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Apport des registres de cancers dans l’évaluation du dépistage des cancers
// The contribution of cancer registries to the evaluation of cancer screening
Résumé
Les enjeux individuels et collectifs liés à l’évaluation de l’impact du dépistage des cancers dans la vraie vie sont considérables. Parmi les différentes sources de données mobilisables pour cette évaluation, les registres de cancers sont les seules structures qui disposent de la connaissance non biaisée de l’incidence, du pronostic et des principales caractéristiques épidémiologiques des cancers en population générale et en suivent les tendances depuis plusieurs dizaines d’années. En Europe, l’utilisation des données des registres de cancers est promue par la Commission européenne qui finance plusieurs projets et structures spécifiquement dédiées à cette évaluation. En France, les évaluations conduites à partir des données des registres ont accompagné depuis des années la mise en place des différents dépistages organisés et ont permis d’orienter les choix des pouvoirs publics, en particulier pour le cancer colorectal et le cancer du sein. Dans tous les pays, l’analyse des données des registres est particulièrement informative lorsque ces données sont rapprochées de celles provenant des structures de gestion du dépistage avec un appariement au niveau individuel. Le cadre réglementaire prévu pour la nouvelle organisation du dépistage en France va contraindre les communications entre les CRCDC et les registres de cancers et limiter la qualité de l’évaluation du programme de dépistage et de son impact sur l’évolution de l’incidence des cancers et leurs caractéristiques épidémiologiques. À l’échelle nationale, dans une situation idéale de possibilité d’accès et de croisement des données dans le respect de la protection des droits des personnes, l’analyse des données des registres permettrait pourtant de relever les nombreux défis concernant les dépistages existants et à venir comme celui du cancer du poumon.
Abstract
The individual and collective stakes involved in evaluating cancer screening are considerable. The use of data from morbidity registers is a key factor in this evaluation. In countries where they exist, registries are the only structures that have unbiased knowledge of the incidence, prognosis and main epidemiological characteristics of cancers in the general population, with a view of trends over several decades. In France, data provided by the registries has helped to shape screening programmes and guide decisions in public policy, particularly for colorectal and breast cancer. Registry data analysis is especially informative when it includes data from screening coordination structures matched at individual level. However, the new regulatory framework resulting from the reorganisation of national screening campaigns will restrict the circulation of information between screening coordination centres and cancer registries. This will limit the quality of sensitivity assessments for procedures and of screening impact evaluations to monitor changes in cancer incidence and their epidemiological characteristics. If left unchanged, this regulatory framework will prevent French cancer registries from participating in major European cancer screening evaluation projects, even though the European Commission relies heavily on this work to guide its policy.
Introduction
En France, plus de 380 000 cas de cancer sont diagnostiqués chaque année et près de 160 000 personnes décèdent de leur cancer 1. Le nombre potentiel d’années de vie gagnées par l’organisation d’un dépistage efficace est considérable 2. Toutefois, l’évolution des connaissances, en particulier sur les effets délétères potentiels des différentes étapes du dépistage des cancers, ont profondément complexifié la problématique du dépistage ces dernières années. Comme pour l’usage du médicament ou pour le soin, la prise en considération de la balance entre bénéfices potentiels et effets délétères est impérative, à l’échelle individuelle comme à l’échelle collective, et les décisions doivent se fonder sur des arguments scientifiques du plus haut niveau de preuve possible pour assurer le meilleur service rendu aux individus et à la population. L’étape de la démonstration de l’efficacité théorique d’un dépistage sur la baisse de la mortalité à partir de l’analyse des essais randomisés est indispensable, mais non suffisante pour envisager l’organisation des dépistages dans la population, et surtout pour en définir les modalités optimales. La population générale a le plus souvent des caractéristiques différentes de celles des échantillons sélectionnés dans les essais, et l’adhésion aux programmes de dépistage est généralement moins bonne que dans les essais. Par ailleurs, les conditions structurelles dont la formation des médecins et les disponibilités humaines et budgétaires sont, dans le contexte populationnel, souvent moins favorables que dans les essais. Enfin, les essais randomisés ne permettent pas d’apprécier les effets à long terme des dépistages répétés, et ne sont pas propices à l’évaluation des effets délétères, nécessaire à la juste appréciation de la balance bénéfice/risque. Pour l’ensemble de ces raisons, l’évaluation continue des dépistages organisés en vie réelle est indispensable pour s’assurer de leur intérêt réel pour les individus et la société, et optimiser la balance bénéfice/risque 3.
