Surveillance des maladies infectieuses dans les populations migrantes accueillies à Calais et à Grande-Synthe, novembre 2015 – octobre 2016

// Infectious disease surveillance of migrant populations in Calais and Grande-Synthe, France, November 2015 – October 2016

Pascal Chaud1 (pascal.chaud@santepubliquefrance.fr), Sylvie Haeghebaert1, Ghislain Leduc1, Béatrice Merlin2, Michel Janssens3, Aurélie Denoual4, Marc Pascal5, Nicolas Simon6, Mohamed El Mouden7, Fréderic Battist7, Benoit Raeckelboom8, Frédéric Souyris8, Karine Wyndels1
1 Santé publique France, Cellule d’intervention en région (Cire) Hauts-de-France, Lille, France
2 Agence régionale de santé Hauts-de-France, Lille, France
3 Médecins Sans Frontières, Paris, France
4 Médecins du Monde, Paris, France
5 Croix-Rouge française, Paris, France
6 Santé publique France, Saint-Maurice, France
7 Centre hospitalier de Calais, France
8 Centre hospitalier de Dunkerque, France
Soumis le 01.03.2017 // Date of submission: 03.01.2017
Mots-clés : Surveillance | Maladies infectieuses | Migrants | Campement
Keywords: Surveillance | Infectious diseases | Migrants | Camp

Résumé

En octobre 2015, conformément aux recommandations de la mission d’évaluation du dispositif de prise en charge sanitaire des migrants vivant dans le campement de Calais, un système de surveillance épidémiologique a été mis en place par Santé publique France. Du fait d’un nouvel afflux migratoire, le dispositif a été étendu au camp de Grande-Synthe en décembre 2015.

Les objectifs de la surveillance étaient de détecter précocement toute épidémie et de suivre les tendances de pathologies-cibles afin d’adapter l’offre de soins curatifs et préventifs.

Une revue de la littérature et une concertation entre les départements scientifiques de Santé publique France ont permis de définir les pathologies prioritaires. La surveillance a été basée sur le renforcement du dispositif existant de signalement à l’Agence régionale de santé Hauts-de-France et sur une surveillance syndromique basée sur les données transmises par les structures de soins gérées par les hôpitaux et les organisations non gouvernementales.

Sur la période d’étude, la majorité des recours aux soins a concerné les pathologies infectieuses, notamment les infections respiratoires aiguës basses et hautes, les syndromes grippaux et la gale. Plusieurs épisodes épidémiques ont été détectés dans le campement de Calais : une épidémie de grippe A(H1N1), un foyer épidémique de rougeole et une épidémie de varicelle, qui ont donné lieu à des campagnes de vaccinations.

Cette expérience a démontré la faisabilité et l’utilité d’une surveillance syndromique dans le contexte complexe d’un camp de migrants ouvert, où la population accueillie se renouvelle en permanence et où l’offre de soins, composée d’intervenants multiples, évolue régulièrement.

Abstract

In October 2015, based on recommendations following an inter-ministerial mission to evaluate the organization of medical care for migrants living in the Calais encampment, an epidemiological surveillance system was set up by Santé publique France. An increasing influx of migrants led to the expansion of surveillance to the Grande-Synthe encampment in December 2015.

Surveillance objectives were to ensure timely detection of outbreaks and to follow trends for certain illnesses in order to adapt the curative and preventive healthcare offer.

The pathologies prioritized for surveillance were chosen through literature review and deliberation between the scientific departments of Santé publique France. Surveillance was based on reinforcing the existing reporting system of the regional health agency and on syndromic surveillance using data sent by the clinics run by hospitals and non-governmental organizations.

Over the study period, the majority of consultations concerned infectious diseases, in particular upper and lower respiratory infections, influenza like illness and scabies. Several outbreaks were detected in the Calais encampment: an influenza A(H1H1) outbreak, a measles outbreak and a varicella outbreak. Each of these events led to vaccination campaigns.

This experience demonstrates the feasibility and usefulness of syndromic surveillance in the complicated context of an unstructured migrants camp where population turnover is constant and where healthcare services, comprising multiple actors, evolve regularly.

Introduction

Suite à la mise en œuvre de l’accord de Schengen (1995), puis du traité du Touquet (2003), la ville de Calais et ses environs accueillent des migrants désireux de se rendre au Royaume-Uni. Ces vagues migratoires ont connu une forte progression entre 2010 et 2014.

