Co-infections par les IST lors de la découverte de la séropositivité VIH, France, 2012-2016
// STI co-infections at HIV diagnosis, France, 2012-2016
Résumé
Dans un contexte d’augmentation des infections sexuellement transmissibles (IST), l’objectif de cet article est d’analyser la fréquence des co-infections par les IST chez les personnes ayant découvert leur séropositivité VIH entre 2012 et 2016.
Depuis 2012, la déclaration obligatoire du VIH recueille l’information sur quatre IST bactériennes chez les adultes de 15 ans et plus : syphilis, gonococcie et infections à Chlamydia trachomatis, dont la lymphogranulomatose vénérienne rectale (LGV). Ces IST doivent être déclarées si elles ont été diagnostiquées de façon concomitante à la découverte de la séropositivité VIH ou dans les 12 derniers mois précédant cette découverte (définies en tant que co-infections IST/VIH).
Sur la période 2012-2016, l’information sur une éventuelle IST était disponible pour 12 588 découvertes de séropositivité chez les adultes, soit 52% des découvertes. La fréquence des co-infections IST/VIH était globalement de 14,6%, mais était plus élevée chez les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes (HSH) (26,5%) que chez les hétérosexuels (5,2%) ou les usagers de drogues injectables (7,2%). La fréquence des co-infections a significativement augmenté au cours du temps, passant de 12,7% en 2012 à 17,5% en 2016. L’augmentation était également significative chez les HSH (de 22,1% à 30,9%). La syphilis était l’IST la plus fréquemment diagnostiquée au moment de la découverte de séropositivité VIH ou dans les 12 mois précédents, tout particulièrement chez les HSH.
Au total, les co-infections IST/VIH ont augmenté depuis 2012 et concernent près d’un tiers des HSH ayant découvert leur séropositivité en 2016. Ces résultats soulignent l’importance de combiner le dépistage du VIH à celui des autres IST, comme recommandé en France. Dans le contexte actuel de la prévention diversifiée vis-à-vis du VIH, où le préservatif n’est plus la seule stratégie de prévention, il est particulièrement important de répéter de façon régulière le dépistage des IST pour traiter rapidement les patients et leurs partenaires.
Abstract
In the context of increasing STI, the aim of this article was to analyze the frequency of bacterial STI in people newly diagnosed for HIV between 2012 and 2016.
Since 2012, mandatory reporting of HIV infection in France has collected information on four bacterial STI (syphilis, gonorrhoea, chlamydial infection including rectal lymphogranuloma venereum – LGV) in adults (≥15 years old). These STI have to be reported if they are concurrently diagnosed at the time of HIV diagnosis or diagnosed in the previous 12 months before HIV diagnosis (defined as STI/HIV co-infections).
Information on STI diagnoses was available for 12,588 new HIV diagnoses in adults during the period 2012-2016 (52% of all new HIV diagnoses). Frequency of STI/HIV co-infections was 14.6% overall, more frequent in men having sex with men (MSM) (26.5%) than in heterosexuals (5.2%) and in injecting drug users (7.2%). These co-infections have significantly risen over time, from 12.7% in 2012 to 17.5% in 2016, with a significant increase in MSM, from 22.1% to 30.9%. Syphilis was the most frequent STI diagnosed at HIV diagnosis or in the previous 12 months, particularly in MSM.
STI/HIV co-infections have increased overtime and affect almost one third of MSM newly diagnosed with HIV in 2016. These results underline the importance of offering an HIV test to patients presenting with a STI and to test HIV-infected patients for STIs, as recommended in France. In a context of diversified prevention for HIV, where condom use is no longer the only strategy, STI repeated screening is particularly important to treat rapidly patients and their partners.
Introduction
Suite aux campagnes de prévention du sida dans les années 1980 et au début des années 1990, l’incidence de la gonococcie, de la syphilis et des autres infections sexuellement transmissibles (IST) d’origine bactériennes avait chuté dans plusieurs pays d’Europe de l’Ouest, dont la France 1. La fin des années 1990 et le début des années 2000 ont vu une recrudescence des IST, ainsi que la réapparition de certaines jusque-là quasiment éradiquées dans la plupart des pays occidentaux, en lien avec une recrudescence des comportements à risque 1,2.
Les IST augmentent considérablement le risque de contamination par le VIH, en majorant la susceptibilité de la personne exposée, mais aussi l’infectiosité d’une personne séropositive 3. La présence d’une IST chez une personne exposée augmente sa susceptibilité au VIH, par divers mécanismes que sont la présence d’ulcères génitaux ou l’inflammation locale. La présence d’une IST chez une personne séropositive, notamment chez l’homme, augmente la quantité de virus dans les sécrétions génitales et donc le risque de contamination de ses partenaires par le VIH.
Les IST peuvent également avoir de fortes répercussions sur la santé, alors qu’elles peuvent être le plus souvent guéries par un traitement antibiotique adapté.
C’est pourquoi les recommandations sont de proposer un dépistage du VIH devant tout diagnostic d’une IST 4,5 et, inversement, de rechercher une IST lors de la découverte d’une séropositivité VIH 6,7.
