Étude nationale sur les caractéristiques des personnes migrantes consultant dans les Permanences d’accès aux soins de santé en France en 2016

// Nationwide survey on the characteristics of migrants attending the Health Service Access Points in France in 2016

Florence Tapié de Céleyran1, Harold Astre2, Nazmiye Aras1, Dominique Grassineau3, Thierry Saint-Val4, Nicolas Vignier5, Margaret Toolan6, Rémi Flicoteaux7, Caroline Aparicio8, Claire Georges-Tarragano1 (claire.georges@aphp.fr)
1 Permanence d’accès aux soins de santé (PASS) Hôpital Saint-Louis, AP-HP, Paris, France
2 Direction de la recherche et de l’innovation, CHU de Poitiers, Poitiers, France
3 PASS AP-HM ; UMR 7268 Anthropologie, droit, éthique et santé, Université Aix-Marseille, Marseille, France
4 PASS, Pôle Réanimation médecine d’urgences, CH de la Côte Basque, Bayonne, France
5 Groupe hospitalier Sud Île-de-France, Melun ; Sorbonne Universités, UPMC Université Paris 06, Inserm, Institut Pierre Louis d’Épidémiologie et de santé publique (IPLESP UMRS 1136), Paris, France
6 CHU Dupuytren, Limoges, France
7 Service de Biostatistique et information médicale, Hôpital Saint-Louis, AP-HP, Paris, France
8 PASS Hôpital Lariboisière, AP-HP, Paris, France
Soumis le 06.03.2017 // Date of submission: 03.06.2017
Mots-clés : Migrants | Vulnérabilité | Accès aux soins | Approche globale | PASS
Keywords: Migrants | Vulnerability | Healthcare access | Whole-person approach | Healthcare Service Access Point

Résumé

Les Permanences d’accès aux soins de santé (PASS) sont des structures majoritairement hospitalières qui assurent un accueil médico-social des patients en situation de précarité, dont une partie importante est constituée d’immigrés récemment arrivés en France. À partir d’une étude descriptive nationale réalisée en 2016 auprès de 848 immigrés ayant consulté dans 30 PASS de France métropolitaine et de Guyane, cet article décrit leurs caractéristiques sociales, médicales et administratives, en fonction de l’ancienneté d’arrivée en France.

Les personnes immigrées consultant dans les PASS étaient principalement des hommes jeunes avec un niveau d’éducation secondaire, demandeurs d’asile ou sans droit au séjour, en situation de précarité et d’isolement social. L’Afrique subsaharienne est la première région d’origine. Les motifs de consultations étaient souvent multiples, dominés par les troubles digestifs, les maladies infectieuses et les troubles musculo-squelettiques. Les violences subies étaient fréquemment rapportées. Les migrants sans domicile, sans couverture maladie et en insécurité alimentaire, ainsi que les femmes étaient davantage représentés parmi les consultants arrivés en France depuis moins d’un an. Ces derniers étant majoritaires parmi les consultants, ceci conforte la place privilégiée des PASS pour répondre aux enjeux de l’accès aux soins des primo-arrivants, en particulier la prise en charge des pathologies chroniques, et pour assurer une transition vers le système de droit commun.

Abstract

Health Service Access Points (Permanences d’Accès aux Soins de Santé – PASS) are mainly hospital-based structures offering medical and social care to uninsured and socially vulnerable people, of whom a large proportion are migrants who recently arrived in France.

This article describes the social, medical and administrative characteristics of these patients in relation to their length of stay in France, the subject of a nationwide observational study undertaken in 2016, of 848 migrants attending 30 PASS situated in Metropolitan France and French Guiana.

The study found that those consulting the PASS were predominantly young males with secondary level education, who are asylum seekers or undocumented migrants, socially isolated and living in harsh conditions. Sub-Saharan Africa is the commonest place of origin. Reasons for seeking medical attention at the PASS were often multiple, with gastrointestinal problems, infectious diseases and musculoskeletal problems being the most common. Experience of violence was frequently reported. Homelessness, lack of medical insurance, insufficient nutrition and female sex are factors more strongly represented in the category of patients living in France for less than a year. This group constitutes the majority of attendees. The PASS are therefore concerned with identifying and meeting the health needs, particularly in relation to chronic disease, of those newly arrived in France and ensuring the transition of these patients into the standard health care system.

