Vecteurs et lutte antivectorielle
// Vectors and vector control
Qu’est-ce qu’un vecteur ?
Dans le domaine de l’entomologie médicale, un vecteur est un arthropode hématophage (se nourrissant de sang), qui peut assurer la transmission biologique ou mécanique active d’un agent infectieux (virus, bactérie, parasite) d’un vertébré à un autre vertébré 1. Les arthropodes constituent un embranchement d’animaux invertébrés et, en pratique, les arthropodes vecteurs sont des insectes (moustiques, phlébotomes, puces, simulies...) ou des acariens (tiques).
Le rôle du vecteur ne se réduit pas à celui d’une « seringue volante ». En effet, l’arthropode vecteur va s’infecter en prélevant l’agent pathogène sur un hôte vertébré infecté au cours d’un repas de sang. À ce stade, il n’en est pas pour autant infectant. Il le deviendra après une période nécessaire au développement ou à la réplication de l’agent pathogène ainsi qu’au passage de cet agent pathogène à l’endroit de l’organisme du vecteur propice à la transmission (i.e. les glandes salivaires dans le cas du moustique). Cet intervalle de temps entre l’acquisition de l’agent pathogène par le vecteur et le moment où ce dernier est en capacité d’en assurer la transmission est appelé période d’incubation extrinsèque. Sa durée variera en fonction du système vectoriel considéré, c’est-à-dire des populations d’agents pathogènes, de vecteurs et d’hôtes vertébrés qui interagissent dans un environnement spécifique. Elle est généralement comprise entre 5 et 15 jours et revêt une importance considérable en épidémiologie puisque, additionnée à la période d’incubation chez l’hôte vertébré, elle constitue le délai minimal entre l’apparition des premiers symptômes d’un cas index et d’un cas secondaire.
L’importance de la connaissance des systèmes vectoriels impliqués
L’efficacité d’un système vectoriel, et donc de la transmission d’un agent infectieux par un vecteur dans un environnement donné, sera notamment fonction de leurs interactions et des conditions biotiques (diversité d’hôtes, habitats larvaires….) et abiotiques (conditions météorologiques, climat…) de l’environnement dans lequel ils s’inscrivent. Ces systèmes vectoriels sont en perpétuelle évolution sous la pression de modifications d’origine naturelle et/ou humaine. Face à la complexité de ces systèmes vectoriels, leur connaissance et leur compréhension sont nécessaires à la définition de mesures pertinentes de gestion du risque, parmi lesquelles la lutte antivectorielle.
Qu’est ce que la lutte antivectorielle ?
Dans son acception la plus large, la lutte antivectorielle (LAV) comprend la lutte et la protection contre les arthropodes hématophages, vecteurs d’agents pathogènes pour l’homme et les vertébrés, et leur surveillance. Elle s’appuie sur des méthodes qui diffèrent selon les vecteurs et selon les contextes épidémiologiques et socio-économiques. La LAV inclut la lutte insecticide et la lutte biologique à l’aide de prédateurs ou d’agents pathogènes de moustiques, la lutte génétique (mâles stérilisés par irradiation ou transgénèse) et l’action sur leur environnement (assèchement, drainage…). Pour les hommes, se combinent protection individuelle (utilisation de répulsifs, de moustiquaires…), éducation sanitaire et mobilisation sociale. Toutes ces méthodes doivent être évaluées de façon permanente. L’objectif de la LAV est de contribuer, au côté d’autres actions de santé publique, à minimiser les risques d’endémisation ou d’épidémisation, à diminuer la transmission d’agents pathogènes par des vecteurs, à gérer les épidémies de maladies à vecteurs, le tout dans un cadre stratégique formalisé 2.
Aedes albopictus, une menace vectorielle pour la France métropolitaine
Aedes albopictus est une espèce de moustique originaire d’Asie du Sud-Est. Particulièrement invasive, elle s’est implantée sur une partie des cinq continents au cours des 40 dernières années à la faveur des échanges internationaux, et plus particulièrement du commerce des pneus usagés. Cette capacité invasive est due à la très grande plasticité écologique et physiologique de l’espèce. Ses œufs ont en effet la particularité de résister à la dessiccation, ce qui favorise leur dissémination sur de longues distances, et d’entrer en diapause (une forme d’hibernation), permettant la survie de l’espèce durant l’hiver des régions tempérées. Les larves de ces moustiques colonisent par ailleurs une multitude de gîtes créés par les activités humaines (seaux, vases, fûts, citernes, avaloirs pluviaux…), ce qui leur permet de s’adapter pleinement aux milieux anthropisés. Ae. albopictus, présent en France depuis 2004, a ainsi colonisé une grande partie du territoire. Ce moustique, qui constitue une nuisance importante, peut être à l’origine de risques sanitaires du fait de sa capacité à transmettre de nombreux virus, en particulier ceux de la dengue, du chikungunya ou encore le virus Zika.
Désormais, en France métropolitaine, toutes les conditions sont réunies pour une circulation autochtone de ces virus : (1) la population est immunologiquement naïve, (2) Ae. albopictus, vecteur compétent, est présent sur une large partie du territoire et dans des zones densément peuplées et (3) ces virus sont régulièrement introduits par des voyageurs de retour de zones endémiques ou épidémiques.
Face à ce constat, un plan national de prévention et de contrôle 3 existe en France métropolitaine depuis 2006 et est réactualisé chaque année, afin de coordonner l’ensemble des actions dans un souci d’optimisation de la réponse. Il repose sur une surveillance intégrée, comportant une composante entomologique et une composante humaine, qui permet la définition de niveaux de risque et de mesures de gestion proportionnées. La surveillance entomologique permet de connaître et de suivre l’aire d’implantation d’Ae. albopictus en France métropolitaine afin d’identifier les zones dans lesquelles un risque de transmission autochtone existe. Lorsque l’espèce est implantée au sein d’un département, la surveillance des cas importés et autochtones 4 permet la mise en œuvre rapide et coordonnée de mesures proportionnées de contrôle du vecteur, de communication et de protection des personnes.
Enjeux et perspectives
Les articles proposés dans ce BEH 4,5,6 rappellent que ce risque n’est pas uniquement théorique. Le dispositif actuel a montré son efficacité à identifier les situations à risque et à mettre en place des mesures de gestion visant à limiter la transmission autochtone. Ce type d’événement se répétera sans aucun doute à l’avenir, d’autant plus qu’Ae. albopictus continue à coloniser de nouveaux territoires et que l’incidence de ces maladies vectorielles a progressé de manière spectaculaire à travers le monde au cours des dernières décennies.
Face à cette situation en perpétuelle évolution, il est indispensable d’évaluer et d’adapter régulièrement les outils de préparation et de réponse. Les stratégies de LAV doivent aussi s’adapter à cette situation. À court terme, c’est la mobilisation de l’ensemble de la société, et en particulier du grand public, qui constitue le principal défi. À moyen ou plus long terme, les attentes sont fortes en termes de méthodes de lutte plus sélectives 7.
Enfin, l’émergence de ces maladies en métropole ne doit pas occulter le fait qu’en France, ce sont les départements et collectivités d’outremer qui restent les plus exposés, avec des épisodes épidémiques d’une toute autre dimension, tant en fréquence qu’en intensité.