En janvier 2015, la municipalité de Calais et l’État ont installé un centre d’accueil de jour, le centre Jules Ferry, offrant certains services de base, notamment la distribution d’un repas chaud par jour, des points d’eau potable, des sanitaires ainsi que des soins de santé primaire, avec l’ouverture d’un dispensaire infirmier par la Permanence d’accès aux soins de santé (PASS) de l’hôpital de Calais. En avril 2015, les migrants ont été regroupés sur un terrain contigu au centre Jules Ferry, mis à disposition par la commune et dénommé campement de la « nouvelle jungle de Calais » ou de la « Lande ». Les difficultés pour passer en Angleterre et l’augmentation des flux migratoires ont entraîné un accroissement rapide des populations migrantes installées dans la Lande. Estimé à environ 2 000 de janvier à mars 2015, leur nombre a atteint près de 6 000 personnes en octobre 2015, majoritairement des jeunes hommes originaires d’Érythrée, d’Éthiopie, du Soudan et d’Afghanistan1. L’accès à l’eau potable, à l’hygiène, à la nourriture et aux soins s’est alors rapidement dégradé. Les organisations non gouvernementales (ONG) présentes dans le campement alertaient régulièrement sur la détérioration de la situation à Calais et notamment sur les difficultés de recours aux soins. Le 7 août 2015, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés appelait les autorités françaises à réagir face aux « conditions de vie et d’accueil épouvantables » autour de Calais 2.

Le 12 octobre 2015, une mission interministérielle d’évaluation du dispositif de prise en charge sanitaire était dépêchée à Calais. Des propositions pour améliorer l’accès aux soins curatifs et préventifs ont été formulées et la mise en place d’un suivi épidémiologique a été recommandée 3.

Par ailleurs, en fin d’année 2015, près de 2 500 réfugiés, essentiellement des familles originaires du Moyen-Orient (Irak, Syrie), se sont regroupés sur le terrain insalubre et inondable du Basroch, à Grande-Synthe. Pour faire face à cette situation, Médecins Sans Frontières (MSF) a mis en place un centre d’accueil aux normes internationales, le camp de la Linière, sur un terrain alloué par la mairie de Grande-Synthe. Début mars 2016, près de 1 500 personnes y étaient installées.

Pour chacun des deux camps, l’organisation des soins s’est appuyée sur les PASS et les services d’accueil des urgences (SAU) des centres hospitaliers (CH) de Calais et Dunkerque, de la polyclinique de Grande-Synthe et sur les dispensaires de proximité mis en place par les ONG dans les camps. Entre novembre 2015 et fin octobre 2016, date du démantèlement total du camp de Calais, l’offre de soins de premier recours a régulièrement évolué. À Calais, des consultations médicales ont été mises en place à l’antenne de la PASS, dans le centre d’accueil Jules Ferry, avec l’appui d’équipes de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) (1) les trois premiers mois. En complément, dans la continuité du centre de soins mis en place au sein du camp par Médecins du Monde (MDM) en juin 2015, MSF a ouvert une clinique médicale, de novembre 2015 à fin février 2016. À Grande-Synthe, les soins de premiers recours ont été assurés jusqu’en août 2016 par MSF, MDM et la Croix-Rouge française dans le campement du Basroch, puis dans le dispensaire du camp de la Linière. Le relais a ensuite été pris par la PASS de l’hôpital de Dunkerque, avec la mise en place de navettes quotidiennes pour acheminer les patients.

En novembre 2015, un système de surveillance épidémiologique a été mis en œuvre, à Calais et à Grande-Synthe, par la Cellule d’intervention en région Hauts-de-France de Santé publique France (Cire), en partenariat avec l’Agence régionale de santé (ARS). Les objectifs étaient (i) de détecter précocement toute situation épidémique nécessitant la mise en œuvre urgente de mesures de contrôle et (ii) de suivre les tendances de certaines pathologies-cibles afin d’adapter l’offre de soins curatifs et préventifs. Les résultats de près d’une année de surveillance (novembre 2015-octobre 2016) sont présentés dans cet article.

Matériel et méthodes

Une revue de la littérature 4,5,6,7 et une concertation entre les départements scientifiques de Santé publique France ont permis de définir les pathologies prioritaires pour la surveillance, notamment les pathologies infectieuses (contractées sur le territoire ou importées), les traumatismes (accidentels ou liés à une agression) et les troubles psychologiques.