Introduction

Bien que l’immigration vers la France demeure majoritairement une immigration estudiantine, familiale et/ou liée au travail, elle est aussi liée aux conflits, aux persécutions et à la misère dans les pays d’origine. Les migrants font souvent face, à leur arrivée, à des situations de précarité sociale et sanitaire complexes et multidimensionnelles. Les barrières à l’accès aux soins font partie des difficultés rencontrées par ces primo-arrivants. Elles sont souvent aggravées par les barrières linguistiques, administratives et l’absence de couverture maladie, favorisant ainsi le renoncement aux soins.

La loi de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 a été à l’origine de la création des Permanences d’accès aux soins de santé (PASS), dispositifs dédiés à l’accompagnement et à l’accès aux soins des personnes en situation de précarité 1,2. Il en existe plus de 400 en France aujourd’hui, avec des modes d’organisation très divers 3. Principalement implantées au sein des hôpitaux publics, nombre de ces structures associent des soignants (médecins et infirmiers) et des travailleurs sociaux, permettant ainsi d’appréhender des situations médico-psychosociales complexes avec une approche de santé globale 4. Il existe peu de travaux multicentriques sur le profil des usagers fréquentant les PASS 5,6,7,8.

À partir d’un travail conduit au sein d’un collectif national regroupant des professionnels travaillant en PASS, cet article a pour objectif principal de décrire les caractéristiques socio-administratives, les motifs de consultation et l’état de santé des migrants qui consultent dans les PASS en France et pour objectif secondaire de rechercher des spécificités éventuelles selon leur ancienneté d’arrivée en France.

Méthode

Cette étude, conduite par le Collectif national des PASS, est une enquête transversale observationnelle réalisée dans 30 PASS médicalisées en France métropolitaine et en Guyane. Le collectif national des PASS est une association régie par la loi de 1901 créée en 2011, et dont les objectifs sont de rassembler les professionnels et sympathisants des PASS, de partager des compétences, de conduire des travaux de recherche et de promouvoir le dispositif PASS. Il s’appuie pour cela sur des réunions collégiales et un colloque national annuel.

Tous les immigrés, définis dans ce travail comme des personnes nées étrangères à l’étranger selon la définition du Haut Conseil à l’intégration et de l’Insee, âgés de 18 ans et plus et s’étant présentés pour une consultation médicale dans une des PASS participantes sur la période de l’enquête étaient éligibles. L’enquête a été réalisée sur une semaine donnée, du 26 au 30 septembre 2016, soit pendant 1 à 5 jours consécutifs de consultations selon l’organisation de chaque service cette semaine-là. La participation des PASS et des praticiens au sein de chacune a reposé sur la base du volontariat. Le recueil des données a été effectué au moyen d’un questionnaire anonyme standardisé, rempli par le médecin consulté, avec ou sans le travailleur social. L’inclusion était conditionnée à un consentement oral du patient, après information orale et remise d’un formulaire d’information traduit dans 10 langues (anglais, arabe, chinois, roumain, bulgare, pendjabi, pashtoun, ourdou, hindi, bengali). Il s’agissait d’une recherche non interventionnelle : sa mise en œuvre n’a rien modifié de la prise en charge médicale des patients et n’a donc pas nécessité la soumission pour autorisation à un Comité de protection des personnes.

Le traitement des données a été réalisé dans le cadre de la Méthodologie de référence MR-003 de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), conformément à l’engagement pris le 30 septembre 2016 par le CHU de Poitiers, responsable des données.

Un codage selon la classification internationale des maladies 10e révision (CIM-10) a été réalisé afin de standardiser le recueil des antécédents médicaux et des motifs de consultations. La nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS, Insee, révision 2003) a été retenue afin de caractériser et classer le dernier emploi occupé.

Les données ont été exploitées avec le logiciel Stata®. L’analyse comparative par sous-groupes en fonction de la durée du séjour en France a été réalisée par le logiciel R version 3.2.0. Les comparaisons ont été réalisées à l’aide du test du Chi2 ou par analyse de variance (ANOVA). Le seuil de significativité des tests retenu est de 5%.

Résultats

Parmi les 1 108 questionnaires reçus, 260 ont été exclus car ils ne répondaient pas aux critères d’éligibilité ou réglementaires (figure). Il n’a pas été possible de déterminer le nombre total d’immigrés ayant consulté dans les PASS participantes au cours de la période de l’enquête et donc d’estimer précisément le taux de participation. Au final, 848 questionnaires, recueillis auprès d’immigrés dans les 30 PASS participantes, ont été inclus dans l’analyse.

