Morbidité maternelle sévère : différences selon les territoires de santé en Île-de-France d’après les séjours des femmes en unité de soins intensifs-réanimation et les décès maternels (2006-2009)

// Severe maternal morbidity: differences between women’s intensive care admissions and maternal deaths in the Ile-de-France health areas (2006-2009)

Marie-Hélène Bouvier-Colle1 (marie-helene.bouvier-colle@inserm.fr), Anne Alice Chantry1,2, Monica Saucedo1, Catherine Deneux-Tharaux1
1 Équipe de recherche en Épidémiologie obstétricale, périnatale et pédiatrique (EPOPé), Centre de recherche Épidémiologie et statistique, Sorbonne-Paris-Cité, (CRESS), Inserm UMR 1153, Université Paris Descartes, Paris, France
2 École de sage-femme de Baudelocque, Assistance Publique Hôpitaux de Paris, Université Paris Descartes, DHU Risques et grossesse, Paris, France
Soumis le 03.09.2014 // Date of submission: 09.03.2014
Mots-clés : Morbidité maternelle sévère | Soins intensifs-réanimation | PMSI | Île-de-France | Territoires de santé | Mortalité maternelle
Keywords: Severe maternal morbidity | Intensive care | Hospital data base | Ile-de-France | Health areas | Maternal mortality

Résumé

L’Île-de-France (IdF) bénéficie d’une importante offre de soins, mais la mortalité maternelle y est plus élevée que dans les autres régions de France métropolitaine. Des analyses antérieures ont montré le sur-risque de mortalité maternelle et la proportion élevée de soins non optimaux parmi les décès en IdF. Les décès maternels sont trop rares pour analyser la situation au niveau infra-régional. L’étude de la morbidité maternelle sévère s’y prête davantage. L’admission des femmes en état gravido-puerpéral pour séjour en unités de soins intensifs et/ou de réanimation (Usirea) constitue une mesure permettant d’approcher la morbidité maternelle sévère.

L’étude vise à décrire la situation dans les territoires de santé franciliens par l’analyse de deux catégories d’événements – décès maternels et séjours en Usirea – selon le lieu d’enregistrement et le lieu de domicile des femmes.

Deux bases de données permanentes, l’Enquête nationale confidentielle sur la mortalité maternelle (ENCMM) et le Programme de médicalisation des systèmes d’informations (PMSI), ont été utilisées pour comparer les taux de mortalité maternelle et d’admission en Usirea, selon les huit territoires de santé d’IdF, durant la période 2006-2009. Les caractéristiques des femmes admises en Usirea et les pathologies motivant les séjours ont été comparées entre les territoires.

Sur la période d'étude, selon les territoires franciliens, les taux d’admission en Usirea au lieu d’enregistrement varient de 2,0 (Val-de-Marne) à 8,5 pour 1 000 (Paris) ; les taux au lieu de domicile varient de 4,2 (Val-de-Marne et Seine-et-Marne) à 4,9 (Paris). Les caractéristiques des femmes admises en Usirea diffèrent selon les territoires. Les pathologies présentent également d’importantes variations selon que l’on analyse les données enregistrées ou les données domiciliées.

Les caractéristiques des populations concernées expliquent probablement une partie des différences de mortalité et de morbidité maternelle sévère. Toutefois, les conditions de l’offre et de l’accès aux soins périnatals et obstétricaux, sont des déterminants peu étudiés, dont le rôle est vraisemblable. Des études spécifiques devraient être menées par territoire prenant en compte toutes les caractéristiques des femmes afin de mieux comprendre les disparités présentées dans cet article.

Abstract

The Ile-de-France (IDF) area, also called the Greater Paris Area, benefits from an important offer of health care services, but maternal mortality is higher there than in any other region in France. Previous analyses have shown a higher risk of maternal mortality and a higher proportion of non-optimal care among women who die in IDF. Infra-regional level analyses on maternal mortality are difficult to conduct as maternal deaths are very rare. Inversely, the study of severe maternal morbidity is possible. Admission of women in intensive care units (ICU) and/or in resuscitation units during pregnancy or postpartum constitutes a proxy for severe maternal morbidity.

