La santé des migrants primo-arrivants : résultats des bilans infirmiers réalisés d’octobre 2015 à mars 2016 dans des centres franciliens hébergeant des migrants évacués des campements parisiens

// Health of newly arrived migrants: results of nursing assessments carried out from October 2015 to March 2016 in facilities hosting migrants in the Greater Paris area who were evacuated from the Paris camps

Andrea Guisao1 (a.guisao@samusocial-75.fr), Candy Jangal1, Mathilde Quéré1, Anne Laporte2, Françoise Riou1
1 Observatoire du Samusocial de Paris, France
2 Agence régionale de santé d’Île-de-France, Paris, France
Soumis le 20.02.2017 // Date of submission: 02.20.2017
Mots-clés : Migrants | Bilans infirmiers | État de santé | Besoins sanitaires
Keywords: Migrants | Nursing health evaluation | Health status | Specific care needs

Résumé

De juin 2015 à mars 2016, 16 évacuations de campements de fortune ont eu lieu dans la capitale, concernant environ 5 000 migrants. Des bilans réalisés par des infirmier(ère)s assisté(e)s d’interprètes, suivis si besoin d’une orientation vers une structure de soins, ont été proposés dans les centres d’hébergement franciliens accueillant ces migrants. Lors de ces bilans, des informations ont été recueillies de façon standardisée : parcours migratoire, état de santé et accès aux soins de ces personnes, et besoins d’orientation sanitaire identifiés par les infirmier(ère)s.

Au total, 736 de ces bilans, réalisés dans 28 centres, ont été analysés. Ils concernent une population essentiellement jeune et masculine, venue principalement du Soudan, d’Afghanistan et d’Érythrée. Les trois quarts déclaraient un problème de santé datant de moins de six mois, 16% faisaient état d’un problème présent depuis plus de six mois et 12% disaient avoir renoncé à des soins dans les 12 derniers mois. Pour 73% des personnes, les infirmier(ère)s ont identifié des besoins d’orientation sanitaire à la fin du bilan.

Malgré les différences de pratiques entre équipes infirmières et d’offres de soins selon le territoire, qui limitent les possibilités d’interprétation des différences observées, ces résultats montrent qu’un grand nombre de migrants ont dû être orientés vers des structures de soins. Cela suggère la nécessité de continuer à renforcer les partenariats entre ces structures et les centres d’hébergement, ainsi que l’accompagnement des migrants dans leurs démarches de soins et d’accès à une couverture sociale maladie.

Abstract

From June 2015 to March 2016, about 5,000 migrants have been evacuated from Paris camps, representing 16 evacuations. They were allocated in different facilities hosting migrants around Ile-de-France, where health assessments were conducted by registered nurses and assisted by interpreters, and which results might have lead some of the migrants to be referred to health care facilities. Standardized data were collected from these assessments on the migration trajectory, health status, and access to health facilities in France, as well as on the referral needs of the migrants identified by nursing staff. Ultimately, 736 nursing reports from 28 shelters were analyzed. The population mainly consisted of young men, mostly coming from Sudan, Afghanistan and Eritrea. Among them, three out of four reported a health problem, 16% have had it for more than 6 months, and 12% have renunced to medical cares during the last 12 months. Also, 73% of the studied population were identified by the nurses as needing medical refferal at the moment of the assessment.

The differences in the practice expertise among the nursing teams and care offers across territories may limit the results’ interpretation. However, these findings show that a large number of migrants had to be referred to health care facilities. It suggests the need to continue to strengthen partnerships between the different health care structures and facilities hosting migrants, as well as the importance of the accompaniment of migrants through the French health care system to access social health insurance.

