Incident dans une usine pétrochimique de Rouen, janvier 2013 : une illustration de l’intérêt de l’exhaustivité du système de surveillance SurSaUD® pour l’évaluation de l’impact sanitaire d’un accident industriel

// Incident at a petrochemical plant in Rouen, in January 2013: an illustration of the interest of the SurSaUD® monitoring system exhaustivity for assessing the health impact of an industrial accident

Arnaud Mathieu1(arnaud.mathieu@ars.sante.fr), Benjamin Larras1, Philippe Pirard2, Vanina Bousquet2, Céline Caserio-Schönemann2
1 Cire Normandie, Institut de veille sanitaire, Rouen, France
2 Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France
Soumis le 12.09.2013 // Date of submission: 09.12.2013
Mots-clés : Accident industriel | Impact sanitaire immédiat | Dispositif de surveillance sanitaire et épidémiologique | SurSaUD®
Keywords: Industrial accident | Immediate health impact | Surveillance and epidemiological health system | SurSaUD®

Résumé

Le 21 janvier 2013, un accident industriel dans une usine de l’agglomération rouennaise a entraîné le dégagement d’un panache contenant des mercaptans, dont les odeurs désagréables ont suscité de nombreuses plaintes des riverains.

Pour renseigner l’existence ou non d’un impact sanitaire immédiat de cet événement, la Cellule de l'InVS (Cire) en région Normandie a immédiatement renforcé le dispositif de surveillance sanitaire régional SurSaUD® par, d’une part, la consultation des données du serveur régional de veille et d’alerte (SRVA) et, d’autre part, en prenant contact par téléphone avec les services de soins d’urgence dont l’activité aurait pu être impactée par l’accident.

Les résultats sont en faveur d’un impact très faible, concernant des manifestations bénignes, essentiellement de type maux de tête, vertiges et irritations sans gravité ni nécessité de prise en charge médicale. Face à l’absence d’impact détectable, le dispositif de surveillance a été levé dès le 25 janvier.

Le retour d’expérience de cet épisode montre l’importance de disposer d’un système de surveillance syndromique réactif, en complément des mesures de polluants et d’analyses de risque, pour estimer l’impact sanitaire immédiat d’un accident industriel. Il permet aussi d’identifier certains points clés pour renforcer la pertinence d’un tel système de surveillance sanitaire et épidémiologique en situation d’accident industriel : assurer le caractère complet et représentatif du réseau le constituant, proposer une démarche de codification spécifique en prévision d’un événement inhabituel, bénéficier de dispositifs ergonomiques et automatisés à l’image des systèmes mis en place pour la transmission des résumés de passages aux urgences (RPU). Par ailleurs, il est aussi apparu indispensable d’élargir et de compléter l’analyse des données disponibles d’événements de type accident industriel dans SurSaUD® par des indicateurs complémentaires à la médecine d’urgence.

Abstract

On 21 January 2013, an industrial accident in a plant located around the city of Rouen caused the release of plume containing mercaptans, leading to many complaints from residents due to unpleasant odors.

To find out whether or not this event had an immediate health impact, the Normandy Cire immediately strengthened the regional health monitoring system called SurSaUD®, by consulting data from the Regional monitoring and early warning server and telephone contacts from emergency care units whose activity could be affected by the accident.

The results reveal a very low impact on benign manifestations such as headaches, dizziness and irritations demanding no medical care. Due to the absence of any detectable impact, the monitoring system was lifted on 25 January.

The feedback from this episode shows the importance of having a reactive syndromic surveillance system in addition to pollutants measures and risk analyzes to assess the immediate health effects of an industrial accident. It also contributes to identify the key points needed to enhance the relevance of such a surveillance and epidemiological health system in case of industrial accidents: it ensures the exhaustivity and the representativeness of the constituent network, it offers a specific coding approach in anticipation of an unusual event, it benefits from ergonomic and automated mechanisms like the systems dedicated to the transmission of emergency visits summaries. Moreover, it also appeared necessary to extend and complement the analysis of available data in SurSaUD® of events such as industrial accident by additional indicators in emergency medicine.