The study aims at describing the context of maternal health in the health territories of IDF based on the analysis of two categories of severe events (maternal deaths and admissions in ICU) according to their place of occurrence (registration) and/or the place of residence of women.

Two permanent data bases, the National Confidential Survey on Maternal Deaths (ENCMM) and the Hospital Discharge Database (PMSI) were used to compare the maternal mortality ratios (MMR) and the admission in intensive care units (USIREA) ratios, according to the eight health areas in IDF during 2006-2009. The characteristics of women admitted to USIREA and their medical conditions were also compared by territories.

Depending on the territories in the Greater Paris Area, the registered ratios of admission in USIREA vary from 2.0 in Val-de-Marne to 8.5 per 1,000 in Paris; the residence ratios vary from 4.2 (Val-de-Marne and Seine-et-Marne) to 4.9 in Paris. The characteristics of women admitted in intensive care units differ according to territories; the distribution of the main diseases show significant variations depending on whether the analysis is conducted by place of registration or by place of residence.

The characteristics of the concerned populations probably explain part of the differences of maternal mortality and severe morbidity. However, the offer and access to perinatal and obstetric care services are determinants that are little studied and who probably play an important role. Specific studies, taking into account all the individual characteristics of women, should be carried out by territory in order to better understand some of the inequalities of maternal health underlined in our paper.

Introduction

La région Île-de-France (IdF) a une spécificité remarquable concernant la santé périnatale en général et maternelle en particulier. Elle présente le paradoxe d’être très richement dotée en établissements sanitaires et plateaux techniques de haut niveau tout en affichant des indicateurs de mortalité maternelle significativement plus élevés que les autres régions de France métropolitaine. Ainsi, pour la période 2001-2006, le rapport du Comité national d’experts sur la mortalité maternelle (CNEMM) faisait état d’un taux enregistré de mortalité maternelle en IdF 1,5 fois supérieur à celui des autres régions de France métropolitaine 1. En 2007-2009, la situation n’avait pas évolué, puisque le taux de mortalité maternelle était de 12,5 pour 100 000 (intervalle de confiance à 95%, IC95% [9,7-15,8]), significativement plus élevé (p<0,01) que le taux des autres régions de métropole : 8,5 (IC95% [7,2-9,9]) 2.

Antérieurement, des analyses ajustées sur les caractéristiques de la population des femmes enceintes en IdF – femmes en moyenne plus âgées, plus souvent immigrées – avaient mis en évidence la persistance du sur-risque de mortalité maternelle quand ces caractéristiques étaient prises en compte. La proportion de soins non optimaux, plus élevée que dans les autres régions métropolitaines, avait également été soulignée à partir de l’étude des morts évitables et de la qualité des soins concernant les femmes décédées 3,4. Il s’agissait en particulier d’un retard à la prise en charge, suggérant que le parcours de soins, éventuellement le système des transferts, pouvait manquer d’efficacité.

Toutefois, la région IdF comporte huit territoires de santé, dont les populations présentent des tailles et des caractéristiques diverses concernant la répartition des âges, les situations socioéconomiques et l’accès aux soins. Or, il n’existe que peu d’études infra-régionales de la mortalité maternelle, car les décès maternels sont des événements extrêmement rares. D’autres données sont nécessaires pour mieux comprendre les disparités de santé observées au niveau des territoires franciliens et l’étude de la morbidité maternelle sévère (MMS) permettrait d’analyser les pathologies sévères à l’origine des décès pour mieux prévenir et soigner. L’une des méthodes retenues pour étudier la MMS est d’étudier les séjours en unités de soins intensifs ou/et de réanimation (Usirea).

Actuellement, des données hospitalières validées des séjours des femmes enceintes, accouchées ou dans le post-partum (état gravido-puerpéral) en Usirea sont disponibles tout en incluant un nombre plus grand d’événements 5. Leur analyse est possible à différents niveaux géographiques ou territoires d’IdF.