Introduction

Depuis juin 2015, de nombreux campements de fortune se sont constitués dans Paris, alimentés par des flux soutenus en provenance de la Méditerranée (et sans doute par des allers-retours entre Paris et Calais), dans un contexte de saturation des structures d’hébergement de tous types (centres accueillant spécifiquement les demandeurs d’asile et les réfugiés ou centres accueillant toute personne sans-abri, indépendamment de sa situation administrative), y compris les hôtels « sociaux ». De juin 2015 à mars 2016, 16 évacuations de campements ont ainsi eu lieu dans la capitale, concernant environ 5 000 migrants. Les personnes évacuées de ces campements par la Préfecture de région ont été, au moins dans un premier temps, hébergées en Île-de-France. Les centres préexistants n’ont pu être sollicités qu’à la marge et plusieurs dizaines de nouveaux centres ont été créés spécifiquement, les places qui s’y libéraient étant réservées pour les évacuations ultérieures.

À la demande de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France (Arsif), des bilans infirmiers d’orientation auprès des migrants et réfugiés, couplés à un recueil d’informations standardisé, ont été progressivement mis en place à partir de l’automne 2015 dans une partie des centres recevant ces personnes évacuées. Ces bilans comportaient des données sur le parcours de soins, des données biométriques et une glycémie capillaire. Leur réalisation a été confiée au Samusocial de Paris (SSP) pour les personnes accueillies dans les centres situés à Paris, et à la Croix-Rouge française (CRF) pour celles hébergées dans des centres situés ailleurs en Île-de-France. Au total, 28 centres ont pu être visités.

Le profil, l’état de santé et l’accès aux services de soins des migrants récemment arrivés en France restent peu documentés : seules deux études ont été réalisées sur la situation sanitaire des migrants séjournant dans les camps du nord de la France 1,2. Des études antérieures ont montré que l’état de santé des migrants récemment arrivés en France était moins bon que celui des Français et que cette population avait un plus faible taux de recours aux soins et un taux de renoncement aux soins pour eux-mêmes plus élevé 3,4. L’état de santé des personnes évacuées des camps parisiens pourrait être encore moins bon, en raison des conditions de leur migration (fuites motivées par la guerre civile ou les persécutions, parcours migratoires dangereux) et de plus grandes difficultés d’accès aux soins (barrière linguistique notamment). Ainsi, il semblait important d’évaluer l’état de santé de ces personnes afin de pouvoir les orienter vers des soins adaptés. Le recueil et l’analyse des données avait pour objectif de mieux connaître les situations et les besoins sanitaires afin d’adapter les réponses sociales et sanitaires.

Population et méthodes

L’étude porte sur les données recueillies avec l’appui d’interprètes, lors des bilans réalisés entre octobre 2015 et avril 2016 auprès de personnes arrivées en France depuis moins de 18 mois, hébergées dans une structure d’hébergement francilienne et ayant accepté le recueil de données. Ce bilan facultatif est proposé à toute personne hébergée dans le centre lors de la visite des infirmier(ère)s.

Les informations recueillies de façon systématique concernaient les caractéristiques sociodémographiques, les parcours migratoires, l’accès aux soins, l’état de santé perçu et les problèmes de santé déclarés, des mesures biométriques ainsi que les besoins d’orientation sanitaire identifiés par l’infirmier(ère) au terme du bilan. Certains recueils sont partiels, quelques questions ne figurant pas dans la première version du questionnaire, notamment la couverture sociale maladie et l’état de santé psychologique.

Les problèmes de santé déclarés ont été distingués selon leur durée estimée (plus ou moins de six mois) et classés selon les grands chapitres de la Classification internationale des soins primaires (CISP2). Les normes utilisées pour les mesures biométriques sont celles de l’Organisation mondiale de la santé pour l’indice de masse corporelle (IMC) et de l’Association française de cardiologie pour la pression artérielle. Pour la glycémie capillaire, en l’absence d’information fiable sur la durée du jeûne, le seuil de 1,50 g/l a été retenu 5.

Les données ont été analysées sous Stata 14®. Les analyses sont descriptives : fréquences, distributions et analyses bi-variées pour une première approche des différences observées selon le pays de naissance, le lieu de vie avant l’hébergement et la localisation des centres d’hébergement (test de Chi2 et de Fisher exact, seuil de p-value <0,05 pour tester les différences).