Introduction

Un accident survenu le 21 janvier 2013 vers 8h30 à l’usine Lubrizol implantée dans l’agglomération rouennaise a entraîné un dégagement important de mercaptans, marqueurs très odorants utilisés pour donner une odeur perceptible au gaz de ville (60 à 100 ppm en sortie de cheminée). Le panache produit a circulé dans un premier temps sur l’agglomération rouennaise (649 291 habitants) jusqu'à la Côte d’Albâtre en direction de la Grande-Bretagne, puis sur les départements de la Seine-Maritime et de l’Eure, ainsi que sur certains départements de la région Île-de-France dans la nuit du 21 au 22 janvier (figure 1). À cette date, les odeurs désagréables des mercaptans ont entraîné de nombreuses plaintes des riverains.

Figure 1 : Distribution du panache gazeux contenant des mercaptans (Haute-Normandie, 21 et 22 janvier 2013)
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La population de Haute-Normandie potentiellement exposée aux mercaptans a été estimée à près de 845 000 habitants par la Cellule de l'InVS en région Normandie (Cire), sur la base de la démographie des aires urbaines concernées par le passage du panache odorant (Rouen, Fécamp, Dieppe, Elbeuf-Louviers, Vernon).

La littérature scientifique décrit pour les mercaptans les effets sanitaires aigus suivants :

  • une odeur caractéristique désagréable à très faibles concentrations avec accoutumance de l’odorat, perceptible à partir de niveaux de l’ordre de 0,001-0,005 ppm et pouvant générer des incommodations de type céphalées, nausées, vomissements ;
  • à concentrations plus élevées, des signes plus sévères peuvent apparaître, tels que des irritations pulmonaires, des nausées, des vomissements, des diarrhées, puis des troubles de la conscience, une dépression respiratoire et une cyanose ;
  • dans les cas les plus graves, l’irritation respiratoire peut conduire à un œdème aigu lésionnel du poumon. Une atteinte rénale transitoire peut ensuite apparaître.

L’analyse des données toxicologiques disponibles a mis en évidence un manque important de documentation sur les effets des expositions humaines aux mercaptans. En particulier, dans l’importante gamme de concentrations délimitée d’une part par le seuil de perception olfactive (0,001-0,005 ppm) et d’autre part par la valeur limite AEGL-2 (1) (19 ppm pendant 8 heures), aucune valeur de référence associée à la survenue des premiers effets réversibles (AEGL-1 (2)) n’a pu être identifiée. Il était difficile dans ce contexte de garantir que les symptômes ressentis par une population qui s’était montrée fortement incommodée par l’odeur (ce qui était en faveur de niveaux d’exposition de quelques ppm) soient uniquement liés à une perception et à l’inquiétude ressentie.

Le panache odorant ayant terminé sa course au niveau des départements de Picardie et de Champagne-Ardenne, les Cire en charge de la surveillance de la santé de ces territoires ont participé au dispositif de surveillance coordonné au niveau national par l’InVS.

L’objectif de cette analyse de la situation sanitaire était de permettre aux autorités sanitaires de mettre en place des mesures de gestion adéquates, si nécessaire. Ainsi, pour suivre les éventuels impacts de cet événement sur la santé publique, la Cire Normandie a identifié, en tenant compte du passage du panache gazeux odorant en Haute-Normandie, un pool de services de soins d’urgence (structures d’urgence, SOS Médecins, Samu) dont l’activité aurait pu être impactée par l’incident (figure 2). L’absence de transmission du résumé de passage aux urgences (RPU) à l’InVS pour six des huit structures d’urgence (SU) retenues a conduit la Cire à interroger directement les professionnels des SU sélectionnées.

Considérant ce contexte particulier et sur la base de ce retour d’expérience, cet article propose une réflexion sur l’intérêt de généraliser un dispositif de surveillance tel que SurSaUD® (Surveillance sanitaire des urgences et des décès – voir les articles de C. Caserio-Schönemann et coll. et A. Fouillet et coll. dans le même numéro) et de l’adapter à une situation d’événement exceptionnel comme celui de Lubrizol.

Figure 2 : Répartition géographique des services de soins d’urgence (structures d’urgence, SOS Médecins, Samu) retenus pour l’analyse. Haute-Normandie, janvier 2013
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Matériel et méthode

Le dispositif sanitaire de surveillance mis en place en Haute-Normandie est décrit ci-dessous.