La surveillance a été organisée selon deux modalités. D’une part, le dispositif de signalement à l’ARS des maladies à déclaration obligatoire (MDO) et des cas groupés de pathologies infectieuses a été renforcé. D’autre part, la Cire a mis en place un système de surveillance syndromique permettant d’alerter sur la survenue de syndromes nécessitant une intervention autour des cas, comme les diarrhées sanglantes ou les ictères fébriles, et de suivre les tendances de certaines pathologies comme la grippe, la gale ou les traumatismes (voir encadré).

Un livret de signalement comportant les coordonnées de l’ARS, la liste des maladies à déclarer (MDO et cas groupés) et des fiches de conduite à tenir pour certaines maladies infectieuses (coqueluche, rubéole, infections transmises par les poux de corps) a été mis à disposition des ONG, PASS et SAU.

Encadré :
Liste des syndromes et diagnostics cibles utilisés pour la surveillance syndromique à Calais et à Grande-Synthe, novembre 2015 – octobre 2016

Maladies infectieuses

Fièvre

Fièvre et éruption

Rougeole

Varicelle

Syndromes méningés et méningo-encéphalites

Conjonctivite

Ictère

Diarrhées aiguës

Diarrhées sanglantes

Syndrome grippal

Infections respiratoires aiguës basses

Infections cutanées (sans précision)

Gale

Poux de corps

Infections sexuellement transmissibles (IST)

Traumatismes

Agressions (hors agressions sexuelles)

Agressions sexuelles

Traumatismes accidentels

Santé mentale sans précision

Intoxications sans précision

La surveillance syndromique s’est appuyée sur les données des consultations médicales assurées par les centres hospitaliers (PASS de Calais et de Dunkerque et SAU des hôpitaux de Calais, Dunkerque et Grande-Synthe) et les dispensaires des ONG (MSF, MDM et Croix-Rouge française).

Pour les structures hospitalières (SAU et PASS), les données individuelles des résumés informatisés de passage aux urgences, comportant notamment des données médicales (motif de consultation, diagnostic), étaient transmises quotidiennement à Santé publique France dans le cadre du dispositif SurSaUD®8. À l’usage, les données des résumés informatisés de passage aux urgences n’ont pas pu être exploitées en continu pour des raisons techniques et humaines, excepté au SAU de Calais. La surveillance syndromique basée sur les consultations des PASS a ainsi été interrompue de février (semaine 12) à début mai 2016 (semaine 21) à Calais et à partir de la fin du mois d’août 2016 à Grande-Synthe (figures 1 et 2).

Figure 1 : Évolution hebdomadaire de la moyenne quotidienne des recours aux soins de premier recours à Calais (données MSF et PASS de Calais), novembre 2015 – octobre 2016
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Figure 2 : Évolution hebdomadaire de la moyenne quotidienne des recours aux soins de premiers recours à Grande-Synthe (données MSF, MDM, Croix-Rouge et PASS de Dunkerque), novembre 2015 – octobre 2016
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Les données agrégées provenant des consultations assurées par les ONG (nombre de consultations par regroupement syndromique et par classe d’âge) ont été transmises chaque semaine à la Cire par courriel. À partir de mai 2016, l’importance du volume de recours aux soins a contraint la PASS du CH de Calais à utiliser le même recueil agrégé transmis quotidiennement.

Le logiciel de traitement statistique R a été utilisé pour l’ensemble des étapes allant de la gestion des bases de données à la production des résultats (importation et nettoyage des bases de données, standardisation et analyses des données, production automatisée de statistiques descriptives et du contenu des bulletins).

Aucune donnée démographique n’a été disponible tout au long de la période de surveillance car les campements de Calais et du Basroch étaient ouverts et les effectifs de population en évolution constante. De ce fait, l’analyse a porté sur des proportions de consultations correspondant au nombre de recours par motif/regroupement syndromique rapporté à la totalité des diagnostics posés.

Un bulletin hebdomadaire de surveillance a été diffusé par la Cire aux partenaires de la surveillance (hôpitaux, ONG) et aux partenaires institutionnels (ARS, Préfectures) et mis en ligne sur le site de Santé publique France 9. La première page du bulletin résumait les alertes en cours et les points-clés. Les pages suivantes montraient l’évolution du nombre de recours aux soins par structure ainsi que les courbes épidémiques des principales pathologies ou syndromes.