Les PASS participantes ont inclus 26 patients immigrés en médiane, avec une étendue de 0 à 151 patients (3 PASS n’ont en effet eu aucun patient inclus après exclusions des questionnaires non valides). Les PASS franciliennes rassemblaient à elles seules 48% des inclusions. La répartition selon les PASS participantes est la suivante : Agen : 5, Bayonne : 3, Bordeaux : 31, Caen : 22, Cahors : 5, Carcassonne : 0, Cayenne : 40, Châlon-sur-Saône : 0, Chambéry : 32, Créteil, Centre hospitalier intercommunal : 21, CHU Henri Mondor : 30, Elbeuf : 5, Grenoble : 22, Limoges : 23, Louviers : 3, Lyon : 43, Marseille : 35, Melun : 32, Nancy : 27, Orléans : 22, Paris, Corentin Celton : 28, Hôtel-Dieu : 59, Lariboisière : 151, Pass Psy Sainte-Anne : 0, Pitié-Salpêtrière : 4, Saint-Louis : 52, Saint-Antoine : 32, Pau : 24, Poitiers : 54 et Toulouse : 43.

Figure : Diagramme de flux de la population d’étude, Permanences d’accès aux soins de santé (PASS), France, 2016
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Trajectoires migratoires

Dans la population étudiée, 80 nationalités étaient représentées (n=829). La répartition géographique était la suivante : Afrique subsaharienne 44,6% (29 pays), Europe 18,5% (22 pays), Maghreb 15,7% (5 pays), Asie 15,4% (15 pays) et Amériques/Caraïbes 5,8% (9 pays). Les pays d’origine les plus fréquemment rencontrés étaient la Guinée-Conakry (7,7%), l’Algérie (7,4%), la Côte d’Ivoire (6,5%), la République Démocratique du Congo (5,9%), l’Albanie (5,1%), Haïti (4,7%), le Maroc (4,9%), l’Afghanistan (4,3%), le Cameroun (3,5%), le Soudan (3,5%) et le Nigeria (3,3%). Parmi les participants, 13 avaient été naturalisés Français (1,6%).

La population étudiée se composait de 61,2% d’immigrés arrivés en France depuis moins de 1 an, de 20,0% résidant en France depuis au moins 1 an et moins de 5 ans et de 17,5% vivant en France depuis au moins 5 ans (figure). La durée médiane de séjour en France était de 166 jours (intervalle interquartile IIQ : 74 jours – 2,8 ans).

La durée du parcours migratoire était de 304 jours en moyenne, avec une distribution très asymétrique : 64,4% des patients avaient une durée du parcours migratoire inférieure ou égale à 1 mois. Le nombre de pays traversés était le plus souvent de 1 (37,2%), de zéro en cas de vol direct (28,2%) ou de 2 (16,9%). L’âge médian d’arrivée en France était 33,1 ans (IIQ=25,9-46,6 ; étendue=9 mois-76,3 ans).

Caractéristiques sociodémographiques

Les hommes représentaient 61,0% des consultants (tableau 1). Les participants étaient âgés, en médiane, de 35 ans.

Près des deux tiers des consultants avaient un niveau d’étude secondaire ou supérieur (tableau 1). Un peu plus d’un participant sur 3 ne disposait d’aucun droit au séjour en France. Les personnes ayant déposé une demande d’asile représentaient la deuxième situation rencontrée en fréquence. Quel que soit leur statut, 96% des personnes ayant répondu à la question (n=771) ont déclaré avoir l’intention de résider en France. Parmi ceux ne disposant pas d’un droit au séjour, ce pourcentage était également de 96%, alors qu’il était de 72% parmi ceux disposant d’un visa en cours de validité.

Seulement 16,7% de l’échantillon était en emploi (tableau 1) ; près d’un participant sur 2 (64/134) exerçait un emploi non déclaré.

Près de la moitié des patients (47,3% ; n=765) n’avait aucun revenu. Pour les autres, les plus fréquentes sources de revenu étaient un salaire (12,9%), une allocation de demandeur d’asile (10,4%), des économies personnelles ou une aide de la famille (2,9%), un Revenu de solidarité active (2,2%), une retraite (2,0%), une aide financière d’associations (0,8%), une Allocation adulte handicapé (0,7%), une indemnité chômage (0,5%) ou d’autres allocations (2,3%) ; 18,0% d’entre eux avaient des ressources d’origine non connue (travail non déclaré, mendicité, prêt…).

