Diminuer le risque d’acidocétose au moment du diagnostic de diabète chez l’enfant : évaluation d’une campagne de prévention

// Reducing the risk of ketoacidosis at the time of diagnosis of diabetes in children: evaluation of a prevention campaign

Jean-Jacques Robert1,2*, Dalila Louet1, Carine Choleau1 (carine.choleau@ajd-educ.org)
1 L’Aide aux jeunes diabétiques (AJD) ; Hôpital Necker-Enfants malades, AP-HP, Paris, France
2 Endocrinologie, gynécologie et diabétologie pédiatrique, Hôpital Necker-Enfants malades, AP-HP, Paris, France
* Cet article paraît quelques semaines après le décès du Pr JJ Robert, qui s’est particulièrement investi durant les huit dernières années de sa carrière de pédiatre diabétologue et comme Président de l’AJD, pour qu’aucun enfant ne meure des conséquences d’un diagnostic tardif du diabète. Que cet article lui soit dédié et que chacun à sa façon puisse contribuer à la réussite de ce projet.
Soumis le 01.08.2017 // Date of submission: 08.01.2017
Mots-clés : Diabète de type 1 | Acidocétose | Enfant | Diagnostic | Prévention
Keywords: Diabetes mellitus | Type 1 | Diabetic ketoacidosis | Children | Diagnosis | Prevention

Résumé

Introduction –

Le diabète de type 1 (DT1) se déclare de manière aiguë chez l’enfant et l’adolescent, en particulier chez les plus jeunes, avec une aggravation très rapide vers l’acidocétose. Selon une étude datant d’une vingtaine d’années, la fréquence de l’acidocétose au moment du diagnostic était de 48% en France.

Objectifs –

Évaluer l’effet à long terme d’une campagne d’information et le rôle des médecins généralistes dans la prévention de l’acidocétose au diagnostic du DT1 chez les enfants et les adolescents.

Patients et méthodes –

Les données suivantes ont été recueillies dans 146 services de pédiatrie chez des enfants de moins de 15 ans au moment du diagnostic de DT1 : âge, sexe, durée des symptômes, parcours du patient avant l’hospitalisation, critères biologiques et cliniques, histoire familiale de DT1. L’acidocétose a été définie pour un pH <7,30 ou une réserve alcaline (RA) <15 mmol/l, et l’acidocétose sévère pour un pH <7,10 ou RA <5 mmol/l. Après une année contrôle (année 0), une campagne d’information a ciblé les professionnels de santé et le grand public (année 1) et l’évolution de la fréquence d’acidocétose a été évaluée durant les cinq années qui ont suivi. En parallèle, des questionnaires ont été complétés par 1 467 médecins généralistes afin d’évaluer leurs connaissances et leurs pratiques dans le diagnostic du DT1.

Résultats –

La fréquence de l’acidocétose a diminué de 14,8% (année 0) à 11,3% (année 1), mais est revenue à son niveau initial deux ans plus tard (année 3). Les données recueillies auprès des médecins généralistes ont montré que seuls 47,6% d’entre eux avaient diagnostiqué un DT1 chez l’enfant ou l’adolescent ; 27,8% ignoraient que le DT1 pouvait se déclarer avant l’âge de 2 ans ; 8,3% déclaraient que l’acidocétose n’était pas mortelle ; l’importance de certains symptômes (histoire familiale, infection urinaire…) était surestimée. Les critères de diagnostic évoqués étaient davantage ceux du diabète de type 2 que du diabète de type 1 et l’urgence d’une prise en charge hospitalière était trop souvent ignorée.

Conclusion –

L’absence d’effet de notre campagne sur le long terme nous amène à repenser notre stratégie de prévention de l’acidocétose au diagnostic du DT1. Du fait de leur implication, les médecins généralistes doivent être informés des spécificités du diabète de l’enfant et de l’adolescent, et de l’urgence de sa prise en charge hospitalière.

