Surveillance du chikungunya et de la dengue en France métropolitaine, 2014
// Monitoring of chikungunya and dengue in metropolitan France, 2014
Résumé
Le moustique Aedes albopictus ou moustique tigre, vecteur de la dengue et du chikungunya, est présent en France métropolitaine depuis 2004. Il expose au risque de transmission autochtone de ces arboviroses du fait de l’introduction régulière des virus par des sujets infectés lors de séjours dans des zones où ils circulent.
En métropole, une surveillance épidémiologique est mise en place depuis 2006. Elle comprend deux dispositifs nationaux pérennes basés sur la déclaration obligatoire (DO) et un réseau de laboratoires, ainsi qu’un dispositif local et saisonnier de surveillance renforcée dans les départements où Ae. albopictus est implanté, pendant sa période d’activité, du 1er mai au 30 novembre.
En 2014, en France métropolitaine, 489 cas de chikungunya et 201 cas de dengue ont fait l’objet d’une DO ; 2 327 cas de chikungunya et 953 cas de dengue ont été rapportés par le réseau de laboratoires. Du 1er mai au 30 novembre, 454 cas de chikungunya et 167 cas de dengue ont été identifiés dans les 18 départements où Ae. Albopictus était implanté. Quatre cas autochtones de dengue ont été détectés en région Provence-Alpes-Côte d’Azur et un foyer autochtone de chikungunya (11 cas confirmés) dans l’agglomération de Montpellier.
Le nombre important de cas importés de chikungunya en métropole était lié au contexte épidémiologique des départements français d’Amérique. Le plan de surveillance a permis de limiter les épisodes autochtones, mais il devra évoluer en fonction de l’extension rapide du vecteur pour être réactif, exhaustif et efficient.
Abstract
Aedes albopictus, or Asian tiger mosquito, the vector of dengue and chikungunya, is established in mainland France since 2004. It has introduced the risk of autochthonous transmission of these vector-borne infections due to the repeated introduction of the viruses by infected travellers returning from endemic regions.
In mainland France, epidemiologic surveillance has been implemented since 2006. At the national level, it is based on mandatory notification and a network of laboratories. At the regional level, enhanced surveillance is implemented in the districts where the mosquito is established, during its period of activity from 1 May to 30 November.
In 2014, in mainland France, 489 chikungunya cases and 201 dengue cases were notified by the mandatory system, and 2,327 chikungunya cases and 953 dengue cases were identified by the laboratory network. From 1 May to 30 November, 454 chikungunya cases and 167 dengue cases were identified in the 18 districts where the vector was established. Four autochthonous dengue cases were identified in Provence-Alpes-Côte d’Azur and an outbreak of 11 confirmed chikungunya cases was identified in Montpellier.
The high number of imported cases of chikungunya is linked with the chikungunya epidemic in the French Caribbean. The surveillance system allowed the containment of autochthonous transmission, but will need to evolve in relation with the expansion of the vector in order to be efficient, responsive and exhaustive.
Introduction
Le moustique Aedes albopictus ou moustique tigre, vecteur de la dengue et du chikungunya, s’étend progressivement en France métropolitaine. Détecté en 2004 dans le département des Alpes-Maritimes, il était implanté en 2014 dans 18 départements (figure 1). Sa présence expose au risque de transmission autochtone de ces arboviroses à la faveur de l’introduction des virus par des voyageurs infectés dans les zones de circulation de ces virus. Cela s’est déjà produit en Europe avec une épidémie de chikungunya en 2007 en Italie 1, un foyer de dengue en 2010 en Croatie 2 et, en France, des cas de dengue en 2010 et 2013 et de chikungunya en 2010 3,4,5. Depuis 2006, un plan national « anti-dissémination du chikungunya et de la dengue en métropole » 6 est mis en œuvre chaque année. Il associe un dispositif de surveillance humaine et entomologique à des mesures de prévention et de contrôle. Cet article présente les résultats de la surveillance de ces deux infections en France métropolitaine en 2014.
Le système de surveillance
La surveillance épidémiologique a pour objectifs de détecter précocement les cas importés et autochtones de dengue et de chikungunya afin de déclencher les mesures de lutte antivectorielle appropriées autour de ces cas, et de décrire des tendances nationales et régionales. Ces données permettent d’évaluer le risque et d’orienter les politiques de prévention et de lutte. Les modalités de la surveillance sont adaptées à des niveaux de risque cotés de 0 à 5 (tableau 1) et basées sur une définition de cas suspects, confirmés, importés et autochtones (tableau 2).
