Données épidémiologiques sur les surdités bilatérales sévères et profondes en France pour les générations 1997 à 2005

// Epidemiology of severe and profound bilateral hearing loss in France of the generations 1997 to 2005

Malika Delobel-Ayoub1,2, Dana Klapouszczak1,2, Christine Cans3, Catherine Arnaud1,2,4, Marit Elisabeth van Bakel3 (maritvanbakel_rheop@orange.fr)
1 Registre des handicaps de l’enfant en Haute-Garonne, CHU de Toulouse, Toulouse, France
2 Inserm/Université Paul-Sabatier, UMR1027, Toulouse, France
3 Registre des handicaps de l’enfant et Observatoire périnatal de l’Isère, de Savoie et de Haute-Savoie, Grenoble, France
4 Département d’épidémiologie clinique, CHU Purpan, Toulouse, France
Soumis le 05.05.2015 // Date of submission: 05.05.2015
Mots-clés : Surdités bilatérales | Surdités sévères et profondes | Enfant | Prévalence | Étiologies | Registre
Keywords: Bilateral hearing loss | Severe and profound hearing loss | Child | Prevalence | Etiology | Registry

Résumé

Les deux registres français de handicaps de l’enfant, qui couvrent les départements de la Haute-Garonne (RHE31), de l’Isère, de la Savoie et de la Haute-Savoie (RHEOP), ont notamment pour mission un enregistrement systématique des cas de surdités bilatérales sévères et profondes chez les enfants âgés de 7 à 8 ans.

Les inclusions dans les registres sont basées sur la consultation des dossiers médicaux et sur les résultats d’audiométries, les surdités bilatérales sévères ou profondes étant définies par une perte auditive à la meilleure oreille strictement supérieure à 70 décibels (dB).

La prévalence globale à 8 ans pour les enfants nés entre 1997 et 2005 était de 0,58 [0,5-0,7] pour 1 000 enfants résidant dans les départements couverts par les registres. L’étiologie était connue dans environ la moitié des cas et une origine génétique était retrouvée dans plus de 30% des cas. Parmi les cas d’origine non génétique, une origine infectieuse pré ou post-natale était le plus souvent en cause. Des facteurs de risque périnatals étaient présents dans 14% des cas pour lesquels l’étiologie précise n’était pas identifiée. Les surdités étaient associées à d’autres déficiences dans un certain nombre de cas : le plus souvent (11%) à une déficience intellectuelle légère ou plus sévère, mais aussi à des déficiences motrices (7%), à une épilepsie (4%) ainsi qu’à des troubles envahissants du développement (3%). Les modalités de scolarisation proposées étaient différentes selon les départements étudiés.

La généralisation du dépistage néonatal de la surdité et les progrès dans les diagnostics précoces permettront une meilleure observation et description des surdités et de leurs étiologies. Cependant, l’augmentation de la prévalence des cas pendant l’enfance nécessite une surveillance épidémiologique maintenue à distance de la période néonatale.

Abstract

The two French childhood disability registries that cover the districts of Haute-Garonne (RHE31), Isère, Savoie and Haute-Savoie (RHEOP) systematically register the cases of severe and profound bilateral hearing loss in children aged 7 to 8 years.

The inclusions in the registries are based on the consultation of medical records and the results of audiometry, severe or profound bilateral hearing loss being defined by a hearing loss in the better ear strictly higher than 70 decibels (dB).

The overall prevalence at 8 years for children born between 1997 and 2005 was 0.58 [0.5-0.7] per 1,000 children living in the districts covered by the registries. The etiology was known for about half of the cases and a genetic origin was found in more than 30% of the cases. Among the cases of non-genetic origin, pre- or post-natal infectious causes were most often involved. Perinatal risk factors were present in 14% of the cases when the precise etiology was not identified. Hearing loss was associated with other deficiencies in a number of cases: most often with a mild, severe or profound intellectual disability (11%), but also with motor impairments (7%), epilepsy (4%) as well as autism spectrum disorders (3%). The types of schooling offered were different across the study areas.