Il est à noter que 48,0% des répondants (n=763) avaient réduit leur alimentation en raison de problèmes financiers sur les 12 derniers mois. Parmi eux, la moitié (57,4%) avait subi cette situation pendant plus de 6 mois sur la dernière année et 63,0% ont eu besoin de recourir à l’aide alimentaire.

Tableau 1 : Caractéristiques sociodémographiques de la population d’étude, Permanences d’accès aux soins de santé (PASS), France, 2016
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Langue parlée

La majorité des patients étaient francophones (59,1%) et 9,8% anglophones. Au total, on dénombre 39 autres langues parlées, parmi lesquelles l’arabe (7,4%), l’albanais (4,1%), le créole (2,1%), l’arménien (2,1%) et le russe (1,9%). Une traduction a été nécessaire pour 29,8% des consultants (830 répondants). La traduction a été réalisée par un membre de la famille (7,3%), un interprète professionnel (6,0%), un ami (2,5%), un membre du personnel de l’hôpital (2,3%) et plus rarement (<1% des cas pour chaque item) un travailleur socio-éducatif, un accompagnant, un bénévole, une connaissance, un logiciel ou un site internet.

Couverture maladie et accès aux soins

Deux consultants sur 3 ne disposaient d’aucune couverture maladie (tableau 2). Une demande était en cours d’instruction pour une partie d’entre eux.

Un tiers des répondants déclarait avoir renoncé aux soins au cours des 12 derniers mois et 9,2% s’être vu refuser des soins (tableau 2).

Tableau 2 : Couverture maladie et accès aux soins dans la population d’étude, Permanences d’accès aux soins de santé (PASS), France, 2016
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État de santé

Les motifs de consultation déclarés et/ou les diagnostics relevés lors de la consultation étaient variés et, dans près de la moitié des cas, multiples : un seul pour 51,8% des patients, deux pour 27,9% et trois ou plus pour 20,3%. Ils sont présentés dans le tableau 3.

Tableau 3 : Motifs de consultation déclarés et/ou diagnostics, Permanences d’accès aux soins de santé (PASS), France, 2016
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Violences subies

Près d’un tiers des patients (30,0% ; n=848) ont rapporté avoir été confrontés à des évènements traumatisants tels que des guerres et des violences dans leurs pays d’origine, ainsi que sur leur parcours migratoire. La moitié (55,3%) étaient des tortures, 12,2% des violences liées au genre ou à l’orientation sexuelle, 7,4% des menaces, 3,1% des violences sans précision, 2,7% des violences familiales, 2,3% des violences sexuelles, 1,6% un mariage forcé et 1,2% avait vécu la guerre. Ces violences avaient été perpétrées très majoritairement dans le pays d’origine (84,8% ; n=177), puis au cours du parcours migratoire (14,1%) ou en France (1,1%).

La prise en charge médico-sociale en PASS

Réseaux d’amont des PASS

Sur 819 patients, 62,3% avaient déjà été reçus à la PASS. Parmi les 382 patients pour lesquels le mode d’adressage à la PASS était renseigné, il s’agissait d’associations non gouvernementales (37,2%), de bouche à oreille (28,0%), d’un service d’urgences (7,8%), d’un service social extérieur à l’hôpital type Centre communal d’action sociale (CCAS), Centre d’accueil des demandeurs d’asile (Cada) ou Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (6,5%), une administration type Office français de l’immigration et de l’intégration ou préfecture (3,7%), une autre consultation externe du même hôpital (5,2%), un médecin de ville (3,1%) ; les autres structures (autre PASS, caisse primaire d’assurance-maladie, autre hôpital public, centre de santé, Samusocial) représentaient moins de 2% chacune.

En aval, une forte proportion de patients (82,7% ; n=815) n’avait eu aucun suivi en dehors de la PASS. Seuls 13,9% (n=805) avaient un médecin traitant.

Prise en charge sociale en PASS

La contribution du travailleur social a été rapportée pour 57,6% des 848 patients ; elle correspondait dans 85,4% des cas à une aide à l’obtention d’une couverture maladie, tandis que 12,5% des participants ont bénéficié d’une aide alimentaire, 6,5% de conseils juridiques, 6,3% d’une aide pour un hébergement, 6,3% d’une aide pour un vestiaire et 4,7% d’une aide financière.