On peut admettre par simplification que le lieu d’enregistrement des séjours hospitaliers constitue un reflet indirect de l’offre de soins, ici l’offre en Usirea. En complément, on suppose que les événements rapportés au lieu de domicile reflètent l’état de santé de la population sur son lieu de vie, ici la santé des femmes en état gravido-puerpéral.

L’étude vise à décrire, au niveau infra-régional, l’état de santé des femmes, à partir de données existantes en population. Plus précisément nous étudierons :

  • la fréquence de la mortalité maternelle par territoire de santé en IdF, selon qu’il s’agit des données au lieu d’enregistrement (département où le décès s’est produit) ou au lieu de domicile des femmes décédées ;
  • la fréquence de la MMS par territoire de santé, estimée à partir des taux d’admissions en Usirea, rapportée au lieu d’enregistrement ou au lieu de domicile des femmes ;
  • les principales caractéristiques des femmes enceintes ou accouchées, admises en Usirea, et leurs pathologies, selon le lieu d’enregistrement et selon le lieu de domicile.

Matériel et méthodes

La population d’étude est constituée des femmes enceintes, accouchées ou dans le post-partum (état gravido-puerpéral) en IdF, au cours de la période 2006-2009.

L’étude est une analyse secondaire des données de l’Enquête nationale confidentielle sur la mortalité maternelle ENCMM 1,2 et des données annuelles du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), relatives à la santé maternelle, obtenues auprès de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (Atih) 6,7. À partir d’une extraction des séjours hospitaliers relatifs à la santé maternelle, l’équipe a constitué sa propre base de données, spécifiques des complications maternelles, au moyen d’un algorithme original 6. Au sein de notre base de données, une étude antérieure nous avait permis de valider les données de supplément Réanimation (REA) et de supplément d’Unités de soins intensifs (USI), sources potentielles d’un indicateur fiable de l’état morbide maternel sévère 5.

Les données de naissances utilisées dans l’analyse sont celles de l’état civil, fournies par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) 8.

Les variables étudiées sont :

  • pour la mortalité maternelle : département de décès (lieu d’enregistrement), département de résidence (lieu de domicile) d’après les données de l’ENCMM 2 ; compte tenu des petits effectifs observés il n’est pas possible de prendre en compte d’autres variables ;
  • pour la morbidité maternelle issue du PMSI : âge, département de résidence, établissement du séjour en Usirea, nombre d’actes, nombre de diagnostics, le diagnostic principal et les diagnostics associés, dont 5 ont été retenus dans l’analyse, indice de gravité simplifié (IGS2), supplément de réanimation considéré comme un marqueur de sévérité de l’état clinique des femmes, puisqu’il est codé dans le séjour, lorsque le score d’IGS ≥15 est associé à la réalisation d’actes marqueurs de suppléance vitale (par exemple stimulation cardiaque, ventilation mécanique, épuration extrarénale) et durée de séjour hospitalier en Usirea 9.

Nous avons procédé à une analyse statistique descriptive, appliquée à la comparaison, les uns avec les autres, des huit territoires de santé d’IdF (75 Paris, 77 Seine-et-Marne, 78 Yvelines, 91 Essonne, 92 Hauts-de-Seine, 93 Seine-Saint-Denis, 94 Val-de-Marne, 95 Val-d’Oise).

Les taux de mortalité maternelle ont été calculés en rapportant les décès maternels aux naissances vivantes (NV) correspondantes et ce de deux façons : taux de décès selon le lieu d’enregistrement (taux enregistré) ou selon le lieu de domicile de la femme décédée (taux domicilié), exprimés pour 100 000 NV par territoire de santé, assortis de leurs intervalles de confiance au risque 5% car, compte tenu de leur rareté, les décès maternels sont considérés tirés d’un échantillon 10.

Les taux d’admission en Usirea ont été calculés en rapportant le nombre de femmes en Usirea au nombre des NV, représentant donc soit le taux enregistré d’admission en Usirea, soit le taux domicilié d’admission en Usirea, exprimés pour 1 000. Des précisions sur les détails des calculs ont été publiées antérieurement 6,11.