Résultats

Entre octobre 2015 et mars 2016, 736 questionnaires exploitables, répondant aux critères d’inclusion, ont été renseignés dans 28 centres ou hôtels (17 structures dans Paris pour 390 bilans, 11 en périphérie pour 346 bilans). Seules 12% des personnes maîtrisaient suffisamment le français pour une consultation dans cette langue ; de l’interprétariat en arabe, pachtoun, dari et anglais, ainsi qu’un soutien en langues plus rares, ont permis d’entrer en contact avec les autres migrants.

Profils et parcours

La population était essentiellement masculine et jeune (tableau 1). Si près de la moitié des personnes étaient mariées, très peu étaient accompagnées par leur conjoint(e) en France. Elles étaient principalement (84% de la population) originaires de trois pays : le Soudan, l’Afghanistan et l’Érythrée. Les durées des parcours migratoires étaient très variables, allant de quelques mois pour un tiers des personnes à plusieurs années pour 13% d’entre elles. La majorité était en France depuis moins de six mois au moment de leur hébergement, et était hébergée dans le centre depuis moins de trois mois au moment du bilan. La grande majorité (82%) a déclaré avoir séjourné dans au moins un campement avant d’être hébergée.

Tableau 1 : Caractéristiques de la population étudiée lors des bilans infirmiers réalisés entre octobre 2015 et mars 2016 auprès de migrants volontaires dans des centres d’hébergement franciliens dédiés
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La distribution par âge et sexe différait d’un pays d’origine à l’autre (tableau 2) : les femmes et les personnes âgées de 50 ans ou plus, bien que toujours très minoritaires, étaient plus nombreuses parmi les personnes nées dans d’autres pays que les trois principaux.

Les durées des parcours migratoires et de séjour en France avant l’hébergement étaient très variables, y compris parmi les personnes originaires d’un même pays. Les personnes nées en Afghanistan avaient des durées de migration en général beaucoup plus courtes et des temps de séjour en France plus longs.

État de santé perçu et problèmes de santé déclarés (tableau 2)

La moitié des répondants se disait en bonne ou très bonne santé ; 16% déclaraient au moins un problème de santé présent depuis plus de six mois et, parmi eux, 17% cumulaient deux problèmes ou plus. Les systèmes les plus souvent cités étaient l’appareil respiratoire (3%), digestif (2%), puis le système métabolique et endocrinien (2%). Quelques cas de diabète (1,7%) et de tuberculose (<1%) ont été déclarés. Plus des trois quarts des personnes ont déclaré au moins un problème de santé de durée moindre, les plus fréquents étant les atteintes bucco-dentaires (32%), une fatigue générale (31%) et les troubles ostéo-articulaires (20%). Parmi ces derniers, les infirmier(ère)s ont surtout classé des douleurs touchant les membres ou le rachis et ont souvent mentionné des traumatismes.

Mesures biométriques

Six pour cent (6%) des personnes présentaient une insuffisance pondérale. Près d’un quart avait un IMC correspondant à un surpoids et 12% une glycémie capillaire supérieure à la normale. Parmi les 11 personnes ayant signalé être hypertendues, près des trois quarts avaient des mesures supérieures aux normes et, parmi les autres personnes, 9% présentaient une hypertension possible.

Sur le plan psychologique

Le sentiment de solitude était communément répandu : plus des deux tiers disaient se sentir seuls ou très seuls. Plus de la moitié des personnes interrogées sur leur état psychologique (ne souhaitant pas voir un psychologue ou un psychiatre) disait souffrir de troubles du sommeil (troubles les plus fréquents), d’idées noires, de crises de larmes ou d’irritabilité ; 12% souffraient d’au moins deux de ces troubles. Plus d’une personne sur trois disait en souffrir souvent ou tous les soirs, et ce depuis plus d’un mois pour 95%.

