Caractéristiques sociales et comportementales des personnes séropositives pour le VIH décédées en 2010 en France métropolitaine : quelles implications pour la prise en charge ?

// Social and behavioral characteristics of HIV-infected persons died in 2010, Metropolitan France: which implications for health care?

France Lert1 (france.lert@inserm.fr), Aïssatou Paye2, Thierry May3, Laure Tron4, Dominique Salmon5, Caroline Roussillon2,6, Geneviève Chêne2,6, Philippe Morlat2,6
1 Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (Cesp), Inserm U1018, Villejuif, France
2 Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (Isped), Inserm U1219, Bordeaux Population Health, Bordeaux, France
3 CHU, Nancy, France
4 Institut Pierre Louis d’épidémiologie et santé publique, Inserm, UMR_S 1136, Paris, France
5 Hôpital Cochin, APHP-Université Paris Descartes, Paris, France
6 CHU, Bordeaux, France
Soumis le 31.05.2016 // Date of submission: 05.31.2016
Mots-clés : VIH | Mortalité | Inégalités | Facteurs de risque | Prise en charge
Keywords: HIV | Mortality | Inequality | Risk factors | Health care

Résumé

Introduction –

Avec l’efficacité des traitements antirétroviraux et l’allongement de l’espérance de vie des personnes infectées par le VIH, la description des causes de décès et des caractéristiques des personnes décédées est l’un des indicateurs de santé de cette population.

Méthodes –

Sur la base de l’enquête ANRS-EN20-Mortalité 2010, les caractéristiques sociales et comportementales de quatre groupes socio-épidémiologiques ont été comparées : hommes français ou étrangers ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), usagers de drogue intraveineuse français ou étrangers (UDI) ; hommes et femmes hétérosexuels étrangers (HET-ETR) ; hommes et femmes hétérosexuels français (HET-FR).

Résultats –

Parmi les 652 décès (81 centres métropolitains représentant 70 à 80% des décès connus des services spécialisés), la distribution des causes de décès variait fortement entre les quatre groupes, avec un poids très élevé du sida chez les HET-ETR (42,9% vs. 10,1% parmi les UDI, 22,9% parmi les HET-FR et 32,9% parmi les HSH), d’atteintes hépatiques chez les UDI (24,3% vs. 4,8% à 6,9% dans les autres groupes) et des cancers parmi les HET-FR (29,5%). La distribution des facteurs de risque, des comorbidités et des facteurs de précarité sociale variait entre les groupes, avec une situation sociale particulièrement défavorable pour les UDI.

Discussion – conclusion –

Les informations sur les décès mettent en évidence une inégalité sociale en défaveur des UDI et le poids persistant des pertes de chance liées au retard au dépistage des HET-ETR. Elles fournissent des indications utiles pour l’amélioration de la santé des personnes vivant avec le VIH par l’organisation du dépistage et la mise en place d’une prise en charge globale adaptée aux besoins de chaque groupe.

Abstract

Introduction –

Given the improved effectiveness of antiretroviral treatments and the increasing life expectancy of people living with HIV (PLWHIV), describing the causes of death and the characteristics of deceased individuals is one of health indicators for this population.

Methods –

Based on the 2010 ANRS-EN20 Mortality Survey, social and behavioral characteristics of HIV infected people at time of death were compared according to four socio-epidemiological categories: MSM: French or foreign men who have sex with men, IDUs: French or foreign injecting drug users , HMW-F: foreign heterosexual men and women, HMW-FR: French heterosexual men and women.

Results –

Among the 652 deaths reported by 81 Metropolitan centers (accounting for 70 to 80% of the total number of known deaths from HIV-oriented services), the distribution of causes of death varies widely across the four categories. AIDS weighs most among HMW-F (42.9% vs. 10.1% among IDUs, 22.9% among HMW-FR, and 32.9% among MSM), hepatitis related causes among IDUs (24.3% vs. 4.8% to 6.9% among other categories), and cancer among HMW-FR (29.5%). The distribution of behavioral risk factors, comorbidities and social precariousness also varies across groups, IDUs being the most socially deprived group.

Discussion – conclusion –

Information on deaths points out the social inequality disfavoring IDUs, the enduring consequences of loss of chance due to delayed diagnosis among HMW-F. This description provides useful information to improve health of people living with HIV through the strengthening of testing policies and the development of a comprehensive health care according to the specific needs of each group.

