2004-2014 : 10 ans de surveillance syndromique à l’Institut de veille sanitaire au travers du système de surveillance des urgences et des décès SurSaUD®

// 2004-2014: 10 years of syndromic surveillance at the French Institute for Public Health Surveillance based on the French syndromic surveillance system SurSaUD®

Françoise Weber
Directrice générale de l’Institut de veille sanitaire

Tout le monde a encore en mémoire le désarroi de tout un pays devant la saturation des services d’urgences français pendant la canicule d’août 2003, avec son bilan qui s’est finalement chiffré en milliers de décès en excès parmi la population la plus fragile, celle des personnes âgées 1. Après les grandes crises des années 1980-1990 (affaire du sang contaminé, hormone de croissance et nouveau variant de la maladie de Creutzfeld-Jacob, prion et encéphalopathie spongiforme bovine ou « maladie de la vache folle » …), c’est par l’angle environnemental et la problématique climatique que, cette fois-ci, la crise arrive… À la demande des autorités sanitaires, dépassées par l’ampleur de l’évènement et surtout son caractère totalement inattendu en termes de conséquences sur la santé, l’Institut de veille sanitaire (InVS) doit faire face à un nouveau défi : se mettre en situation, selon les mots du ministre de la Santé de l’époque Jean-François Mattéi, de « prévoir l’imprévisible » !

Cette catastrophe, qui survient dans les suites des attaques terroristes aux États-Unis (attaque du World Trade Center et diffusion des enveloppes piégées au bacille du charbon en 2001) exige de repenser le dispositif français de veille, de surveillance et d’alerte sanitaires. Il s’agit de compléter l’existant par un système permettant avant tout de gagner en réactivité, et suffisamment peu spécifique pour pouvoir s’adapter à une grande diversité de risques, dont on ne sait pas à l’avance quelle forme ils pourraient prendre. Les travaux développés aux États-Unis sur la surveillance syndromique, davantage orientés sur des problématiques de sécurité intérieure que réellement sanitaires, sont extrêmement intéressants. L’InVS fait alors le pari d’importer le concept en France et de développer un système de surveillance syndromique précurseur au niveau européen, en mobilisant les partenaires les premiers impactés par les conséquences de la canicule : les intervenants de l’urgence (services hospitaliers et associations SOS Médecins) et les services d’état-civil au travers de l’Insee. L’Inserm rejoindra plus tard le dispositif, avec la mise en œuvre de la certification électronique des décès. Les partenaires sont motivés et l’informatisation des structures est en marche : les conditions sont réunies pour que tout fonctionne. Et tout a fonctionné !

D’un système initialement positionné sur un objectif de détection, le dispositif, baptisé SurSaUD® (Surveillance sanitaire des urgences et des décès) a évolué et intégré de nouveaux objectifs et de nouveaux périmètres, présentés notamment dans l’article de C. Caserio-Schönemann et coll. dans ce BEH.

Bien sûr, cela n’a pas été sans mal. Si les épidémiologistes ont pu se montrer méfiants face aux capacités du système à répondre à ses objectifs (notamment celui de détection d’évènement inhabituel), la diversité des situations dans lesquelles SurSaUD® a démontré son intérêt et sa pertinence sont nombreuses, comme en témoigne l’article d’A. Fouillet et coll. sur les indicateurs du système. Ces expériences ont permis au système de convaincre et d’acquérir ses lettres de noblesse, en complétant de manière efficace et réactive les systèmes de surveillance spécifiques de pathologies ou de milieux.

Au fil des années et sur la seule base du volontariat, les différents réseaux alimentant le système SurSaUD® ont gagné en exhaustivité et permettent aujourd’hui de couvrir l’ensemble des régions françaises, y compris ultramarines, pour constituer un système de surveillance national « régionalisé ». En effet, l’implication des Cellules de l’InVS en région (Cire) dans l’animation du dispositif et la réalisation d’analyses régionales ont contribué fortement à la montée en charge et à la promotion du dispositif pour l’aide à la décision auprès des Agences régionales de santé (voir les articles de P. Vilain et coll., N. Fortin et coll., A. Mathieu et coll.). En témoignent également les nombreuses productions régionales (Bulletins de veille sanitaire et Points épidémiologiques), consultables sur le site Internet de l’InVS 2.