Résultats

Mortalité maternelle

De 2007 à 2009, l’ENCMM a enregistré 68 décès maternels pour 546 734 naissances en IdF, soit un taux de mortalité maternelle (TMM) enregistré de 12,4 pour 100 000 naissances vivantes (IC95% [9,7-15,8]), et 62 décès rapportés aux domiciles des femmes, soit un taux domicilié de 11,1 pour 100 000 (IC95% [8,6-14,5]) (tableau 1). Des variations des TMM non significatives statistiquement ont été observées par territoire de santé :

  • le TMM enregistré le plus élevé était observé à Paris (17,7 ; IC95% [11,2-26,5]) et le plus bas dans les Yvelines (5,6 ; IC95% [1,2-16,2]) (figure 1a) ;
  • le TMM domicilié le plus élevé était relevé en Essonne (18,5 ; IC95% [8,9-34,0]) et le plus bas dans les Yvelines (6,7 ; IC95% [1,8-17,2]).

Morbidité maternelle sévère

En IdF, 3 638 femmes en état gravido-puerpéral pour 729 918 NV ont été admises en Usirea de 2006 à 2009, soit un taux enregistré d’admission en Usirea de 4,98 pour 1 000 naissances (tableau 2). Les événements rapportés au lieu de domicile sont un peu moins nombreux, respectivement 3 358 admissions et 724 247 naissances, soit un taux domicilié d’admission en Usirea de 4,64 pour 1 000 naissances.

Selon les territoires, d’importantes variations du nombre (150 à 1 461) d’admissions enregistrées en Usirea sont notées (figure 1b). Les taux enregistrés d’admission en Usirea varient du simple au quadruple entre le plus petit observé, dans le Val-de-Marne (2,01 pour 1 000 naissances) et le plus élevé, à Paris (8,54). Les admissions des femmes en Usirea rapportées à leur lieu de domicile varient beaucoup moins. Tous les taux domiciliés d’admission sont de 4 pour 1 000 naissances environ, allant de 4,92 à Paris (taux le plus élevé) à ceux du Val-de-Marne (4,17) et de Seine-et-Marne (4,19) les plus bas. À noter : la Seine-et-Marne, la-Seine-Saint- Denis et le Val-de-Marne présentent de grands écarts entre leurs effectifs enregistrés d’admissions, nettement moins nombreux, et leurs effectifs domiciliés, plus nombreux, ce qui se répercute sur leurs taux.

Tableau 1 : Répartition des décès maternels selon les territoires d’Île-de-France et taux de mortalité maternelle pour 100 000 naissances vivantes, selon le lieu d’enregistrement et selon le lieu de domicile des femmes, 2007-2009
Agrandir l’image
Tableau 2 : Séjours hospitaliers en Usirea* des femmes en état gravido-puerpéral, (effectifs et répartition en pourcentage), effectifs des naissances et taux d’admission en Usirea pour 1 000 naissances vivantes, par territoire d’Île-de-France, selon le lieu d’enregistrement et selon le lieu de domicile des femmes, 2006-2009
Agrandir l’image
Figure 1 : Taux de mortalité maternelle (MM) pour 100 000 naissances vivantes (1a) et taux d’admission des femmes enceintes en Usirea pour 1 000 (1b), selon le lieu d’enregistrement ou le lieu de domicile, dans les territoires de santé en Île-de-France, 2006-2009
Agrandir l’image

Les caractéristiques des femmes admises en Usirea sont présentées dans le tableau 3. En IdF considérée globalement, on observe peu de différences entre les données enregistrées et les données rapportées au lieu de domicile, sauf pour les femmes âgées de 35 ans et plus. Ainsi, l’âge moyen des femmes est de 31±0,1 ans, 65% des femmes ont accouché par césarienne, 4% des femmes ont une grossesse multiple, la durée de séjour en Usirea est de 3±0,2 jours, le score d’IGS2 est de 19±0,2 et le supplément REA concerne 24% des femmes admises.