Construction d’un pool de services de soins d’urgence d’intérêt

Pour suivre les éventuels impacts sur la santé publique de l’accident survenu à l’usine Lubrizol, la Cire Normandie a mis en place un dispositif de surveillance dédié entre le 21 janvier 2013 (date de l’incident) et le 25 janvier 2013. La population suivie comprenait toute personne présente dans la zone impactée par le panache odorant dans la région Haute-Normandie (figure 1) et ayant recouru à un service de soins d’urgence de la région (SU, SOS Médecins, Samu). Outre les données disponibles via SOS Médecins et le Samu, la Cire a sélectionné un pool d’établissements de santé dont l’activité d’urgence aurait pu être impactée par l’accident. Ce pool était constitué des SU suivantes (figure 2) :

  • dans l’agglomération rouennaise : le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen - sites Saint-Julien et Charles-Nicolle ; la Clinique de l’Europe et la Clinique du Cèdre ;
  • sur le littoral : le Centre hospitalier (CH) de Fécamp et le CH de Dieppe ;
  • entre Rouen et Paris : le CH de Vernon et le CH d’Elbeuf-Louviers (sites d’Elbeuf et de Louviers).

Identification et construction des indicateurs

Dans les premières heures suivant la survenue de l’événement, il n’a pas été possible de disposer d’éléments d’information relatifs à la nature des polluants en cause, à leur niveau de concentration et à leur dispersion au niveau des populations résidentes. Seules des informations relatives à la dispersion de composés de la famille des mercaptans en concentrations supérieures aux seuils de détection olfactive étaient disponibles.

Une recherche large de syndromes spécifiques toutes causes confondues, basée sur une revue de la littérature 1, a été effectuée. Pour les SU adhérant au réseau OSCOUR® (Organisation de la surveillance coordonnée des urgences), une liste de cinq codes (correspondant à des regroupements syndromiques d’intérêt) de la CIM-10 (Classification internationale des maladies - 10e révision) a été retenue et analysée afin de qualifier l’impact sanitaire éventuel du passage du panache gazeux (tableau).

En complément, sur la base des effets potentiels sur la santé humaine identifiés dans la littérature scientifique, des regroupements syndromiques OSCOUR® ont été sélectionnés et recherchés au moyen de l’outil SurSaUD® : toutes causes, malaise, dyspnée/pathologie respiratoire, asthme, neurologie autres, douleurs abdominales non spécifiques et conjonctivite.

En parallèle, un suivi des consultations prises en charge par SOS Médecins de Rouen et imputables à l’événement industriel Lubrizol a été établi au moyen de regroupements syndromiques et pathologies associées : asthme, malaises, insuffisance respiratoire aiguë, douleur abdominale aiguë et neurologie divers.

Tableau : Codes CIM-10 retenus pour l’analyse de l’impact sanitaire lié au panache gazeux de Lubrizol sur l’activité des structures d’urgence de Haute-Normandie, janvier 2013
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Modalités de recueil des données dans le pool de services de soins d’urgence étudié

Recueil depuis le dispositif de surveillance de routine

La Cire Normandie a utilisé le système SurSaUD®, basé sur une transmission quotidienne automatisée (i) des RPU enregistrés par les structures d’urgence hospitalières participant au réseau OSCOUR® et (ii) des données des associations du réseau SOS Médecins/InVS.

À la date du 22 janvier 2013, deux de ces structures (CH de Fécamp et CH d’Elbeuf-Louviers) adhéraient au réseau de surveillance OSCOUR®. Pour ces deux structures, des regroupements syndromiques et des codes CIM-10 d’intérêt (tableau) ont été analysés au moyen de l’outil SurSaUD® à partir du 22 janvier (données du 21 janvier).

L’analyse des données produites par SOS Médecins a été réalisée au moyen de l’outil SurSaUD® à partir du 22 janvier (données du 21 janvier).

Une analyse des données de mortalité transmises à l'InVS par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a été réalisée à l’échelon national et à l’échelon de la région Haute-Normandie.

Recueil depuis le dispositif de surveillance dédié

Pour compléter les informations relatives à l’activité des SU, la Cire a utilisé les données du serveur régional de veille et d’alerte (SRVA). Celui-ci est alimenté par l’ensemble des SU et des Samu de la région Haute-Normandie. Pour les SU, seules les données relatives au nombre de passages totaux et par classe d’âge (<1 an et >75 ans) et au nombre d’hospitalisations suite à des passages dans les SU ont été exploitées par la Cire. Pour le Samu de Rouen (Samu 76A), seules les données relatives au nombre d’affaires ont été exploitées, avec une précision sur le motif de conseil médical comme seule réponse.