Le système de surveillance comprend :
- deux dispositifs nationaux pérennes :
- la déclaration obligatoire des cas confirmés, depuis juillet 2006, concerne la France métropolitaine et s’applique tout au long de l’année. Les données sociodémographiques (date de naissance, sexe, département de résidence), cliniques (signes cliniques, date de début des signes), biologiques et épidémiologiques (voyage à l’étranger, date de retour en métropole) recueillies permettent une description des cas (tableau 2) ;
- un réseau national de laboratoires volontaires, mis en place depuis 2006, transmet à l’Institut de veille sanitaire (InVS) les résultats de sérologie et de détection du génome viral par RT-PCR du chikungunya et de la dengue en temps réel. Cinq laboratoires participent à ce réseau : le Centre national de référence (CNR) des arbovirus, le laboratoire de bactériologie-virologie du CHU Avicenne (Bobigny), le laboratoire de virologie du CHU de la Timone (Marseille) et les laboratoires privés Biomnis et Cerba. Des données sociodémographiques (date de naissance, sexe, lieu de résidence) et biologiques (dont la date de prélèvement) sont recueillies. Un cas de chikungunya ou de dengue est défini par la présence d’IgM, d’une RT-PCR positive ou d’un test NS1 positif pour la dengue ;
- un dispositif local et saisonnier de surveillance renforcée, basé sur le signalement accéléré des cas aux Agences régionales de santé (ARS) par les médecins et les biologistes. Ce dispositif est appliqué dans les départements où Ae. albopictus est implanté, pendant sa période d’activité, du 1er mai au 30 novembre. En l’absence de transmission autochtone (niveau 1 du plan), le signalement concerne les cas importés (suspects et confirmés) et les cas autochtones confirmés de chikungunya et de dengue (tableau 2). En présence d’une transmission autochtone (niveau 2 et plus), le signalement s’applique aussi aux cas suspects autochtones. En complément, l’analyse quotidienne par l’InVS et les Cellules de l’InVS en régions (Cire) des données du réseau national de laboratoires dans les départements où Ae. albopictus est implanté permet une identification des cas qui n’auraient pas été déclarés via le dispositif de signalement accéléré. Le signalement d’un cas entraîne des investigations épidémiologiques (déterminations de ses déplacements pendant la période de virémie) et entomologiques 7. Des actions de lutte antivectorielle (LAV) sont menées, avec destruction des gîtes larvaires et, si nécessaire, traitements adulticides ciblés dans un périmètre de 150 mètres autour des lieux fréquentés par les cas pendant la période de virémie. Pour un cas autochtone confirmé, ces actions sont couplées à une recherche active de cas par enquête en porte-à-porte dans l’entourage du patient (lieu de résidence et lieux visités pendant la période de virémie) et à une information et sensibilisation des professionnels de santé. Des actions de LAV autour des lieux fréquentés par le cas durant la période d’exposition y sont associées.
Un cas peut ainsi être identifié et comptabilisé dans les trois dispositifs.
Résultats
Surveillance par la déclaration obligatoire (DO)
En 2014, 489 cas de chikungunya, dont 11 cas autochtones, et 201 cas de dengue, dont 3 cas autochtones, ont été déclarés en métropole.
Pour les 489 cas de chikungunya, l’âge médian était de 45 ans (extrêmes : 1-90), le sexe-ratio H/F était de 0,8, 11% (54/489) ont été hospitalisés et 1 personne est décédée (0,2%). Les cas résidaient principalement en Île-de-France (28%), en Languedoc-Roussillon (13%) et en Provence-Alpes-Côte d’Azur (11%). La majorité des cas (67%) étaient présents en métropole pendant la période de virémie (la veille et jusqu’à 7 jours après la date de début des signes). Parmi les 478 cas importés, 46% avaient voyagé en Guadeloupe 15 jours avant la date de début des signes (DDS), 35% en Martinique et 12% en Amérique latine ou Caraïbes 8. Plus de la moitié des DO (58%) a été déclarée entre juin et août.