Abstract

Introduction –

Type 1 diabetes (T1D) has an acute onset in children and adolescents, especially among the younger ones, and can worsen very rapidly and shift to ketoacidosis. According to a study conducted around 20 years ago, the frequency of ketoacidosis at the time of diagnosis was 48% in France.

Objectives –

To evaluate the long term effect of a one year information campaign and the role of general practitioners (GPs) in the prevention of ketoacidosis (DKA) at the time of diagnosis of T1D in children and adolescents.

Patients and methods –

The following data were collected in 146 pediatric wards on children aged under 15 at the time they were diagnosed T1D: age, sex, duration of symptoms, patient’s medical history before hospitalization, clinical and biological signs, family history of T1D. DKA criteria were pH<7.30 or bicarbonate <15 mmol/l, severe DKA pH<7.10 or bicarbonate <5 mmol/l. After one control year (year 0), an information campaign targeting health professionals and families was launched (year 1) and DKA was evaluated for the next five years (year 1-5). Concomitantly, answers were obtained from 1,467 GPs to a questionnaire to evaluate their knowledge and practice on the diagnostic specificities of T1D.

Results –

The frequency of severe DKA decreased from 14.8% (year 0) to 11.3% (year 1), but it went back to its initial level two years later (year 3). The questionnaire showed that only 47.6% of GPs had previously diagnosed T1D in children and adolescents; 27.8% did not know that T1D could exist before the age of 2 years; 8.3% did not think DKA could be lethal; the importance of some revealing symptoms (family history, urinary infection) was overestimated. Diagnostic criteria fitted better with T2D in adults than T1D in young people, and urgency to diagnose and treat T1D was too often ignored.

Conclusion –

An alternative strategy has to be tested to make the prevention of DKA feasible at a large geographical scale and on the long term. Due to their implication, GPs should be better informed about the specificities of T1D in children and adolescents and the urgency of their care in hospital.

Introduction

En France comme en Europe, l’incidence du diabète de type 1 (DT1) a doublé en 30 ans chez l’enfant et l’adolescent (0-15 ans), mais cette augmentation a été deux fois plus rapide chez les enfants de moins de 5 ans 1,2,3. Il y a ainsi un rajeunissement de l’âge moyen au diagnostic.

Le DT1 a un début aigu chez l’enfant et l’adolescent, en particulier chez les plus jeunes, avec une aggravation très rapide vers l’acidocétose 4,5,6,7. Dans une étude datant d’une vingtaine d’années 4, la fréquence de l’acidocétose au moment du diagnostic était de 48% en France, ce qui est particulièrement élevé, et quatre à six jeunes en décédaient chaque année 8. Une corrélation inverse entre l’incidence du DT1 et la prévalence de l’acidocétose suggère que plus le DT1 est fréquent, donc connu de la population, plus grande est la vigilance 9,10. Confirmant cette hypothèse, une campagne d’information conduite dans la province de Parme en Italie a montré que la prévalence de l’acidocétose pouvait être abaissée de façon marquée et durable 11,12.

La Société internationale pour le diabète de l’enfant et de l’adolescent (ISPAD) a ainsi fait de la prévention de l’acidocétose au moment du diagnostic un objectif majeur 7. L’association française L’Aide aux jeunes diabétiques (AJD) a donc décidé de mettre en place une action nationale pour informer les familles et les médecins sur les symptômes d’alerte et sur l’urgence au diagnostic, afin de réduire le délai entre l’apparition des premiers symptômes et le début du traitement. Les services de pédiatrie ont été sollicités pour suivre de manière prospective la fréquence de l’acidocétose, afin d’évaluer l’effet de cette campagne.