En revanche, les profils des territoires constituent un véritable kaléidoscope (tableau 3), même si certains d’entre eux montrent une relative homogénéité entre les données enregistrées et les données domiciliées.

Ainsi, dans le Val-d’Oise où les femmes admises en Usirea sont plus jeunes que la moyenne d’IdF (âge moyen de 30±0,3 ans), la part des ≥35 ans est inférieure à 25%, la proportion des césariennes est moindre (environ 60%), la durée de séjour en Usirea est plus courte, le score IGS plus faible de même que le pourcentage de supplément REA.

À âges moyens similaires, Seine-et-Marne et Seine-Saint-Denis sont les territoires où les scores IGS2 sont les plus élevés et les suppléments REA les plus fréquents. En outre, la Seine-Saint-Denis a les plus faibles proportions de femmes avec grossesse multiple (2,9%) et les plus forts pourcentages de césarienne (73%).

L’Essonne se caractérise par une certaine jeunesse des patientes mais aussi, paradoxalement, par une fréquence élevée de grossesses multiples (6 à 7%) et une disparité entre Supplément REA des admissions enregistrées (19%) et Supplément REA des admissions domiciliées (24%). C’est l’inverse dans le Val-de-Marne.

Paris se distingue par une forte hétérogénéité pour ce qui concerne la part des femmes d’âge ≥35 ans : 26% des admissions enregistrées versus 36% domiciliées. Le supplément REA enregistré (27%) est plus fréquent que le pourcentage moyen (24%) ; le nombre des actes est le plus élevé d’IdF (16±0,6) pour des scores IGS2 plus faibles (18±05).

Tableau 3 : Caractéristiques des femmes en état gravido-puerpéral admises en Usirea*, par territoire d’Île-de-France, selon le lieu d’enregistrement et selon le lieu de domicile des femmes, 2006-2009
Agrandir l’image

Les causes (motifs d’admission en Usirea) ont été regroupées en grandes pathologies dont le profil général est celui attendu : sur l’ensemble de la région, les hémorragies obstétricales (taux de 2,2 et 2,0 pour 1 000 selon le lieu d’enregistrement ou de domicile) occupent une place prépondérante, suivies des pathologies hypertensives (moins de 1,0 pour 1 000), tandis que les pathologies de l’appareil circulatoire, thromboemboliques et infectieuses sont rares. Selon les territoires, des contrastes apparaissent entre les taux enregistrés d’admission par pathologies et les taux domiciliés (figure 2).

Parmi les taux enregistrés d’admission en Usirea, les hémorragies obstétricales sont extrêmement élevées à Paris (5,1 pour 1 000) et dans le Val-d’Oise (3,7), les taux les plus bas étant observés dans le Val de Marne (0,44) et en Seine-Saint-Denis (0,54).

Les taux domiciliés présentent un autre schéma et moins de disparités territoriales : le taux d’admission pour hémorragie obstétricale reste très élevé à Paris (2,5) mais il est maximum dans le Val-d’Oise (2,8), élevé en Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne (2,0) et relativement élevé dans les Yvelines (1,7) et en Essonne (1,5). Concernant les pathologies hypertensives, des niveaux sensiblement différents sont observés entre les Yvelines (taux domicilié de 1,5 pour 1 000 NV), l’Essonne et la Seine-Saint-Denis ou le Val-d’Oise (1,1 et 1,0 respectivement) contre 0,7 à Paris, Seine-et-Marne, Hauts-de-Seine et Val-de-Marne.

Figure 2 : Fréquence des principales pathologies d’admission en Usirea, par territoire, selon le lieu d’enregistrement et le lieu du domicile des femmes
Agrandir l’image

Discussion

Sur la période d'étude, de grandes disparités apparaissent entre les territoires d’IdF et, pour chaque territoire considéré, entre événements enregistrés et événements domiciliés. Le taux de mortalité maternelle le plus bas (entre 6 et 7 pour 100 000) observé en Yvelines s’oppose au plus élevé de 18 pour 100 000, taux enregistré relevé à Paris et taux domicilié dans l’Essonne. De plus, la hiérarchie des territoires est modifiée.