Widespread neonatal hearing-loss screening and advances in early diagnosis will allow to better observe and describe hearing losses and their etiologies, but the fact that its prevalence increases during childhood requires epidemiological surveillance far from the neonatal period.

Introduction

La prise en charge des surdités de l’enfant a fait l’objet de progrès importants au cours des dernières décennies. Le développement des techniques de prise en charge précoce ne se résume pas à la question de l’appareillage et accorde une large place aux différentes méthodes d’acquisition de la communication et du langage, quelles que soient la ou les langues utilisées, français et/ou langue des signes française (LSF). Dans le cadre de ces évolutions, le dépistage néonatal systématique de la surdité chez le nouveau-né a été inscrit dans la loi depuis mai 2012, l’intervention en maternité ayant pour objectif la généralisation la plus large possible de ce repérage.

La surveillance épidémiologique de la surdité bilatérale de l’enfant revêt ainsi une grande importance en matière de santé publique, particulièrement quand il s’agit d’une surdité sévère ou profonde, car une prise en charge précoce peut réduire notablement l’impact de la perte d’audition sur le développement de la communication et du langage 1,2 ainsi qu’agir sur la réussite scolaire de l’enfant.

La surdité bilatérale peut être décrite en fonction de son degré de sévérité, de l’étiologie de la déficience, des facteurs de risque ou facteurs associés et de la présence ou l’absence d’autres déficiences sévères associées. La déficience auditive du jeune enfant peut être d’origine congénitale ou acquise en période postnatale, mais la cause reste très souvent inconnue 3. La surdité congénitale inclut essentiellement des facteurs génétiques mais également des complications survenues pendant la grossesse (infectieuses ou toxiques) ou durant la période périnatale. Quant aux formes sévères ou profondes dites « acquises », elles peuvent par exemple être liées à certaines maladies infectieuses ou à la prise de médicaments ototoxiques.

Il existe en France deux registres de handicaps de l’enfant sur base géographique départementale, qui ont pour mission de décrire les caractéristiques des déficiences neurodéveloppementales sévères de l’enfant et de surveiller l’évolution de leurs prévalences dans le temps. L’objectif de ce travail est donc de proposer une description des données épidémiologiques récentes concernant les surdités bilatérales sévères et profondes chez les enfants âgés de 7 ou 8 ans à partir des données de ces deux registres en population.

Population et méthodes

Les données sont issues du Registre des handicaps de l’enfant en Haute-Garonne (RHE31) et du Registre des handicaps de l’enfant et Observatoire périnatal de l’Isère, de la Savoie et de la Haute-Savoie (RHEOP). Tous les enfants présentant une surdité bilatérale sévère ou profonde et dont les parents résident dans les départements couverts par les registres sont concernés par cet enregistrement. Après obtention de l’accord des parents, les données nécessaires à l’inclusion sont recueillies par un médecin à partir des dossiers médicaux disponibles au sein des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) de Haute-Garonne, de Savoie et de Haute- Savoie, ou auprès de la Maison départementale de l’autonomie (MDA) de l’Isère. Les taux de refus des parents pour l’inclusion dans les registres pour ces générations étaient de 5,5% et 2,3% respectivement pour le RHE31 et le RHEOP. Les refus étant exprimés avant toute consultation du dossier, ils concernent l’ensemble des enfants contactés par l’intermédiaire des MDPH ou de la MDA et pas uniquement des enfants atteints de surdités.

Les enfants sont inclus au cours de l’année civile de leurs 8 ans. Pour cette étude, les enfants concernés sont nés entre 1997 et 2005. Les prévalences et leurs intervalles de confiance à 95% (loi binomiale exacte) ont été calculés pour 1 000 enfants résidant dans les départements concernés du même âge (dénominateurs obtenus auprès de l’Insee pour les générations étudiées).