L’évaluation des programmes de dépistage organisés doit permettre, au-delà de la participation des populations, qui reste l’indicateur le plus souvent mis en avant, de vérifier les performances des tests de dépistage, la qualité de la prise en charge des personnes dépistées, et l’impact des dépistages sur les caractéristiques épidémiologiques des cancers. Elle porte en particulier sur l’amplitude réelle de l’avance au diagnostic, l’estimation du surdiagnostic et la baisse de la mortalité spécifique. Elle doit aussi porter sur l’efficience, l’accès et l’équité des dispositifs. Cette évaluation s’appuie avant tout sur les données issues des programmes de dépistage pour connaître le taux de participation, le nombre d’individus avec un test positif et leur suivi. Compte tenu de l’importance des centres régionaux de coordination de dépistage des cancers (CRCDC) dans l’organisation du dépistage en France, beaucoup de ces évaluations sont conduites au niveau régional, la synthèse nationale étant confiée à Santé publique France. Les données médico-administratives désormais disponibles dans le Système national des données de santé (SNDS) permettent de tracer les actes de dépistage et les examens complémentaires – sans disposer de leurs résultats – ainsi que d’estimer les coûts associés. Par ailleurs, de nombreuses études ad hoc sont conduites auprès de la population par différents acteurs associatifs, académiques ou institutionnels pour identifier les freins et liens adjuvants à la participation de la population cible. Parmi les sources de données mobilisables, les registres des cancers sont les seules structures qui disposent de la connaissance non biaisée de l’incidence, du pronostic, et des principales caractéristiques épidémiologiques des cancers en population générale, et en suivent les tendances depuis plusieurs dizaines d’années 4,5. Ainsi, ils permettent d’évaluer l’impact des dépistages sur l’incidence, le pronostic et la mortalité des cancers concernés 6,7,8. Du fait de l’exhaustivité de leur recueil qui permet le dénombrement des cancers d’intervalle survenus entre deux tests de dépistage, les registres des cancers sont des outils de référence pour estimer la sensibilité de la procédure de dépistage 9,10,11,12. Ils sont également utilisés pour estimer le surdiagnostic et l’impact du dépistage sur les caractéristiques épidémiologiques des cancers concernés et les conditions de leur prise en charge 9. Leur approche populationnelle les rend très utiles pour mesurer de manière non biaisée les disparités socio-territoriales de l’accès au dépistage et de ses effets. Au-delà de la stricte évaluation, les registres des cancers disposent de bases de données uniques pour la recherche et l’innovation technique et organisationnelle dans le domaine du dépistage pour identifier, parfois par modélisation, les améliorations nécessaires pour garantir une pratique de dépistage efficace, efficiente et équitable 4,13.
L’objectif de cet article est de présenter les méthodes et les résultats de l’analyse croisée des données des registres des cancers et des CRCDC, de discuter leurs potentiels et leurs limites, et les enjeux pour l’évaluation des dépistages existants et à venir.
Méthodes
Les registres de cancers recensent tous les cas de cancers sur une zone géographique donnée, généralement départementale. Ils utilisent de nombreuses sources de données pour identifier les cas de cancers, à savoir, les données hospitalières, d’anatomopathologie, d’affections longue durée (ALD), de réunions de concertation pluridisciplinaires, etc. Ce recueil multisource permet l’exhaustivité des données de cancers, et peut-être considéré comme un gold standard. En effet, en comparaison aux données disponibles dans le SNDS, les registres de cancers identifient et codent les cas à partir de règles européennes et de manière standardisée. Ils recueillent également, de manière plus ou moins importante selon leur nature généraliste ou spécialisée, de nombreuses informations relatives aux cancers (stade, grade, récepteurs hormonaux, traitements…), en intégrant les résultats des examens pratiqués 2. En France, le réseau Francim coordonne l’activité de routine et de recherche des registres de cancers métropolitains et d’outre-mer, généraux ou spécialisés, au nombre de 29 en 2023, ayant tous été évalués par le Comité d’évaluation des registres (CER).