Résultats

À Calais, la moyenne hebdomadaire de recours quotidiens est restée élevée pendant toute la période de surveillance. Jusqu’au départ de MSF, fin février 2016, elle était de 162, variant de 149 à 178 selon les semaines (écart-type : 11). À partir de mai 2016, date de reprise de la surveillance avec les seules données de la PASS, elle atteignait 160, augmentant jusqu’à un maximum de 185, suite à une forte augmentation de la population (figure 1). Au SAU de Calais, cette moyenne était stable, entre 5 et 15 recours quotidiens. À Grande-Synthe, la moyenne hebdomadaire de recours quotidiens a diminué progressivement à partir de l’installation dans le camp de la Linière en mars 2016, passant de 86 à 29 (moyenne : 56 ; écart-type : 17,6), parallèlement à la baisse de la population hébergée (figure 2).

Dans les dispensaires, les consultations pour pathologies infectieuses ont représenté plus d’un recours aux soins sur deux (51,5% à Calais et 52,7% à Grande-Synthe) (figure 3).

Figure 3 : Répartition des pourcentages de consultations de premier recours pour les principaux motifs/regroupements syndromiques (nombre de recours pour un motif rapporté à la totalité des recours) dans les dispensaires de Calais et de Grande-Synthe, décembre 2015 – mai 2016
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Les infections respiratoires aiguës (IRA) hautes et ORL, respectivement 17% des recours à Calais et 35% à Grande-Synthe en moyenne, étaient les deux principaux motifs de consultation. Les enfants de moins de 5 ans étaient principalement concernés (42% des recours pour IRA hautes à Calais vs 47% dans le camp de la Linière). Les IRA basses et les syndromes grippaux (13,3% à Calais et 6,6% à Grande-Synthe) ont également constitué des motifs importants de recours, notamment du fait de la survenue d’épidémies de grippe dans les deux campements.

Entre les mois de novembre 2015 et octobre 2016, un total de 15 cas de tuberculose a été déclaré à l’ARS par les médecins de la PASS de Calais, dès le diagnostic établi. Parmi les cas, 9 présentaient une forme pulmonaire dont 3 étaient bacillifères. Aucune forme multi-résistante n’a été identifiée. Les enquêtes autour des cas n’ont pas permis de dépister d’autres cas de tuberculose maladie ou d’infection tuberculeuse latente, ni d’établir de lien épidémiologique entre les cas. Aucun cas de tuberculose n’a été signalé à Grande-Synthe.

À Calais, la gale a été un motif constant et important de demande de soins (13,6% en moyenne), variant de 20 à 30% des recours jusqu’en mars 2016 à environ 10% à partir de juin 2016. La population du campement de la Linière, plus stable et bénéficiant de meilleures conditions d’hébergement, a été nettement moins touchée (3,3% en moyenne).

Enfin, les consultations pour diarrhée aiguë ont concerné moins de 2% des recours, sans variations importantes. Quelques cas isolés d’hépatite aiguë A ont été signalés par la PASS de Calais, mais n’ont pas généré de phénomène épidémique, probablement en raison du niveau élevé d’immunité de ces populations originaires de pays de forte endémicité.

Le dispositif de signalement et de surveillance mis en place a permis de détecter trois épisodes épidémiques entre novembre 2015 et octobre 2016, et d’en assurer le suivi épidémiologique.

Fin novembre 2015, plus d’une centaine de cas de grippe ont été pris en charge par le SAU de Calais, dont 25 ont été confirmés pour un virus grippal A(H1N1). Cette bouffée épidémique a généré des difficultés pour la mise en observation des cas les plus graves. Une campagne de vaccination antigrippale, débutée juste avant le début de l’épidémie par une ONG anglo-pakistanaise, a permis de vacciner environ 3 000 personnes et en a ainsi probablement limité l’impact. Par ailleurs, il n’a pas été signalé de reprise épidémique en février 2016 dans le camp de Calais, contrairement à la situation communautaire dans les Hauts-de-France 10 et dans le camp de la Linière, où une campagne de vaccination contre la grippe avait été organisée plus tardivement (figure 4).

