Les infections sexuellement transmissibles bactériennes en France : situation en 2015 et évolutions récentes
// Bacterial sexually transmitted infections in France: recent trends and characteristics in 2015
Résumé
Introduction –
Les infections sexuellement transmissibles (IST) bactériennes augmentent en France depuis la fin des années 1990. Cet article présente les tendances épidémiologiques récentes jusqu’en 2015, ainsi que les caractéristiques des patients diagnostiqués pour une IST.
Méthode –
La surveillance des IST repose sur des réseaux volontaires de médecins et de biologistes. Le réseau de surveillance des IST « RésIST » recueille auprès des cliniciens des données démographiques, cliniques, biologiques et comportementales pour les syphilis précoces et les gonococcies. Un réseau coordonné par le Centre national de référence (CNR) des infections à Chlamydiae collecte le même type de données pour les lymphogranulomatoses vénériennes (LGV) rectales et les infections rectales à Chlamydia non L. Les réseaux de laboratoires « Renachla » et « Rénago » recueillent des données démographiques et biologiques pour les chlamydioses et les gonococcies. Les tendances 2013-2015 sont décrites en considérant le nombre de cas déclarés par les sites ayant participé de façon constante sur cette période.
Résultats –
En 2015, le nombre de syphilis précoces, d’infections à gonocoque et de LGV a continué d’augmenter. Cette progression est particulièrement marquée chez les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes (HSH). Une hausse du nombre de syphilis et de gonococcies est également observée chez les hétérosexuels, malgré un nombre de cas relativement faible.
Conclusion –
La syphilis précoce, l’infection à gonocoque et la LGV progressent en France, notamment chez les HSH. Cette progression reflète une augmentation des comportements sexuels à risque décrite par les études comportementales menées dans cette population. Un dépistage précoce des patients et de leurs partenaires, suivi d’un traitement rapide, est indispensable pour interrompre la transmission des IST, dans un contexte de prévention du VIH qui s’est élargie à d’autres outils que le préservatif seul.
Abstract
Background –
Bacterial sexually transmitted infections (STIs) increase and remain a public health concern in France since their resurgence in the late 1990’s. This article presents recent epidemiological trends until 2015 and the characteristics of patients diagnosed with an STI.
Method –
Surveillance of STIs is based on a voluntary clinicians and biologists networks. The clinicians’ network ’RésIST’ collects demographic, clinical, biological and behavioural data for early syphilis and gonorrhea. The LGV network coordinated by the National Reference Centre (NRC) for Chlamydiae collects the same type of data for rectal lymphogranuloma venereum (LGV) and non-L chlamydial rectal infections. The laboratory networks ’RENACHLA’ and ’RENAGO’ collect demographic and biological data for chamydial infections and gonorrhea. Trends between 2013 and 2015 are described by considering the number of cases reported by the regulary participating sites over the study period.
Results –
In 2015, the number of early syphilis, gonorrhea and LGV cases has been increasing. This trend is dramatically sharp among men who have sex with men (MSM). Nevertheless, an increase of syphilis and gonorrhea cases is also observed among heterosexual population, despite a smaller number of reported cases.
Conclusions –
Early syphilis, gonorrhea and LGV are increasing in France, in particular among MSM. This situation reflects a rise in highly risky behaviors reported by several behavioral studies performed in this population. Early screening of patients and their partners, followed by rapid treatment, is essential to interrupt STIs transmission in a context of HIV prevention which has expanded beyond the exclusive use of the condom.
Introduction
Les infections sexuellement transmissibles (IST) bactériennes progressent en France depuis la recrudescence de la gonococcie en 1998, la résurgence de la syphilis en 2000 et l’émergence de la lymphogranulomatose vénérienne (LGV) en 2003 1. En raison de leur fréquence, de leur transmissibilité, de leurs complications et de leur rôle dans la transmission du VIH, une surveillance épidémiologique des IST a été mise en œuvre afin de contribuer à l’orientation et à l’évaluation des actions de prévention. L’objectif de cet article est de décrire les tendances épidémiologiques jusqu’en 2015 et les caractéristiques des patients diagnostiqués pour une IST.
Méthodes
La surveillance épidémiologique des IST bactériennes biologiquement confirmées repose sur des réseaux volontaires de surveillance (figure 1), depuis la suppression de la déclaration obligatoire en 2000 en raison d’une exhaustivité et d’une représentativité insuffisantes 1.
Le réseau de cliniciens « RésIST », coordonné par Santé publique France, contribue à la surveillance des syphilis précoces (datant de moins d’un an et correspondant aux stades primaire, secondaire ou latente précoce) et des gonococcies. Le recueil de données démographiques, cliniques, biologiques et comportementales repose sur différents lieux de diagnostic (Centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG), Centres d’information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles (CIDDIST) (1), consultations hospitalières de dermatologie, de maladies infectieuses ou de médecine interne, cabinets de médecine libérale…). Ce réseau s’appuie sur l’expertise du Centre national de référence (CNR) de la syphilis et du CNR des gonocoques.
