Insécurité alimentaire des étudiants en Guyane en 2022 : un constat post-crise sanitaire préoccupant
// Food insecurity among students in French Guiana in 2022: A worrying post-health crisis observation
Résumé
Introduction –
La crise de la Covid-19 a eu des conséquences multiples susceptibles de limiter l’accès à une alimentation suffisante et équilibrée des populations, notamment les plus vulnérables. En Guyane, plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et ceci est plus marqué chez les jeunes. Ainsi, la mesure de l’importance de l’insécurité alimentaire dans le contexte de la crise sanitaire chez les étudiants semblait importante.
Objectif –
L’objectif de cette étude était d’estimer la prévalence de l’insécurité alimentaire (IA) chez les étudiants de l’Université de Guyane (UG) et de décrire les profils de ces étudiants en 2022.
Matériel et méthode –
Une enquête transversale descriptive a été menée entre le 9 avril et le 20 juin 2022 auprès des étudiants inscrits à l’UG pour l’année 2021-2022. Chaque étudiant était invité à remplir un auto-questionnaire en ligne. L’IA était explorée au moyen du score 6-item U.S. food security survey module (FSSM) dans sa version courte. Cette échelle classait les étudiants en trois classes selon la valeur du score : sécurité alimentaire, faible sécurité alimentaire ou très faible sécurité alimentaire. Un modèle de régression logistique a été utilisé pour étudier les principaux facteurs associés à cette très faible sécurité alimentaire.
Résultats –
Deux cent quatre-vingt-six étudiants ont répondu au questionnaire et 276 ont été conservés pour l’analyse. Après un redressement de l’échantillon sur le genre, l’âge, la filière d’étude et le lieu de naissance, la prévalence de la très faible sécurité alimentaire était de 50,5% (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [42,3-58,6]). Dans notre échantillon, les facteurs associés à la très faible sécurité alimentaire étaient le fait de ne pas avoir assez d’argent pour couvrir ses besoins, d’avoir été impacté financièrement par la crise de la Covid-19, de ne pas avoir de mutuelle, de ne pas pouvoir compter sur une personne de son entourage pour un hébergement et/ou une aide matérielle et de ne pas avoir été encouragé à faire des études à l’université. De plus, les étudiants ayant une très faible sécurité alimentaire avaient déclaré plus souvent que les autres étudiants avoir une alimentation déséquilibrée et une mauvaise santé mentale.
Conclusion –
Ce constat, qui s’inscrit dans un contexte d’inflation post-crise sanitaire, a révélé la grande vulnérabilité des étudiants vis-à-vis de leur sécurité alimentaire. Cette prévalence préoccupante nous oblige à réfléchir à des stratégies d’actions d’amélioration à court terme au bénéfice des étudiants en Guyane.
Abstract
Introduction –
The food crisis has had health, social and economic consequences that may limit access to sufficient and balanced food for the most vulnerable populations. In French Guiana, where more than half of the population lives below the poverty line, the need to measure the importance of food insecurity in the context of the health crisis was felt particularly by the student population.
Aim –
The aim of the study was to estimate the prevalence of food insecurity (FI) among students at the University of French Guiana (UG) and to describe the profile of these students in 2022.
Methods –
A descriptive cross-sectional survey was conducted between April 9 and June 20 2022, among students enrolled at UG for 2021/2022. Each student was invited to complete an online self-survey. FI was assessed using the 6-Item U.S. Food Security Survey Module (FSSM). This scale classified students into three classes according to the value of the score: food security, low food security or very low food security. A logistic regression model was used to study the main associated factors of this very low food security.
Results –
286 students responded to the survey and 276 were included for analysis. After weighting the sample for gender, age, study stream and place of birth, the prevalence of the very low food security was 50.5% (95% confidence interval, CI95%: [42.3-58.6]). In our sample, the factors associated with very low food security were not having enough money to cover one’s needs, having been financially impacted by the COVID-19 crisis, not having health insurance, not being able to count on someone around them for accommodation and/or material assistance and not having been encouraged to study at university. Students with very low food security were more likely than other students to report an unbalanced diet and poor mental health.
Conclusion –
This finding, which is part of a post-health crisis context coupled with persistent inflation, reveals the great vulnerability of students with regard to their food security. This worrying prevalence forces us to think about short-term improvement strategies for the benefit of students in French Guiana.