Figure 4 : Évolution du pourcentage hebdomadaire de consultations pour syndromes grippaux dans les dispensaires de Calais et de Grande-Synthe. Données SOS Médecins région Hauts-de-France, décembre 2015 – novembre 2016
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Entre le 5 janvier et le 11 février 2016, 13 cas de rougeole ont été recensés, concernant 9 migrants, 1 bénévole et 3 personnels soignants du SAU de Calais 11. Le premier cas est survenu le 5 janvier chez un migrant adulte, arrivé depuis un mois, et le deuxième chez un bénévole d’une ONG caritative, résidant et intervenant dans le campement. Tous les cas ont été confirmés biologiquement et un virus de génotype B3, très rarement isolé en France, mais circulant de manière importante dans d’autres pays d’Europe, dont l’Angleterre ou l’Espagne 12, a été identifié. Ces éléments suggèrent fortement l’hypothèse d’une importation du virus par des bénévoles étrangers, très nombreux à intervenir dans le campement. Dès le 28 janvier, une campagne de vaccination contre la rougeole ciblant les personnes âgées de 1 an à 35 ans a été mise en place par l’Eprus et MSF. Plus de 2 000 personnes ont été vaccinées à Calais et plus de 450 à Grande-Synthe. Le faible nombre de cas de rougeole recensés et l’arrêt de la circulation du virus sont probablement liés en partie à la vaccination, mais aussi à un niveau d’immunité élevé chez les migrants.

Enfin, durant l’été 2016, une épidémie de varicelle s’est développée dans le campement de Calais. Les premiers cas, sporadiques, concernaient des adultes qui ont consulté au dispensaire de la PASS à partir d’avril 2016. Suite à l’afflux massif de personnes sur le campement, notamment originaires du Soudan où la proportion d’adultes non immunisés est élevée, proche de 40% 13, le nombre hebdomadaire de patients consultant pour varicelle a brutalement augmenté en juin 2016. Il a évolué en vagues successives et croissantes toutes les deux semaines environ, correspondant à l’incubation moyenne de la maladie (figure 5). À partir de fin août, l’ARS et la PASS ont mis en place une vaccination systématique des contacts des cas âgés de 12 à 39 ans sans antécédents de varicelle, avec l’appui des ONG. Au total, près de 800 vaccinations ont été réalisées. Suite à la mise en place de la vaccination, une diminution très rapide du nombre de cas a été observée. Au total, 351 cas ont été vus en consultation. Plus de 90% d’entre eux étaient âgés de plus de 15 ans. Seuls 2 patients ont présenté une complication pulmonaire, mais n’ont pas été hospitalisés. Une femme enceinte a contracté la varicelle et 16 ont été exposées. Deux d’entre elles, non immunisées, ont bénéficié d’un traitement antiviral par valaciclovir.

Figure 5 : Évolution du nombre hebdomadaire de nouveaux cas de varicelle, données de la PASS de Calais, mai 2016 – octobre 2016
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Discussion – conclusion

Le dispositif de signalement et de suivi épidémiologique mis en place dans les structures de soins prenant en charge les populations migrantes des camps de Calais et Grande-Synthe a répondu efficacement aux objectifs de détection et de réponse aux menaces épidémiques.

L’accès aux soins assuré par les structures hospitalières et les ONG, complété par les actions de maraude et de prévention des ONG présentes sur le terrain, et la sensibilisation au signalement des professionnels de santé, ont fortement contribué à la sensibilité et à la réactivité du dispositif de surveillance. Plusieurs épisodes épidémiques ont ainsi pu être détectés et l’impact des mesures de contrôle mises en place lors des alertes être évalué.

Alors que les conditions de vie dans les campements pouvaient le laisser craindre, aucun épisode d’épidémie de maladie infectieuse entérique n’est survenu. Ces résultats sont probablement liés aux efforts importants et constants de MSF et de l’État pour mettre à disposition des accès au réseau d’eau potable, des latrines et des douches en nombre suffisant, et pour assurer l’évacuation régulière des déchets, avec le concours de nombreuses associations comme Acted (www.acted.org/fr) et Utopia 56 (www.utopia56.com).

Il est à noter que durant toute la durée de la surveillance, aucune pathologie d’importation, comme les infections transmises par les poux de corps, n’a été signalée, contrairement à ce qui a été décrit en Italie et dans d’autres pays européens 14,15.