L’ensemble des données étudiées sont issues des dossiers médicaux. Le critère d’inclusion pour la surdité repose sur une perte auditive à la meilleure oreille strictement supérieure à 70 dB avant toute correction et en se basant sur l’examen le plus récent. La perte auditive mesurée par audiométrie est le plus souvent rapportée dans le dossier médical de l’enfant.

Les données recueillies ont permis de classer les étiologies des surdités en quatre grandes catégories.

Lorsque l’étiologie était connue, trois catégories sont proposées : A) origine génétique, B) origine non génétique et C) cas d’étiologies malformatives pour lesquelles l’origine (non) génétique n’était pas précisée. Les surdités génétiques ont ensuite été séparées en syndromiques ou non syndromiques (ont été considérées dans cette catégorie les surdités pour lesquelles une anomalie génétique avait pu être mise en évidence ainsi que toutes les surdités s’inscrivant dans un contexte d’atteinte familiale). Les surdités non génétiques ont été classées, selon le moment de survenue de la cause probable de surdité, en surdités d’origine prénatale ou postnatale. Lorsque l’étiologie n’était pas connue (catégorie D de la classification proposée), les surdités ont été subdivisées en trois catégories selon les informations complémentaires recueillies : D1) surdités précisées comme étant congénitales (sans autre information sur l’étiologie), D2) surdités associées à des facteurs de risques périnatals et D3) surdités sans aucune information spécifique.

Pour la période périnatale, le recueil de l’âge gestationnel (en semaines d’aménorrhées, SA) et du poids à la naissance a permis d’étudier la fréquence de la prématurité (naissance avant 37 SA révolues), de la grande prématurité (avant 33 SA révolues) ainsi que des faibles poids de naissance (moins de 2 500 grammes) chez ces enfants avec surdité sévère ou profonde. Les déficiences ou pathologies associées enregistrées sont les suivantes : les déficiences motrices sévères ainsi que les paralysies cérébrales quel que soit le degré de sévérité de la paralysie, les déficiences visuelles sévères (correspondant à une acuité visuelle <3/10e au meilleur œil après correction), les déficiences intellectuelles (correspondant à un niveau de QI inférieur à 70), l’ensemble des troubles envahissants du développement (TED), ainsi que les épilepsies.

Les modalités de scolarisation des enfants sont liées à des situations un peu différentes dans les deux registres. En effet, la scolarisation dans des classes d’enseignement bilingue en LSF a été mise en place de façon très disparate en France et aboutit à des statuts très différents de ces classes selon les territoires. Ces classes peuvent correspondre à des situations d’intégrations collectives avec, soit un statut de « Classe pour l’inclusion scolaire » (Clis) comme c’est le cas dans les départements couverts par le RHEOP uniquement, soit un statut d’unités d’enseignements intégrées au sein d’établissements scolaires ordinaires mais rattachées à des établissements spécialisés (statut proposé dans l’ensemble des départements du RHE31 et du RHEOP). Cette scolarisation bilingue peut également avoir un statut de classes « ordinaires » intégrées au sein d’écoles classiques, essentiellement grâce à la mise en place de partenariats locaux comme cela est le cas dans le département de la Haute-Garonne (RHE31), et qui n’est actuellement pas proposé dans les départements couverts par le RHEOP.

En dehors de ces scolarisations en classe d’enseignement bilingue dont le statut diffère selon le département, les autres modalités de scolarisation proposées sont communes aux deux registres. Il peut s’agir d’une intégration scolaire individuelle des enfants au sein de classes ordinaires (avec, dans certains cas, une intervention d’un service d’accompagnement spécialisé). Pour certains enfants, la scolarisation peut avoir lieu au sein d’un établissement médico-social spécialisé dans la prise en charge d’enfants atteints de surdité.