Accès aux soins (tableau 2)

La dernière consultation médicale avait eu lieu dans l’année écoulée pour les deux tiers des personnes, et 12% disaient avoir renoncé à des soins pour eux-mêmes dans les 12 derniers mois. Seuls 6% disaient avoir été l’objet d’un refus de soins depuis leur arrivée en France : la principale raison évoquée était l’absence de couverture sociale maladie ou de permis de séjour, la seconde le manque de ressources financières.

Environ 5% disaient avoir déjà rencontré un professionnel de santé mentale.

La moitié des personnes a été interrogée sur sa couverture sociale maladie à la date du bilan : un quart des répondants a déclaré en avoir une (un sur cinq indiquant que la demande était en cours). Ce taux augmentait, logiquement, avec la durée de séjour sur le territoire français : il était de 31% pour les personnes arrivées en France depuis plus de trois mois et de 43% pour celles présentes en France depuis plus de six mois.

Orientations conseillées à l’issue du bilan

Les trois quarts des personnes se sont vu proposer au moins une orientation sanitaire (dont 6% en urgence), le plus souvent vers un médecin généraliste. Parmi celles souhaitant rencontrer un psychologue (une personne sur 3), 90% ont de fait été orientées dans ce sens.

Variations observées selon le pays d’origine (tableau 2)

Le pays de naissance semble avoir une incidence sur la couverture sociale maladie, indépendamment de la durée de séjour en France : cette couverture était plus souvent présente chez les personnes originaires d’Afghanistan que chez celles nées au Soudan ou en Érythrée, qu’elles soient sur le territoire depuis moins de six mois (42% versus 30% et 20%) ou depuis plus longtemps (71% versus 57% et 34%). Il semblait aussi influencer la fréquence globale, tous types confondus, des problèmes de santé durant moins de six mois (plus élevée chez les personnes originaires d’Érythrée ou du Soudan) et la fréquence de certaines propositions d’orientation : vers un service d’urgence hospitalier (moindre pour les personnes originaires des trois pays les plus représentés), vers un généraliste (moindre pour les personnes nées au Soudan) et vers un dentiste (moindre pour celles nées au Soudan et en Afghanistan). La prévalence globale des problèmes de santé durant depuis plus de six mois, tous types confondus, différait également selon le pays de naissance, de façon cohérente avec les différences de structure d’âge.

Tableau 2 : Caractéristiques, état de santé et accès aux soins selon le pays de naissance (bilans infirmiers réalisés entre octobre 2015 et mars 2016 auprès de migrants volontaires dans des centres d’hébergement franciliens dédiés)
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Variations observées selon le lieu de vie en France avant hébergement (tableau 3)

Une personne sur 5 disait avoir vécu dans la rue, mais ne pas avoir séjourné dans un campement avant son hébergement. Elles ont été essentiellement rencontrées dans les centres situés dans Paris, qui hébergeaient parfois d’autres migrants que ceux évacués de campements. Ces personnes étaient plus souvent originaires d’autres pays que le Soudan, l’Afghanistan ou l’Érythrée. Souvent « très jeunes » (moins de 24 ans) et moins fréquemment mariées, elles disaient moins souvent avoir un soutien social et plus souvent « se sentir très seules ». Elles avaient un peu plus souvent une couverture sociale maladie et déclaraient moins souvent avoir dû renoncer à des soins depuis leur arrivée en France. Elles avaient autant de problèmes de santé et leurs besoins d’orientation sanitaire identifiés à l’issue des bilans étaient similaires à ceux des personnes ayant séjourné dans un campement.

Tableau 3 : Caractéristiques et accès aux soins selon le lieu de vie en France avant hébergement (bilans infirmiers réalisés entre octobre 2015 et mars 2016 auprès de migrants volontaires dans des centres d’hébergement franciliens dédiés)
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Variations observées selon la localisation du centre d’hébergement

Des différences significatives ont été observées entre les personnes hébergées dans ou hors de Paris, à la fois pour les taux de renoncement aux soins (3 fois plus fréquents chez celles hébergées hors de Paris) et pour les conseils d’orientation donnés. Les personnes hébergées dans des centres parisiens se sont vu plus souvent proposer une orientation vers un médecin généraliste et vers un dermatologue. Elles n’étaient pourtant pas plus âgées et ne déclaraient pas avoir davantage de problèmes de santé. À l’inverse, celles hébergées hors de Paris ont plus souvent reçu des conseils d’orientation vers un professionnel de santé mentale.