La prise en charge médicale en PASS

Les patients ont fait l’objet d’une prescription médicamenteuse dans 76,0% des cas (n=811) ; 75,2% ont eu leurs médicaments délivrés à la PASS et 24,8% en ville (n=616).

Un certificat médical a été remis au patient dans 9,3% des cas (n=783), notamment dans le cadre d’une demande de titre de séjour pour raison de santé (n=15) ou d’une attestation pour un bénéfice matériel (n=8).

En matière de prévention, le frottis cervico-utérin et la mammographie étaient à jour pour la moitié des femmes concernées, respectivement 46,5% (parmi 114 femmes de 25 à 65 ans) et 48,0% (parmi 29 femmes de 50 à 74 ans). Pour 10% d’entre elles, le dépistage avait été proposé ou prescrit à la PASS ; le statut demeure inconnu pour les autres. Le dépistage du cancer colorectal était à jour dans 8,3% des cas (parmi 32 sujets de 50 à 74 ans) et prescrit par la PASS pour 2,8% (l’accès à ce dépistage est conditionné à une couverture maladie de base à jour). Le dépistage des infections sexuellement transmissibles a été réalisé à la PASS pour près de la moitié des patients (47,1% chez 741 répondants), prescrit par la PASS (6,9%), réalisé au CeGIDD (10,0%) et non fait dans 36,0% des cas. La tuberculose a fait l’objet d’un dépistage à la PASS pour 32,1% des patients, dépistage réalisé par radiographie pulmonaire dans 72% des cas, intradermoréaction à la tuberculine ou mesure de la sécrétion de l’interféron gamma dans 13% des cas et non renseigné pour les autres (15%).

Au décours de la consultation, 79,6% des patients (N=818) ont bénéficié d’au moins une orientation. Le détail des orientations est le suivant : 53,4% se sont vus proposer un rendez-vous de suivi à la PASS, 27,0% ont été orientés vers un (des) spécialiste(s) parmi lesquels les consultations gynécologiques, gastroentérologiques et cardiologiques étaient les plus fréquentes ; 9,1% ont été orientés vers un médecin généraliste, 3,4% adressés vers un centre ou une PASS dentaires, 2,7% adressés à une équipe psychiatrie précarité, 1,6% envoyés aux urgences et 1,3% hospitalisés.

Analyse comparative selon la durée du séjour en France

Trois groupes de patients ont été déterminés selon leur durée de séjour en France : ceux présents sur le territoire depuis moins de 1 an, ceux résidant en France depuis au moins 1 an et moins de 5 ans et ceux établis depuis au moins 5 ans (tableau 4).

Les immigrés sans domicile ou hébergés, sans emploi, sans couverture maladie, en insécurité alimentaire, les plus jeunes et les femmes étaient les plus représentés parmi les consultants arrivés en France depuis moins de 1 an. La majorité des consultants bénéficiaient d’une prise en charge médico-sociale, de prescriptions et d’orientations indépendamment de leur ancienneté d’arrivée en France.

Tableau 4 : Analyse descriptive avec comparaison univariée des caractéristiques des patients selon leur durée de séjour en France, Permanences d’accès aux soins de santé (PASS), France, 2016
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Discussion

Cette étude menée par le Collectif national des PASS apporte, pour la première fois, une description à l’échelle nationale des caractéristiques démographiques et médico-sociales des immigrés recourant aux soins dans les PASS et permet de porter un regard sur cette population insuffisamment documentée.

Dans la population étudiée, la majorité des consultants étaient des hommes jeunes, avec un niveau d’éducation secondaire, arrivés en France depuis moins d’une année, demandeurs d’asile ou sans droit au séjour. Ils vivaient souvent dans des conditions de grande précarité, dépendants, quand ils n’étaient pas à la rue, d’un tiers ou d’une structure sociale pour l’hébergement. Beaucoup étaient en situation d’isolement social. La barrière de la langue était fréquente. Parmi ceux arrivés depuis moins d’un an, les PASS constituaient souvent un des premiers lieux de recours (82% des patients n’ayant pas d’autre suivi). La venue en France n’étant pas une « étape » dans le parcours migratoire des patients (93% souhaitaient y demeurer), des solutions durables dans la prise en charge médicale et sociale étaient nécessaires.