Les LGV rectales (infections dues à une souche particulièrement invasive de Chlamydia trachomatis, de sérovar L) et les infections rectales à Chlamydia non L sont surveillées via un réseau de laboratoires coordonné par le CNR des infections à Chlamydia, qui recueille des données biologiques et démographiques. Ces informations sont complétées auprès des cliniciens prescripteurs par des données cliniques et comportementales.
Enfin, les réseaux de laboratoires « Renachla » et « Rénago », coordonnés par Santé publique France, dont les taux d’exhaustivité ont été estimés à 18% et à 23% en 2012 2, concourent respectivement à la surveillance des infections à Chlamydia et des gonococcies, en transmettant des données démographiques et biologiques des cas diagnostiqués. Le CNR des gonocoques joue un rôle majeur dans la surveillance des résistances, en étant destinataire des souches de gonocoques identifiées par une partie des laboratoires du réseau Rénago.
Les tendances récentes, sur la période 2013-2015, sont décrites en considérant le nombre de cas déclarés par les sites ayant participé durant les trois dernières années, afin de prendre en compte les fluctuations de participation.
Résultats
Infections à Chlamydia
Entre 2013 et 2015, le nombre d’infections à Chlamydia déclarées a augmenté de 10%. Cette augmentation est plus importante chez les hommes (progression de 19% versus 8% chez les femmes) (figure 2) et plus marquée dans les autres régions métropolitaines (augmentation de 15%) comparativement à l’Île-de-France, où le nombre de cas diagnostiqués a diminué de 1,5% au cours de la même période. Parmi les cas pour lesquels on dispose de l’information (36%), la proportion de diagnostics chez des patients asymptomatiques a diminué, passant de 58% en 2013 à 46% en 2015 (et de 60% à 45% chez les femmes).
En 2015, la majorité des patients diagnostiqués pour une infection à Chlamydia étaient des femmes (64%). Les classes d’âge les plus concernées étaient les 15-24 ans chez les femmes (65%) et les 20-29 ans chez les hommes (61%). La proportion de patients asymptomatiques était d’environ 45%, mais variait selon les lieux de consultation (de 22% en consultation de gynécologie hospitalière à 74% en CDAG/CIDDIST). Les principaux sites de prélèvement ayant conduit au diagnostic sont urinaires (76%) pour les hommes et cervico-vaginaux pour les femmes (82%). Toutes ces proportions sont stables sur les trois dernières années.
2000-2015
Lymphogranulomatoses vénériennes rectales
Le nombre de LGV rectales a augmenté de 47% et celui des infections rectales à Chlamydia non L de 92% entre 2013 et 2015 (figure 3). L’épidémie touche quasi-exclusivement des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), qui représentaient 98% des cas de LGV et d’infections rectales non L en 2015. Aucune femme n’a été déclarée pour une LGV rectale et une quarantaine l’ont été pour une infection rectale non L en 2015.
Les classes d’âge les plus touchées étaient les 30-49 ans pour les cas de LGV (66%) et les 20-39 ans pour les infections rectales non L (71%).
Le niveau de co-infections par le VIH reste très élevé depuis le début de la surveillance des LGV : 76% des patients déclarés en 2015 étaient des séropositifs connus. Les co-infections VIH et infections rectales non L étaient également très fréquentes, malgré une forte diminution entre 2007 et 2015 (de 70% à 30%).
Gonococcies
Entre 2013 et 2015, le nombre de gonococcies a augmenté d’environ 100% chez les HSH, de 32% chez les femmes hétérosexuelles et de 8% chez les hommes hétérosexuels (figure 4). L’augmentation est observée aussi bien en Île-de-France que dans les autres régions métropolitaines.
Parmi les gonococcies rapportées en 2015, 68% concernaient des HSH. Les classes d’âges les plus touchées étaient les 20-29 ans chez les femmes (57%) et les 20-39 chez les hommes (76%). L’âge médian au diagnostic était de 29 ans chez les HSH, de 25 ans chez les hommes hétérosexuels et de 21 ans chez les femmes hétérosexuelles.
La proportion de co-infections par le VIH, de l’ordre de 11% en 2015, est restée stable et élevée depuis plusieurs années. Elle était toutefois plus importante chez les HSH (17%).
