Prévalence et caractéristiques de l’entretien prénatal précoce : résultats d’une enquête dans les réseaux de santé en périnatalité, France, 2012

// Prevalence and characteristics of early prenatal care interviews: results of a survey in perinatal health networks, France, 2012

Bernard Branger1 (branger44@gmail.com), Réseaux de santé en périnatalité2
1 Réseau de périnatalité « Sécurité naissance des Pays-de-la-Loire » ; Fédération française des réseaux de santé en périnatalité, Nantes, France
2 Réseaux de santé en périnatalité : Alpes-Isère (Grenoble), Bien naître en Artois (Douai), Ille-et-Vilaine (Rennes), Élena (Saint-Étienne), Languedoc-Roussillon (Montpellier), Provence-Alpes-Côte d’Azur Est/Haute-Corse/Monaco (Nice), Île-de-France Sud (Corbeil-Essonnes), Périnat 56 (Vannes), Périnat 92 Nord (Gennevilliers), Haute-Normandie (Rouen), Midi-Pyrénées (Toulouse), Ombrel (Lille), Côtes-d’Armor (Saint-Brieuc), Périnat 29 Bretagne occidentale (Brest), Champagne-Ardenne (Nancy), Picardie (Amiens), Val-d’Oise (Pontoise), Pauline (Calais), Basse-Normandie (Caen), Pays-de-la-Loire (Nantes), Périnat 36 (Châteauroux), Lorraine (Nancy), Deux-Savoie (Annecy), Franche-Comté (Besançon), Paris-Nord/Val-de-Marne (Créteil)
Soumis le 28.08.2014 // Date of submission: 08.28.2014
Mots-clés : Entretien prénatal précoce | Grossesse | Difficultés socio-psychologiques | France
Keywords: Early prenatal care | Pregnancy | Socio-psychological difficulties | France

Résumé

Un entretien prénatal précoce (EPP) doit être proposé lors du suivi de la grossesse. Les réseaux de santé en périnatalité (RSP), regroupés au sein d’une fédération (Fédération française des réseaux de santé en périnatalité, FFRSP), ont organisé en 2012 une enquête de prévalence de l’EPP auprès des RSP et de maternités volontaires. Les femmes accouchées devaient remplir un questionnaire après l’accouchement.

Sur les 40 RSP de métropole, 26 ont participé (65%) avec 253 maternités et 1 990 réponses. La proportion d’EPP déclarés était de 40,3% (IC95%: [38,1-42,4%]) avec des écarts selon les réseaux allant de 7,7% à 70,0%. Dans les cas où l’EPP n’avait pas été fait, les femmes ont rapporté dans près de 2/3 des cas qu’on ne leur avait pas proposé. Les sages-femmes libérales ou exerçant dans une maternité étaient celles qui réalisaient le plus d’EPP. Les femmes les plus en difficulté avaient un accès à l’EPP légèrement supérieur aux autres femmes (57% vs. 52% ; p=0,017). Les facteurs associés à la proposition ou à la réalisation de l’EPP étaient, en analyse multivariée, le fait d’être une femme jeune (30-34 ans), primipare, de suivre une préparation à l’accouchement et d’avoir reçu un carnet de maternité.

Cette étude a permis de montrer que l’EPP, dans les RSP et maternités, est plus fréquent que dans une précédente enquête de 2010, mais demeure encore trop peu réalisé. Des propositions pour en améliorer la pratique seraient de mieux informer les professionnels de la santé périnatale et les futures mères de ses modalités de réalisation et de ses avantages.

Abstract

An early prenatal care (EPP) interview must be proposed during pregnancy follow-up. Perinatal health networks (RSP), grouped into a federation (Fédération française des réseaux de santé en périnatalité, FFRRSP), conducted a survey in 2012 to estimate EPP prevalence in France; it was performed on RSP and voluntary maternities. The expectant mothers were invited to answer a questionnaire after delivery.

Among the 40 RSP in mainland France, 26 participated (65%) including 253 maternities and 1,990 answers. The proportion of EPP reported was 40.3% (95%CI: [38.1-42.4%]) with differences according to RSPs, from 7.7% to 70.0%. In cases where the EPP interview did not take place, the women reported that they were not invited to have it in about 2/3 of cases. The highest number of EPP interviews was carried out by liberal midwives or midwives working in maternities. Women with most difficulties had a slightly higher access to EPP interviews than other women (57% vs. 52%; p=0.017). Factors associated with the proposal or the conduct of an EPP interview in multivariate analysis were: being a young woman (30-34 years), being primiparous, attending preparation of delivery, and having received a maternity book.

