013;43(5):897-910.
19 Baxter AJ, Vos T, Scott KM, Norman RE, Flaxman AD, Blore J, et al. The regional distribution of anxiety disorders: Implications for the Global Burden of Disease Study, 2010. Int J Methods Psychiatr Res. 2014;23(4):422-38.
20 Chan Chee C, Paget LM. Le Recueil d’information medicalisé en psychiatrie (RIM-P) : un outil nécessaire pour la surveillance des hospitalisations suite à une tentative de suicide. Rev Epidémiol Santé Publique. 2017;65:349-59.
21 Rockhill C, Kodish I, DiBattisto C, Macias M, Varley C, Ryan S. Anxiety disorders in children and adolescents. Curr Probl Pediatr Adolesc Health Care. 2010;40(4):66-99.

Citer cet article

Chan Chee C, Badjadj L. Prise en charge des patients avec troubles anxieux entre 2010 et 2014 dans les établissements ayant une autorisation en psychiatrie en France métropolitaine : analyse des données du RIM-P. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(32-33):653-61. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/32-33/2018_32-33_3.html