Introduction
Une personne est considérée en situation d’insécurité alimentaire par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) « lorsqu’elle n’a pas accès physique, social et économique à des aliments nutritifs pour répondre à ses besoins nutritionnels et ses préférences alimentaires afin de mener une vie active et saine ». C’est une notion multi-dimensionnelle qui, au-delà de l’aspect économique et de l’accessibilité physique, prend en compte la quantité et la qualité de la consommation alimentaire.
Aux États-Unis, la population étudiante est décrite comme plus vulnérable à l’insécurité alimentaire que la population générale 1. En effet, selon la période de recul, la prévalence de l’insécurité alimentaire (IA) chez les étudiants américains va de 31% à 47% 2, alors que pour les ménages, celle-ci serait inférieure à 15% selon le Département de l’agriculture des États-Unis (USDA). En France hexagonale, il existe peu de données sur l’insécurité alimentaire chez les étudiants. Une étude récente sur l’université de Rouen durant la crise sanitaire avait retrouvé une prévalence de l’insécurité alimentaire de 18% 3.
Dans la littérature, l’IA chez les étudiants est associée à une diminution de la qualité des apports alimentaires, à une dégradation de la santé physique et mentale et à une diminution de la réussite académique 4. Elle serait aussi associée à certains facteurs de risque cardiovasculaires tels que l’obésité 5, l’hyperlipidémie, l’hypertension ou encore à une augmentation du risque de survenue de divers problèmes de santé comme les troubles du sommeil 6.
La pandémie de Covid-19 et les restrictions mises en place par les autorités sanitaires ont eu un ensemble de conséquences susceptibles d’interférer avec une alimentation suffisante et équilibrée : cela a créé des situations d’isolement et a complexifié l’accès physique et économique aux aliments ; la conjonction de pertes d’emploi et d’augmentation des prix a rendu certains aliments inaccessibles. Pendant cette crise, les études de l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) ont constaté qu’un étudiant sur deux ayant des activités rémunérées avait dû les arrêter et qu’un étudiant sur trois avait aggravé sa situation de précarité 7.
Pendant cette même période, à l’Université de Guyane (UG), les services sociaux et les associations étudiantes ont recensé des demandes d’aide alimentaire de la part des étudiants. La Guyane présente de nombreux enjeux spécifiques, avec notamment une personne sur deux en-dessous du seuil de pauvreté 8 (1 102 euros par mois pour une personne vivant seule). De plus, la grande pauvreté touchait 29% des personnes, 14 fois plus que dans l’hexagone 9. Les jeunes de moins de 30 ans étaient particulièrement touchés, avec un taux de grande pauvreté de 34% 8. Cette grande pauvreté est caractérisée par des privations qui atteignent les besoins fondamentaux, comme faire un repas contenant des protéines au moins tous les deux jours 7. De plus, l’industrie agro-alimentaire est essentiellement dépendante des importations en provenance de l’hexagone, et le prix de l’alimentation est 34% plus cher en Guyane qu’en France métropolitaine 8. Le panier de référence pour l’ensemble des marchés de Guyane est passé de 57 euros en 2016 à 81 euros en juin 2022 10.
La population étudiante est incluse dans les études en population générale, cependant peu de données sur ce sous-groupe ont été publiées 11. En effet, ce n’est qu’en 2009 que paraissent les premiers travaux dans cette population 12. En 2018, en Guyane, l’Agence d’urbanisme et de développement de la Guyane avait montré que 27% des étudiants de l’UG estimaient ne pas manger suffisamment et 42% ne pas avoir une alimentation variée 13. L’enquête n’abordait cependant, pas spécifiquement la question de l’IA.
Le caractère inédit de la pandémie de Covid-19 et de sa gestion, ainsi que l’observation d’une fréquente insécurité alimentaire dans les quartiers précaires de Cayenne et dans les communes limitrophes 14,15 ont souligné l’importance de s’intéresser à ce problème dans les populations vulnérables de Guyane.
Étant donné le contexte social de la Guyane, l’impact socio-économique de la crise sanitaire conjuguée à une inflation qui perdure et la vulnérabilité de la population étudiante, il était pertinent de mettre en place une étude pour estimer la prévalence de l’insécurité alimentaire des étudiants de l’UG et d’étudier les facteurs socio-économiques liés à cette insécurité alimentaire.
Matériels et méthodes
Il s’agit d’une enquête transversale descriptive menée entre le 9 avril et le 20 juin 2022 auprès des étudiants inscrits à l’UG pour l’année 2021-2022.