This study showed that the practice of the EPP interviews in RSPs and maternity hospitals, increased compared to the 2010 survey, but remained too low. Proposals to improve the practice are to better inform prenatal care professionals and expectant mothers on the terms and the benefits of the EPP practice.

Introduction

L’entretien prénatal précoce (EPP), ou entretien individuel du 4e mois de grossesse, est une rencontre avec un professionnel de la périnatalité formé, sans examen médical. Il a pour objectif de recueillir les demandes et craintes des femmes enceintes au sujet du déroulement de la grossesse et de l’accouchement et de mettre en place, selon la demande, un projet de naissance. Cet EPP a été recommandé puis financé dans le cadre du Plan périnatalité 2005-2007 (Humanité, proximité, sécurité, qualité) 1. La circulaire du 4 juillet 2005 relative à la promotion de la collaboration médico-psychologique en périnatalité en a prévu les objectifs et le déroulement 2. Enfin, un référentiel de formation des intervenants a été proposé 3 dans la suite d’un autre document relatif à la préparation à la naissance et à la parentalité (PNP) 4.

La prévalence de l’EPP avait été explorée dans l’Enquête nationale périnatale en 2010 (ENP 2010) ; l’interrogatoire des mères ayant récemment accouché avait alors permis d’évaluer un taux de 21,4% sur 14 903 accouchements intervenus sur une semaine.

Les réseaux de santé en périnatalité (RSP) ont pour mission de coordonner la politique de santé périnatale sur un territoire 5 et, à ce titre, d’aider à la pratique de l’entretien dans les maternités ou en ambulatoire. Leur rôle est également d’évaluer la mise en place et les résultats de cette politique. Les RSP sont regroupés au sein de la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FFRSP ; http://www.ffrsp.com), qui en regroupe 44. La FFRSP a fait l’hypothèse d’une évolution de la pratique de l’EPP depuis 2010, et souhaitait mettre en place un recueil qui précise au mieux la question relative à sa pratique, les femmes n’ayant pas toujours intégré le nom exact de cet entretien. L’objectif de l’étude est d’évaluer la prévalence de l’EPP en 2012, de suivre l’évolution de sa pratique depuis 2010, d’en étudier les modalités et de mesurer les facteurs liés à sa proposition et sa réalisation.

Méthodes

En 2012, la FFRSP a proposé à tous les RSP de mettre en place une enquête de prévalence de l’EPP ; chaque RSP volontaire a alors contacté les maternités de son territoire pour leur proposer de remettre un auto-questionnaire aux femmes venant d’accoucher, essentiellement par l’intermédiaire des cadres sages-femmes. Il s’agit donc d’une enquête déclarative sur l’existence ou non d’une proposition ou d’une réalisation d’un EPP au cours de la grossesse, remplie en suites de couches. Seules les maternités volontaires ont participé à l’enquête. Il était proposé de recueillir les informations sur une semaine de 2012 au choix du RSP ou de la maternité.

La grille d’enquête comportait les éléments suivants : 1) Caractéristiques des femmes : âge, profession de la mère et du père, vie en couple ; 2) Caractéristiques des établissements : type de soins néonatals (1, 2A, 2B ou 3), type de structures (centres hospitaliers universitaires (CHU), centres hospitaliers (CH), cliniques ESPIC (maternités privées d’intérêt collectif) ou cliniques privées à but lucratif) ; 3) Grossesses et accouchements : parité, modalités de déclaration de grossesse, réception du carnet de maternité, réalisation d’une préparation à l’accouchement et les professionnels qui l’ont réalisée, existence de difficultés sociales, économiques ou psychologiques, terme de l’accouchement ; 4) Données concernant l’EPP : proposition et réalisation d’un EPP, personne qui a réalisé l’EPP, durée, satisfaction et suites données (information, orientation).