Méthodes

Mesure de la fréquence de l’acidocétose

En 2009, les services pédiatriques de France métropolitaine ont été sollicités pour participer, à partir du 14 novembre, à l’évaluation et au suivi de la fréquence de l’acidocétose au moment du diagnostic de DT1. Sur 234 services hospitaliers, 146 répartis dans 22 régions ont donné leur accord, soit 63% de tous les services pédiatriques (33 à 83% selon les régions), dont 28 centres universitaires (CHU). Les centres hospitaliers disposaient d’un service de réanimation dans 46% des cas. Onze pour cent des centres suivaient plus de 200 patients pour diabète (dont 4 plus de 500), 15% entre 100 et 200, 21% entre 50 et 100, 38% entre 20 et 50 et 15% moins de 20.

Chaque centre participant s’est engagé à compléter une fiche d’information anonyme pour chaque nouveau patient hospitalisé en pédiatrie pour le diagnostic de DT1, afin de recueillir les données suivantes : date de naissance, date de la première injection d’insuline, sexe, département de résidence, durée des symptômes (polyurie-polydipsie), personne ayant adressé l’enfant à l’hôpital, unité dans laquelle l’enfant a été initialement hospitalisé, signes cliniques à l’admission (perte de poids, nausées/vomissements, déshydratation, polypnée, coma) et métaboliques (glycémie, cétonurie, pH, réserve alcaline, HbA1c), traitement initial (insuline intraveineuse) et antécédents familiaux de DT1. Les données de ces fiches ont été transmises par voie électronique ou par fax et stockées dans la base de l’AJD. Des contrôles de cohérence et de qualité ont été régulièrement effectués par la chargée de projet et un contact trimestriel par courrier électronique avec les services participants a permis de vérifier l’exhaustivité et l’exactitude des données, et de les informer de l’état d’avancement de l’évaluation. La définition de l’acidocétose a été celle des recommandations de l’ISPAD 7 : pH <7,30 ou réserve alcaline (RA) <15 mmol/l ; pour l’acidose sévère pH <7,10 ou RA <5 mmol/l 7.

Les données collectées la première année (année 0) ont permis de disposer d’un état des lieux actualisé avant de démarrer la campagne d’information 13. Ce recueil s’est poursuivi dans les années qui ont suivi le lancement de la campagne et est encore actif. Les données présentées concernent les six premières années du recueil : de novembre 2009 à novembre 2015.

Campagne d’information sur l’acidocétose

Après la première année, la collecte des données a été poursuivie selon les mêmes modalités, tandis que débutait la diffusion de l’information, à destination du grand public d’une part, afin que les familles concernées soient alertées dès les premiers signes du diabète et consultent au plus vite, et des professionnels de santé d’autre part, pour que les médecins réagissent rapidement et dirigent immédiatement ces familles vers un service d’urgence. La campagne de Parme, qui a servi de modèle, consistait à diffuser une fiche diagnostique aux pédiatres ainsi qu’une affiche à apposer dans les salles d’attente des cabinets de pédiatrie et dans les écoles 11,12. Ces deux outils, remis en forme par la Commission pédagogique de l’AJD (figure), ont été distribués aux pédiatres par les Sociétés et les Congrès de pédiatrie, aux hôpitaux par les médecins du réseau AJD, et aux écoles à l’initiative des associations des familles de l’AJD. La campagne incluait également des conférences de presse et de nombreuses publications dans des journaux professionnels et généraux, des spots sur les télévisions et les radios nationales ou régionales. L’information a ainsi ciblé de façon prioritaire le milieu pédiatrique et, de façon plus sporadique, le grand public.