Contexte et objectif

L’amélioration continue des traitements antirétroviraux et des stratégies thérapeutiques depuis le début de l’ère des multithérapies a conduit à une forte baisse de la mortalité liée au sida 1 et à un allongement de l’espérance de vie des personnes infectées par le VIH. Cet allongement a pour corollaire un vieillissement de la population séropositive et l’augmentation, au cours du temps, du poids des facteurs de risque et des maladies chroniques dans la mortalité 2. Toutefois, le retard au diagnostic de l’infection VIH, inégalement distribué 3, continue à peser sur la mortalité directement liée à l’infection 4.

Complémentaire de la publication des résultats sur la structure des causes de décès et de leur évolution 5, l’étude porte sur la distribution des décès selon les caractéristiques sociales et comportementales des personnes séropositives pour le VIH décédées en France métropolitaine en 2010.

Méthodes

Les décès survenus dans les files actives des services hospitaliers ont été documentés à partir de l’enquête ANRS-EN20-Mortalité 2010 menée auprès de 81 centres participant à la prise en charge de patients infectés par le VIH en France métropolitaine. La méthode de l’étude a été décrite de façon détaillée dans l’article présentant les résultats globaux 5. En résumé, les centres ayant déclaré plus de cinq décès dans les études antérieures de 2000 et 2005 et au sein desquels ont été enregistrés 70 à 80% des décès rapportés par l’ensemble des centres ont été sollicités pour participer en 2010. Les études de capture/recapture menées pour évaluer l’exhaustivité des enquêtes antérieures conduisent à estimer que la présente enquête a collecté un peu moins de la moitié de l’ensemble des décès parmi des personnes infectées par le VIH 5. Le questionnaire rempli par les services documente le mode de transmission, les caractéristiques démographiques (âge et nationalité), la cause du décès, les caractéristiques de la maladie VIH au moment du décès (ancienneté du diagnostic, traitement, dernière mesure des CD4 et de la charge virale), les facteurs de risque comportementaux (tabac actuel ou passé, consommation d’alcool à risque >50 g/jour), les comorbidités somatiques (hépatites B et C, hypertension, diabète, dyslipidémie) et psychiatriques (antécédents de troubles psychiatriques) ainsi que les conditions sociales (emploi pour les non retraités et logement personnel).

Quatre groupes socio-épidémiologiques exclusifs de personnes décédées ont été constitués sur la base du mode de transmission puis de la nationalité, afin de rendre compte de la temporalité de l’épidémie, différente selon les groupes. Les critères appliqués successivement définissent les groupes de la façon suivante :

HSH : hommes français ou étrangers ayant des relations sexuelles avec des hommes, quels que soient leur nationalité ou leur usage de drogue ;

UDI : usagers de drogue par voie intraveineuse français ou étrangers ;

HET-ETR : hommes et femmes hétérosexuels étrangers n’appartenant pas aux groupes précédents ;

HET-FR : hommes et femmes hétérosexuels français n’appartenant pas aux groupes précédents.

Cette classification permet la comparaison de la distribution des personnes décédées en 2010 à celle de l’échantillon aléatoire des personnes infectées par le VIH et suivies en milieu hospitalier en 2011, étudié dans l’étude Vespa2 6.

Les causes de décès rapportées par les cliniciens ont été ensuite codées par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (Inserm-CépiDc) sur la base de la classification internationale des maladies – 10e révision (CIM-10) et regroupées en catégories pertinentes pour la population infectée par le VIH, avec notamment l’identification des catégories « sida » (incluant les cancers classant sida), « affections hépatiques » (incluant l’hépatocarcinome) et « autres cancers » (non sida, non hépatiques).

L’âge, les caractéristiques concernant la maladie VIH, les facteurs de risque comportementaux, les conditions de vie et les comorbidités ont été comparés entre ces quatre groupes par des tests de Chi2 pour les variables catégorielles et par des tests de Student pour les variables quantitatives.

Résultats

La répartition des décès (n=652) dans les quatre groupes identifiés était la suivante : HET-FR 34,8%, UDI : 29%, HSH : 26,5% et HET-ETR : 9,7%.

L’âge médian au moment du décès était de 50,1 ans (étendue interquartile, IQR : 44,6-57,7) pour l’ensemble des décès, avec l’âge le plus bas chez les UDI (48,1 ans, IQR : 45,3-52,3) et le plus élevé chez les HET-FR (53,8 ans, IQR : 44,8-62,1).

La distribution des causes de décès variait fortement entre les groupes, notamment la part des pathologies classant sida et des atteintes hépatiques (figure). Le sida reste la première cause de décès parmi les HET-ETR (42,9%) et les HSH (32,9%). Les causes hépatiques sont les plus nombreuses chez les UDI (24,3%), alors qu’elles ne représentent que 4,8% à 6,9% des causes de décès dans les autres groupes. Les cancers non classant sida représentent la première cause de décès chez les HET-FR (29,5%) et la deuxième cause dans les autres groupes.