La mesure de la réalisation de l’EPP est complexe dans la mesure où le terme lui-même n’est pas toujours prononcé ou quand la première séance de préparation à l’accouchement fait office d’EPP. Il était rappelé que l’EPP est un entretien sans examen médical, d’une durée généralement supérieure à 30 minutes. Dans ces conditions, la phrase était la suivante : « Avez-vous eu : un entretien prolongé avec une sage-femme ou un médecin, appelé « entretien prénatal précoce » ou « entretien du 4e mois ? », ou « un entretien de 30 à 45 minutes, sans être examinée, par un professionnel de santé ? », ou « une première séance de préparation à l’accouchement, seule avec une sage-femme ? ».

Les données ont été saisies sur un tableur ou sur Epidata Entry 3,1. La fusion des fichiers et l’analyse ont été réalisées au niveau de la FFRSP avec le logiciel SPSS® 20.0. Les résultats sont présentés sous forme de pourcentages ou de moyennes avec leurs écart-types. Les comparaisons avec l’ENP 2010 ont été réalisées avec le test ε en comparant une proportion observée à une proportion théorique (pour un seuil de signification à p<0,01). Les comparaisons entre les femmes qui ont déclaré avoir eu l’entretien et celles qui ne l’ont pas eu ont été faites en univarié avec le test du Chi2 et le test t de Student. Pour étudier les facteurs liés à la proposition ou à la réalisation de l’EPP, et tenir compte des facteurs de confusion, une analyse multivariée a été faite par régression logistique en modèle complet en introduisant les variables suivantes : type de structures, type de soins, âge des mères, parité, âge gestationnel, catégorie socioprofessionnelle (CSP) du couple, vie en couple, préparation à l’accouchement et réception du carnet de santé. Les odds ratios calculés vis-à-vis de la proposition ou la réalisation de l’EPP concernent les réponses positives par rapport aux réponses négatives, ou la catégorie de référence avec une prévalence faible d’EPP.

Résultats

Sur les 40 RSP de France métropolitaine (aucun des quatre réseaux des DOM-TOM sollicités n’a participé), 26 ont organisé l’enquête dans leur territoire (65%), avec 253 maternités participantes (soit 49% des 520 maternités de France métropolitaine) et recueillant 1 990 réponses. Parmi les 26 RSP, 21 étaient en région (sur 31), et 5 en Île-de-France (sur 9). En raison du manque de connaissance dans certains réseaux du nombre d’accouchements sur la période d’enquête, il n’a pas été possible de déterminer un taux de réponse des femmes ayant accouché durant la période. La moyenne d’âge des 1 990 femmes était de 29,7±5,5 ans et 41,9% étaient primipares. Les mères étaient pour 37,1% d’entre elles de profession cadre ou profession intermédiaire, les pères 33,9% et le couple (soit l’un, soit l’autre) 54,6%. Les établissements étaient des CH à 45,4%, des cliniques privées à 30,9%, des CHU à 18,4% et des maternités ESPIC à 5,1%. Les catégories du niveau de soins étaient représentées par les types 1 à 30,0%, 2A à 31,8%, 2B à 15,7%, et 3 à 22,4%. Près de la moitié des femmes avaient reçu le carnet de maternité (55,6% des cas) et avaient suivi une préparation à l’accouchement (54,6%). Les caractéristiques des maternités et des mères en comparaison avec l’ENP 2010 6 sont présentées dans le tableau 1.

Tableau 1 : Caractéristiques des maternités d’accouchement et des mères. Résultats de l’enquête dans les réseaux de santé en périnatalité (RSP) 2012 en comparaison avec l’Enquête nationale périnatale (ENP) de 2010, France
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Par rapport aux données de l’ENP 2010, notre échantillon comportait davantage de cliniques privées, de maternités de type 2A, moins de mères/pères cadres ou de professions intermédiaires, moins de réceptions de carnets de maternité et une préparation à l’accouchement moins importante.

La prévalence de la réalisation de l’EPP tel qu’il avait été défini dans le questionnaire était de 40,3% avec 802 EPP réalisés (IC95%: [38,1-42,4%]). Par ailleurs, il était « non réalisé » dans 1 067 cas (53,6%), avec 121 réponses manquantes (6,1%).

Parmi les 1 067 cas où l’EPP n’avait pas été réalisé, 673 femmes (63,1%) ont déclaré qu'il ne leur avait pas été proposé.