Discussion

L’objectif de ces bilans était de détecter les besoins de santé les plus urgents et d’orienter les migrants vers les soins adaptés. Les problèmes de santé déclarés apparaissent fréquents dans cette population jeune, qui ne dispose pas de couverture maladie pour la plupart. Il existe cependant une demande des institutions pour que la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) et les centres d’hébergement collaborent et facilitent les démarches d’accès à une couverture maladie. La demande d’écoute et de soutien psychologique était très importante (le contexte du bilan ne permettait pas de questionnement systématique sur les violences subies, néanmoins un nombre non négligeable de personnes les ont évoquées spontanément). Les personnes rencontrées qui n’étaient pas passées par un campement semblaient avoir autant de besoins de soins que celles qui y avaient séjourné.

Les bilans réalisés à la suite des évacuations de campements en Île-de-France ne sont ni systématiques, ni exhaustifs puisqu’ils étaient facultatifs, que tous les centres hébergeant des migrants évacués n’ont pas été visités et que le nombre même de ces centres ouverts durant la période d’étude n’est pas connu précisément. Par ailleurs, les données recueillies sont en grande partie déclaratives et soumises à d’éventuels biais d’interprétation liés à la présence d’un traducteur. De même, les pathologies déclarées n’ont pas été confirmées médicalement et les mesures biométriques restent assez sommaires, Ainsi, il est impossible d’affirmer que les taux observés sont représentatifs de l’ensemble de la population hébergée. Pour autant, sur la base des données recueillies, il est possible de faire un certain nombre de constats.

La composition de la population montre des caractéristiques sociodémographiques et de parcours migratoires similaires à celles de la population rencontrée à Calais lors de l’enquête réalisée par Epicentre fin 2015 1.

La perception de la santé peut être bonne même avec un état de santé altéré

Les migrants interrogés dans notre étude avaient une perception de leur état de santé général proche de celle des hommes entrés en France avec un titre de séjour pour regroupement familial en 2006. Cette perception était moins bonne (un sur 10 se disait en mauvais état de santé) que pour l’ensemble de la population, dont les immigrés de longue date 6. Deux tiers des personnes déclaraient au moins un problème de santé.

Une population pas si éloignée de l’accès aux soins

Les études réalisées dans d’autres pays européens 4,7,8 montrent que la grande majorité des migrants récemment arrivés ont rencontré des difficultés d’accès aux soins et que celui-ci est insuffisant. Un quart des migrants interrogés par Epicentre signalaient ne pas avoir pu accéder à des soins au cours de leur migration ou en France. Cependant, la plupart des personnes rencontrées dans les bilans infirmiers (2 sur 3) disaient avoir rencontré un professionnel de santé dans l’année en cours. Les questions posées au cours des bilans infirmiers concernant le non-accès aux soins étaient plus précises et bornées dans le temps et l’espace : renoncement à des soins pour elles-mêmes dans les 12 derniers mois et refus de soins depuis leur arrivée en France. Ceci peut expliquer des taux de non-accès aux soins un peu plus faibles.

La proportion de personnes ayant acquis ou étant en cours d’acquisition d’une couverture maladie apparaît faible, vu le temps passé sur le territoire et dans le centre d’hébergement. De fait, l’obtention de l’Aide médicale d’État nécessite de fournir la preuve du temps de séjour sur le territoire, ce qui est souvent impossible. Les différences selon les pays d’origine pourraient être liées à l’existence ou non de réseaux communautaires susceptibles de pallier les difficultés rencontrées par les migrants, ainsi qu’à des différences dans leurs projets migratoires initiaux.