Résultats

Le tableau 1 présente le nombre d’enfants inclus pour surdité bilatérale sévère ou profonde à 7 ou 8 ans dans chacun des deux registres et les taux de prévalence correspondant. Pour l’ensemble des générations étudiées (1997-2005), la prévalence globale était de 0,58 pour 1 000 (IC95%:[0,5-0,7]) ; elle atteignait 0,64 pour 1 000 chez les garçons et était de 0,53 pour 1 000 chez les filles, mais cette différence n’était pas significative (p=0,1). Les prévalences globales dans les deux registres étaient très proches. La prédominance masculine était plus marquée pour le RHE31 que pour le RHEOP (ratios garçons/filles de 1,6 et 1,2 respectivement).

Tableau 1 : Prévalence des surdités bilatérales sévères et profondes pour 1 000 enfants dans l’année de leurs 8 ans résidant dans les départements concernés par les registres RHE31 et RHEOP, pour les générations d’enfants nés de 1997 à 2005 et selon le sexe, France
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Le tableau 2 présente les données concernant les étiologies des surdités avec une répartition des cas entre les différentes catégories tout à fait similaire dans les deux registres. L’étiologie était connue dans environ la moitié des cas (52,4% pour le RHE31 et 51,0% pour le RHEOP). Une origine génétique a été retrouvée dans 35,6% des cas. Dans les cas d’origine génétique, le cadre syndromique n’était retrouvé que pour 17,2% et 33,3% des cas respectivement pour le RHE31 et le RHEOP. Parmi les cas d’origine non génétique, une origine prénatale avait pu être identifiée dans 67% des cas du RHE31 et 44% des cas du RHEOP avec, dans ces cas-là, une cause infectieuse le plus souvent (rubéole, cytomégalovirus (CMV), toxoplasmose). Les causes infectieuses postnatales représentaient 25% et 44% des cas d’origine non génétique respectivement pour le RHE31 et le RHEOP. Dans 2% à 3% des cas, une étiologie malformative de l’oreille était mentionnée dans le dossier de l’enfant sans que l’origine exacte de cette malformation soit précisée. Parmi les cas où aucune étiologie n’était précisée (catégorie D), des facteurs de risque périnatals (essentiellement une prématurité) ont pu être mis en évidence dans 17,9% (RHE31) et 12,2% (RHEOP) des cas.

Tableau 2 : Étiologies des surdités sévères et profondes bilatérales enregistrées respectivement dans les deux registres RHE31 et RHEOP pour les enfants nés entre 1997 et 2005, France
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Les fréquences de prématurité, grande prématurité et faible poids de naissance pour l’ensemble des enfants, quelle que soit l’étiologie (tableau 3), étaient très proches entre les deux registres, avec 11,2% de prématurité, 5,6% de grande prématurité et 12% de naissances avec poids inférieur à 2 500 grammes.

Tableau 3 : Prématurité (naissance survenant avant 37 SA), grande prématurité (naissance avant 33 SA) et petit poids de naissance (<2 500 g) chez les enfants présentant une surdité sévère ou profonde bilatérale*, France
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L’analyse des déficiences ou pathologies associées à la surdité (tableau 4) montrait que, dans la très grande majorité des cas (87,6%), les surdités n’étaient pas associées à d’autres déficiences sévères. On note cependant que 7,3% des enfants présentaient une déficience motrice, 3% un TED et 4,3% une épilepsie. L’association la plus fréquemment retrouvée était celle avec la déficience intellectuelle, que celle-ci soit légère ou plus sévère (11,2% des cas).

Tableau 4 : Description des déficiences ou troubles du développement associés à la surdité (certains enfants pouvant présenter une association de plusieurs déficiences ou pathologies), France
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Les données concernant les modalités d’appareillage montraient, de façon homogène entre les deux registres, que la très grande majorité des enfants étaient porteurs d’appareillage : 33,3% avaient une prothèse auditive uniquement, 32,9% avaient un implant seul et 12,9% étaient porteurs des deux types d’appareillages. Dans 12% des cas, les enfants ne présentaient aucun appareillage et dans 9% des cas cette information n’était pas connue.