En Haute-Normandie, les données du SRVA (SU et Samu) permettent uniquement un suivi quantitatif de l’activité des services étudiés et ne permettent pas de qualifier les motifs de recours.

Pour les SU du pool d’intérêt, la Cire Normandie a interrogé directement les professionnels des SU sélectionnées. Un point téléphonique quotidien a été effectué du 22 au 25 janvier. Ces points ont permis de caractériser l’activité des SU n’adhérant pas à OSCOUR® et de compléter l’analyse des données disponibles dans SurSaUD® relatives aux circonstances de survenue des symptômes pour les établissements adhérant à OSCOUR®.

Par ailleurs, un suivi quotidien des données de SOS Médecins collectées en routine par l’InVS a été effectué pour la période du 22 au 25 janvier, complété par des points téléphoniques avec l’association SOS Médecins de Rouen.

La disparition du phénomène odorant dès les 22 janvier midi et l’absence d’information d’impact sanitaire sur la population régionale en lien avec l’événement industriel ont permis de lever le dispositif de surveillance dédié le 25 janvier.

Résultats

Bilan de l’analyse des données du dispositif de surveillance sanitaire de routine

Concernant les SU du pool d’intérêt adhérant à OSCOUR® : les activités des SU des CH de Fécamp et d’Elbeuf-Louviers ont montré une légère augmentation pour les codes CIM-10 d’intérêt suivis comparativement aux semaines précédentes (respectivement 13 et 14 passages pour les journées du 21 et 23 janvier, alors que le système enregistrait respectivement 6,5 et 4,5 passages en moyenne pour les deux semaines précédentes à jour équivalent). Ces effectifs très faibles n’autorisent pas d’interprétation sanitaire particulière. Le contact direct quotidien avec les référents des SU concernés n’a pas permis de rattacher cette augmentation à l’événement industriel. Par ailleurs, le nombre de passages total pour ces deux SU est resté comparable à celui des SU hors pool adhérant aux réseaux OSCOUR® (figure 3 et figure 4).

Par ailleurs, l’analyse des regroupements syndromiques d’intérêt, au regard des éléments environnementaux disponibles au 22 janvier, n’a pas permis d’identifier d’impact sanitaire particulier (figure 4).

L’analyse des données des motifs de consultation auprès de SOS Médecins de Rouen n’a pas montré de situation sanitaire exceptionnelle : l’activité en lien avec les motifs suivis n’a pas présenté d’évolution particulière et est restée comparable à celle des semaines précédentes (figure 5).

Enfin, les données de mortalité transmises par l’Insee ne montraient aucune élévation de la mortalité sur la période de surveillance. Au cours des semaines qui ont suivi l’évènement, une hausse modérée de la mortalité a été observée entre les semaines 5 et 12, dynamique également visible sur l’ensemble du territoire métropolitain, très probablement en lien avec les conditions climatiques et infectieuses hivernales.

Figure 3 : Évolution du nombre total de passages aux structures d’urgence (SU) et de codes CIM-10 d’intérêt diagnostiqués par les deux établissements appartenant au pool d’établissements d’intérêt comparés à ceux des autres établissements de la région adhérant à OSCOUR®, période du 7/1/2013 au 15/2/2013
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Figure 4 : Évolution du nombre total de passages aux structures d’urgence (SU) et de regroupements syndromiques d’intérêts diagnostiqués par les deux établissements appartenant au pool d’établissements d’intérêt comparés à ceux des autres établissements de la région adhérant à OSCOUR®, période du 7/1/2013 au 15/2/2013)
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Figure 5 : Évolution du nombre de consultations auprès de SOS Médecins Rouen pour les cinq motifs suivis, et évolution du nombre total de consultations quotidiennes, période du 7/1/2013 au 15/2/2013
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Bilan de l’analyse des données du dispositif de surveillance sanitaire dédié

Contacts téléphoniques quotidiens

En raison de l’absence de transmission du RPU à l’InVS pour 6 des 8 SU concernées, il n’a pas été possible d’établir un bilan qualitatif ou quantitatif spécifique. Cependant, sur la base des contacts téléphoniques avec les professionnels de santé référents, le nombre de passages et d’actes médicaux en lien direct avec l’incident entre le 21 et le 22 janvier peut être considéré comme modéré, puisque 10 consultations directement liées à l’événement pour céphalées, nausées, vomissements ont été comptabilisées pour l’ensemble des 8 SU retenues. Il s’agissait de consultations aux urgences sans signe de gravité ni d’hospitalisation, notamment dans l’agglomération rouennaise.