Figure : Distribution des causes de décès selon le groupe socio-épidémiologique* en France métropolitaine en 2010**. Enquête ANRS-EN20-Mortalité 2010, France
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L’ancienneté du diagnostic VIH au moment du décès (tableau 1) reflète l’épidémiologie de la maladie au cours du temps, avec une ancienneté très élevée chez les UDI (21,5 ans en médiane, IQR : 16,7-24) et beaucoup plus courte chez les HET-ETR (7,2 ans en médiane, IQR : 0,8-11,1). La proportion de personnes ayant eu dans leur parcours une maladie classant sida dans les groupes HET-FR, HSH et UDI est élevée (environ 60%). Elle atteint même 73% chez les HET-ETR, pourtant diagnostiqués dans leur immense majorité à l’ère des traitements efficaces (le quartile 75% de l’ancienneté du diagnostic en 2010 était de 11,1 ans, donc la majorité des diagnostics ont été posés au cours des années 2000). Ce groupe se caractérise aussi par la plus forte proportion de personnes avec des lymphocytes CD4 très bas (30,2%<50 CD4/mm3) et une charge virale non contrôlée (41,3%>500 copies/ml).

Tableau 1 : Caractéristiques de la maladie VIH au décès selon le groupe socio-épidémiologique* parmi les personnes séropositives décédées en France métropolitaine en 2010. Enquête ANRS-EN20-Mortalité 2010, France
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La distribution des comorbidités distingue les UDI, qui ont un niveau très élevé de co-infection par les hépatites B et surtout C (91%) et des antécédents psychiatriques nettement plus fréquents (52,4%), mais des comorbidités cardiovasculaires moins présentes que dans les autres groupes. Les HET-FR et les HSH ont des profils de comorbidité assez proches, tant sur le plan cardiovasculaire que pour les troubles psychiatriques, alors que les HET-ETR sont particulièrement concernés par l’hypertension artérielle (24,6%) et moins par les comorbidités psychiatriques (20,6%) (tableau 2).

Les consommations d’alcool et de tabac opposent le groupe des UDI, presque tous tabagiques (96,6%) et avec un niveau élevé de consommation d’alcool à risque (20,8% ont une consommation supérieure à 50 g/j) au groupe des HET-ETR, pour lequel les niveaux sont les plus faibles (31,1% et 7,1% respectivement). Le niveau du tabagisme quotidien est très élevé chez les HSH et les HET-FR (74,7% et 63,6% respectivement).

Tableau 2 : Comorbidités et facteurs de risque (%) selon le groupe socio-épidémiologique* parmi les personnes infectées par le VIH décédées en France métropolitaine en 2010. Enquête ANRS-EN20-Mortalité 2010, France
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Alors que les caractéristiques sociales des HSH et des HET-FR sont assez voisines, UDI et HET-ETR ont des situations sociales plus précaires, marquées par l’absence fréquente, pour des personnes adultes, de logement personnel (40,7% et 50,8% respectivement) et l’absence d’emploi (60,8% et 50,8% respectivement), auxquelles s’ajoute pour les étrangers une très faible scolarisation (tableau 3).

Tableau 3 : Caractéristiques de précarité sociale (%) selon le groupe socio-épidémiologique* parmi les personnes infectées par le VIH décédées en France métropolitaine en 2010. Enquête ANRS-EN20-Mortalité 2010, France
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Discussion

La distribution des causes de décès et des caractéristiques des patients reflète plusieurs phénomènes : les effets à long terme de la dynamique de l’épidémie VIH en France, la proportion élevée de sida parmi les HET-ETR et, dans une certaine mesure, chez les HSH (parmi lesquels il représente près d’un décès sur trois), et enfin le poids très lourd aujourd’hui des affections hépatiques chez les UDI.

Comparé à la structure de la file active des patients infectés par le VIH en France telle qu’elle ressort de l’enquête Vespa2, la distribution des décès par groupe socio-épidémiologique met en évidence une forte sur-représentation des UDI (11% dans la population séropositive suivie enquêtée dans Vespa2, 29% parmi les décès de notre enquête) et, dans une moindre mesure, des HET-FR (29% et 34,8% respectivement). La sous-représentation des HET-ETR parmi les décès peut être expliquée par un âge plus jeune observé dans cette population parmi l’ensemble des patients infectés par le VIH (dans Vespa2 : 41 ans contre 49 ans chez les UDI et HSH et 48 ans chez les HET-FR).