Figure : Affiche pour l’information du grand public et fiche diagnostique destinée aux professionnels de santé dans le cadre de la campagne de prévention du diabète de type 1 de l’association Aide aux jeunes diabétiques
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Rôle des médecins généralistes dans le diagnostic

L’analyse des premières données recueillies par l’observatoire AJD a clairement montré la place du médecin généraliste dans le parcours du diagnostic de l’enfant diabétique, nous amenant à mener une étude spécifique sur cette population. Cependant, si le rôle des médecins généralistes est crucial, il faut rappeler qu’en moyenne, un médecin libéral ne fait un tel diagnostic qu’une seule fois dans toute sa carrière. Il était donc nécessaire d’évaluer les connaissances et les pratiques des médecins généralistes afin d’orienter de façon efficace notre campagne d’information. Un questionnaire élaboré par les équipes pédiatriques de l’AJD a ainsi été proposé aux médecins généralistes de plusieurs régions. Il incluait 15 questions et a été transmis par voie postale (avec enveloppe T) à des médecins généralistes de sept départements ou régions. Le taux de réponse moyen a été de 33% (20 à 66% selon les études).

Résultats

Fréquence de l’acidocétose en France

Les données de l’année 0 portent sur 1 299 patients de 0-15 ans, soit les deux tiers de tous les nouveaux cas diagnostiqués au niveau national, comparativement aux données issues du Système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie (Sniiram) (1) : 48% de filles et 52% de garçons ; 26,4% d’enfants de 0 à 4 ans (6,1%<2 ans), 35,3% âgés de 5 à 9 ans et 38,3% de 10-15 ans. La polyurie-polydipsie était présente dans 97,1% des cas et durait le plus souvent depuis une semaine à un mois (65,5% des 0-4 ans, 65,3% des 5-9 ans, 55,7% des 10-15 ans). Quarante-quatre pour cent des patients présentaient une énurésie : 70,6% des 0-4 ans, 48,3% des 5-9 ans et 26,9% des 10-15 ans. Les autres symptômes – perte de poids, nausées/vomissements, polypnée – n’étaient présents qu’au stade de l’acidose et surtout de l’acidocétose sévère, donc à des stades tardifs (tableau 1).

La fréquence de l’acidocétose était de 43,9%, dont 14,8% de formes sévères et 5,6% de comas, avec 64,8% de traitements initiaux par insuline IV et 16% d’hospitalisations en unités de soins intensifs. Deux patients de 11 ans sont décédés. L’acidocétose était significativement plus fréquente chez les jeunes enfants : 54,2% entre 0 et 4 ans, 43,4% entre 5 et 9 ans et 37,1% entre 10 et 15 ans. Par contre, la fréquence des formes sévères n’était pas significativement différente selon l’âge, mais elle s’élevait à 25,3% avant 2 ans.

Un antécédent de DT1 était rapporté chez 4,8% des fratries, 6,1% des parents et 5,1% des grands-parents (14,5% des familles, plusieurs cas dans 20 familles). La fréquence de l’acidocétose était de 20,1% (4,4% dans une forme sévère) chez les patients ayant un antécédent familial de DT1. Plus de la moitié des patients (53,7%) étaient adressés à l’hôpital par un médecin généraliste, 9,2% par un pédiatre, 6,5% par un autre hôpital et 30,6% étaient venus directement à l’initiative de la famille.

La fréquence de l’acidocétose était plus élevée chez les jeunes venus à l’hôpital à l’initiative de la famille (53,5%) que chez ceux qui avaient été adressés par un généraliste ou un pédiatre (36,7% et 39,3%), la différence portant surtout sur la fréquence des formes sévères (respectivement 26,6%, 7,6% et 5,1%). En analyses multifactorielles, les facteurs associés à l’acidocétose étaient le jeune âge, la durée de la polyurie-polydipsie (>1 semaine), l’hospitalisation à l’initiative de la famille et l’absence d’antécédent familial de DT1.