Pour la période des 21 et 22 janvier, le réseau SOS Médecins de Rouen a identifié 2 consultations à domicile en lien avec les odeurs perçues, pour nausées et vomissements sans gravité d’une part, pour crise d’asthme résolutive sous Ventoline® d’autre part, sans transfert.

Pour la période du 23 au 25 janvier, les SU de la région Haute-Normandie appartenant au pool suivi dans le cadre de cet épisode n’ont pas déclaré de nouveau cas de pathologie en lien direct avec l’événement étudié. Pour cette même période, 1 cas pouvant être en lien avec l’épisode a été signalé par l’association SOS Médecins de Rouen, mais il s’agissait d’un patient présentant un tableau clinique de type allergique (céphalée, rhinorrhée, toux, larmoiements) sans signe de gravité et qui s'était déclenché le 21 janvier.

Analyse du SRVA

Pour les journées des 21 et 22 janvier, le Samu de Rouen a traité de nombreux appels de particuliers inquiets à cause de l’odeur. L’analyse du SRVA a permis de constater que ce Samu a réalisé 185,5% de conseils médicaux supplémentaires (314 appels supplémentaires) pour la journée du lundi 21 janvier, comparativement à la moyenne des conseils médicaux donnés suite à des appels les deux lundis précédents (figure 6). Pour cette même période, l’analyse du SRVA indique que le nombre d’ambulances déclenchées est resté stable et comparable à celui enregistré les deux lundis précédents (figure 6).

Comparée aux activités de l’ensemble des SU de la région (hors pool d’intérêt), l’activité des SU du pool d’intérêt n’a pas mis en évidence d’événement de santé particulier. Le pic d’activité identifié pour la journée du 21 janvier pour les SU du pool d’intérêt, notamment de l’agglomération rouennaise, correspond au pic d’activité « classiquement » observé les lundis, comme cela est identifiable pour la période du 7 janvier au 15 février 2013. Comparée à celle des deux lundis précédents, l’activité du 21 janvier était augmentée de 3,6% (figure 7).

Figure 6 : Évolution de l’activité du Samu 76A, nombre d’affaires total comprenant le nombre d’ambulances déclenchées et le nombre de conseils médicaux comme seul recours, période du 7/1/2013 au 21/2/2013
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Figure 7 : Évolution de l’activité des structures d’urgence (SU) du pool d’intérêt comparée aux autres SU de la région Haute-Normandie, période du 7/1/2013 au 15/2/2013
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Discussion

L’impact de l’épisode considéré sur l’activité des structures d’urgence du pool étudié et de l’association SOS Médecins de Rouen s’est révélé très faible. La quasi-totalité des affaires est survenue les 21 et 22 janvier 2013 et les manifestations rapportées par les professionnels de santé sont restées l’exception au regard de la taille de la population exposée. Ces manifestations ont été essentiellement des maux de tête, des vertiges, des irritations oculaires et respiratoires superficielles (en particulier pour les personnes asthmatiques), ainsi que des nausées voire des vomissements. Ces symptômes sans gravité ont été passagers et n’ont pas nécessité de prise en charge médicale particulière.

Il semble donc que les niveaux d’exposition de la population étaient bien inférieurs aux 19 ppm (AEGL-2) qui constituent la limite pour laquelle des effets sévères et irréversibles peuvent survenir pour 8 heures d’exposition.

Les services de soins et de secours (Samu et Service départemental incendie et secours) ont été en revanche fortement consultés par téléphone ou directement. Beaucoup d’appelants ont déclaré des symptômes de type nausées, vomissement ou céphalées. De tels symptômes sont en accord avec les manifestations des effets irritants (conjonctivites, irritations des voies aériennes supérieures) ou neurologiques (malaises, céphalées) attendues pour des expositions à quelques ppm de dérivés soufrés pendant quelques heures. Cependant, il est difficile de dire si de tels symptômes résultent d’atteintes subjectives ou réelles des polluants émis par le panache. En effet, la gêne occasionnée par des odeurs fortement incommodantes et persistantes est souvent associée à des sensations d’irritations, de nausées ou de céphalées de façon tout à fait subjective. D’autres outils auraient pu être mis en place afin d’apporter des éléments de réponse à cette question (enquête en population, enquête auprès du personnel soignant en médecine ambulatoire, consultation de forums sociaux, utilisation de questionnaires permettant de différencier des symptômes plus en faveur d’un effet clinique tels que larmoiement, expectorations…).