Chez les HET-ETR, la part des décès dus au sida, la faible ancienneté du diagnostic au moment du décès (un quart des décès sont survenus dans la première année du diagnostic), le niveau très bas des lymphocytes CD4 et la proportion de personnes décédées avec une charge virale non contrôlée marquent les effets du retard au diagnostic et à l’initiation du traitement. Cependant, les informations sur le stade au moment du diagnostic et la date de la mise sous traitement n’étaient pas collectées dans cette étude.

Les UDI ont été contaminés très tôt, dans les années 1980 et 1990, et souvent très jeunes, entraînant une forte mortalité avant la disponibilité des traitements efficaces. L’autorisation de la vente libre des seringues en 1987 et le déploiement des programmes de réduction des risques à partir de 1995 ont permis une très forte baisse de l’incidence des nouvelles infections dès le début des années 1990. La population des UDI séropositifs est donc une population d’adultes encore jeunes (49 ans d’âge médian) au moment de l’étude. Les données de ANRS-EN20-Mortalité 2010 suggèrent une surmortalité des UDI qui a été observée également en Espagne 7 ou aux États-Unis 8. Les décès observés chez les UDI en 2010 sont survenus chez des personnes dont l’infection VIH était stabilisée par le traitement (peu de cas avec des lymphocytes CD4 très bas et une charge virale non contrôlée), avec une faible part des décès par sida (10%), mais avec des atteintes hépatiques et des cancers représentant environ 45% des décès. Les informations sur ce groupe de décès indiquent un cumul des co-infections hépatiques, de la consommation tabagique, d’une consommation d’alcool à risque fréquente et de situations sociales de très grande précarité. Les enquêtes de mortalité successives ont souligné cette augmentation de la mortalité par atteintes hépatiques au cours du temps 9,10. Ces causes pèsent de façon particulièrement élevée sur les UDI (dans cet échantillon des décès en métropole, 60% des décès par atteinte hépatique sont survenus dans ce groupe). Parmi les UDI décédés, 40,7% avaient été traités pour leur hépatite à une époque où les antiviraux à action directe (AAC) n’étaient pas encore disponibles. L’accès insuffisant au traitement des hépatites a été souligné de nombreuses fois dans le passé en raison de barrières diverses : contre-indications au traitement, poursuite de la consommation d’alcool, attitudes médicales, interruptions du traitement de l’hépatite 11,12,13. L’accès aux AAC est donc prioritaire pour les UDI, comme le recommandent les rapports d’experts.

Parmi les HET-FR, les décès par cancers non sida et non hépatiques viennent au premier rang. Ceci est à rapprocher de la proportion élevée de personnes tabagiques parmi les personnes décédées de ce groupe, proportion beaucoup plus élevée que dans la population séropositive et supérieure à celle de la population générale 14. Cet excès de cancers non classant sida est aussi relevé dans la cohorte hospitalière française 15.

Les résultats décrits à partir de l’enquête ANRS-EN20-Mortalité 2010 portant sur les caractéristiques des décédés et des causes de décès corroborent et complètent les résultats des études de cohortes en France 4, en Europe 16 ou aux États-Unis 8. Ils indiquent l’existence d’inégalités de mortalité parmi les personnes porteuses du VIH en France 17 et les besoins en termes de prise en charge, notamment pour les générations les plus anciennes des malades, qui cumulent la longue durée de la maladie et le poids des années d’absence de traitement ou de traitement sub-optimal.

Conclusion

La description de la mortalité à l’ère des traitements antirétroviraux très efficaces met ainsi en exergue les progrès à poursuivre : en matière de dépistage, en particulier en direction des migrants et, pour les usagers de drogues par voie intraveineuse, un accès organisé de façon volontariste aux traitements actuels de l’hépatite C. Pour tous, à l’heure où l’efficacité des thérapies antirétrovirales amène à espacer les visites de suivi spécialisé, la prise en charge des facteurs de risque comportementaux ou cardiovasculaires, des troubles psychiatriques et des dimensions de vulnérabilité sociale engage à diversifier l’organisation des soins de façon à répondre aux besoins de prise en charge globale de la santé des personnes vivant avec le VIH, afin de traquer les pertes de chance qui persistent.

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Citer cet article

Lert F, Paye A, May T, Tron L, Salmon D, Roussillon C, et al. Caractéristiques sociales et comportementales des personnes séropositives pour le VIH décédées en 2010 en France métropolitaine : quelles implications pour la prise en charge ? Bull Epidémiol Hebd. 2016;(41-42):749-54. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/41-42/2016_41-42_3.html