Dans les 394 cas où l’entretien avait été proposé mais non réalisé, 91 femmes (23,1%) ont déclaré ne pas avoir eu le temps de le faire ; 172 femmes (43,7%) l’ont refusé et 131 femmes (33,2%) n’ont pas donné de raison (figure). Au total, sur l’ensemble des femmes, l’EPP n’avait pas été proposé dans 33,8% des grossesses (tableau 2). Dans les cas où l’EPP n’a pas été fait alors que les femmes en étaient informées, les arguments avancés (en texte libre) étaient liés au suivi par un généraliste, au fait que certaines femmes étaient multipares et donc avaient eu l’EPP lors de précédentes grossesses, ou en raison de déménagements.

Figure : Prévalence de la réalisation de l’entretien prénatal précoce et de sa proposition. Enquête dans les réseaux de santé en périnatalité, France, 2012
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Le tableau 2 montre que ce sont les sages-femmes qui informaient le plus sur l’existence de cet entretien et qui le réalisaient le plus souvent (92,5% en tout pour trois catégories de type d’activité). Les gynécologues-obstétriciens et les médecins généralistes étaient peu représentés. Lors de l’EPP, la femme était seule dans 2/3 des cas et accompagnée dans 1/3 des cas, le plus souvent par son conjoint, mais aussi par sa mère ou sa sœur. La réalisation de l’EPP intervenait en moyenne à 23 SA, c’est-à-dire vers 5 mois de grossesse, avec des écarts importants allant de 13 SA (fin du 1er trimestre) jusque vers 39 SA. Dans l’ensemble, 4% des EPP avaient lieu au 1er trimestre de grossesse, 73% au 2e trimestre et 23% au 3e trimestre.

Les difficultés rencontrées par les femmes sont détaillées au tableau 3. Les différences de proposition ou de réalisation d’un EPP en cas de difficultés ou en leur absence n’étaient significatives que pour l’ensemble des difficultés psychologiques (56% vs. 27% ; p<0,0001) et pour l’ensemble des difficultés (57% vs. 52% ; p=0,017). Il n’y avait pas de différences pour les difficultés sociales, ni pour les conduites addictives et à risques.

Tableau 2 : Caractéristiques de l’entretien prénatal précoce (EPP). Enquête dans les réseaux de santé en périnatalité (RSP), France, 2012
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Tableau 3 : Difficultés rencontrées par les femmes pendant la grossesse ou l’accouchement. Enquête dans les réseaux de santé en périnatalité (RSP), France, 2012
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Les femmes se déclaraient à 96,36% satisfaites ou très satisfaites de l’entretien. La durée de l'EPP était de 30 minutes et moins dans 16,5% des cas, entre 30 minutes et 1 heure dans 65,8% des cas, et plus de 1 heure dans 15,1% (2,6% de valeurs manquantes). Une information écrite était remise dans 15,2% des cas et une orientation était proposée dans 20,3% des cas (163) ; les professionnels ou les structures envisagées étaient les suivantes, par ordre d’importance : psychologues (38), professionnels de santé spécialistes (endocrinologues, dentistes, nutritionnistes…) et d’exercice particulier (acupuncture, ostéopathie) (25), autres professionnels de santé (diététiciens, kinésithérapeutes : 25), sages-femmes de la protection maternelle et infantile (PMI : 21), services d’addictologie (21), assistantes sociales (12), médecins de PMI (7), psychiatres (3), autres (11). Dans 109 situations où l’appréciation de cette orientation était mentionnée, la réponse aux besoins était satisfaisante dans 89,9% des cas.

Une orientation était proposée en cas de difficultés dans 30,6% des cas. Il n’y avait pas de questions pour savoir si la proposition d’orientation avait débouché sur une consultation effective.

Les critères associés à la proposition (point de vue de l’offre de soins par les professionnels) ou à la réalisation de l’entretien (point de vue du résultat) sont détaillés en tableau 4. En analyse multivariée, les critères suivants étaient associés à la proposition/réalisation d’un entretien : la préparation à l’accouchement, l’âge des mères compris entre 25 et 35 ans, la primiparité et la réception du carnet de maternité. Le lien entre préparation à l’accouchement et CSP du couple étant très significatif (69,1% de préparation pour les couples cadres et professions intermédiaires vs. 42,2 pour les autres CSP ; p<0,001), la présence de la préparation dans le modèle rend non significative la CSP.

