Arboviroses transmises par les moustiques Aedes en France : un risque devenu durable !
// Arboviruses transmitted by Aedes mosquitoes in France: a new sustainable risk!
Arboviroses transmises de personne à personne par un moustique de type Aedes, la dengue et le chikungunya sont en forte expansion du fait de l’extension de l’aire de répartition d’Ae. aegypti et de la diffusion internationale d’Ae. albopictus. Avec la croissance démographique et l’urbanisation en zones tropicales, où Ae. aegypti est implanté, des cycles endémo-épidémiques, voire hyperendémiques se sont installés pour la dengue, alors que le chikungunya évolue habituellement sous la forme d’épidémies de grande ampleur espacées dans le temps. La Caraïbe, et en particulier les départements français d’Amérique, où Ae. aegypti est présent, connaît depuis les années 1990 un cycle endémo-épidémique de la dengue avec des épidémies récurrentes. La Réunion, où Ae. aegypti a été éliminé mais où Ae. albopictus a pris sa place, a subi une épidémie de chikungunya de grande ampleur (près de 40% de la population touchée) en 2005-2006, dans un contexte d’intense circulation virale en Afrique de l’Est et dans l’Océan Indien. L’intensité de l’épidémie de La Réunion, son poids sur le système de santé et sur la vie quotidienne des résidents y ont provoqué une crise sanitaire majeure. Mayotte, zone d’implantation d’Ae. aegypti, a aussi été le théâtre d’une importante épidémie dans la continuité de celles de La Réunion et des Comores voisines.
Avec l’incursion du chikungunya en Italie en 2007 (près de 300 cas en Émilie-Romagne où Ae. albopictus est implanté) à partir d’un foyer épidémique en Inde, l’Europe et la France ont réalisé que le risque théorique de transmission du virus du chikungunya lié à l’expansion d’Ae. albopictus était maintenant avéré : la survenue d’épidémies urbaines de chikungunya, voire de dengue dans les zones colonisées par le vecteur, faisait maintenant partie des scénarios possibles. Il fallait donc s’y préparer et, depuis 2006, un plan national « anti-dissémination du chikungunya et de la dengue en métropole » a été établi et reconduit depuis, chaque année. Il associe un dispositif de surveillance humaine et entomologique à des mesures de prévention et de contrôle que deux des articles de ce BEH décrivent (A. Septfons et coll. ; F. Jourdain et coll.).
Jusqu’en novembre 2013, les Amériques étaient restées indemnes de chikungunya. Mais, avec la présence d’un vecteur compétent, déjà responsable d’épidémies croissantes de dengue, et les intenses échanges internationaux avec des zones d’endémicité, l’émergence et la diffusion de la maladie dans les départements et collectivités français d’Amérique (DFA) n’étaient qu’une affaire de temps. C’est ce qui arriva en novembre 2013 à Saint-Martin avant que l’ensemble de la Caraïbe, incluant Saint-Barthélemy, la Martinique et la Guadeloupe, soit balayée par d’importantes épidémies en 2014. La Guyane voisine a été atteinte dans un deuxième temps. Dans le Pacifique, la Polynésie, après une épidémie d’infection à virus Zika en 2013-2014 et une épidémie de dengue en 2014, a aussi connu une importante épidémie de chikungunya lors du dernier été austral.
Les épidémies de dengue et de chikungunya pèsent lourdement sur le système de soins ambulatoires et hospitaliers, sur les services de lutte antivectorielle et, plus globalement, la vie sociale et l’économie des pays ou zones touchés. Avec l’intense circulation internationale des personnes et l’implantation croissante d’Ae. albopictus en zone tempérée, le risque est maintenant globalisé et ne fera que croître avec la progression de l’implantation du moustique tigre. C’est ce qu’illustrent les trois articles de ce numéro du BEH, consacrés au bilan épidémiologique de la dengue et du chikungunya en France métropolitaine en 2014 (A. Septfons et coll.) et à deux épisodes de transmission autochtone de dengue et de chikungunya, en relais d’une importation de Thaïlande pour la dengue (S. Giron et coll.) et du Cameroun pour le chikungunya (E. Delisle et coll.). Le système de surveillance renforcée dans la zone d’implantation d’Ae. albopictus a détecté ces épisodes précocement, au prix d’une mobilisation en ressources humaines très importante. Les auteurs des investigations concluent que la diffusion limitée de la maladie pour ces deux épisodes résulte de l’application précoce des mesures de lutte antivectorielle préconisées dans le plan anti-dissémination. Si aucune démonstration formelle ne peut être établie entre la réactivité des mesures prises et l’absence de diffusion secondaire, la temporalité des événements plaide en effet pour une efficacité du plan anti-dissémination. Le fait que l’épidémie beaucoup plus importante de chikungunya en Émilie-Romagne en 2006 soit survenue dans un contexte de méconnaissance du risque et d’absence de plan de surveillance active est, par « analogie », un argument en faveur de l’intérêt du plan anti-dissémination. Cependant, on ne peut affirmer de relation de cause à effet systématique entre les actions mises en œuvre et la limitation de la dissémination. Il est en effet possible que la sensibilité élevée de la surveillance permette de détecter des épisodes naturellement abortifs et que, dans des conditions vectorielles, écologiques et climatiques beaucoup plus favorables, une épidémie de plus grande ampleur puisse survenir. Au-delà de ces spéculations, il reste que les éléments documentés de manière très précise sur le terrain dans les différents articles de ce numéro du BEH sont des arguments en faveur de l’intérêt du plan anti-dissémination. L’évaluation des stratégies de lutte antivectorielle sur la dynamique des infections sur le terrain n’en mérite pas moins davantage d’investissement.
Si, avec la régression des épidémies de chikungunya dans les DFA, la pression de risque d’introduction du virus en terrain « fertile » en métropole sera moindre, la dynamique de diffusion internationale de ce virus dans d’autres zones du globe et le maintien d’une très intense activité de la dengue de par le monde font que le risque restera durable pour tous les territoires où Ae. albopictus est implanté. Seront aussi à considérer à l’avenir d’autres virus transmis par Aedes, comme le virus Zika. Dans cette perspective et au-delà des mesures anti-dissémination, de quelle marge de manœuvre disposera-t-on pour la prévention dans les années à venir ? Peut-on empêcher la progression d’Ae. albopictus, voire le faire reculer avec les mesures de lutte antivectorielle actuellement disponibles ? Des travaux de recherche sont en cours à La Réunion pour évaluer de nouvelles stratégies, notamment celles basées sur les techniques des mâles stérilisés, mais ces travaux nécessitent du temps. La perception des dangers et l’acceptabilité des mesures de la lutte antivectorielle chimique doivent aussi être prises en compte. Cette question est documentée sur le terrain dans l’un des articles, l’application du traitement adulticide péri-focal ayant été refusée dans la propriété d’un cas de dengue autochtone confirmé où la présence du moustique était avérée (S. Giron et coll.). Dans ce contexte, l’importance de l’implication communautaire dans son milieu de vie doit être soulignée. L’information et la communication en santé sont tout autant cruciales, si ce n’est plus. Certes, la sensibilisation des professionnels de santé est importante pour l’efficacité du plan anti-dissémination, mais ce sont l’information, la sensibilisation et la mobilisation de l’ensemble de la société qui feront aussi la différence.