Il faut également souligner un bilan très contrasté entre les camps de Calais et de Grande-Synthe, du fait de caractéristiques des populations et de conditions de vie très différentes. À Grande-Synthe, la population, principalement des familles, était hébergée dans un camp installé selon les normes sanitaires internationales. Originaires de pays du Moyen-Orient, où les politiques sanitaires étaient meilleures, elles étaient en outre probablement correctement vaccinées. De ce fait, la plupart des alertes infectieuses (grippe, rougeole, varicelle, hépatite A, tuberculose, gale…) sont survenues à Calais, où la population était essentiellement constituée d’hommes jeunes, originaires de pays de la Corne de l’Afrique ou d’Afghanistan et vivant dans une grande précarité. De plus, la persistance de conditions de vie instables dans le camp ainsi qu’une grande mobilité des personnes ont compliqué la mise en place des mesures de santé publique, notamment des campagnes de vaccination. Ce constat souligne l’importance d’un signalement très précoce à l’ARS, alors que le patient est encore dans la structure de soins, ainsi que le recours à l’intervention des associations sur le terrain afin de faciliter l’identification des contacts et les sensibiliser aux mesures de contrôle. Il montre également la nécessité de proposer des vaccinations en routine pour prévenir les phénomènes épidémiques et la survenue de cas graves de pathologies à prévention vaccinale.

Cette expérience a démontré la faisabilité et l’utilité de la mise en place d’un suivi épidémiologique sensible et réactif, en dépit des obstacles importants liés à l’évolution constante de la population migrante présente sur les deux sites, aux changements réguliers de l’organisation des soins et à la multiplicité des intervenants sanitaires ayant chacun leur propre système d’information. Ces différentes contraintes ont nécessité une excellente coordination entre les acteurs hospitaliers, les associations, l’ARS et Santé publique France, initialement assurée par un médiateur de l’Eprus, pour permettre une adaptation rapide et constante du système de surveillance.

Enfin, si le dispositif de surveillance s’est révélé adapté aux menaces épidémiques infectieuses, il n’a pas été en capacité de répondre à d’autres problèmes de santé importants, comme les troubles psychologiques, notamment les états de stress post-traumatique. Ces derniers ont représenté un volume non négligeable du recours aux soins (4% des consultations), mais vraisemblablement sous-estimé.

Remerciements

Les auteurs remercient l’ensemble des intervenants sanitaires auprès des populations migrantes pour leur engagement et leur contribution qui ont permis l’amélioration et le suivi des conditions sanitaires sur les sites de Calais et Grande-Synthe.

Références

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3 Bourrier P, Bessa Z, Coninx P, Lajugie D, Merlin B, Safran D. Mission d’évaluation du dispositif de prise en charge sanitaire des migrants à Calais. Rapport définitif. Paris: Ministre des Affaires sociales, de la Santé – Ministère de l’Intérieur; 2015. 43 p. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/154000765.pdf
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5 European Centre for Disease Prevention and Control. Rapid risk assessment. Communicable disease risks associated with the movement of refugees in Europe in the winter season – 10 November 2015. Stockholm: ECDC; 2015. 12 p. http://ecdc.europa.eu/en/publications/Publications/refugee-migrant-health-in-european-winter-rapid-risk-assessment.pdf
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8 Arrêté du 24 juillet 2013 relatif au recueil et au traitement des données d’activité médicale produites par les établissements de santé publics ou privés ayant une activité de médecine d’urgence et à la transmission d’informations issues de ce traitement dans les conditions définies à l’article L. 6113-8 du code de la santé publique et dans un but de veille et de sécurité sanitaires https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027825549
9 Cellule d’intervention de Santé publique France en région Hauts-de-France. Surveillance sanitaire des populations migrantes à Calais et Grande-Synthe. Point épidémiologique. http://invs.santepubliquefrance.fr/Regions-et-territoires/Actualites/(node_id)/1602/(query)/migrant/(aa_localisation)/Nord-Pas-de-Calais/(sort)/2
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15 European Centre for Disease Prevention and Control. Rapid risk assessment. Louse-borne relapsing fever in the EU – 10 November, Stockholm, 2015. Stockholm: ECDC, 2015. 7 p. http://ecdc.europa.eu/en/publications/Publications/louse-borne-relapsing-fever-in-eu-rapid-risk-assessment-17-nov-15.pdf

Citer cet article

Chaud P, Haeghebaert S, Leduc G, Merlin B, Janssens M, Denoual A, et al. Surveillance des maladies infectieuses dans les populations migrantes accueillies à Calais et à Grande-Synthe, novembre 2015 – octobre 2016. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(19-20):374-81. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/19-20/2017_19-20_1.html

(1) Devenu Santé publique France le 1er mai 2016.