Tableau 4 : Facteurs bruts et ajustés liés à la proposition ou à la réalisation de l’entretien prénatal précoce (EPP). Enquête dans les réseaux de santé en périnatalité, France, 2012
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Discussion

Cette étude sur 26 réseaux de périnatalité dans 253 maternités de France métropolitaine, avec 1 990 questionnaires de femmes interrogées sur une semaine, a mis en évidence une proportion d’EPP de 40,3% pendant la grossesse. Il existe une augmentation de la prévalence par rapport à l’ENP 2010 (21,4%), mais deux remarques peuvent être faites : la question relative à la pratique de l’EPP n’était pas similaire (celle de l’enquête 2012 était plus précise, mais plus complexe), et les échantillons ne sont pas tout à fait comparables : l’âge maternel est le même, mais il y a de légères différences pour les types de structures et les types d’établissements. Il faut toutefois signaler que le type de maternités n’est pas le plus important, puisque les EPP sont réalisés en ambulatoire sans avoir consulté encore à la maternité. L’échantillon 2012 comportait moins de cadres et de professions intermédiaires, moins de préparations à l’accouchement et moins de carnets de maternité reçus, ce qui pourrait tendre à faire baisser la pratique de l’EPP alors même que le résultat montre une augmentation. D’autre part, il existe probablement une surestimation dans la mesure où ce sont les RSP et les territoires les plus impliqués qui ont sans doute répondu ; la FFRSP n’a pas d’éléments pour comparer les RSP répondants ou non sur ces critères liés à la pratique de l’EPP.

Quoiqu’il en soit, sept ans après la parution de la circulaire de 2005 5 mettant en place cet entretien et dans les suites du Plan de périnatalité 2005-2007 1 qui finançait le dispositif, la prévalence de l’EPP reste encore faible. L’enquête a permis de révéler que l’EPP n’était pas proposé dans 34% des cas : le rôle des professionnels qui prennent en charge les femmes enceintes au cours du 1er trimestre de grossesse est à explorer (notre étude ne demandait pas de renseignements sur le suivi), en particulier auprès des médecins généralistes qui voient 22% des femmes pour la déclaration de grossesse et 24% au cours de la grossesse, et des gynécologues-obstétriciens de ville (respectivement 47,6% et 47,2%) 6. Le rôle des RSP est, dans ce domaine, capital vis-à-vis de l’information et des formations auprès de ces professionnels. De plus, même si ces professionnels ont été informés, leurs doutes sur l’intérêt de l’EPP sur le déroulement de la grossesse et l’issue de l’accouchement et leurs remarques sur le manque d’évaluation du dispositif ont été soulignés par nombre de RSP. Seules des enquêtes plus qualitatives pourraient être envisagées pour une telle évaluation ; il existe des données de la littérature qui montrent clairement qu’une prise en charge ou une aide en cas de stress ou de traumatisme pendant la grossesse sont efficaces 7,8,9, soit pendant la grossesse, soit au décours de la naissance (dépression postnatale, lien mère-enfant), mais d’autres études sont plus réservées 10. Dans le cadre de telles études, l’EPP peut être appréhendé soit comme une action de dépistage avec une orientation à envisager, soit déjà comme un début de prise en charge 3.

D’autre part, lorsque l’EPP était proposé mais non réalisé, les refus des femmes ou l’impossibilité de le réaliser étaient surtout du fait de multipares qui estimaient ne pas en avoir besoin. L’information des femmes enceintes sur la nature et les objectifs de ces entretiens doit également être envisagée, soit par les organismes d’assurance sociale ou d’allocations familiales qui adressent des documents pendant la grossesse. Le rôle des médias, dont les sites Internet, dans l’information est à explorer.

Cet entretien était le plus souvent proposé et réalisé par les sages-femmes, surtout libérales, mais aussi exerçant en maternité. Les professionnels de la PMI, sages-femmes et médecins, participaient assez peu à cette organisation et, comme ces services dépendent des conseils généraux des départements, il faudrait interroger les responsables sur les obstacles et les moyens à déployer pour développer cet aspect.