Les taux d’admission en Usirea varient davantage en valeur enregistrée – de 2,0 pour 1 000 naissances dans le Val-de-Marne à 8,5 à Paris – qu’en valeur domiciliée, tous à 4 à 5 pour 1 000 environ. Ni les caractéristiques des femmes, ni les causes de morbidité maternelle sévère ne permettent de rendre compte de ces disparités de manière simple.

Cette étude présente l’avantage de porter sur des données existantes, permanentes et exhaustives concernant des événements dont les données sont rapportées et traitées avec les mêmes normes au niveau national. Les résultats de l’ENCMM sont issus du classement par un comité national d’experts sur la base de dossiers cliniques détaillés. Les actes et les suppléments Usirea du PMSI sont définis de façon homogène selon les critères d’enregistrement de l’Atih. La distinction entre lieu d’enregistrement des événements et lieu de domicile des patientes offre l’opportunité de mettre en évidence des disparités territoriales en termes de fréquence de la morbi-mortalité et de soulever la question des rôles respectifs de l’offre de soins et/ou des caractéristiques individuelles parmi les déterminants de la santé maternelle.

Mais des limites existent, tant sur la signification statistique d’événements très rares, comme le décès maternel, que sur la signification de diagnostics de morbidité issus du PMSI dans lequel l’hétérogénéité du codage des pathologies obstétricales a été soulignée antérieurement 5. Demeure également l’interrogation sur le découpage le plus pertinent des territoires, alors qu’actuellement la logique de continuité des soins s’appuie davantage sur l’existence de réseaux spécifiques dont les limites ne correspondent pas aux tracés administratifs départementaux.

Cependant, nos résultats mettent en évidence la grande hétérogénéité des situations, tant pour la mortalité que pour l’admission en soins intensifs, ce qui incite à éviter de considérer l’IdF comme un tout uniforme qui s’opposerait aux autres régions. Les disparités par territoire de santé sont importantes, surtout pour les données « enregistrées » (versus données « domiciliées » correspondant au lieu de domicile des femmes). Chaque territoire présente sa propre image de la morbidité maternelle sévère, qui serait à mettre en relation avec d’autres facteurs non étudiés ici, particulièrement les caractéristiques des accouchements et des naissances.

En effet, l’ensemble des naissances est très inégalement réparti dans la région : on compte le plus grand nombre de naissances enregistrées à Paris, suivi de la Seine-Saint-Denis et des Hauts-de-Seine, et le plus petit en Seine-et-Marne 7,8. Parmi les naissances, la part des femmes âgées de 35 ans et plus – facteur très lié à la mortalité – varie de 19% en Seine-et-Marne à 30% à Paris 7.

L’état de santé initial des femmes admises en Usirea est sans doute disparate, puisque les marqueurs de la sévérité fluctuent selon les territoires. Le supplément REA est le plus élevé dans le Val-de-Marne et à Paris, où la part des naissances issues de femmes âgées de plus de 35 ans est élevée, et au contraire le plus bas dans le Val-d’Oise, territoire le plus « jeune » selon le même critère (données non présentées 7).

Compte tenu des rares décès maternels, il est impossible au stade actuel d’interpréter les différences de TMM entre les territoires. Tout au plus peut-on remarquer que le TMM enregistré considérable de Paris coïncide avec le taux enregistré d’admission en Usirea le plus élevé d’IdF et avec la plus forte densité en lits de REA, soit 2,4 lits de REA pour 10 000 habitants (estimation d’après les données de la Statistique annuelle des établissements (SAE)). Ces faits peuvent être interprétés comme traduisant l’effet d’une offre hospitalière plus élevée à Paris.

Inversement, le Val-de-Marne, dont la densité en lits de REA est de 0,33 pour 10 000, a un TMM enregistré également bas, de même que son taux d’admission enregistré en Usirea.