Tableau 1 : Paramètres cliniques et biologiques (en %) au diagnostic du diabète de type 1 (DT1), selon la présence et la sévérité de l’acidocétose, chez les 1 299 enfants et adolescents suivis par l’observatoire Aide aux jeunes diabétiques. France métropolitaine, année zéro de la campagne de prévention
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Effets de la campagne d’information sur la fréquence de l’acidocétose

Entre les années 0 (pré-campagne) et 1, la fréquence de l’acidocétose a diminué de 7,8% (43,9% vs 40,5% ; p=0,08), en grande partie due à la diminution (23%) de la fréquence de l’acidocétose sévère (année 0 : 14,8% vs année 1 : 11,4% ; p=0,01). Une baisse significative a aussi été observée dans la fréquence des nausées et vomissements, de la polypnée et de l’administration initiale d’insuline par voie veineuse, éléments fortement associés à l’acidocétose sévère. Le fait d’avoir eu connaissance de la campagne d’information, ce qui a été le cas pour 6,6% des familles, principalement par le spot télévisé, était associé à une fréquence plus basse de l’acidocétose : 22%, dont 7,3% de formes sévères. Une fréquence de l’acidocétose sévère plus faible, mais non significative, est retrouvée au cours de l’année 2 (12,9%) comparée à l’année 0 (p=0,053), mais cette baisse ne persiste pas les années suivantes. Par ailleurs, aucune différence significative de la fréquence de l’acidocétose modérée n’a été montrée entre les années 2 à 5, comparativement à l’année 0. Le tableau 2 présente l’évolution des fréquences d’acidocétose pour les années 0 à 5, ainsi que les caractéristiques des patients.

Tableau 2 : Caractéristiques des patients et évolution de la fréquence de l’acidocétose et de l’acidocétose sévère (%) durant les six années de l’observatoire Aide aux jeunes diabétiques, France métropolitaine
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Rôle des médecins généralistes dans le diagnostic

L’analyse de 1 467 questionnaires montre que :

26% des généralistes ne savent pas que le diabète existe avant 2 ans, 6% avant 5 ans, 8% que l’acidocétose peut être mortelle ;

les signes révélateurs du diabète sont connus, mais un antécédent familial est cité dans 50% des réponses (un antécédent familial n’est trouvé que dans 15% des cas), une infection urinaire dans 43% (le diagnostic à l’occasion d’une infection est exceptionnel), une anomalie de la vision dans 19% (cela n’arrive jamais) et l’obésité dans 12% des cas ;

pour confirmer le diagnostic, 30% des médecins répondent que l’analyse d’urine ne suffit pas, 76% qu’un examen sanguin est nécessaire, 63% que cet examen doit être réalisé à jeûn ; 86% adressent l’enfant aux urgences, 77% immédiatement, 19% dans les 48 heures et 6% dans la semaine ;

les réponses au questionnaire sont très corrélées à l’âge du médecin, les réponses correctes étant d’autant plus fréquentes que le groupe d’âge est jeune.

Discussion

La campagne de prévention de l’acidocétose

La première année de recueil (année 0) a montré que la fréquence de l’acidocétose était toujours aussi élevée en France, mais les deux années qui ont suivi (années 1 et 2) ont mis en évidence qu’il était possible de réduire cette fréquence par l’information 14. Ce suivi a aussi permis d’identifier certains facteurs associés à l’acidocétose 9,13,14, ce qui permet de faire évoluer la stratégie des actions d’information pour les rendre plus efficaces.

Cette baisse est encore très insuffisante, mais des actions conduites dans quelques régions pendant cette même période, sur des initiatives locales, ont montré que l’on pouvait obtenir des effets plus importants. Ainsi, dans la région Midi-Pyrénées, une campagne d’envergure de quelques semaines en direction du grand public a permis de réduire la fréquence de l’acidocétose sévère de 20% à 2,7%. En Franche-Comté, une action ciblant particulièrement les médecins généralistes a fait baisser l’acidocétose de 61,1% à 40% et celle de l’acidocétose sévère de 25% à 13%. Une analyse très récente de l’ensemble des années 0 à 5 montre que l’effet de ces campagnes ne dure pas au-delà de deux ans, même dans le cas des deux régions où il avait été plus marqué (non publié), ce qu’avaient déjà montré la campagne de Parme et d’autres après elle 11,12,15.

