Dépistage et prévention : les défis du contrôle de l’épidémie de l’infection par le VIH en France

// Screening and prevention: HIV infection epidemics and the challenges of its control in France

Anne Simon1 & Eric Billaud2
1 CHU Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris, France ; Présidente de la Société française de lutte contre le sida
2 Hôtel-Dieu, CHU de Nantes, France ; Président du COREVIH Pays de la Loire

Le contrôle de l’épidémie de sida passe, selon l’Onusida, par l’objectif des 90-90-90 : « À l’horizon 2020, 90% des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique. À l’horizon 2020, 90% de toutes les personnes infectées par le VIH dépistées reçoivent un traitement anti rétroviral durable. À l’horizon 2020, 90% des personnes recevant un traitement antirétroviral ont une charge virale durablement supprimée »1.

L’étude de la cascade de la prise en charge du VIH en France 2 nous démontre l’importance de poursuivre et améliorer les stratégies de dépistage pour atteindre la première marche qui, dans notre pays, était estimée en 2013 à 84% de personnes vivant avec le VIH (PVVIH) connaissant leur séropositivité ; les deux objectifs suivants (accès au soin, efficacité du traitement) sont déjà atteints. L’épidémie cachée reste donc importante, autour de 25 000 PVVIH non diagnostiquées, et elle est concentrée chez les hommes (70%) et dans deux populations : les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) (40%) et les personnes hétérosexuelles d’origine étrangère (migrants originaires d’Afrique subsaharienne pour la plupart) (40%). Cette surreprésentation se retrouve dans les chiffres de découvertes des infections à VIH depuis 2003, date de mise en place de la déclaration obligatoire du VIH, et ces deux populations sont particulièrement ciblées depuis 2011 dans le cadre des dépistages communautaires par tests rapides d’orientation diagnostique (TROD), dont les données viennent compléter celles recueillies auprès des laboratoires d’analyses médicales (Françoise Cazein et coll.).

Une bonne connaissance de ces deux populations est primordiale, et l’approche préventive au sein de chacune présente des différences importantes.

Les HSH se reconnaissent, pour certains, comme appartenant à une communauté dont les pratiques sexuelles sont à risque. L’enquête Prevagay 2015 3 l’illustrait très bien chez les hommes fréquentant les lieux de convivialité gay en France. Cette reconnaissance devrait faciliter le dépistage au sein de cette population particulière. Cependant, l’étude de Josiane Pillonel et coll. sur les donneurs de sang, dont ont été longtemps exclus les HSH en raison de ces pratiques à risque, montre que les donneurs trouvés positifs pour le VIH à l’occasion du don n’avaient pas toujours bien évalué leurs comportements à risque. Cette étude met en exergue encore le poids de la stigmatisation de la population gay, ou de la crainte de cette stigmatisation, qui sont des facteurs connus par ailleurs pour limiter la démarche de dépistage.

Pour promouvoir la prévention dans la population HSH, Santé publique France a mené en novembre 2016 une campagne dans l’espace public afin de toucher l’ensemble des HSH, et pas seulement ceux qui fréquentent les lieux communautaires, ces derniers connaissant à 90% leur statut sérologique. Cette campagne a été un succès au regard du nombre de visites sur le site de prévention de Santé publique France sexosafe.fr, qui présente l’ensemble des outils de prévention disponibles (260 000 visiteurs uniques en novembre – décembre 2016, voir l’article de Nathalie Lydié et coll.). Mais pendant cette campagne, les médias ont peu relayé les messages de prévention, se focalisant sur le débat suscité par la visibilité accordée aux HSH dans l’espace public, soulignant ainsi l’évolution du regard de la société sur les gays ainsi que la persistance de réactions homophobes.

Dans la population des migrants, après l’enquête Parcours 4 qui a mis en évidence qu’entre 35% et 50% des migrants d’Afrique subsaharienne vivant avec le VIH ont été contaminés après leur arrivée en France, et particulièrement ceux vivant en situation de précarité, l’enquête transversale AfroBaromètre 2016 renforce nos connaissances sur les comportements sexuels et préventifs des populations afro-caribéennes vivant en Île-de-France et sur les prévalences de l’infection VIH ou VHB dans ces populations (Christine Larsen et coll.). Cette enquête montre combien il est nécessaire de s’adapter aux personnes qui ne se reconnaissent pas comme appartenant à une communauté exposée, comme le prouve le chiffre de 77% de personnes infectées par le virus de l’hépatite B qui l’ignoraient et qui, pour 26% d’entre elles, présentaient des facteurs de vulnérabilité sociale.