Concernant la scolarisation des enfants (tableau 5), les données différaient dans les deux registres. Cependant, dans les deux territoires, une proportion tout à fait similaire d’enfants est en situation « d’inclusion individuelle » dans une classe ordinaire (26,8% pour le RHE31 et 33,1% pour le RHEOP). Comme mentionné plus haut, la scolarisation en classe bilingue LSF d’enseignement « ordinaire » n’est pas disponible dans les départements couverts par le RHEOP, alors que ce type de scolarisation concernait 26,8% des enfants du RHE31. La scolarisation en classe bilingue spécialisée était assez similaire dans les deux territoires. En revanche, la scolarisation au sein d’un établissement était nettement moins fréquente en Haute-Garonne (11,2% des cas) qu’en Isère, Savoie et Haute-Savoie (32,7% des cas). L’absence de scolarisation était marginale.

Tableau 5 : Modalités de scolarisation dans la 8e année des enfants présentant une surdité bilatérale sévère ou profonde dans les départements couverts par le RHE31 (Haute-Garonne) et le RHEOP (Isère, Savoie et Haute-Savoie), France
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Discussion

La prévalence globale de la surdité bilatérale sévère et profonde à l’âge de 7 ou 8 ans était de 0,58 [0,5-0,7] pour 1 000 enfants nés entre 1997 et 2005. Une étude antérieure en France, menée selon une méthodologie similaire sur les départements de la Haute-Garonne, l’Isère et la Saône-et-Loire, avait rapporté des taux de prévalence tout à fait comparables pour les enfants nés entre 1976 et 1985 (taux de 0,5 pour 1 000 enfants âgés de moins de 9 ans) 4. La comparaison des taux de prévalence avec les données de la littérature internationale est rendue difficile par le manque d’études récentes dans les pays développés, par les différences de seuils de perte d’audition retenus dans les études et en raison des différences d’âge au moment du calcul de la prévalence puisque certaines études ont montré que la prévalence de la surdité sévère de l’enfant augmentait avec l’âge 5,6. Malgré ces réserves, les taux de prévalence retrouvés dans les deux registres français sont comparables à ceux rapportés dans la littérature. Le programme de surveillance du Center for Disease Control and Prevention (CDC) d’Atlanta (Metropolitan Atlanta Developmental Disabilities Surveillance Program) rapportait ainsi, en 2000, une prévalence de 0,6 pour 1 000 chez les enfants âgés de 8 ans atteints de surdité avec perte auditive supérieure à 65 dB 7. Une étude plus large, menée également aux États-Unis en 2005, et portant chez des enfants âgés de 6 à 19 ans avec une perte auditive supérieure à 75 dB, montrait une prévalence très proche de 0,57 pour 1 000 enfants 8. Enfin, une étude réalisée sur l’ensemble de la population en Grande-Bretagne en 1998, retrouvait une prévalence observée de 0,74 pour 1 000 enfants âgés de 9 à 16 ans avec les mêmes critères de sévérité que ceux utilisés par les registres français (perte auditive >71 dB) 5 ; une étude de cohorte de suivi de dépistage néonatal réalisée également en Grande-Bretagne retrouvait une prévalence des surdités sévères et profondes de 0,6 pour 1 000 enfants âgés de 7 à 9 ans, après exclusion des cas de surdité pour lesquels une cause postnatale était identifiée 9. Les deux registres utilisent une méthodologie commune pour l’inclusion des enfants et la similarité des résultats observés renforce leur validité. Le niveau de sévérité de la perte auditive, qui est retenu comme critère d’inclusion dans les registres, permet de s’assurer que la quasi-totalité des enfants peuvent être inclus par l’intermédiaire des MDPH ; en effet, ces dernières constituent des services publics départementaux fonctionnant comme des guichets uniques pour l’ensemble des démarches liées à une situation de handicap.