Aujourd’hui, 10 ans après le début de la collecte des résumés de passage aux urgences (RPU) par les 23 structures d’urgence pilotes du réseau OSCOUR®, avec l’appui de la Société française de médecine d’urgence et des Observatoires régionaux des urgences, ces données ont prouvé leur intérêt pour la veille et la surveillance épidémiologique. Elles intéressent aussi les autorités sanitaires, notamment la Direction générale de l’offre de soins et la Direction générale de la santé, pour développer une approche d’analyse d’activité et de qualité de la prise en charge aux urgences en France, à des fins de gestion. Dans ce cadre, l’arrêté fixant la transmission obligatoire des RPU paru le 24 juillet dernier 3 devrait permettre d’améliorer encore la qualité et l’exhaustivité des données d’urgences du réseau OSCOUR®.

La certification électronique des décès est la dernière source à avoir rejoint le dispositif en 2008. Si la couverture est encore insuffisante pour pouvoir utiliser ces données de manière fiable à des fins de veille et d’alerte, l’instruction aux Agences régionales de santé publiée en juillet 3, fixant un taux de 20% de couverture à atteindre dans les deux ans dans toutes les régions, devrait permettre d’accroître l’efficience du système pour l’analyse de la mortalité par cause. L’InVS disposera dès lors d’informations précieuses qui permettront de mieux qualifier les situations de surmortalité comme celle observée notamment au cours de l’hiver 2011-2012 4.

Le système SurSaUD® a trouvé sa place dans la grande famille des systèmes de surveillance et en constitue l'un des principaux maillons. Il a aujourd’hui atteint sa maturité et peut désormais s’engager dans une phase de renforcement. Les 10 années d’historique et l’expertise accumulée sur le traitement des données permettent d’envisager l’approfondissement des méthodes statistiques d’analyse, le développement de la valorisation scientifique et la démarche d’évaluation globale du système.

L’avenir est clairement orienté vers l’ouverture à d’autres sources de données (celles des Samu-Centre 15 par exemple, qui conduisent actuellement la refonte de leur système d’information métier), à d’autres technologies, à la mise à disposition facilitée des données pour les partenaires fournisseurs, premiers artisans de la réussite du système… mais aussi vers la poursuite de l’engagement européen de l’InVS dans le champ de la surveillance syndromique. Initié depuis 2008, concrétisé par le pilotage du projet européen Triple-S (voir l’article d’A. Fouillet et coll. sur ce projet), cet engagement est fondé sur la reconnaissance de l’expertise acquise par l’InVS en Europe et sa place reconnue de leader dans le domaine. Le projet de stratégie européenne pour la surveillance syndromique 5 proposé par Triple-S, devrait permettre aux pays européens de disposer d’outils permettant d’accroître leur capacité à faire face aux menaces sanitaires transfrontalières et à répondre, dans le cadre du Règlement sanitaire international, aux recommandations émises par l’Organisation mondiale de la santé. Dans notre monde en constante évolution, disposer de systèmes de surveillance réactifs, flexibles et rapidement adaptables est un atout majeur pour faire face aux nouveaux risques sanitaires.

Références

[1] Hémon D, Jougla E. Surmortalité liée à la canicule d'août 2003 - rapport d'étape : estimation de la surmortalité et principales caractéristiques épidémiologiques. Paris : La Documentation Française, 2003. 57 p. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/034000581/index.shtml
[3] Ministère des affaires sociales et de la santé. Direction générale de l’offre de soins. Instruction DGOS/R2/DGS/DUS/2013/315 du 31/7/2013 relative aux résumés de passage aux urgences.
[4] Fouillet A, Merlen R, Rey G, Cardoso T, Caserio-Schönemann C. Surveillance de la mortalité au cours de l'hiver 2011-2012 en France. Bull Epidémiol Hebd. 2012;(33):375-9. http://int-opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=10942
[5] Medina S, Fouillet A, et al. Proposal for a European strategy for syndromic surveillance. Novembre 2013. Rapport à paraître sur http://www.syndromicsurveillance.eu/publications

Citer cet article

Weber F. Éditorial. 2004-2014 : 10 ans de surveillance syndromique à l’Institut de veille sanitaire au travers du système de surveillance des urgences et des décès SurSaUD®. Bull Epidémiol Hebd. 2014;(3-4):36-7.