Pour les 201 cas de dengue, l’âge médian était de 36 ans (extrêmes : 6-91) et le sexe-ratio H/F était de 1 ; 82 personnes ont été hospitalisées (41%) et 3 sont décédées (1,5%). Les cas résidaient principalement en Île-de-France (27%), en Provence-Alpes-Côte d’Azur (17%) et en Rhône-Alpes (11%). La majorité d’entre eux (79%) étaient présents en métropole pendant la période de virémie. Pour les 198 cas importés, 39% revenaient d’Asie du Sud-Est, 26% d’Amérique latine ou des Caraïbes, et 11% d’Afrique centrale 8. Près de la moitié des DO (49%) a été déclarée entre juillet et septembre.
Surveillance via le réseau national de laboratoires
En 2014, 2 327 cas de chikungunya et 953 cas de dengue ont été rapportés par le réseau de laboratoires en métropole.
Pour les 2 327 cas de chikungunya, l’âge médian était de 50 ans (extrêmes : 0-91) et le sexe-ratio H/F de 0,6. Ils résidaient principalement en région Île-de-France (47%), Paca (11%) et Rhône-Alpes (7%) (figure 2). Des cas de chikungunya ont été diagnostiqués toute l’année, avec un pic (18%) au mois de juillet 2014.
Pour les 953 cas de dengue, l’âge médian était de 42 ans (extrêmes : 1-91) et le sexe-ratio H/F de 1,1. Ils résidaient principalement en région Île-de-France (32%), Paca (16%) et Rhône-Alpes (11%) (figure 2). Des cas de dengue ont été diagnostiqués toute l’année, avec un pic (15%) au mois d’août 2014.
Surveillance renforcée dans les 18 départements d’implantation du moustique
Du 1er mai au 30 novembre 2014, 1 493 signalements ont été recensés, se répartissant en 64% de signalements de cas suspects importés et 36% signalements de cas suspects autochtones. Parmi ces signalements, 627 cas ont été confirmés dans les 18 départements métropolitains où Ae. albopictus est implanté (figure 3) 8 :
- 163 cas importés de dengue ;
- 443 cas importés de chikungunya ;
- 6 cas importés co-infectés par le chikungunya et la dengue ;
- 4 cas autochtones de dengue ;
- 11 cas autochtones de chikungunya (ainsi qu’un cas probable. Un cas probable est défini dans ce contexte par un cas présentant un lien épidémiologique et des signes cliniques évocateur sans confirmation biologique par le CNR des arbovirus).
La majorité (68%) des 905 signalements de cas importés a été confirmée. Seuls 3% des 513 signalements de cas autochtones ont été confirmés. Pour 75 signalements non confirmés, le caractère importé ou autochtone n’était pas documenté.
Le nombre de cas confirmés était plus important au mois de juillet (25%) pour le chikungunya et aux mois d’août (24%) et septembre (23%) pour la dengue (figure 4).
Près des trois quarts des cas importés confirmés de chikungunya ou de dengue étaient présents pendant la période de virémie dans un département colonisé par Ae. albopictus. La quasi-totalité (87%) des cas importés confirmés de chikungunya provenaient des départements français d’Amérique (DFA) : Guadeloupe, Martinique, Guyane française, Saint-Martin, Saint-Barthélemy. Les cas importés confirmés de dengue revenaient majoritairement d’Asie du Sud-Est (55%), principalement de Thaïlande (30%), des DFA (15%) et d’Amérique latine et des Caraïbes (15%).
Près de 60% des signalements provenaient du circuit de signalement accéléré, 34% ont été « rattrapés » par le biais du réseau de laboratoires et 3% avaient uniquement fait l’objet d’une DO. La recherche active de cas autour des cas autochtones a généré 3% des signalements.
Du 1er mai au 30 novembre 2014, les opérateurs de démoustication ont réalisé au moins 513 prospections entomologiques autour des cas suspects importés, suivies de 142 traitements adulticides et/ou larvicides. Ce recueil n’est pas exhaustif car il ne prend pas en compte les prospections et traitements multiples pour chaque cas.
Discussion
L’année 2014 a vu une augmentation considérable du nombre de cas de chikungunya importés, conséquence directe de l’épidémie sévissant dans les DFA depuis décembre 2013 9. À l’échelle de la métropole, 489 cas de chikungunya ont été notifiés par la DO en 2014 versus 1 (en 2008) à 40 (en 2006) sur la période 2006 à 2013 8. Dans les départements où le vecteur est implanté, 443 cas ont été identifiés pendant la période de surveillance renforcée en 2014, versus 0 (en 2008 et 2009) à 6 cas (en 2010) pour la période 2006 à 2013. La dynamique des cas déclarés en métropole était concomitante avec celle de l’épidémie dans les DFA, avec une phase intense de transmission durant les mois de mai à août en Guadeloupe et Martinique et un nombre important d’échanges avec la métropole durant cette même période. Un foyer autochtone (11 cas confirmés) s’est développé dans l’agglomération de Montpellier 10 ; ce foyer n’était cependant pas dû à une souche circulant dans les DFA, mais à une souche de génotype East Central South Africa (ECSA) circulant sur le continent africain et dont la présence au Cameroun, lieu d’infection du cas index, est décrite depuis 2006 11.