Concernant les étiologies, lorsque l’on compare les résultats à l’étude menée antérieurement en France 4, on note que la proportion des enfants avec une surdité d’origine génétique non syndromique était légèrement plus élevée dans notre population que la proportion de formes classées comme héréditaires dans l’étude antérieure (25,8% vs. 20,8%). La proportion d’enfants avec une cause infectieuse était similaire, avec cependant une répartition qui a évolué : davantage de cas d’infections à CMV (4,3% vs. 0,4%), moins d’infections rubéoleuses (1,3% vs. 3,1%) et de méningites (3,9% vs. 7,1%) 4. La proportion d’enfants atteints de surdité avec un facteur de risque périnatal a également baissé (7,3% vs. 11,5%).

Si l’on s’intéresse aux étiologies retrouvées dans les études internationales, on peut noter que le taux que nous retrouvons de 35,6% d’étiologies génétiques est tout à fait comparable au taux de 32,4% rapporté dans la revue de littérature sur les étiologies des surdités par Morzaria et coll. 3. La répartition des étiologies dans notre population était très proche de celle décrite par Fortnum et coll. 10 pour le sous-groupe d’enfants atteints de surdités sévères et profondes (perte supérieure à 71 dB), dans lequel une cause génétique était ainsi retrouvée dans 29,6% des cas. Un des résultats importants de cette étude était également la proportion (45,5% de cas) pour laquelle l’étiologie n’était pas connue, résultat proche du taux de 56% retrouvé dans la revue de littérature de Mehra et coll. 11 et tout à fait similaire avec ce qui est retrouvé dans notre population. Cette forte proportion de situations où l’étiologie est inconnue est en partie liée à la méthodologie utilisée, avec des informations reposant uniquement sur la consultation des dossiers médicaux de l’enfant disponibles dans les différentes sources de données. En effet, dans un certain nombre de cas, l’information concernant la réalisation d’un bilan génétique et son résultat éventuel n’est pas notée dans le dossier médical de l’enfant. Il est donc fortement probable qu’une partie de ces situations de causes inconnues correspondent à des étiologies génétiques non diagnostiquées, ce qui permettrait de s’approcher du taux de 54% d’étiologies génétiques des surdités à l’âge de 4 ans retenu dans la revue de Morton et Nance 12. Il est également possible qu’une partie des cas avec une étiologie inconnue, mais pour lesquels une origine congénitale était néanmoins mentionnée dans le dossier médical, correspondent à des situations d’infections à CMV. La revue de littérature de Grosse et coll. 13 montre en effet que lorsqu’une infection à CMV n’est pas systématiquement recherchée biologiquement, elle n’est rapportée dans les études comme cause de surdité que dans, en moyenne, 4% des cas alors que lorsqu’elle est réellement systématiquement évaluée, la part des surdités modérées à profondes attribuable à une infection congénitale à CMV serait de l’ordre de 15 à 20%, proportion nettement supérieure à celle retrouvée dans notre population. L’étude italienne de Barbi et coll. 14 a estimé l’impact de ces infections sur la survenue de la surdité de l’enfant, en procédant de façon rétrospective à une analyse virologique biomoléculaire des échantillons sanguins prélevés à la naissance chez des enfants atteints de surdité. Les auteurs ont montré que 27% des cas de surdités sévères (>70 dB) étaient dus à une infection à CMV et qu’une infection était notamment retrouvée dans plus de 40% des cas pour lesquels aucune étiologie n’avait été mise en évidence jusque-là.

La persistance de quelques rares cas de surdités liées à une infection rubéoleuse chez des enfants nés en 1997, 2000 et 2001 est cohérente avec les données de surveillance des infections rubéoleuses effectuée sur les mêmes générations (1997-2006) par l’Institut de veille sanitaire (InVS), qui montrent une diminution constante des cas rapportés de rubéoles congénitales jusqu’à une incidence nulle pour la première fois en 2006 15.