Les conditions d’hébergement reflètent la grande précarité des patients migrants, avec 40% d’entre eux n’ayant pas d’hébergement stable et/ou salubre, et elles étaient limitantes pour certains traitements (insulinothérapie, chimiothérapie, immunosuppresseurs…), conduisant à une nécessaire adaptation de la prise en charge médicale en fonction de caractéristiques sociales (prise en charge ambulatoire, accompagnement, adaptation du traitement…).

Par ailleurs, une certaine polyvalence est requise pour le médecin de la PASS, puisqu’environ la moitié des patients présentaient plus d’un motif de consultation, 20% au moins 3 motifs de consultation et près de 25% une pathologie chronique (toutes spécialités confondues). Les usagers des PASS décrivaient un temps de parcours migratoire long (305 jours en moyenne) et éprouvant, surtout pour les patients porteurs de maladies chroniques (infectieuses, métaboliques ou cardio-vasculaires) susceptibles de s’aggraver lors de la migration. Les pathologies rencontrées chez les migrants consultant en PASS sont comparables aux autres études 5. Le faible taux d’adressage aux urgences et en hospitalisation permet également d’identifier les PASS comme un filtre à des recours évitables aux urgences et en hospitalisation en proposant une alternative plus adaptée et moins coûteuse.

Le quatrième motif de consultation le plus fréquent (après les pathologies gastro-intestinales, infectieuses et musculo-squelettiques) concernait les pathologies psychiatriques, à hauteur de 7% de la population de l’étude. Cette sous-représentation des troubles psychiatriques par rapport aux autres corpus de données venant de Médecins du Monde ou du Comede est peut-être liée à la formulation de l’item : motif de consultation et/ou principal symptôme traité, dans une consultation PASS qui est avant tout une prise en charge somatique.

Bien que documentée chez un nombre de patients limité (n=255), la présence de psychotraumatismes pendant le parcours migratoire apparait très fréquente. Une des limites possible de l’étude est que l’entretien ait été écourté par le temps pris pour le questionnaire, limitant l’opportunité d’approfondir ces sujets avec les patients. Le fait que la question soit relativement peu posée peut aussi être lié à la méconnaissance de cette réalité par les équipes. L’étude confirme donc l’importance d’aborder ce sujet avec les patients et incite à mettre en place d’autres travaux dans les PASS ciblés sur la question des violences et du parcours traumatique de ces populations.

Cette enquête confirme aussi que les PASS remplissent leur mission d’accueil du patient avec accompagnement médical et social. La quasi-totalité des personnes incluses dans l’étude (98%) ont vu un médecin et un travailleur social, avec recours à l’interprétariat professionnel dans la mesure du possible. Les actions menées majoritairement sont le soin et la délivrance des médicaments par l’hôpital, l’accès au plateau technique et l’aide à l’ouverture de droits. L’adressage à la PASS provient souvent de partenaires associatifs ou sociaux, d’où l’importance pour les PASS d’être bien identifiées dans les réseaux de prise en charge afin que les compétences de chacun se potentialisent au profit des patients.

Les PASS proposent notamment une réponse à des enjeux d’accès aux soins des primo-arrivants 9. Cette étude montre que la population immigrée depuis moins d’un an est en situation de très grande précarité, même si les conditions de vie s’améliorent avec la durée de présence en France. Dans le contexte actuel où les soins aux migrants primo-arrivants en Europe sont souvent effectués par des bénévoles et des organisations non gouvernementales, en priorisant le traitement des maladies infectieuses afin d’éviter des transmissions dans le pays hôte, sans intégration dans le système de droit commun 10,11, les PASS ont un rôle à jouer important dans la prise en charge des maladies chroniques, la prévention tertiaire des violences subies et pour assurer une transition vers le système de droit commun.

Les PASS constituent également un dispositif offrant l’opportunité d’exercer des missions de prévention, comme la vaccination, et également de dépistages : dépistage d’infections (VIH, IST, hépatites, tuberculose), frottis cervico-utérin ou dépistage du cancer colorectal. Ces dépistages ont concerné environ la moitié du public étudié, ce qui demeure insuffisant.