Les variations de taux d’admission en Usirea sont difficilement interprétables car plusieurs schémas coexistent. La situation globalement moins bonne de certains territoires d’IdF pourrait s’expliquer par les caractéristiques des femmes, la sévérité de leur état et/ou les particularités de l’offre de soins en maternités et en services de réanimation adulte. C’est ce qui est supposé en Seine-et-Marne : la faible densité en lits de REA (0,4 pour 10 000) coïncide avec le faible taux enregistré d’admission en Usirea lequel est associé, d’après le supplément REA, à une morbidité sévère et à une mortalité maternelle élevées. Une hypothèse à explorer serait que ceci soit le résultat d’une certaine inadéquation de l’offre locale de soins relativement à la population des femmes et à leur santé.

Si l’on admet, par simplification, que les événements enregistrés sont le reflet de l’offre de soins et de l’attractivité des établissements sur un territoire, tandis que les événements domiciliés traduisent les besoins de la population, on peut dire que les besoins en Usirea (fréquence domiciliée) sont plus homogènes selon les territoires d’IdF que l’offre de soins.

Nous avons observé que la fréquence enregistrée est très inégale, surpassant les besoins à Paris ou étant insuffisante en Seine-et-Marne. En effet, la majorité (90%) des femmes enregistrées comme admises en Usirea en IdF étaient domiciliées dans la région ; à Paris, 96% des femmes enregistrées en Usirea étaient domiciliées en IdF, à raison de 38% à Paris et 58% dans les autres départements (données non montrées). Selon que l’on tient compte ou non des domiciliations inconnues, 7 à 10% des femmes admises en Usirea en IdF, et 4 à 8% à Paris, étaient domiciliées à l’extérieur de l’IdF.

Ces résultats sur l’ensemble des hospitalisations en Usirea, quelles que soient leurs causes, sont également observés à un niveau médical plus fin, plus particulièrement dans le cas des hémorragies, première cause de morbidité maternelle sévère.

Le taux enregistré d’admission en Usirea par hémorragie (HPP), lorsqu’il est très élevé par territoire (Paris et Val-d’Oise), pourrait s’expliquer par la présence de nombreuses structures d’accueil sur ce territoire, ce qui provoque l’attraction de cas HPP sévères, issus d’HPP survenues dans d’autres territoires. Les cas ainsi « importés » le sont soit parce qu’ils sont graves d’emblée sur des territoires ne disposant pas des plateaux techniques adaptés à leur traitement, soit en raison d’une aggravation progressive résultant d’échecs des traitements de première ligne ; des études ont démontré ce mécanisme 12.

Inversement, un faible taux enregistré d’admission par HPP pourrait s’expliquer par l’insuffisance d’offre pour une prise en charge intensive dans le territoire considéré, et donc « l’exportation » des HPP, hypothèse confirmée si le taux domicilié d’admission pour HPP en Usirea de ce même territoire est élevé (Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne).

L’inégale répartition des compétences sur les territoires franciliens est aussi l’un des éléments du système qui serait à prendre en compte très précisément par rapport aux besoins et à l’accessibilité des populations qui y résident. L’appartenance à un réseau de santé périnatale est en principe obligatoire pour toute maternité. Toutefois, le réseau périnatal n’est pas défini en relation avec l’offre de REA adulte.

Enfin, les conditions d’accès aux établissements de soins sont des déterminants qu’il faudrait analyser en association avec l’état des femmes à leur arrivée en Usirea. Cela supposerait de mener des études et des analyses spécifiques sur des données individuelles permettant de reconstituer les parcours de soins et la prise en compte des facteurs de confusion.

En conclusion, les données de routine utilisées, et surtout les admissions en Usirea, offrent la possibilité de développer une surveillance continue de la santé maternelle, à différents niveaux de territoire selon les besoins, permettant éventuellement d’alerter les parties prenantes. Sur la période d'étude, l’IdF présente un véritable kaléidoscope de situations qu’il conviendrait d’étudier en détail. La réorganisation récente des réseaux de périnatalité devrait permettre de mieux les prendre en charge.