En 2015, le niveau de la résistance des souches à la tétracycline (45%) ou à la ciprofloxacine (40%) est resté très élevé. La proportion de souches résistantes au céfixime a diminué entre 2013 (1,7%) et 2015 (0,3%). La concentration minimale inhibitrice (CMI) moyenne de la ceftriaxone (traitement de référence), stabilisée entre 2011 et 2014, a diminué en 2015. Aucune souche résistante à cet antibiotique n’a été isolée en France depuis 2011.
Syphilis précoces (de moins d’un an)
Le nombre de syphilis précoces a augmenté de 56% chez les HSH entre 2013 et 2015 (figure 5). Chez les hétérosexuels, malgré des effectifs relativement faibles, une augmentation du nombre de cas est aussi observée au cours de la même période (+85% chez les femmes et +75% chez les hommes). L’augmentation du nombre de cas est très marquée dans les régions métropolitaines hors Île-de-France, quelle que soit l’orientation sexuelle des patients.
2000-2015
La répartition des stades de la syphilis (25% de syphilis primaires, 37% de secondaires et 38% de latentes précoces) est stable depuis le début de la surveillance. Parmi les patients déclarés pour une syphilis précoce en 2015, 84% étaient des HSH, les femmes ne représentant que 5% des cas rapportés. Les hommes de 20-49 ans étaient les plus concernés (78%), quelle que soit l’orientation sexuelle, tandis que la majorité des femmes avaient moins de 29 ans (53%).
Le niveau de co-infections par le VIH reste très élevé malgré une diminution observée en 2015, la part de patients co-infectés par une syphilis et le VIH étant d’environ un quart en 2015 contre un tiers en 2014. La majorité des patients co-infectés par le VIH était déjà informée de leur séropositivité, 2% seulement l’ayant découverte lors du diagnostic de la syphilis. Ces co-infections étaient plus fréquentes chez les HSH (25% versus respectivement 12% et 2% chez les hommes et femmes hétérosexuels en 2015).
Discussion
La surveillance des IST bactériennes est basée sur des réseaux sentinelles volontaires et ne permet pas de connaitre le nombre total de cas diagnostiqués en France. Néanmoins, des données d’incidence ont pu être estimées en 2012 grâce à une enquête spécifique réalisée auprès de l’ensemble des laboratoires d’analyses médicales 2. L’incidence annuelle de l’infection à Chlamydia trachomatis a été estimée à environ 77 000 cas, soit un taux de 257/100 000 personnes de 15 à 49 ans, et celle des gonococcies à environ 15 000 cas en France, soit un taux d’incidence de 39/100 000 personnes de 15 à 59 ans 2.
Malgré une surveillance non exhaustive, les données disponibles permettent de suivre les tendances épidémiologiques au niveau national de manière fiable. Les données montrent que les IST continuent d’augmenter, particulièrement chez les HSH. Une hausse du nombre de cas est également constatée chez les hétérosexuels depuis 2012, quel que soit leur sexe, même si le nombre de cas reste relativement faible.
Chez les HSH, l’augmentation observée entre 2013 et 2015 concerne non seulement les infections à gonocoques et les infections rectales à Chlamydia non L (doublement du nombre de cas), mais également la syphilis et les LGV. Malgré l’hétérogénéité des dispositifs de surveillance, les données de surveillance européennes aboutissent aux mêmes constats 3. Au Royaume-Uni par exemple, la diffusion des IST est très importante chez les HSH, avec une augmentation de 95% des cas de syphilis et de 105% des gonococcies entre 2012 et 2015, et une augmentation de 81% du nombre de LGV entre 2012 et 2014 4,5.
Le niveau élevé de co-infections par le VIH chez les HSH présentant une infection rectale à Chlamydia, une syphilis ou une gonococcie reflète une utilisation insuffisante du préservatif chez les HSH séropositifs, observée dans les études comportementales depuis plusieurs années 6. L’existence de chaines de transmission rapide d’IST, via des réseaux sexuels comportant des HSH séropositifs, pourrait contribuer à la situation singulière observée dans cette population 4. Cela souligne l’importance du dépistage des partenaires et la nécessité d’investiguer les agrégats spatio-temporels pour interrompre la transmission des IST.
Chez les femmes et hommes hétérosexuels, une augmentation du nombre de syphilis et de gonococcies est également observée respectivement depuis 2013 et 2008, malgré un nombre de cas encore faible. Les cas de gonococcie concernent particulièrement les jeunes, d’où l’importance d’un dépistage dans cette population, compte tenu notamment des conséquences potentielles en termes de fertilité. Concernant les infections à Chlamydia, les laboratoires ne recueillant pas les données comportementales des patients, il n’est pas possible de décrire la distribution des cas selon l’orientation sexuelle. Néanmoins, la forte représentation des femmes parmi les cas déclarés laisse supposer que l’infection se transmettrait davantage dans le cadre de rapports hétérosexuels, ce qui correspondrait à la situation européenne où 88% des cas déclarés sont des hétérosexuels 3.