Au terme de ces premières années de suivi, plusieurs points ressortent clairement :

Les deux symptômes révélateurs sur lesquels la campagne italienne était ciblée, la polyurie-polydipsie et l’énurésie 11,12,13, sont bien ceux sur lesquels l’attention doit être portée en priorité pour éviter les retards au diagnostic. Les troubles digestifs, respiratoires et de la conscience doivent également être connus et reconnus, mais ce sont des signes de gravité qui apparaissent à des stades tardifs auxquels le diagnostic devient extrêmement urgent 13,14.

Le fait que plus de la moitié des enfants aient été hospitalisés à la demande d’un médecin généraliste, et par un pédiatre dans moins de 10% des cas, crée une différence marquée avec la campagne italienne qui ciblait exclusivement les pédiatres 11,12, les enfants étant essentiellement suivis par des pédiatres en Italie.

L’affichage dans les cabinets de pédiatrie et les écoles est réalisable au niveau d’une région, mais soulève d’importants problèmes organisationnels et financiers à plus grande échelle, d’autant que l’action doit d’être pérenne, son effet s’estompant en quelques années 11,12.

Les campagnes grand public, comme celle de la région Midi-Pyrénées, et les spots télévisés ont une efficacité certaine, mais peu durable, et leur extension à l’échelle nationale et dans le temps se heurte à un problème de coût d’un niveau difficilement envisageable.

L’expérience de Franche-Comté a montré que des actions plus ciblées pouvaient avoir un impact marqué sur la fréquence de l’acidocétose.

Les médecins libéraux et le diagnostic de DT1 chez l’enfant et l’adolescent

Les réponses de nombre de médecins reflètent leur expérience du diabète de type 2 chez l’adulte, mais les spécificités du DT1 chez l’enfant et l’adolescent ne sont pas connues, en particulier l’urgence d’établir le diagnostic et de débuter le traitement. Un message simple doit donc être diffusé au sujet du diagnostic du diabète chez l’enfant et l’adolescent : polyurie-polydipsie ± énurésie = diabète. Les examens de laboratoire retardent la prise en charge, alors qu’il suffit de rechercher la glycosurie avec une bandelette ou de mesurer la glycémie capillaire avec une bandelette pour diriger immédiatement l’enfant vers un service d’urgence hospitalier.

Mieux informer les médecins généralistes et les pédiatres

L’importance du rôle des médecins généralistes et la méconnaissance par une fraction non négligeable d’entre eux des spécificités du diagnostic de diabète chez l’enfant et l’adolescent sont des arguments pour que leur formation et leur information soient des objectifs prioritaires dans le cadre de la prévention de l’acidocétose. La meilleure connaissance des médecins les plus jeunes suggère que les évolutions dans la fréquence du diabète chez les jeunes au cours des dernières décennies sont prises en compte dans leur formation et leur information, mais une partie des jeunes médecins n’a pas les connaissances appropriées. Dans la pratique, ce rôle de formateur est principalement assuré par les diabétologues d’adultes, auxquels les données résumées dans cet article ont été et vont être diffusées afin qu’ils consacrent un temps de leur enseignement universitaire et post-universitaire aux spécificités du diagnostic du DT1 chez les jeunes.

En ce qui concerne la pédiatrie, une grande partie de la formation est assurée par des personnes actives au sein de l’AJD, qui sont parfaitement informées du problème et des actions en cours, plus des trois quarts des services de pédiatrie étant maintenant impliqués dans le suivi de l’acidocétose. Néanmoins, il est frappant de constater que des articles consacrés à la polyurie-polydipsie ou à l’énurésie sous-estiment l’importance et l’urgence d’établir le diagnostic de diabète sucré. Certains articles sur l’énurésie ne le mentionnent même pas, d’autres le citent simplement comme une cause rare alors qu’ils accordent une bonne place au diabète insipide, bien plus rare encore. Pourtant, le diabète n’est pas une cause rare de polyurie-polydipsie : c’est LE signe qui le révèle dans 97% des cas. Le diabète est certes une cause rare d’énurésie, mais elle en est le signe révélateur chez plus d’un quart des jeunes de plus de 10 ans, ce qui mérite d’être souligné. La campagne actuelle de l’AJD auprès des médecins libéraux utilise les termes suivants : « Pour confirmer le diagnostic, chercher la glycosurie et/ou mesurer la glycémie immédiatement (avec des bandelettes). Le diagnostic et le traitement sont d’une extrême urgence : les examens en laboratoire retardent le diagnostic et augmentent le risque de coma acidocétosique et de décès. Diriger immédiatement l’enfant vers un service d’urgences hospitalier. »