Remerciements

Certains des résultats présentés dans cet article ont fait l’objet d’un rapport remis en 2014 11, lequel a bénéficié d’un soutien financier de l’URPS d’Île-de-France. Nous en remercions tout particulièrement B. de Rochambeau ainsi que G. Genty et P. Tubiana. Pour l’installation de ses locaux, l’unité 953 (actuellement équipe EPOPé) de l’Inserm avait bénéficié d’un don de la Fondation Bettencourt en 2011.

Références

1 Bouvier-Colle MH, Deneux-Tharaux C, Saucedo M. Rapport du Comité national d’experts sur la mortalité maternelle (CNEMM), 2001-2006. Paris: Institut national de la santé et de la recherche médicale ; Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; 2010. 99 p. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=833
2 Saucedo M, Deneux-Tharaux C, Bouvier-Colle MH ; Comité national d’experts sur la mortalité maternelle. Mortalité maternelle en France, 2007-2009. J Gynecol Obstet Biol Reprod. 2013;42(7):613-27.
3 Saucedo M, Deneux-Tharaux C, Bouvier-Colle MH. Disparités régionales de mortalité maternelle en France : situation particulière de l’Île de France et des Départements d’outre mer, 2001-2006. Bull Epidémiol Hebd. 2010;(2-3):15-8. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=838
4 Saucedo M, Deneux-Tharaux C, Bouvier-Colle MH. Understanding regional differences in maternal mortality: a national case-control study in France. BJOG. 2012;119(5):573-81.
5 Chantry AA, Deneux-Tharaux C, Bal G, Zeitlin J, Quantin C, Bouvier-Colle MH; pour le groupe GRACE. Le programme de médicalisation du système d’information (PMSI) – processus de production des données, validité et sources d’erreurs dans le domaine de la morbidité maternelle sévère. Rev Epidémiol Santé Publique. 2012;60(3):177-88.
6 Chantry AA, RM, Deneux-Tharaux C, Bonnet MP, Bouvier-Colle MH. Pregnancy-related ICU admissions in France: trends in rate and severity, 2006-2009. Crit Care Med. 2015;43(1):77-86.
7 Crenn-Hebert C, Menguy C, Lebreton E, Poulain C. PMSI Périnatalité 2012 d’Île-de-France. Paris: Agence régionale de santé d’Île-de-France; 2013. 35 p. http://www.perinat-ars-idf.org/resu_idf.php
8 Beaumel C, Pla A. La situation démographique en 2009. Mouvement de la population. Insee Résultats. 2011;122. http://www.insee.fr/fr/publications-et-services/irweb.asp?id=sd2009
9 Ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Décret n° 2002-466 du 5 avril 2002 relatif aux conditions techniques de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les établissements de santé pour pratiquer les activités de réanimation, de soins intensifs et de surveillance continue et modifiant le code de la santé publique. JO du 7/04/2002. http://www.sante.gouv.fr/fichiers/bo/2002/02-14/a0141331.htm
10 Jougla E. Tests statistiques relatifs aux indicateurs de mortalité en population. Rev Epidémiol Santé Publique. 1997;45:78-84. http://www.cepidc.inserm.fr/inserm/html/pages/Test_statistiques_fr.htm
11 Bouvier-Colle MH, Saucedo M, Chantry A, Deneux-Tharaux C. Actualisation et approfondissement du bilan de la mortalité maternelle en Île-de-France. Paris: Union régionale des professionnels de santé médecins d’Île-de-France; 2014. 51 p.
12 Driessen M, Bouvier-Colle MH, Dupont C, Khoshnood B, Rudigoz RC, Deneux-Tharaux C; Pithagore6 Group. Postpartum hemorrhage resulting from uterine atony after vaginal delivery: factors associated with severity. Obstet Gynecol. 2011;117(1):21-31.

Citer cet article

Bouvier-Colle MA, Chantry AA, Saucedo M, Deneux-Tharaux C. Morbidité maternelle sévère : différences selon les territoires de santé en Île-de-France d’après les séjours des femmes en unité de soins intensifs-réanimation et les décès maternels (2006-2009). Bull Epidémiol Hebd. 2015;(6-7):101-9. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/6-7/2015_6-7_2.html