Dépistage de l’infection par le VIH en France, 2003-2015
// HIV testing in France, 2003-2015
Résumé
Cet article présente un bilan, actualisé pour 2015, de l’activité de dépistage du VIH en France dans les laboratoires d’analyses médicales, à partir du recueil « LaboVIH » et des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) réalisés dans le cadre d’actions de dépistage communautaire.
En 2015, 5,35 millions (IC95%: [5,20-5,33]) de sérologies VIH ont été réalisées, en progression de +3% depuis 2013. Parmi elles, 6% (environ 327 000) ont été réalisées dans un cadre anonyme et gratuit. La proportion de sérologies confirmées positives pour 1 000 réalisées était de 1,9 parmi les sérologies non anonymes et 3,3 parmi les sérologies anonymes.
Les TROD réalisés par des structures associatives ou de prévention représentaient un nombre beaucoup plus faible de tests (environ 62 200 en 2015, stable par rapport à 2014), mais avec un taux de positivité plus élevé (7,7 positifs pour 1 000 tests).
Malgré une légère augmentation de l’activité de dépistage du VIH en France, le nombre de sérologies confirmées positives s’est stabilisé. Les sérologies anonymes et les TROD, même s’ils ne représentent qu’une minorité des tests réalisés, ont l’intérêt de toucher des populations particulièrement exposées ou qui ne recourent pas au dépistage classique.
Abstract
This article presents updated data for 2015 on HIV testing in French medical laboratories, based on the “LaboVIH” survey, and data on HIV rapid tests (TROD) performed in 2015 through community screening activities.
In 2015, 5.35 million ([95%CI: 5.20-5.33]) HIV tests were performed, an increase of 3% compared to 2013. Of these, 6% (approximately 327,000) were carried out in a free and anonymous environment. The proportion of confirmed positive serology for 1,000 performed was 1.9 among non-anonymous serologies and 3.3 among anonymous serologies.
The TROD performed by associations or prevention structures represented a lower number of tests (approximately 62,200 in 2015, unchanged compared to 2014), but with a higher positivity rate (7.7 positive per 1,000 tests).
Despite a slight increase in HIV testing activity in France, the number of confirmed positive serologies has stabilized. Anonymous serologies and TROD, even if they only represent a small part of all HIV tests performed, have the interest to reach highly exposed populations, or people who do not use conventional screening.
Introduction
Le dépistage est un enjeu majeur dans la lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), car seul un diagnostic précoce des personnes infectées, le plus tôt possible après leur contamination, permet la mise en route rapide d’un traitement antirétroviral et de diminuer ainsi la morbidité, la mortalité et le risque de transmission du VIH. Face au constat du retard au diagnostic, qui concernait encore quatre diagnostics sur 10 en 2014 1, et en raison de la proportion de personnes séropositives ignorant leur statut, estimée à 20% 2, les recommandations françaises actuelles combinent une proposition de dépistage universel à toute personne de 15 à 70 ans, au moins une fois dans la vie, et de dépistages répétés pour les populations les plus exposées, ainsi qu’une diversification de l’offre de dépistage.
Afin de contribuer à l’évaluation de la politique de dépistage du VIH, sont publiées chaque année les données d’activité de dépistage en laboratoires de biologie médicale (LBM), ainsi que les données d’activité de dépistage communautaire par TROD (tests rapides d’orientation diagnostique) par les structures associatives ou de prévention habilitées par les Agences régionales de santé (ARS).
Objectifs et méthodes
La surveillance de l’activité de dépistage du VIH en laboratoire (LaboVIH), coordonnée par Santé publique France, permet de suivre l’évolution nationale et régionale du nombre de sérologies VIH réalisées, d’aider à interpréter les données de la notification obligatoire du VIH et d’en estimer l’exhaustivité 1. Son périmètre (1) et la méthode de recueil sont inchangés par rapport aux années précédentes 3.
Les données sur l’activité de dépistage communautaire par TROD sont analysées annuellement par la Direction générale de la santé (DGS) pour mesurer l’intérêt du dispositif en termes de santé publique. La méthode de recueil a été publiée précédemment 4. Les résultats ne tiennent pas compte des TROD réalisés par d’autres acteurs que ceux retenus dans le cadre des appels à projets de 2011 et 2012, ni de ceux réalisés par les LBM.
Le présent article décrit l’activité de dépistage du VIH en France en 2015 et son évolution depuis 2003 (pour le dépistage en LBM) et 2012 (pour le dépistage communautaire par TROD). Les tailles de populations utilisées pour calculer les taux de sérologies rapportés à la population sont celles de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) au 1er janvier 2015 5.
Résultats
Participation
En 2015, 88% (3 733/4 242) des sites de LBM ont participé à LaboVIH. La participation était plus élevée parmi les laboratoires hospitaliers (93%) que parmi les laboratoires de ville (87%) et variait selon la région (de 76% à 100%) et le département (de 47% à 100%).