Les surdités postnatales étaient le plus souvent liées à des méningites, ce qui est comparable avec les données retrouvées dans la littérature 16, où les infections à S. pneumoniae sont le plus souvent rapportées puisque le programme de vaccination contre H. influenza a permis de faire disparaître cette cause.

Nous noterons que les données étudiées dans ce travail correspondaient à des générations d’enfants qui n’ont pas été concernés par les mesures de généralisation du dépistage néonatal (mis en place à partir de 2005 en Haute-Garonne et à partir de 2012 dans les autres départements), ni par les orientations vers les Centres de dépistage et d’orientation de la surdité. Il est évidemment probable que l’évolution de ces modalités de prise en charge précoces ainsi que les progrès des connaissances permettent à l’avenir de mieux appréhender les étiologies.

La faible proportion d’enfants présentant une déficience sévère associée confirmait les résultats de l’étude antérieure en France 4. La déficience intellectuelle, légère ou plus sévère, était la plus fréquemment associée, comme cela avait déjà pu être décrit dans la littérature 6. Cet élément confirme l’intérêt d’une prise en charge précoce permettant l’amélioration du fonctionnement cognitif 17. L’association avec une déficience motrice est également rapportée dans l’étude de Fortnum et coll. dans une proportion proche de celle décrite ici, mais la fréquence d’une épilepsie associée à la surdité était en revanche bien plus faible 10. Enfin, le diagnostic de TED était associé à la surdité chez 3% des enfants, proportion bien supérieure aux taux décrits en population générale et qui est confirmée par les résultats de la littérature 18,19.

Pour décrire dans leur globalité les différentes modalités de prise en charge qui peuvent être offertes aux enfants atteints de surdité, il faut probablement tenir compte, comme cela a été souligné dans un rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) 20, des différentes « représentations sociales de la surdité [qui] sont extrêmement diverses en France, du fait de facteurs sociaux, historiques, éthiques, politiques et réglementaires ». L’évolution des prises en charge proposées et les modalités de leur mise en place ont ainsi parfois été différentes. Dans le cadre de la scolarisation, le département de la Haute-Garonne a été notamment un des premiers à mettre en place un dispositif d’enseignement bilingue qui résultait d’un engagement associatif local et d’un solide partenariat avec l’Éducation nationale. En effet, les « conditions de mises en œuvre du programme de la langue des signes française à l’école primaire » ont été précisées par une circulaire ministérielle en 2008 21 alors que le dispositif était déjà bien implanté dans la région toulousaine. De plus, la mise en place des procédures de dépistages généralisées à la naissance, effective en France en 2014, a été précédée d’une longue période d’expérimentations dans laquelle le CHU de Toulouse a été impliqué dès 2005. Les engagements novateurs, précurseurs et parfois objet de controverse des différents acteurs locaux, témoignent d’engagements pluriels mais particulièrement solides autour de cette problématique en Haute-Garonne, dont les répercussions potentielles en termes d’attractivité et de mesure de la prévalence à l’âge de 8 ans restent difficilement quantifiables à ce jour.

Les résultats rapportés ici apportent une description épidémiologique récente des surdités bilatérales sévères et profondes en France. L’évolution récente des modalités de dépistage néonatal et de diagnostic précoce permettra une meilleure observation et description des surdités et de leurs étiologies, mais l’augmentation de la prévalence des cas pendant l’enfance nécessite une surveillance épidémiologique maintenue à distance de la période néonatale.

Remerciements

Nous remercions les personnes participant au recueil des données, l’Institut de veille sanitaire et l’Inserm, ainsi que les Conseils généraux de l’Isère, de la Savoie et de la Haute-Savoie.

Références

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Citer cet article

Delobel-Ayoub M, Klapouszczak D, Cans C, Arnaud C, van Bakel ME. Données épidémiologiques sur les surdités bilatérales sévères et profondes en France pour les générations 1997 à 2005. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(42-43):781-8. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/42-43/2015_42-43_1.html