Inégalités de santé périnatale : une évaluation à améliorer

// Health inequalities in perinatal care: an assessment to be improved

Francis Puech
Professeur émérite à la Faculté de médecine, Université Lille 2 Droit et Santé ; Président de la Commission nationale de la naissance et de la santé de l’enfant

Ce numéro du BEH est consacré aux inégalités sociales et géographiques de santé dans le domaine de la périnatalité et propose des pistes pour parvenir à les objectiver lorsque notre système d’enregistrement des données sociales se montre insuffisant à cet égard.

Au plan européen, la France est, dans le domaine de la périnatalité, dans une position moyenne qu’il est important d’analyser pour mieux construire notre politique périnatale. Selon le dernier rapport Euro-Peristat 1, notre taux de mortinatalité est parmi les plus élevés d’Europe, ce qui peut s’expliquer en partie par une législation autorisant les interruptions médicales de grossesse (IMG) jusqu’au terme. Les taux de mortalité néonatale et de prématurité se situent dans la moyenne européenne. En France, seulement 70% des nouveau-nés prématurés naissent dans des unités de type III, le taux d’allaitement au sein à la maternité est de 60%, 17% des femmes enceintes fument et 8,3% sont obèses, tous indicateurs qui nous placent en queue de peloton européen 2. Enfin, la France ne dispose pas de système d’information systématique pour toutes les naissances.

Au sein même de chaque pays, des inégalités de santé peuvent être mises en évidence, et certains pays ont fait le choix explicite de les réduire. Pour pouvoir les réduire, il faut les identifier 3. À ce titre on peut regretter que, alors que le plan de périnatalité de 1994 s’était donné pour objectif de réaliser des Enquêtes nationales périnatales tous les 3 ans, ces dernières ne sont réalisées que tous les 6-7 ans, faute de moyens. Ces enquêtes sont très utiles car elles objectivent une dégradation de la situation sociale des femmes et des couples qui se répercute sur les indicateurs. Si elles sont suffisantes pour affirmer que les inégalités augmentent, le recueil réalisé sur les naissances d’une seule semaine, soit environ 15 000 naissances, est quant à lui insuffisant pour mettre en évidence les disparités et inégalités entre les régions et ainsi répondre à l’objectif, énoncé par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) en 2009 pour leur suivi : développer et assurer la cohérence des productions de données locales, territoriales, régionales et nationales. Le HCSP a proposé en 2013 l’utilisation d’une série d’indicateurs de suivi des inégalités sociales de santé dans notre système d’information en santé 4.

Les données indispensables pour évaluer nos pratiques nous manquent ou sont dispersées, ce numéro en est un témoignage. Ce sont donc des études permettant de contourner ces insuffisances qui sont proposées dans les cinq articles de ce BEH.

Le premier article (M.C. Mouquet et coll.) porte sur les disparités régionales de mortinatalité. Il objective des différences entre les régions, à partir des données des bases médico-administratives hospitalières. Il montre l’importance de distinguer la mortalité spontanée des IMG et l’importance de la prise en compte de l’âge de la grossesse, mais fait le constat de son incapacité d’aller plus loin, en particulier pour les déterminants socio-économiques absents des bases médico-administratives hospitalières. Les auteurs proposent l’inclusion d’un indice de désavantage social au niveau communal, envisageable à partir des données du PMSI dans la base Sniiram.

Ensuite, M.H. Bouvier-Colle et coll. analysent la morbidité et la mortalité maternelle selon les territoires de santé d’Île-de-France entre 2006 et 2009, d’après les séjours des femmes en unité de soins intensifs-réanimation et les décès maternels. Cette étude répond à la proposition 14 du rapport de 2013 du HCSP 4, qui est d’approcher l’effet de l’offre de soins en analysant les événements selon deux dimensions : par lieu d’enregistrement (la quasi-totalité des naissances se produisant dans les maternités) et par lieu de domicile des femmes. Il est fait le constat que, selon les territoires de santé, des disparités importantes existent entre événements enregistrés et événements domiciliés.