Il ne faudrait plus entendre des parents rapporter qu’il leur a été proposé une consultation chez un(e) psychologue pour potomanie ou énurésie, alors que tous les signes du diabète étaient là. Il n’est pas acceptable que la vie des enfants soit mise en danger par un retard de diagnostic. Les articles sur la polyurie-polydipsie ou l’énurésie contribueraient à notre effort de prévention de l’acidocétose et de décès si le diagnostic du diabète y était présenté en conformité avec les recommandations des pédiatres diabétologues.

Conclusion : le futur de la campagne de prévention de l’acidocétose

Le modèle italien a montré son efficacité 11,12 et l’expérience conduite par l’AJD l’a confirmée, mais à un moindre degré 14, mettant en exergue ses limites, du fait du coût élevé et de la logistique nécessaires pour une diffusion à bien plus grande échelle. Cette expérience a soulevé deux questions : d’une part, le modèle est-il applicable dans un autre contexte et à une autre échelle ? D’autre part, l’effet obtenu dépend-il de l’affichage ou simplement du fait d’informer les professionnels ? Ce n’est pas le principe qui est remis en question, mais la stratégie et les outils qu’il faut réévaluer pour les adapter au contexte. Si l’affichage, très coûteux, n’est pas le facteur principal de l’effet observé, et si un effet peut être obtenu par l’information des médecins, une campagne peut être plus facilement envisageable sur le long terme. C’est pourquoi a été lancée, pour la période 2016-2018, une nouvelle phase de la campagne, basée principalement sur l’information des médecins libéraux. Le suivi dans les services de pédiatrie de la fréquence de l’acidocétose au moment du diagnostic, qui continue à fonctionner de façon efficace, permettra d’établir, parmi les stratégies d’information des médecins et des autres professionnels de santé, des familles et des adolescents, celles qui représentent le meilleur rapport coût-efficacité, de manière à établir de façon pérenne une campagne d’information qui réduira sur le long terme le risque de complications au moment du diagnostic de DT1 chez l’enfant et l’adolescent.

Remerciements

Nous remercions les membres du Groupe d’études de l’AJD qui participent à la collecte des données pour le suivi de la fréquence de l’acidocétose au moment du diagnostic de diabète chez l’enfant et l’adolescent, dont la liste a été publiée dans les références 13 et 14. Nous remercions D. Louet, pour son rôle dans la gestion de la base de données, M. Gentaz et les Unions régionales des professionnels de santé (URPS) des régions Bourgogne, Franche-Comté, Alsace, Nouvelle Aquitaine et Midi-Pyrénées pour leur rôle dans le déroulement de la campagne d’information.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt concernant les données publiées dans cet article. Les laboratoires Lilly France et Menarini ont contribué au financement de la gestion de la base de données et de la campagne d’information.

Références

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Citer cet article

Robert JJ, Louet D, Choleau C. Diminuer le risque d’acidocétose au moment du diagnostic de diabète chez l’enfant : évaluation d’une campagne de prévention. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(27-28):579-85. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/27-28/2017_27-28_2.html

(1) Données présentées par le Dr Anne Fagot-Campagna au congrès annuel de la Société francophone du diabète (SFD), Bordeaux, 24‑27 mars 2015.