En France, comme dans de nombreux autres pays, les évaluations des dépistages des cancers se sont fondées sur le rapprochement individuel des données des registres et des structures de gestion du dépistage. Le cadre actuel des travaux d’évaluation du dépistage des cancers en Europe est défini par le Règlement général sur la protection des données (RGPD). Depuis plusieurs années, la collaboration mise en place entre les registres de cancers et les CRCDC (départementaux puis régionaux) permet d’identifier de manière exhaustive les cancers chez les personnes ayant participé aux différents dépistages organisés, qu’elles aient été dépistées positives ou négatives, comme chez les personnes n’ayant pas participé au dépistage. Le croisement entre les registres et les CRCDC permet notamment d’identifier les cancers de l’intervalle (cancers survenant chez des individus ayant eu un test négatif et avant la réalisation d’un nouveau test de dépistage), qui restent des cancers difficilement identifiables à partir d’une unique source de données. Pour ce faire, le réseau Francim, en collaboration étroite avec les CRCDC, a créé différents algorithmes, ayant fait l’objet d’une recommandation interne et permettant d’identifier de manière standardisée les circonstances de découverte des cancers (ceux issus d’un dépistage et les cancers de l’intervalle). Les comparaisons des caractéristiques cliniques et épidémiologiques des personnes avec un cancer entre les différents groupes apportent des informations directes précises sur l’impact du dépistage et permettent de nombreuses modélisations instruisant sur l’histoire naturelle des cancers et permettant d’éclairer le choix des stratégies de dépistage. Cette procédure peut être encore enrichie par les données du SNDS qui peuvent apporter des informations complémentaires sur la prise en charge ou la surveillance des patients après leur diagnostic. Toutefois le travail d’appariement entre les registres de cancers et le SNDS est très long et laborieux et sa qualité est toujours conditionnée à une démarche probabiliste en l’absence de disponibilité du Numéro d’inscription au répertoire (NIR) dans les registres de cancers.
Sur le plan réglementaire, le RGPD est appliqué en France depuis 2018, complété par la loi Informatique et libertés. L’arrêté du 16 janvier 2024 14 définit les nouveaux rôles respectifs des différents acteurs du dépistage au niveau national et régional. Il organise en particulier le transfert au niveau national à la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam) du pilotage des invitations aux dépistages, jusqu’ici assuré au niveau régional par les CRCDC. Dans chaque région, l’organisation des dépistages est confiée à l’agence régionale de santé (ARS) et la mise en œuvre opérationnelle aux CRCDC qui sont en particulier en charge du suivi des personnes dépistées. Dans sa délibération du 11 janvier 2024 15, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) souligne les fragilités réglementaires de ce nouveau dispositif au regard des exigences du RGPD et invite le ministère à clarifier l’ensemble des flux de données mis en œuvre et leur conformité réglementaire. Cet arrêté va par ailleurs modifier les conditions de l’évaluation et limiter sa qualité et sa portée. En effet, il prévoit de limiter les informations transmises par les CRCDC aux registres de cancers aux seules personnes dont le diagnostic final est celui de cancer ou de lésion précancéreuse (encadré), ce qui ne permet plus d’échanger les informations sur les personnes dépistées négatives susceptibles de développer un cancer de l’intervalle identifié par les registres.
Arrêté du 16 janvier 2024 – Mission du CRCDC – Le suivi de la population
« Le centre régional de coordination des dépistages des cancers établit une collaboration avec les registres des cancers de sa région. Le CRCDC et les registres de sa région se transmettent annuellement les données nécessaires à la réalisation de leurs missions. Les informations transmises par le centre régional de coordination des dépistages des cancers concernent exclusivement les personnes dont le diagnostic final est celui de cancer ou de lésions précancéreuses, domiciliées dans les départements couverts par ces registres. »
Résultats
En France, depuis les premières expériences de dépistage organisé à la fin des années 1990, plusieurs études ont été réalisées à partir des données de registres de cancers en collaboration avec les CRCDC (départementaux et régionaux) sur les différents types de dépistages organisés existants dans le but d’évaluer la mise en place d’un dépistage ou encore son impact après un diagnostic de cancer.