Cet exemple illustre la réactivité de la mise en œuvre des analyses, permise grâce au réseau des professionnels de santé en place qui a pu être mobilisé rapidement pour répondre aux sollicitations de la Cire. En effet, dès le lendemain de l’accident, la Cire a pu s’appuyer sur son réseau de partenaires, identifiés selon la trajectoire du panache odorant. Ce réseau était constitué de SU adhérant ou non au réseau OSCOUR® et de l'équipe de SOS Médecins de Rouen. Pour les SU n’adhérant pas à OSCOUR®, la Cire n’a pas pu disposer des données et a dû contacter directement un professionnel de première ligne pour obtenir une qualification de la situation dans son service. Cette interaction directe avec les professionnels des SU de la région, notamment ceux n’appartenant pas au réseau OSCOUR®, a permis de compléter l’analyse des données disponibles. Elle n’a probablement été possible que parce que l’événement n’a pas entraîné de suractivité aux urgences. En effet, si l’exposition au panache avait engendré de nombreux effets sévères, les SU n’adhérant pas au réseau OSCOUR® auraient pu être moins disponibles aux sollicitations de la Cire. Cette situation aurait alors rendu impossible l’évaluation de la situation sanitaire sur la base de ces sources d’information.

Se donner les moyens de détecter et d’analyser la situation de façon satisfaisante demande, en premier lieu, de disposer d’un codage automatisé régulier pour tous les hôpitaux de la région. Cela permettrait une analyse quotidienne fiable, sans recours redondants aux services impliqués, et indépendante d’appréciations individuelles isolées.

La majorité des indicateurs utilisés pour estimer l’impact de l’événement sont aspécifiques et très fréquemment utilisés par les urgentistes. Par exemple, l’épisode est survenu dans un contexte régional d’épidémie de gastroentérite aiguë saisonnière. On peut en déduire que si, à la date de survenue de l’événement, toutes les structures d'urgence de Haute-Normandie avaient pu transmettre des diagnostics codés analysables via SurSaUD®, l’analyse des données aurait seulement pu montrer un excès important de passages aux urgences. Pour pallier cet inconvénient des solutions sont à étudier, notamment relier au codage principal un codage associé portant sur la circonstance de survenue (utilisation d’un code spécifique au diagnostic associé). Il devient ainsi possible de relier un passage aux urgences à un évènement spécifique, ce qui permettrait une analyse précise de l’impact de l’événement sur l’activité des établissements de santé suivis. Certains code CIM-10 spécifiques mettent particulièrement l’accent sur la nature de l’exposition (par exemple, le code Y17 correspondant à une « intoxication par d'autres gaz et émanations et exposition à ces produits, intention non déterminée ») ou sont centrés spécifiquement sur un événement particulier exceptionnel (X59 : Intoxication par des produits chimiques et substances nocives et exposition à ces produits, autres et sans précision, intention non déterminée).

Des codes spécifiques avaient été définis et utilisés lors d’un incident aux caractéristiques d’exposition équivalentes à Dunkerque en 2009 1. Ce couplage circonstancié dépend, d’une part, de la possibilité d’utiliser un code spécifique et, d’autre part, de l’information des utilisateurs de son existence préalablement à tout nouvel événement. Ce code spécifique devrait bien sûr être proposé à tous les utilisateurs de la région pour permettre des analyses comparatives entre établissements concernés.

Conclusion

Cette expérience a permis de confirmer l’intérêt de disposer du système de surveillance SurSaUD® pour renseigner rapidement, en continu et de manière objective les autorités sanitaires (Agence régionale de santé) et administratives (préfecture) de l’existence ou non d’un impact sanitaire immédiat consécutif à un événement environnemental (industriel ou non) sur le recours aux soins d’urgence.

Le retour d’expérience de l’événement montre qu’il est indispensable de disposer d’un maillage géographique resserré et de renforcer l’adhésion de tous les établissements d’urgences hospitalières au réseau OSCOUR® dans un objectif d’exhaustivité 2, au niveau national et notamment en région Haute-Normandie, l'une des principales régions à risque industriel pour le nombre de ses installations classées Seveso. Il plaide aussi en faveur d'une collaboration avec tous les urgentistes des hôpitaux du réseau pour proposer une démarche de codification spécifique à de tels événements, adaptée au dispositif existant. Cela doit se faire dans le cadre des opérations de planification de la réponse locale et régionale aux accidents industriels.