Une stratégie d’approche populationnelle entraine des changements dans l’organisation de la prévention et du dépistage de l’infection à VIH et doit mobiliser tous les intervenants, en particulier associatifs, pour atteindre les objectifs de l’Onusida. Le dépistage de l’infection à VIH doit par ailleurs être proposé dans une approche globale de santé sexuelle, s’appuyant sur la stratégie nationale de santé sexuelle récemment publiée 5, notamment dans ses axes II (« Améliorer le parcours de santé en matière d’IST : prévention, dépistage, prise en charge ») et IV (« Répondre aux besoins des populations vulnérables »). Le dépistage de l’infection à VIH doit être combiné à celui des IST et renouvelé dans les populations exposées. L’article de Florence Lot et coll. montre bien l’importance de ce dépistage combiné, notamment chez les HSH, au vu de la fréquence des co-infections par les IST chez les personnes découvrant leur séropositivité VIH. Le dépistage des hépatites est également un axe de prise en charge globale de la santé sexuelle, particulièrement dans la population des migrants dans laquelle on note des taux de prévalence du VHB importants. Ce dépistage combiné devrait être promu et soutenu auprès des associations, en particulier par la pratique des TRODs VIH et VHC disponibles actuellement. Ceci rappelle l’importance d’autoriser rapidement les TRODs VHB dans une approche de dépistage combiné des trois virus, comme recommandé par la Haute Autorité de santé en juillet 2016 6. Plus généralement, l’approche de la santé sexuelle des migrants passe sans doute par une approche plus globale de leur santé. Le dépistage doit être promu dans des actions diversifiées et ciblées dans une approche globale de prévention et de prise en charge en santé. Cette prise en charge globale peut être facilitée par la médiation sanitaire et l’interprétariat linguistique, qui constituent des outils d’amélioration de l’accès aux droits, à la prévention et aux soins des personnes éloignées des systèmes de prévention et de soins, en permettant la prise en compte de leurs spécificités. Ceci suppose une promotion de l’estime de soi, du respect de l’autre et de l’image du corps débutant dès le plus jeune âge.

La lutte contre le VIH et les IST reste un enjeu de santé publique en France, bien démontré par les chiffres de dépistage publiés dans ce numéro. Elle nécessite la mobilisation de tous les acteurs concernés, qu’ils soient soignants, associatifs ou de la société civile, et de sortir d’une approche par pathologie pour privilégier une approche holistique et populationnelle. Elle nécessite aussi la poursuite des travaux permettant la connaissance de l’épidémiologie de l’infection à VIH en France. Elle bénéficie maintenant d’un dispositif de déclaration obligatoire moderne (e-DO) auquel les déclarants adhèrent de plus en plus, comme le montre le travail de Julien Durand et coll., avec déjà 63% de déclarations obligatoires réalisées par voie électronique. À l’ère des big data, notre système de recueil épidémiologique est confronté à un défi qu’il convient de relever afin de se doter des outils indispensables pour penser nos organisations et mettre fin à cette épidémie.

Références

1 90-90-90 : Une cible ambitieuse de traitement pour aider à mettre fin à l’épidémie du sida. Genève: ONUSIDA, 2014. 38 p. http://www.unaids.org/fr/resources/documents/2014/90-90-90
2 Supervie V. Données épidémiologiques VIH récentes en France. Communication au XVIIe congrès de la Société française de lutte contre le sida, Montpellier, 6-7 octobre 2016. http://sfls.aei.fr/ckfinder/userfiles/files/Formations/JourneesNationales/2016/presentations/VIRGINIE-SUPERVIE.pdf
3 Velter A, Sauvage C, Saboni L, Sommen C, Alexandre A, Lydié N, et al. Estimation de la prévalence du VIH chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes fréquentant les lieux de convivialité gay de cinq villes françaises – PREVAGAY 2015. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(18):347-54. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=13412
4 Desgrées-du-Loû A, Pannetier J, Ravalihasy A, Gosselin A, Supervie V, Panjo H, et al. Sub-Saharan African migrants living with HIV acquired after migration, France, ANRS PARCOURS study, 2012 to 2013. Euro Surveill. 2015;20(46).
5 Stratégie nationale de santé sexuelle. Agenda 2017-2030. Paris: Ministère des Affaires sociales et de la Santé; 2017. 75 p. http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/strategie_nationale_sante_sexuelle.pdf
6 Haute Autorité de santé. Recommandation de santé publique. Place des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) dans la stratégie de dépistage de l’hépatite B. Saint-Denis: HAS; 2016. 118 p. https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2063232/fr/place-des-tests-rapides-d-orientation-diagnostique-trod-dans-la-strategie-de-depistage-de-l-hepatite-b

Citer cet article

Simon A, Billaud E. Éditorial. Dépistage et prévention : les défis du contrôle de l’épidémie de l’infection par le VIH en France. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(29-30):594-5. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/29-30/2017_
29-30_0.html