Concernant le cancer du sein, plusieurs études ont analysé l’impact du dépistage sur ses caractéristiques épidémiologiques et la survie des femmes grâce aux croisements de données individuelles entre les CRCDC et les registres, permettant d’identifier tous les cancers survenus après un test de dépistage, qu’il soit positif ou négatif (cancers de l’intervalle), ainsi que les cancers diagnostiqués chez les femmes n’ayant pas participé au dépistage organisé 16,17,18,19,20. Concernant le stade au diagnostic, ces études ont quantifié l’effet du dépistage organisé sur l’augmentation de la proportion de cancers découverts à un stade précoce. Ces études ont également montré que les cancers de l’intervalle sont découverts à un stade plus avancé que les cancers détectés grâce au dépistage organisé mais avec un pronostic meilleur que celui des cancers diagnostiqués sur signes cliniques. Certaines études ont aussi mis en évidence que les cancers découverts par dépistage individuel présentaient des stades similaires à ceux découverts grâce au dépistage organisé 17. Une étude récente réalisée grâce aux données combinées des registres, du CRCDC, et du SNDS a montré des probabilités de survie à 5 ans des cancers du sein de 97,0% chez les femmes ayant participé au dépistage organisé, de 94,1% chez celles ayant pratiqué une surveillance individuelle et de 74,1% pour celles qui n’avaient pratiqué aucun dépistage avant leur diagnostic 18. Une autre étude montre de quelle façon l’organisation du dépistage permet d’atténuer le gradient social de survie en défaveur des personnes les plus défavorisées, qui avait été constaté chez les femmes non dépistées 19. Enfin, les registres de cancer apportent des données indispensables à l’estimation du poids du sur-diagnostic et du sur-traitement liés au dépistage organisé du cancer du sein en France et à la modélisation de l’effet du dépistage sur la diminution de la mortalité par cancer en vie réelle, estimée à 18% dans une analyse récente 20. Une étude dans le département de l’Isère vient d’être autorisée après de nombreuses démarches réglementaires, ayant pour objectif d’étudier le suivi par mammographie des femmes ayant eu un cancer du sein invasif ou in situ. Cette étude sera enrichie par un appariement des données du registre avec les données du SNDS.
Concernant le cancer colorectal (CCR), les registres ont accompagné la mise en place des premiers programmes de son dépistage en France en particulier dans les régions expérimentales en Bourgogne et en Normandie. Le croisement de leurs données avec les données des CRCDC (départementaux à l’époque) a permis de comparer les sensibilités des différents tests de recherche de sang occulte dans les selles et de convaincre les autorités sanitaires de la supériorité des tests immunologiques désormais utilisés dans le monde entier 21,22. Depuis, d’autres études ont été conduites dans ces régions ainsi que dans le Finistère et en Isère pour évaluer la sensibilité de la procédure et les caractéristiques des cancers d’intervalle en population générale 23,24,25. Dans les différentes études, la sensibilité de la procédure était toujours moins bonne pour les lésions du colon proximal que pour le colon distal ou le rectum. Comme pour le cancer du sein, ces études montrent que les cancers de l’intervalle ont un pronostic assez proche des cancers dépistés et bien meilleur que les cancers survenant chez des personnes n’ayant pas répondu à l’invitation de dépistage 23,24. Dans l’évaluation la plus récente conduite dans le Finistère, la sensibilité du test immunologique (FIT) était de 80,5% au seuil de 30 µg d’hémoglobine/g de fèces (seuil utilisé en France). Cette étude a montré que les patients ayant un CCR détecté grâce au dépistage organisé avaient une survie très significativement supérieure à celle des patients non participants ou exclus du dépistage (94% à 3 ans vs 78% et 67% respectivement, p<0,001) 25.
Concernant le cancer du col de l’utérus, le suivi par les registres de l’évolution de l’incidence des lésions précancéreuses conjointement à celle des cancers du col, est un indicateur important dans le cadre du déploiement du programme de dépistage organisé en France débuté en 2018 26. Les données sur le stade au diagnostic FIGO recueillies sur le long terme par les registres sont également essentielles pour mesurer l’impact du dépistage. Une étude sur les facteurs pronostiques des cancers du col à partir des données des registres a montré l’importance d’un diagnostic précoce sur la survie des femmes 27. Une deuxième étude est en cours qui, au-delà de l’évolution des facteurs pronostiques entre deux périodes, analysera l’historique de la participation au dépistage par l’étude de faisabilité du croisement avec les données du SNDS (codes remboursement de biologie et d’anatomopathologie) et établira un profil de femmes plus ou moins observantes dans la réalisation du dépistage.