Le contexte de l’UG
L’UG est issue de la scission de l’Université des Antilles et de la Guyane et a ouvert ses portes en 2015. C’est une jeune université dénombrant 4 671 étudiants inscrits en 2021-2022. Son effectif a presque doublé en sept ans. Dans un contexte de croissance démographique, elle doit rapidement s’adapter et offrir une palette de formations pertinentes aux besoins d’un territoire singulier.
La diffusion de l’enquête
Chaque étudiant de l’UG était invité à remplir un auto-questionnaire en ligne accessible via un lien internet et un QR code. Ce questionnaire était anonyme et confidentiel grâce à la mise en place d’un masque de saisie sous Wepi. L’étude anonyme et hors loi Jardé ne nécessitait pas de déclaration à la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
L’enquête a été diffusée via la messagerie universitaire des étudiants avec deux relances à 15 jours d’intervalle. Une campagne de communication et d’invitation à participer avait également eu lieu sur le site Internet de l’université et sur les réseaux sociaux, à travers un affichage sur le campus et lors d’événements organisés par le Bureau de la vie étudiante (BVE). Une enquêtrice présente sur le campus de Cayenne communiquait et invitait également les étudiants à répondre à l’enquête.
Le questionnaire
L’auto-questionnaire, qui durait une quinzaine de minutes, comportait un score de sécurité alimentaire, un score de santé mentale, des questions sociodémographiques, la fréquence moyenne de consommation alimentaire des principaux groupes alimentaires (féculents, viande, poissons, œufs, produits laitiers, fruits, légumes, produits transformés, produits sucrés), l’accès aux soins, les ressources financières, ainsi que le logement. L’indice de masse corporelle (IMC) a été calculé à partir de la taille et du poids déclarés par les étudiants au moment de l’enquête et ont été classés en quatre catégories : maigreur (<18,5), poids normal [18,5-24,9], surpoids [25,0-29,9] et obésité (≥30).
L’insécurité alimentaire était mesurée au moyen du score de l’enquête américaine sur la sécurité alimentaire dans sa version courte de six questions : le 6-item FSSM 16. Ce module, validé pour des questionnaires auto-administrés, permet de désigner la situation d’insécurité alimentaire de la personne : faible sécurité alimentaire lorsque le score obtenu est entre 2 et 4 et très faible sécurité alimentaire entre 5 et 6.
La santé mentale était également explorée au moyen du score PHQ-9 déterminant le niveau de gravité des symptômes dépressifs. Ce module de neuf questions est tiré du Patient health questionnaire (PHQ-9). Un score PHQ-9≥15 correspond à des symptômes sévères (entre 15 et 19 : « modérément sévère », et entre 20 et 27 : « sévère »).
Le redressement
Afin d’améliorer la représentativité de l’échantillon par rapport à la population source, l’échantillon a été redressé par calage sur marges sur 4 variables de calage (le genre, la catégorie d’âge, la filière d’inscription et le lieu de naissance). Ce redressement a été permis grâce aux données de référence fournies par la scolarité de l’UG sur l’ensemble des étudiants inscrits.
Les données manquantes des 4 variables ayant servi au redressement ont été préalablement imputées par la méthode d’imputation multiple « Fully conditional specification ». Le calcul des pondérations de calage a ensuite été réalisé sous SAS® version 9.4 grâce à la macro Calmar de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) 17.
L’analyse statistique
L’analyse descriptive et exploratoire des données a été réalisée à l’aide du logiciel Stata 15®.
La prévalence de l’IA, le profil socio-économique, les comportements alimentaires ainsi que les conditions de vie des étudiants ont été décrits à l’aide de pourcentages pondérés. L’intervalle de confiance à 95% a également été reporté pour la prévalence de l’IA. Le profil socio-économique a ensuite été comparé entre les étudiants en très faible sécurité alimentaire (score US FSSM>4) et les autres étudiants (score USDA FSSM≤4) en utilisant le test du Chi2.
Enfin, un modèle de régression logistique a été réalisé pour modéliser la très faible sécurité alimentaire. Les variables significatives au seuil de 0,2 en analyse univariée ont été introduites dans le modèle multivarié. Les inter-corrélations entre les variables candidates ont été analysées afin de ne conserver que les variables présentant un faible taux d’inter-corrélation. Une sélection descendante a ensuite été utilisée pour déterminer le modèle multivarié final. Les Odds-ratio ajustés (ORa) et leur intervalle de confiance à 95% ont été estimés à l’aide de ce modèle.