Par ailleurs, les femmes avec des difficultés de vie quotidienne, de conduites addictives, à risque social et psychologique n’avaient pas accès de manière particulière à cet entretien lorsque l’on étudiait ces difficultés prises individuellement, mais avec une différence significative quoique faible en cas de difficultés prises dans l’ensemble. On peut donc dire que l’EPP, tel que pratiqué dans les territoires de santé enquêtés, ne répond pas tout à fait à ses objectifs, à savoir aider les femmes les plus vulnérables (que l’on a appelées ici « avec difficultés déclarées »). On peut cependant remarquer que la déclaration de ces problèmes au cours du séjour à la maternité ne correspond peut-être pas à la déclaration au cours de l’entretien. Il est probable que les questions relatives aux problèmes personnels que ressentaient les femmes étaient peu posées par les professionnels au cours des consultations habituelles de grossesse, et que des résistances des femmes à parler de leurs problèmes expliquent partiellement ce résultat.

L’analyse multivariée retrouve l’âge, la parité, la réception du carnet de maternité et la préparation à l’accouchement comme facteurs associés. En raison des liens entre préparation et CSP, on peut avancer que les classes sociales plutôt favorisées ont davantage accès à l’EPP et que ce sont les problèmes psychologiques qui sont le plus repérés de manière adéquate. Par ailleurs, le fait que certaines femmes aient déclaré ne pas avoir reçu de carnet de maternité et que la réception du carnet soit significativement associée à la réalisation de l’EPP pose question : il n’est pas possible de déterminer si les femmes qui ont pratiqué l’entretien se souviennent plus de l’avoir reçu ou de l’avoir utilisé, ou si le document lui-même a eu un rôle direct sur la pratique de l’entretien. Enfin, le taux d’orientation de 20% paraît satisfaisant et, dans ce sens, les femmes qui réalisent un entretien semblent soutenues avec une proposition de contacts avec des professionnels adaptés à leur situation.

Conclusion

Cette étude montre que la prévalence de l’EPP en France dans les réseaux et les maternités volontaires est en progression depuis quelques années, mais reste encore faible et doit être améliorée. La compréhension des facteurs associés à la réalisation ou à la proposition d’un EPP au cours de la grossesse doit être enrichie par des enquêtes spécifiques, plus qualitatives, ou par l’introduction de critères plus précis dans la prochaine Enquête nationale périnatale. C’est clairement le rôle des réseaux de participer à l’amélioration de la pratique des EPP pour une majorité de femmes enceintes, en s’aidant, auprès des professionnels, de formations et de mise à disposition d’informations insistant sur l’intérêt et les objectifs de cet entretien 11. Les critères de repérage des difficultés lors de la grossesse et les techniques des entretiens doivent être mieux connus pour que les femmes puissent parler librement et exprimer leurs attentes. Ces actions doivent s’adresser préférentiellement aux professionnels de médecine ambulatoire, généralistes et gynécologues-obstétriciens de ville, les organisations actuelles en maternité pouvant difficilement proposer un entretien lors des consultations de début de grossesse. Le rôle de la PMI est à préciser dans le dispositif. D’autre part, les orientations en cas de difficultés doivent se poursuivre dans le cadre d’organisations par territoire qui permettent aux professionnels de communiquer entre eux, dans le respect de la confidentialité des entretiens. Enfin, l’information auprès des futures mères doit être développée par tous les canaux possibles.

Remerciements

Les auteurs remercient les 253 maternités qui ont participé à l’enquête.

Références

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3 Association de formation et de recherche sur l’enfant et son environnement (Afree). Référentiel de formation à l’entretien prénatal précoce du 1er trimestre. Montpellier: Afree; 2007. 34 p. http://www.afree.asso.fr/Refrentiel.pdf
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5 Ministère chargé de la Santé. Circulaire DHOS/O1/O3/CNAMTS n° 2006-151 du 30 mars 2006 relative au cahier des charges national des réseaux de santé en périnatalité. http://www.sante.gouv.fr/fichiers/bo/2006/06-04/a0040022.htm
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11 Association de formation et de recherche sur l’enfant et son environnement (Afree) [Internet]. http://www.afree.asso.fr/

Citer cet article

Branger B, Réseaux de santé en périnatalité. Prévalence et caractéristiques de l’entretien prénatal précoce : résultats d’une enquête dans les réseaux de santé en périnatalité, France, 2012. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(6-7):123-31. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/6-7/2015_6-7_5.html.