Beaucoup d’études, similaires à celles conduites en France ont été réalisées dans différents pays européens dont il n’est pas possible de faire ici la revue. Le travail le plus récent auquel ont participé les registres de cancer français avec huit autres pays européens, bien que limité par une approche strictement écologique, a permis de quantifier l’avance au diagnostic apportée par le dépistage du cancer colorectal et d’apprécier la variation de l’impact du dépistage entre les différents pays européens impliqués 8,28. La Commission européenne considère que le développement des registres et l’utilisation de leurs données est très utile à l’évaluation de l’organisation du dépistage dans les différents pays européens 5. Le Conseil de l’Union européenne, qui adopte des recommandations pour les États membres sur des questions de santé publique, les encourage à mettre en œuvre des programmes de dépistage fondés sur des preuves et à utiliser des registres de cancers pour surveiller et évaluer ces programmes (recommandation 2022/C473/01). Au travers du projet CORDIS (FP7) et de l’action conjointe en cours pour soutenir l’amélioration de la qualité des données des registres de cancers dans le cadre du programme de financement EU4Health, la Commission européenne dédie des financements importants pour l’évaluation et l’amélioration des programmes de dépistage du cancer en utilisant des données provenant des registres de cancer. L’European Cancer Information System (ECIS), alimenté par les données des registres, fournit des informations sur l’incidence, la survie et la mortalité du cancer en Europe et permet l’évaluation de l’efficacité des programmes de dépistage du cancer en termes de réduction de la mortalité ainsi que l’identification des disparités entre les pays et les régions. Le centre commun de recherche européen (JRC) soutient le développement de registres de cancers et l’utilisation de leurs données pour évaluer l’efficacité des programmes de dépistage.
Discussion
Compte tenu des enjeux médicaux, éthiques et sociétaux de la bonne appréciation de la balance bénéfice/risque des dépistages de nombreux cancers, l’évaluation des dépistages existant est un élément indispensable à la bonne conduite de la politique publique. Pour permettre cette évaluation, plusieurs sources de données existent, et notamment celle des registres de cancers et des CRCDC. Parmi celles-ci, les registres de cancers sont les seuls à disposer de données exhaustives, non biaisées, permettant de définir les taux d’incidences, de mortalité au niveau national mais également de décrire les cancers de manière épidémiologique. Les CRCDC, quant à eux, sont des acteurs essentiels dans la gestion des dépistages organisés au niveau régional et disposent des données de suivi des dépistages. Ainsi, la collaboration de ces deux acteurs, par la complémentarité de leurs données, est un élément essentiel dans l’évaluation des dépistages.
Cette collaboration nécessite un travail important au niveau du croisement des données, réalisé à partir de données nominatives. Les études françaises et européennes présentées précédemment permettent de qualifier et de quantifier l’impact de la pratique d’un dépistage sur les caractéristiques cliniques des cancers et leur pronostic. Cette collaboration entre les registres et les CRCDC peut aussi être complétée par les données issues du SNDS pouvant apporter des informations supplémentaires sur la prise en charge, le suivi ou la surveillance après le cancer. Ces croisements de données sont aujourd’hui régis par un cadre réglementaire RGPD, mais sont complexifiés par l’absence d’un identifiant unique, qui faciliterait les croisements de données.
À l’échelle européenne, l’utilisation des données de registres de cancers est promue par la Commission européenne qui finance de nombreux projets collaboratifs auxquels participent les registres français pour permettre l’évaluation des dépistages. En France, depuis janvier 2024, un arrêté a redéfini le rôle de chaque acteur du dépistage et limite la transmission des données issues des CRCDC vers les registres de cancers. Cette contrainte va limiter la profondeur de l’évaluation du dépistage en limitant les analyses à des approches agrégées. Il va notamment empêcher l’identification des cancers de l’intervalle et donc rendre impossible, en dehors d’un cadre de recherche, l’évaluation de la sensibilité des programmes de dépistage.
Pourtant, à l’échelle nationale, dans une situation idéale de possibilité d’accès et de croisement des données dans le respect de la protection des droits des personnes, l’analyse des données des registres, enrichies par celles des CRCDC, permettrait de relever de nombreux défis à venir. Outre l’ajustement des politiques de dépistage en cours des cancers du sein, du colon-rectum et du col de l’utérus, l’utilisation des données des registres est très précieuse pour documenter la question du sur-diagnostic et du sur-traitement associé à la pratique du dépistage du cancer de la prostate. Ces données seront également très précieuses dans la grande étude nationale de faisabilité à venir sur le dépistage du cancer du poumon pour éclairer les décisions des pouvoirs publics sur ce dépistage très attendu par les praticiens. Enfin, le maintien de cette possibilité de croisement des données entre registres et CRCDC est indispensable pour que la France ne soit pas absente dans les grands projets européens d’évaluation des dépistages des cancers s’appuyant sur les données des registres.
Liens d’intérêt
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