Les tests utilisés étaient tous bilatéraux, et le seuil de significativité a été fixé à 5%.
Résultats
Entre le 9 avril et le 20 juin 2022, 286 étudiants ont répondu aux questionnaires en ligne (taux de réponses de 6%). Il y a eu 10 questionnaires exclus : réponses incomplètes au score US FSSM et/ou nombre important de valeurs manquantes (au moins 50% de valeurs manquantes). Ainsi, pour l’analyse statistique des résultats, 276 réponses ont été retenues.
La représentativité de l’échantillon par rapport aux inscriptions 2021-2022
Le tableau 1 représente l’effet du redressement sur les 4 variables de calage (sexe, Département de formation et de recherche – DFR –, lieu de naissance et âge).
Le sex-ratio supérieur à 2 correspondait au sex-ratio sur l’ensemble de l’UG. Le redressement par calage a permis de corriger d’une part, la surreprésentation des étudiants inscrits au DFR Santé, au DFR Arts, Lettres, Langues et Sciences humaines, ainsi que celle des étudiants nés à l’étranger. D’autre part, il a permis de corriger la sous-représentation des étudiants inscrits au DFR Droit, à la formation continue et des étudiants âgés de moins de 19 ans.
Les caractéristiques sociodémographiques
Les caractéristiques sociodémographiques des répondants de l’étude sont présentées dans le tableau 2. La majorité des étudiants (71,8%) déclarait un budget mensuel inférieur à 600 euros.
ayant participé à l’enquête en 2022
La prévalence de l’insécurité alimentaire
La prévalence des étudiants en situation d’IA était de 78,2%, avec 27,7% d’entre eux en faible sécurité alimentaire et 50,5% en très faible sécurité alimentaire.
La consommation alimentaire
Le tableau 3 compare les fréquences des consommations alimentaires déclarées par les étudiants en très faible sécurité alimentaire et les autres étudiants.
Comme présenté dans le tableau 3, la consommation quotidienne de viande, poisson et œufs était significativement plus faible chez les étudiants en très faible sécurité alimentaire que chez les autres étudiants.
Dans l’étude, 35,6% des étudiants fréquentaient souvent le restaurant universitaire (RU). Plus d’un étudiant sur deux fréquentant le RU souhaitait que celui-ci soit ouvert sur d’autres créneaux que le midi (le matin, le soir et/ou le samedi).
Le sentiment d’avoir une alimentation non équilibrée (tableau 4), était significativement plus important chez les étudiants en très faible sécurité alimentaire que chez les autres étudiants (69,5% versus 43,6%, p=0,002). Les étudiants en très faible sécurité alimentaire considéraient plus fréquemment ne pas consommer assez de fruits et de légumes (91,3% versus 66,2%, p<0,001).
Plus de la moitié (57,8%) consommaient des aliments provenant d’une parcelle cultivée par des proches (abattis (1)). Ces derniers étaient significativement plus nombreux à déclarer consommer suffisamment de fruits et légumes (31,4% versus 7,9%, p=0,001).
Différentes raisons (tableau 4) étaient liées à cette faible consommation. La principale était liée aux prix de ces aliments (73,0%), suivie du temps pour les cuisiner (61,0%) et ensuite de la difficulté d’accès au magasin (37,2%).
L’IMC a été calculé chez 226 étudiants : 34,0% étaient en surpoids ou en obésité et 14,6% en maigreur. Parmi les moins de 25 ans, la proportion d’étudiants en maigreur (30,6%) et en obésité (12,1%) était significativement plus importante chez les étudiants en très faible sécurité alimentaire (p=0,002).