Les besoins de santé

Les prévalences de chaque type de problème de santé ne peuvent être directement comparées en raison de différences de méthode et de contexte. Seules les fréquences relatives seront comparées aux études publiées les plus récentes. Les systèmes de surveillance sanitaire concernent essentiellement les maladies transmissibles et les risques d’épidémies 2. Les rapports du réseau international de Médecins du Monde et l’enquête d’Epicentre relèvent la fréquence des problèmes respiratoires aigus, des traumatismes et des diarrhées. Les problèmes de santé les plus fréquemment observés dans un campement humanitaire d’urgence créé à Bruxelles en septembre 2015 9 étaient les troubles respiratoires, puis les traumatismes, les problèmes dentaires et cutanés ; cependant, la population observée était différente (personnes venues consulter un médecin). Dans notre étude, si les problèmes respiratoires, ostéo-articulaires et digestifs aigus sont fréquents, les problèmes bucco-dentaires et cutanés le sont encore davantage. De plus, des problèmes de santé durables sont assez souvent déclarés, notamment le diabète ou l’hypertension.

Les différences d’orientation observées selon les centres semblent davantage liées à l’hétérogénéité des pratiques infirmières et/ou à des inégalités d’offre de soins sur le territoire qu’à des différences de profils des personnes. Les questions relatives aux symptômes psychologiques ont été posées de façon plus systématique par les infirmier(ère)s de la CRF. Par ailleurs, les orientations proposées ne sont pas toutes suivies d’effets et il existe, sans doute à ce niveau, des différences entre Paris et le reste de l’Île-de-France. Cette hypothèse ne peut néanmoins être confirmée car l’analyse de la concrétisation des orientations proposées lors du bilan n’a pas été possible.

Les modalités d’orientation semblent varier selon le pays de naissance. Une analyse plus fine s’appuyant sur des modèles multivariés sera nécessaire pour distinguer l’influence d’autres facteurs tels que l’âge, la langue, les symptômes ou la couverture sociale.

Conclusion

La plupart des auteurs expliquent les différences d’état de santé et de recours aux soins observées en défaveur des migrants récemment arrivés en France par leur précarité financière, la perte de repères et de lien social ou encore les barrières linguistiques et culturelles, ainsi que par la complexité des démarches administratives à effectuer et la méconnaissance des droits de cette population par les intéressés mais aussi par les professionnels de santé 10,11. L’ensemble de ces facteurs se cumulent 7,8,10,11,12 pour limiter l’accès aux soins des migrants accueillis dans les centres d’hébergement d’Île-de-France dédiés principalement aux évacuations de campements. La mise en place des bilans infirmiers et les retours d’information relatifs à l’accès aux droits en matière de couverture sociale ont permis de réduire ces obstacles. Les constats faits à cette occasion ont aidé à concevoir, dans le centre de premier accueil qui s’est ouvert à Paris en novembre 2016, l’organisation d’un pôle santé coordonné par le Samusocial de Paris, associant bilans infirmiers et consultations de médecine générale et de santé mentale assurés par des bénévoles de Médecins du Monde et par le réseau réseau Psychiatrie et précarité, ainsi que leurs liens avec les structures de soins de proximité.

L’intervention d’un travailleur social, accompagné au besoin d’un interprète, et ce le plus précocement possible, semble également indispensable pour le soutien aux démarches administratives.

Remerciements

Ce travail a été financé par l’Agence régionale de santé d’Île-de-France. Nos sincères remerciements à tous les infirmier(ère)s et interprètes de la Croix-Rouge française et du Samusocial de Paris qui ont effectué le recueil de données.

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Citer cet article

Guisao A, Jangal C, Quéré M, Laporte A, Riou F. La santé des migrants primo-arrivants : résultats des bilans infirmiers réalisés d’octobre 2015 à mars 2016 dans des centres franciliens hébergeant des migrants évacués des campements parisiens. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(19-20):382-8. http://​invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/19-20/2017_19-20_2.html