Parmi les 60 associations ou structures habilitées par les ARS et initialement subventionnées, 57 ont réalisé des TROD VIH en 2015 et ont adressé leurs rapports annuels d’activité aux Caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), aux ARS et à la DGS.
Tests VIH réalisés
L’activité de dépistage de l’ensemble des LBM en 2015 est estimée à 5,35 millions [(IC95%: [5,20-5,33]) de sérologies VIH. Après avoir augmenté de 4% entre 2010 et 2011, ce nombre s’est stabilisé en 2012-2013, puis a augmenté de 3% entre 2013 et 2015 (figure 1a). Cette augmentation sur les deux dernières années est observée dans les départements d’outre-mer (DOM) et en métropole hors Île-de-France, mais pas en Île-de-France (IdF) où le nombre de sérologies est resté stable (figure 1b).
Rapporté à la population France entière, le nombre de sérologies était de 81 pour 1 000 habitants. Par région, les taux les plus élevés étaient observés dans les Outre-mer (Guyane : 205 ; Guadeloupe : 182 ; Martinique : 137 ; Mayotte : 122 ; La Réunion : 104), en IdF (112) et en Provence-Alpes-Côte d’Azur (99). Les autres régions de métropole présentaient des taux plus faibles que la moyenne nationale, s’échelonnant de 58 (Centre, Pays de la Loire) à 77 (Languedoc-Roussillon).
En 2015, les laboratoires de ville ont réalisé environ 76% des sérologies VIH. Après une période de stabilité de 2011 à 2014, le nombre de sérologies réalisées en ville a augmenté en 2015. À l’hôpital, ce nombre a augmenté de 2010 à 2014, puis s’est stabilisé en 2015.
Parmi l’ensemble des sérologies, 6% ont été réalisées dans un cadre anonyme, soit environ 327 000 sérologies anonymes.
Environ 62 200 TROD ont été réalisés en 2015 par les associations ou structures habilitées. La progression annuelle du nombre de TROD, observée depuis 2012, s’est ralentie : 31 700 en 2012, 56 500 en 2013 et 61 500 en 2014. Le public touché par ce dépistage communautaire s’est diversifié : les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), qui constituaient 40% des personnes dépistées par TROD en 2012, en représentent 30% depuis 2013. La part des usagers de drogues (4% en 2015) a progressivement diminué (7% en 2012, 5% en 2013 et 4% en 2014), tandis que celles des migrants (31% en 2015) et des personnes qui se prostituent (2% en 2015) sont restées stables depuis 2012. La part des personnes n’appartenant pas à ces publics cibles varie d’une année sur l’autre (21% en 2012, 36% en 2013, 28% en 2014 et 27% en 2015). La catégorie « publics précaires », individualisée pour la première fois en 2014, est passée de 8% à 6% en 2015. Parmi les personnes ayant bénéficié d’un TROD VIH en 2015, 27% n’avaient jamais été dépistées auparavant.
Sérologies VIH positives
Le nombre de sérologies VIH confirmées positives par les LBM en 2015 est estimé à 10 667 (IC95%: [10 117-11 218]). Ce nombre a augmenté entre 2011 et 2013. De 2013 à 2015, sa diminution apparente n’est pas significative (figure 2a).
Le nombre de sérologies positives s’est stabilisé dans les 3 inter-régions, depuis 2011 en IdF et dans les DOM, et depuis 2013 hors IdF (figure 2b).
Les laboratoires de ville sont à l’origine de 36% des sérologies VIH positives en 2015.
Environ 1 100 sérologies anonymes ont été confirmées positives en 2015, soient 10% des sérologies positives.
En 2015, 482 TROD communautaires se sont révélés positifs : 82% correspondaient à des découvertes de séropositivité, et 18% des personnes ainsi dépistées connaissaient déjà leur séropositivité. Les trois quarts de ces découvertes (75%) ont été contrôlées par un test classique, dont 2% se sont avérées être des faux positifs (5/297). Près des trois quarts (72%) des personnes ayant eu un TROD positif ont été orientées vers une prise en charge médicale dans les trois mois (ce pourcentage était de l’ordre de 60% les années précédentes), le devenir des 28% restants n’étant pas connu.
Sérologies VIH positives pour 1 000 sérologies réalisées
En 2015, la proportion de sérologies confirmées positives à l’échelle nationale était de 2,0 pour 1 000 sérologies réalisées. Les proportions les plus élevées étaient observées en Guyane (7,4), IdF (3,8), Guadeloupe (3,1) et Martinique (2,3).
Comme les années précédentes, la proportion de sérologies positives était plus élevée dans le cadre d’un dépistage anonyme (3,3 pour 1 000) que dans celui d’un dépistage nominatif confidentiel (1,9 pour 1 000).