L’objectif de cet article est d’analyser la fréquence des IST bactériennes chez les personnes ayant découvert leur séropositivité VIH entre 2012 et 2016, à partir des données de la déclaration obligatoire (DO) de l’infection à VIH.
Méthodes
La DO du VIH a été mise en place en 2003, avec pour objectifs de connaître le nombre et les caractéristiques des personnes découvrant leur séropositivité VIH afin d’orienter les actions de prévention, de dépistage et de prise en charge, et d’apporter des éléments permettant leur évaluation.
La DO du VIH est basée sur une déclaration conjointe du biologiste ayant confirmé le diagnostic d’infection à VIH et du clinicien prescripteur du test. La DO a longtemps été basée sur la transmission de formulaires papier aux médecins de santé publique des Agences régionales de santé (ARS), qui les transmettaient ensuite à Santé publique France. Depuis avril 2016, la déclaration doit se faire en ligne, via l’application e-DO 8, grâce à l’utilisation d’une carte de professionnel de santé (CPS). L’application permet de saisir et d’envoyer les DO du VIH et du sida simultanément aux autorités sanitaires, régionales comme nationale.
En 2012, le formulaire de DO du VIH concernant les adultes (15 ans et plus) a été complété par l’ajout de l’information sur un diagnostic éventuel, au moment de la découverte de la séropositivité VIH ou dans les 12 mois précédents, d’une IST bactérienne : syphilis quel qu’en soit le stade, gonococcie, infection à Chlamydia trachomatis, dont la lymphogranulomatose vénérienne rectale (LGV). Dans la suite de l’article, elles sont qualifiées de co-infections IST/VIH.
La fréquence des co-infections IST/VIH a été calculée en rapportant le nombre d’IST au nombre de découvertes de séropositivité, en fonction du sexe, du mode de contamination par le VIH, de l’âge, de l’année de diagnostic de l’infection à VIH et de la nature de l’IST diagnostiquée. Chez les hommes ayant été contaminés par le VIH lors de rapports sexuels avec des hommes et chez les personnes contaminées par rapports hétérosexuels, la fréquence des co-infections a également été analysée en fonction du lieu de naissance (France vs étranger). L’effectif des usagers de drogues injectables (UDI) était par contre trop faible pour réaliser cette stratification.
Les données présentées ici sont des données brutes, non corrigées pour la sous-déclaration, les délais de déclaration ou les valeurs manquantes. En effet, en raison d’un recul insuffisant depuis l’introduction de la variable sur la co-infection par une IST, cette variable n’a pour l’instant pas été corrigée pour ces trois facteurs.
Résultats
Au 30 juin 2017, 24 301 infections à VIH concernant des adultes de 15 ans et plus, diagnostiqués entre 2012 et 2016, ont été déclarées à Santé publique France. Ces découvertes de séropositivité concernaient 28% d’hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes (HSH), 18% de femmes hétérosexuelles, 15% d’hommes hétérosexuels et 1% d’UDI. Le mode de contamination était inconnu pour 38% des cas.
Parmi ces cas, l’information sur une éventuelle IST était présente pour 12 588 d’entre eux, soit 52%. Cette proportion différait selon le mode de contamination du VIH : elle était de 82% chez les HSH (85% chez ceux nés en France et 72% chez ceux nés à l’étranger (1)), de 75% chez les hétérosexuels (78% chez ceux nés en France et 73% chez ceux nés à l’étranger (2)) et de 60% chez les UDI. En revanche, la proportion de cas renseignés était très faible (12%) chez les personnes dont le mode de contamination était inconnu.
Parmi les cas pour lesquels l’information était disponible, la fréquence des co-infections IST/VIH était de 14,6% (1 837/12 588). Parmi les hétérosexuels, la fréquence était supérieure chez les hommes par rapport aux femmes (7,4% vs 3,2%). Elle était également plus élevée chez les HSH (26,5%) que chez les hétérosexuels nés en France (9,0%) ou à l’étranger (3,5%) et que chez les UDI (7,2%) (figure 1 et tableau 1).
Les classes d’âge les plus touchées par les co-infections IST/VIH étaient les 15-24 ans et les 25-34 ans chez les hétérosexuels nés en France (avec des fréquences respectives de 14,1% et 11,4%), et les 15-24 ans chez les hétérosexuels et les HSH nés à l’étranger (respectivement 6,0% et 28,5%). Chez les HSH nés en France, la fréquence de co-infections la plus importante était observée chez les 25-34 ans (29,8%).
La fréquence des co-infections IST/VIH a significativement augmenté au cours du temps, passant de 12,7% en 2012 à 17,5% en 2016 (p<10-4). Par groupe de transmission, cette augmentation n’était significative que chez les HSH, de 22,1% à 30,9% (p<10-4), qu’ils soient nés en France ou l’étranger (figure 2).