Pour la dengue, le nombre de cas importés notifiés par la DO en 2014 était inférieur au nombre de cas rapportés pendant les années épidémiques dans les DFA : 201 cas notifiés versus 596 en 2010 (année d’épidémie majeure) et 271 cas en 2013 (épidémie de moindre intensité). Outre les DFA, les pays d’Asie du Sud-Est, et particulièrement la Thaïlande où la dengue est hyperendémique 12, étaient les lieux fréquents de contamination des cas. Dans les départements où le vecteur est implanté, 171 cas importés ont été identifiés par la surveillance renforcée en 2010 (sept départements métropolitains colonisés) et 188 cas importés en 2013 (17 départements colonisés). Le nombre de cas identifiés en 2014 (163 cas) était du même ordre qu’en 2013, en l’absence d’épidémie de dengue dans les DFA. Une meilleure détection de cas de dengue, dans le contexte de la communication faite autour des risques du chikungunya auprès des voyageurs et des professionnels de santé, alors que leurs symptomatologies sont proches, pourrait en être la cause. De plus, la modification de la nomenclature des actes de biologie médicale, avec l’inscription de la RT-PCR, imposait initialement la recherche simultanée des deux virus 13. Enfin, 3 épisodes de transmission autochtone de dengue, impliquant 4 cas au total, ont été détectés en 2014 14. Depuis 2010, il s’agit de la 3e année que de tels épisodes de faible ampleur surviennent.
Au niveau national, le nombre de DO reçues est très largement inférieur au nombre de cas identifiés par le réseau de laboratoires, indiquant une faible exhaustivité de la DO. Cependant, les deux systèmes sont complémentaires. La DO fournit des informations cliniques, biologiques et épidémiologiques non disponibles dans le réseau de laboratoires, permettant une meilleure estimation du risque de transmission autochtone en métropole. Dans le contexte de l’extension géographique d’Ae. albopictus, il serait souhaitable d’obtenir une meilleure adhésion des professionnels de santé à cette DO.
Dans les départements d’implantation du vecteur, la part des cas non signalés dans le cadre de la surveillance renforcée et identifiés par le réseau de laboratoires était importante (34% en 2014). Pour ces cas, les délais de mise en place des mesures de LAV sont plus importants et augmentent le risque d’une transmission autochtone des virus.
Qu’il s’agisse de la DO ou du dispositif de surveillance renforcée, une meilleure sensibilisation des médecins et biologistes permettrait une identification plus rapide des cas pour une mise en place des mesures de LAV.
Conclusion
Ce système de surveillance complexe, mis en place en métropole depuis 2006, permet grâce à ses différentes composantes de répondre à plusieurs objectifs opérationnels de surveillance du chikungunya et de la dengue : la surveillance des cas importés avec mise en place de mesures de prévention afin d’éviter une transmission autochtone, la détection précoce des cas autochtones avec mise en place de la LAV afin de limiter la diffusion, et le suivi des tendances grâce aux données épidémiologiques régionales et nationales. Dans un souci de durabilité et d’efficience, il doit néanmoins évoluer au fur et à mesure de l’extension du vecteur et du risque de transmission locale.
Le nombre croissant d’échanges avec les pays de circulation des virus du chikungunya et de la dengue, les caractéristiques climatiques favorables à Ae. albopictus en métropole, la présence d’une population susceptible du fait d’une immunité inexistante incitent à renforcer la sensibilisation des voyageurs se rendant ou revenant de zones de circulation, ainsi que celle des professionnels de santé.
Remerciements
Nous tenons à remercier tous les personnels des Agences régionales de santé, des laboratoires hospitaliers et privés ainsi que les médecins qui ont collaboré et participé activement à la surveillance du chikungunya et de la dengue en métropole.
Nous tenons également à remercier tous les acteurs de la lutte antivectorielle, qui ont été particulièrement sollicités et ont joué un rôle majeur dans la surveillance et les investigations entomologiques.