Dans un troisième article (J. Zeitlin et coll.) portant sur les variations socio-spatiales de la santé périnatale en France, sont étudiés les liens entre les caractéristiques contextuelles et des indicateurs de santé périnatale. L’indice de désavantage social est significativement associé aux trois indicateurs de santé périnatale (mortinatalité, mortalité néonatale, prématurité). Le constat y est à nouveau fait que la surveillance fondée sur les caractéristiques individuelles est limitée car ces caractéristiques ne sont pas présentes ou peu détaillées dans les recueils de routine (statistiques issues de l’état civil, PMSI). Il est proposé, pour étudier les inégalités, l’utilisation des facteurs socioéconomiques connus à l’échelle du lieu de résidence. C’est ainsi que cette étude met en évidence des inégalités dans les risques de mortinatalité, de mortalité néonatale et d’accouchement prématuré, selon le niveau socio-économique des communes de résidence des femmes.

Les auteurs du quatrième article (P. Sauvegrain et coll.) analysent conjointement les informations de diverses sources de données publiques pour mieux comprendre le risque élevé de mortalité infantile et périnatale dans une zone géographique, avec pour exemple la situation en Seine-Saint-Denis qui présente des taux de mortalité périnatale et infantile nettement plus élevés que la moyenne française depuis le début des années 2000. Il est programmé la mise en place d’un audit dans lequel seront inclus, élément novateur, des entretiens avec les femmes.

Dans le cinquième article (B. Branger et coll.), une enquête réalisée dans les Réseaux de Santé en Périnatalité sur la prévalence et les caractéristiques de l’entretien prénatal précoce (EPP) montre là-aussi que les classes sociales les plus favorisées ont davantage accès à l’EPP.

Alors que les inégalités de santé dans le domaine de la périnatalité continuent d’augmenter il est capital de pouvoir les objectiver. L’amélioration de l’exploitation des outils qui permettrait le recueil des indicateurs de suivi de ces inégalités est une nécessité que démontrent les articles publiés dans ce numéro. Cette nécessité s’inscrit dans le processus de certification des établissements de santé de l’HAS : il appartient à chaque établissement d’identifier les populations qui le concernent particulièrement et d’adapter son organisation en vue de la prise en charge de personnes appartenant à des groupes ou populations présentant une vulnérabilité et des risques particuliers. L’outil existe : le codage dans le PMSI (codes Z55 à Z65 du chapitre XXI de la classification de la CIM-10) qui permet de saisir le fait qu’un patient est en situation de précarité et de vulnérabilité, pourvu que ce codage soit utilisé selon des règles précises et partagées. Remplir ces deux exigences permettrait de répondre ainsi aux objectifs du dernier rapport du HCSP.

Références

1 Health and care of pregnant women and babies in Europe in 2010. European perinatal health report. EURO-PERISTAT, 2013. 250 p. http://www.europeristat.com/reports/european-perinatal-health-report-2010.html
2 Communiqué de presse. Rapport européen sur la santé périnatale: la France dans une position moyenne, mais avec le taux de mortinatalité le plus élevé d’Europe. Inserm, 27 mai 2013. http://www.inserm.fr/espace-journalistes/rapport-europeen-sur-la-sante-perinatale
3 Commission nationale de la naissance et de la santé de l’enfant. Organisation de la prise en charge et de l’accompagnement des femmes en situation de précarité ou de vulnérabilité. 2014. 72 p. http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/CNNSE_2014_Prise_en_charge_et_accompagnement_des__femmes_en_
situation_de_precarite_ou_de_vulnerabilite.pdf
4 Haut Conseil de la santé publique. Indicateurs de suivi de l’évolution des inégalités sociales de santé dans les systèmes d’information en santé. Paris: La Documentation Française, Collection avis et rapports. 2013

Citer cet article

Puech F. Éditorial. Inégalités de santé périnatale : une évaluation à améliorer. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(6-7):90-1. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/6-7/2015_6-7_0.html