La syphilis était l’IST la plus fréquemment diagnostiquée au moment de la découverte de la séropositivité VIH ou dans les 12 mois précédents (tableau 2), et elle concernait tout particulièrement les HSH (20,3% de co-infections syphilis/VIH). Les hommes hétérosexuels étaient plus fréquemment co-infectés par une syphilis ou une gonococcie que les femmes hétérosexuelles, tandis que les femmes étaient plus souvent co-infectées par une infection à Chlamydia trachomatis. La LGV rectale n’était diagnostiquée que chez les HSH.
Discussion
Les données présentées dans cet article ne portent pas sur la totalité des personnes ayant découvert leur séropositivité VIH entre 2012 et 2016, en raison de la non-prise en compte de la sous-déclaration. En 2015 (3), 32% des découvertes de séropositivité n’avaient pas été déclarées par les biologistes et 58% ne l’avaient pas été par les cliniciens. Le fait que plus d’un quart des découvertes n’aient été notifiées que par les biologistes engendre, de plus, une proportion importante de données manquantes sur les variables renseignées par les cliniciens, telles que le mode de contamination ou un diagnostic d’IST. Ceci explique que la donnée sur les co-infections IST/VIH soit très peu renseignée pour les découvertes de séropositivité concernant des personnes dont le mode de contamination est inconnu. Par contre, lorsque la DO a été adressée par le clinicien, l’information sur les IST est le plus souvent disponible, plus fréquemment chez les HSH que chez les hétérosexuels, et plus fréquemment chez les personnes nées en France que chez celles nées à l’étranger. À noter que l’information était moins souvent renseignée chez les UDI, alors qu’il s’agit d’une population potentiellement exposée à des rapports sexuels non protégés, de par sa situation de précarité et de rapports fréquents en échanges d’argent ou de drogues chez les femmes 9.
Une autre limite de cette analyse est celle de l’impossibilité de distinguer une IST concomitante à la découverte de l’infection à VIH d’un antécédent d’IST sur l’année passée. S’il s’agit d’une IST diagnostiquée dans l’année précédant la découverte de la séropositivité et si le diagnostic de l’IST avait donné lieu à un contrôle de la séronégativité VIH, l’infection à VIH résulte alors de l’absence d’adoption de modes de protection après le diagnostic de l’IST.
Ces données de surveillance du VIH sont intéressantes dans la mesure où elles corroborent les tendances observées dans la surveillance des IST : le poids des IST chez les HSH, l’augmentation de l’incidence des IST, en particulier chez les HSH, et le fait que, chez les hétérosexuels, les jeunes soient particulièrement concernés 10. Les données du réseau de cliniciens volontaires RésIST montrent également que les personnes diagnostiquées pour une IST, et notamment les HSH, sont fréquemment co-infectées par le VIH 10. Ainsi, 25% des HSH diagnostiqués en 2015 pour une syphilis récente étaient co-infectés par le VIH, 23% étant des séropositivités connues et 2% ayant été découvertes à l’occasion du diagnostic de la syphilis. Ces données reflètent une utilisation insuffisante du préservatif chez les séropositifs, le plus souvent traités par antirétroviraux, traitement qui permet de rendre quasi nul le risque de transmission du VIH à leurs partenaires (Treatment as prevention – TasP), mais ne les protège pas des autres IST.
La co-infection IST/VIH la plus fréquente dans notre analyse est celle concernant la syphilis. C’est également ce qui est retrouvé chez les HSH en Espagne, dans l’analyse d’un réseau de surveillance du VIH 11. Ceci pourrait s’expliquer par la forme clinique de la syphilis, qui provoque une ulcération au stade primaire (chancre syphilitique) et favorise la transmission du VIH. Par ailleurs, cette IST est le plus souvent symptomatique, ce qui augmente la probabilité qu'elle soit diagnostiquée. Enfin, la syphilis a longtemps été la seule IST bactérienne dont le dépistage était préconisé dans le bilan paraclinique initial d’un adulte infecté par le VIH 12. Depuis mai 2017, les recommandations de dépistage des IST bactériennes ont été élargies aux infections à Chlamydia trachomatis et à gonocoque chez les HSH et les sujets à partenaires multiples, sans pour autant les préconiser pour l’ensemble des personnes découvrant leur séropositivité 7.
Conclusion
Au total, la fréquence des co-infections IST/VIH a augmenté depuis 2012. Elles touchent près d’un tiers des HSH ayant découvert leur séropositivité VIH en 2016 et sont le plus souvent des co-infections par la syphilis. Ces résultats soulignent l’importance de proposer un test de dépistage du VIH aux patients diagnostiqués pour une IST et, inversement, de rechercher une IST chez tout patient découvrant sa séropositivité VIH. Dans le contexte actuel de la prévention combinée vis-à-vis du VIH, où le préservatif n’est plus la seule stratégie de prévention, il est également important de répéter de façon régulière le dépistage des IST en cas de rapports sexuels non protégés, pour traiter rapidement les patients et leurs partenaires.
Remerciements
Nous remercions l’ensemble des biologistes et des cliniciens qui participent à la déclaration obligatoire du VIH.
Références
Citer cet article
29-30/2017_29-30_1.html