Toutefois, l’analyse des données disponibles dans SurSaUD® fournit une image partielle de l’état de santé de la population étudiée, mesurable au travers d’une pratique, celle du recours aux soins d’urgence. Cela est particulièrement vrai lorsque la population est impactée par un événement à cinétique rapide et générant (i) des inquiétudes au sein de la population pas forcément accompagnées de signes cliniques et/ou (ii) des effets sanitaires bénins ne nécessitant pas nécessairement un recours à la médecine d’urgence. Pour compléter cette analyse, l’InVS doit préparer la survenue de ces événements en élargissant son réseau au moyen d’indicateurs complémentaires à la médecine d’urgence (diagnostics de régulation médicale du Samu, dossier pharmaceutique, réseaux sociaux, investigations complémentaires de terrain) visant à compléter l’analyse des données disponibles dans SurSaUD®.

Par ailleurs, un dispositif de veille et de surveillance performant, au-delà de la transmission automatisée de données, se base également et nécessairement sur un réseau humain fort et sensibilisé à la culture du signalement. L’existence d’un tel réseau en Normandie est aussi le résultat de l’implication active de la Cire dans l’animation de son réseau de partenaires, de son implication dans la préparation des différents événements 3 et par la qualité de la rétro-information produite auprès de ses partenaires, sous forme notamment de « Points épidémiologiques » diffusés tout au long de chaque évènement.

Durant cet événement, les professionnels de santé qui composaient le réseau de surveillance de la Cire Normandie ont été très impliqués et motivés dans la transmission de données visant à caractériser une situation sanitaire particulière. Cette expérience et la préparation de dispositifs spécifiques en région (surveillance sanitaire de l’Armada en juin 2013, par exemple) ont conforté l’idée qu’il est nécessaire de bénéficier de dispositifs ergonomiques et automatisés, à l’image des systèmes mis en place pour la transmission des RPU, pour permettre la surveillance sanitaire et épidémiologique d’événements inhabituels.

Remerciements

La Cire Normandie remercie les équipes des structures d’urgence de Haute-Normandie, l’association SOS Médecins de Rouen et le Samu 76A pour leur participation, leur réactivité et leur collaboration au suivi sanitaire quotidien de l’impact de cet incident.

Références

[1] Caillère N, Haeghebaert S, Fournet N, Chaud P, Josseran L, Fouillet A, et al. Utilisation des données d’activité hospitalières et pré-hospitalières d’urgence pour mesurer l’impact d’une pollution industrielle, Dunkerque, mars 2009. Communication affichée au Congrès de la Société Française de Santé Publique, Nantes, 1-3 octobre 2009. http://www.sfsp.fr/manifestations/manifestations/communication.php?com=1252
[2] Ministère des Affaires sociales et de la Santé. Direction générale de l’offre de soins. Instruction DGOS/R2/DGS/DUS/2013/315 du 31/7/2013 relative aux résumés de passage aux urgences.
[3] Larras B, Mathieu A. Bilan et évaluation de la surveillance sanitaire de l’Armada, édition 2013. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; 2013 (à paraître).

Citer cet article

Mathieu A, Larras B, Pirard P, Bousquet V, Caserio-Schönemann C. Incident dans une usine pétrochimique de Rouen, janvier 2013 : une illustration de l’intérêt de l’exhaustivité du système de surveillance SurSaUD® pour l’évaluation de l’impact sanitaire d’un accident industriel. Bull Epidémiol Hebd. 2014;(3-4):65-74.

(1) AEGL-2 : Concentration dans l’air d’une substance au-dessus de laquelle on prévoit que la population générale, y compris les individus sensibles, pourrait éprouver des effets irréversibles, ou d’autres effets sévères à plus ou moins long terme, ou pouvant entraîner une incapacité à s’échapper. (AEG = Acute Exposure Guideline Level).
(2) AEGL-1 : Concentration d'une substance chimique dans l'air (exprimée en ppm ou mg/m3) au-dessus de laquelle la population générale, individus sensibles inclus, pourrait présenter des signes d'inconfort notable, d'irritation ou tout autre signe non-sensoriel et asymptomatique. Ces effets sont transitoires, non-invalidants et réversibles après cessation de l'exposition. (AEG = Acute Exposure Guideline Level).