Limites

Cette étude présente des limites, en particulier d’échantillonnage des PASS incluses :

i) l’échantillon est supposé être exhaustif, mais la proportion de la population des consultants ayant effectivement participé parmi l’ensemble des consultants de la période n’a pas pu être mesurée, ce qui rend impossible la comparaison entre la population des consultants et l’échantillon étudié selon l’âge et le sexe, comme initialement prévu ;

ii) cette étude a été réalisée auprès de PASS hospitalières volontaires équipées d’une offre médicale dédiée. Cette sélection peut constituer un biais d’échantillonnage dans la mesure où certaines PASS ont décliné la participation par manque de personnel ou par absence de consultation médicale dans la période de l’étude. Ainsi, des PASS comme celles de Nantes, Saint-Etienne ou Besançon n’ont pas pu inclure de patients malgré le souhait de participer des responsables médicaux.

Malgré ses limites structurelles liées à la contrainte de temps, l’absence de financement et de ressources dédiées, cette étude fournit des informations pertinentes dans la description des patients immigrés consultant dans les PASS des grandes villes, bien représentées, sachant que les PASS de territoires ruraux reçoivent moins de patients immigrés.

Conclusion

Dans un communiqué publié à l’occasion de la Journée internationale des migrants en 2016, l’Organisation mondiale de la santé recommande de « veiller à ce que tous les réfugiés et les migrants de la région européenne jouissent d’une bonne santé. Les récents événements en Afrique et au Moyen-Orient sont à l’origine d’une augmentation spectaculaire du mouvement migratoire en direction de la Région européenne de l’OMS », situation face à laquelle elle incite à « appuyer les efforts visant à renforcer l’état de préparation du secteur de la santé ainsi que la capacité de la santé publique à répondre aux besoins des réfugiés et des migrants » 12.

Les dispositifs PASS et les organismes non gouvernementaux constituent les principaux acteurs de l’aide médico-sociale pour les migrants précaires à leur arrivée en France.

Les PASS ont pour mission l’accompagnement et l’accès aux soins des patients précaires, français ou non. L’hétérogénéité de ces structures et de leur situation locale ainsi que leur manque de visibilité concourent à une mauvaise connaissance de leur organisation et de leur patientèle, que nous avons tenté de décrire dans cette étude. Constituées d’équipes pluri-professionnelles, les PASS peuvent être considérées comme des « unités de pratiques intégrées » de soins primaires susceptibles d’éviter la décompensation de pathologies souvent intriquées et d’améliorer des parcours de soins complexes 9,13.

Faisant face à la multiplicité des motifs de recours associée au cumul de vulnérabilités objectives, et proposant une approche globale visant à simplifier les parcours de patients particulièrement fragiles en évitant de fragmenter leur prise en charge, les PASS apparaissent comme un type d’organisation susceptible de répondre aux enjeux de santé publique actuels, dans un contexte d’augmentation des flux migratoires 14.

Remerciements

Nous tenons à remercier les responsables et les professionnels des PASS ayant participé à l’étude : A. Andrey (Nancy), P. Aubry (Poitiers), C. Boceno (Cayenne), M. Blanc (Grenoble), L. Carrié (Melun), O. Cha (Saint-Antoine), H. De Champs Leger (Hôtel Dieu), C. De Gennes (Pitié-Salpêtrière), B. De Goer (Chambéry), H. De Saint-Aubin (Elbeuf-Louviers), S. Emery (Corentin Celton), V. Jeannerod (Melun), M. Oberlin (Cahors), K. Pariente (Toulouse), I. Pouyanne (Pau), F. Prévoteau du Clary (Toulouse), A. Reix (Bordeaux), I. Roustang (Henri Mondor), F. Rousseau (Orléans), S. Rousseau (CHI Créteil), M.A. Salaün (Caen), E. Salles (Châlon sur Saône), I. Schlienger (Lyon).
Merci à I. Pironneau pour sa contribution précieuse à la saisie des données, à D. Frasca pour les statistiques, A. Tabouri, directeur d’ISM Interprétariat pour la traduction des lettres d’information et à V. Lengline pour la bibliographie.

Références

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2 Lebas J. Accompagnement de la mise en place des PASS. Rapport de mission. Paris: DHOS, 2000.
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Citer cet article

Tapié de Céleyran F, Astre H, Aras N, Grassineau D, Saint-Val T, Vignier N, et al. Étude nationale sur les caractéristiques des personnes migrantes consultant dans les Permanences d’accès aux soins de santé en France en 2016. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(19-20):396-405. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/19-20/2017_19-20_4.html