La proportion de TROD communautaires positifs est restée plus élevée (7,7 pour 1 000 TROD en 2015) que la proportion de sérologies classiques positives. Ce taux était de 14,6 pour 1 000 pour les HSH (17,6 en 2014), 7,4/1 000 pour les migrants (9,6 en 2014), 7,2/1 000 pour les usagers de drogue (4,1 en 2014), 3,4/1 000 pour les personnes prostituées (11,4 en 2014), 2,5/1 000 pour les publics précaires (2,3 en 2014) et 1,1/1 000 pour les autres publics (1,7 en 2014).
Discussion
Le dépistage est une étape essentielle de la lutte contre le VIH et il constitue le premier objectif de la cible 90-90-90 proposée par l’Onusida 6, qui est de faire en sorte que 90% des personnes infectées soient diagnostiquées. Le dépistage fait partie des outils de prévention disponibles, au même titre que les préservatifs et les antirétroviraux, qu’ils soient prescrits à titre préventifs (prophylaxie pré-exposition -PreP, ou traitement post-exposition -TPE) ou thérapeutique (Treatment as prevention-TASP).
Grâce à la forte participation des biologistes (exhaustivité de 88% en 2015), le système de surveillance LaboVIH permet de suivre l’activité de dépistage du VIH en laboratoire à l’échelle nationale et régionale avec une bonne précision. Il met en évidence, depuis 2010, une augmentation modérée de l’activité de dépistage (+7% en 5 ans si on considère le nombre de sérologies réalisées, +4% si on le rapporte à la population). La recommandation actuelle de dépistage généralisé n’a donc pas été largement appliquée. La Haute Autorité de santé (HAS), saisie par la DGS, est en cours de réévaluation de la stratégie de dépistage, et notamment de l’intérêt d’une offre de dépistage systématique en population générale. Elle devrait rendre ses conclusions début 2017.
Le nombre de sérologies positives en laboratoires ne suit pas les tendances du nombre de sérologies réalisées, ce qui reflète les limites du dépistage pour atteindre les populations les plus exposées au VIH. À noter que le nombre de sérologies positives n’équivaut pas au nombre de découvertes de séropositivité, puisqu’une même personne peut avoir plusieurs sérologies positives (début ou changement de prise en charge, souhait de vérifier un précédent résultat positif…). La part des découvertes de séropositivité parmi les sérologies positives, estimée chaque année par les données de la déclaration obligatoire de l’infection à VIH, était de 60% en 2014.
Avec plus de 5 millions de sérologies VIH réalisées par an et près de 11 000 sérologies positives, les LBM, en ville et à l’hôpital, jouent un rôle central dans le dispositif de dépistage. Parmi ces sérologies, 6% ont été réalisées dans un cadre anonyme, avec un taux de positivité plus élevé que ce qui est observé dans le cadre nominatif confidentiel, soulignant l’intérêt des CDAG (réunis avec les Ciddist et devenus CeGIDD depuis janvier 2016). Malgré la disparition du caractère systématique de l’anonymat au sein des CeGIDD 7, à la différence des CDAG, il sera important de veiller à ce que ces nouvelles structures continuent à capter une population particulièrement exposée.
Bien que beaucoup plus restreints en termes de dépistages réalisés, les TROD utilisés depuis 2012 en milieu associatif et les autotests, disponibles depuis 2015, constituent des opportunités intéressantes pour atteindre les personnes qui ne se rendent pas dans les structures de dépistage ou de soins traditionnelles. Parmi les 62 000 personnes testées en 2015 par TROD dans une association, plus d’un quart n’avait jamais fait de dépistage au cours de leur vie. Le taux de positivité de ces TROD communautaires, quatre fois plus élevé que celui des sérologies classiques, montre que ce dispositif cible des populations fortement exposées au VIH. Le dépistage communautaire par TROD (dispositif fermé reposant sur environ 60 associations) a pris de l’ampleur progressivement depuis 2012, mais semble avoir atteint ses limites, avec un nombre équivalent de dépistages effectués en 2014 et 2015. Quant au nombre d’autotests vendus en pharmacie (2), il serait compris entre 1 500 et 2 000 par semaine, soit un total ramené sur une année de l’ordre de 75 000 à 100 000 autotests.
Conclusion
En 2015, et par rapport à l’année précédente, le suivi de l’activité de dépistage du VIH en France montre une légère augmentation du nombre de dépistages réalisés en laboratoire et une stabilisation du nombre de TROD communautaires. Le dépistage reste l’un des outils majeurs de la prévention différenciée du VIH, d’où l’importance de la réévaluation de la stratégie de dépistage, dans un contexte qui a évolué en termes de nouveaux outils et de nouveaux lieux de dépistage.
Remerciements
Nous remercions vivement tous les biologistes participant à LaboVIH. La présente analyse serait impossible sans leur travail de transmission d’information à Santé publique France.