L’infection à Chlamydia est la seule IST où la part des femmes prédomine parmi les cas diagnostiqués. Le nombre d’infections à Chlamydia augmente chez l’homme, comme chez la femme, depuis 2006. Les femmes diagnostiquées sont majoritairement âgées de 15 à 24 ans, ce qui reflète en partie l’application des recommandations du dépistage systématique des jeunes femmes dans les centres dédiés 7. Ce dépistage opportuniste des jeunes femmes est moins systématique en médecine libérale, ce qui explique une proportion de portages asymptomatiques moins importante que celle observée dans les centres de dépistage où la gratuité est appliquée. Par ailleurs, la proportion d’infections asymptomatiques chez les femmes tend à diminuer sur les trois dernières années, ce qui pourrait refléter une diminution du nombre de dépistages. Le dépistage opportuniste ne ciblant pas les HSH et le nombre de sites anatomiques prélevés étant contraint par le remboursement des actes biologiques, une sous-représentation de cette population, et notamment des localisations extra-génitales, ne peut être écartée. Une approche globale du dépistage des IST en cas de comportements sexuels à risque, une facilitation des prélèvements anatomiques multi-sites et une promotion des initiatives en faveur de l’auto-prélèvement et du dépistage communautaire pourraient contribuer à la lutte contre les IST 4. Le suivi régulier mis en place dans le cadre de la prescription d’une prophylaxie pré-exposition au VIH (PrEP) permettra un dépistage plus fréquent des IST pour les HSH ayant recours à cette nouvelle offre de prévention, ce qui pourrait éventuellement induire une augmentation du nombre de cas diagnostiqués.
Au niveau européen, le nombre de cas incidents de chlamydiose est stable depuis 2009 3. Les caractéristiques des patients (prédominance des femmes et des 15-24 ans) reflètent les recommandations en vigueur, notamment celles des pays déclarant un grand nombre de cas 3,4,8. Au Royaume-Uni, une diminution du nombre de cas, en lien avec une réduction du nombre de dépistages communautaires, est observée depuis 2014 3,4. Néanmoins, une augmentation de 52% des cas d’infections à Chlamydia est notée chez les HSH entre 2012 et 2015 4.
Concernant le gonocoque, la diminution de la sensibilité aux céphalosporines de troisième génération (C3G, céfixime ou ceftriaxone) reste modérée en France. La CMI moyenne des C3G continue de diminuer et aucune souche résistante à la ceftriaxone n’a été isolée depuis 2011. Bien que ces constats confirment une tendance favorable observée depuis plusieurs années, la surveillance de la sensibilité du gonocoque, associée à l’application de la recommandation du traitement par la ceftriaxone en première intention, reste indispensable pour prévenir la diffusion de souches multi-résistantes dans un contexte de transmission de plus en plus fréquente des gonococcies, notamment chez les HSH 2,4,6,9,10,11. Ainsi, une vigilance particulière doit être accordée à la poursuite de la prescription de cultures et d’antibiogrammes, dans un contexte de montée en charge de la PCR.
Conclusion
Les IST continuent d’augmenter en France d’une manière particulièrement importante chez les HSH, en lien avec une augmentation des comportements sexuels à risque dans cette population 3.
Face à ces constats et dans un contexte de prévention différenciée vis-à-vis du VIH, où le préservatif n’est plus le seul outil de prévention, un dépistage précoce des patients et de leurs partenaires suivi d’un traitement rapide est indispensable pour interrompre la transmission des IST.
Par ailleurs, la diversification de la prévention contre le VIH nécessite d’adapter les modalités de la surveillance épidémiologique afin d’en mesurer les effets sur la dynamique des IST. Un renforcement de la surveillance épidémiologique et de l’investigation des agrégats spatio-temporels au niveau régional pourrait également contribuer à mieux évaluer les besoins en matière de lutte contre les IST. Une systématisation du recueil des données des CeGIDD (Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic), associée au maintien des réseaux volontaires, à l’exploitation des bases de données médico-administratives et à la conduite d’enquêtes spécifiques, pourrait ainsi concourir à la production d’indicateurs régionaux robustes. Une informatisation de tous les CeGIDD est cependant l’un des leviers nécessaires à cette évolution du dispositif de surveillance des IST.
Remerciements
Nous remercions vivement pour leur contribution à la surveillance des IST les participants aux réseaux volontaires (Rénago, Rénachla, RésIST, Lymphogranulomatoses vénériennes), notamment les médecins, les biologistes, quel que soit leur lieu d’exercice (en CeGIDD, en consultations hospitalières, en cabinet libéral, en laboratoires) et les CNR du gonocoque, des Chlamydiae et de la syphilis.