Depuis la rentrée universitaire 56,6% avaient déjà eu faim parce qu’ils n’avaient pas eu assez d’argent pour se nourrir, et 32,2% avaient sollicité une aide alimentaire auprès du Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) de l’UG au moins une fois. Parmi ces étudiants, 74,0% d’entre eux étaient en très faible sécurité alimentaire et 69,7% n’avaient pas reçu l’aide à chaque fois qu’ils l’avaient sollicitée. Enfin, si une épicerie solidaire ouvrait à l’UG, 73,0% des étudiants pensaient qu’ils s’y rendraient.
en très faible sécurité alimentaire et les autres étudiants de l’Université de Guyane ayant participé à l’enquête en 2022
ayant participé à l’enquête en 2022
La santé
Le tableau 5 compare les questions du score PHQ-9 entre les étudiants en très faible sécurité alimentaire et les autres étudiants. Les problèmes évoqués dans ces questions (relatifs à la concentration, au sommeil, à l’appétit etc.) ont rendu la vie très difficile à plus d’un cinquième des étudiants et ils étaient significativement plus nombreux en très faible sécurité alimentaire (p=0,041). De plus, 54,9% des étudiants considéraient que leur santé n’était pas bonne et 60,1% avaient déjà renoncé au moins une fois à aller consulter un médecin. Parmi ces étudiants, 37,5% avaient renoncé aux soins pour raisons financières (pas de sécurité sociale, pas assez d’argent pour avancer certains frais, pas de mutuelle ou pas de moyen pour se déplacer) et ils étaient plus nombreux à être en très faible sécurité alimentaire (p<0,001) et à présenter des symptômes dépressifs sévères (p=0,001).
Facteurs associés à la très faible sécurité alimentaire
Le tableau 6 présente les principaux facteurs socio-économiques associés à une situation de très faible sécurité alimentaire parmi l’échantillon étudié. D’après celui-ci, les étudiants n’ayant pas assez d’argent tous les mois pour couvrir leurs besoins, ayant été impactés financièrement par la crise ou n’ayant pas de mutuelle, avaient une probabilité significativement plus élevée d’être dans une situation de très faible sécurité alimentaire. C’était aussi le cas pour les étudiants ne pouvant pas compter sur une personne de leur entourage pour un hébergement ou une aide matérielle d’urgence et les étudiants n’ayant pas été encouragés par leurs proches à faire des études supérieures.
Discussion
L’enquête a permis d’objectiver la situation très préoccupante dans laquelle se trouvaient les étudiants de l’UG, avec 50,5% [42,3-58,6] d’entre eux en très faible sécurité alimentaire. Les étudiants dans cette situation étaient significativement plus nombreux à déclarer une alimentation non équilibrée. Ils étaient aussi principalement caractérisés par une vulnérabilité économique (avec le sentiment d’avoir été impacté par la crise de la Covid-19) et une vulnérabilité sociale avec un manque de soutien de leur entourage. Ces résultats ont également été observés par le service social de l’université. Pour certains, en l’absence de soutien de la part de leur famille, la bourse était la seule source de revenus. Pour d’autres, en attente de régularisation administrative, l’accès aux droits sociaux étudiants n’était pas possible. Ce manque de ressources économiques et sociales était également retrouvé dans la littérature. En effet, les étudiants qui ne recevaient pas de soutien financier de la part de leur famille étaient plus à risque de souffrir d’insécurité alimentaire 18,19. En 2020, selon l’OVE, 42% des ressources mensuelles moyennes des étudiants provenaient des aides de la famille 20.
La prévalence de l’IA dans notre enquête était élevée par rapport à ce qui est déjà décrit dans la littérature américaine, habituellement autour de 30 à 50% 1,4. On retrouve néanmoins des résultats dispersés entre 10 et 75% 2 en fonction de l’outil utilisé et de la période de recul. L’outil de mesure US FSSM que nous avons utilisé dans sa version courte serait plus adapté à la population étudiante que sa version longue, qui aurait tendance à donner des estimations plus basses de prévalence d’IA 2 avec des questions sur les enfants, alors que peu d’étudiants sont parents. De plus, notre étude, ayant une période de référence inférieure à 10 mois, cela éviterait ainsi le biais de mémoire en comparaison aux études ayant une période de référence supérieure à 12 mois 2. Peu d’études se sont penchées sur le sujet dans la population étudiante en France hexagonale. Néanmoins, il en existe une récente menée auprès des étudiants de l’université de Rouen qui avait retrouvé avec le même outil de mesure une prévalence de 11,3% en faible sécurité alimentaire et 7,0% en très faible sécurité alimentaire 3. Une prévalence nettement plus élevée avait été retrouvée au sein d’un public précaire d’adultes (familles sans logement personnel), avec 35,5% d’entre eux en faible sécurité alimentaire et 13,0% en très faible sécurité alimentaire 21.
L’IA est une notion multidimensionnelle ne prenant pas seulement en compte les difficultés d’accessibilité d’ordre économique et social, mises en évidence ici par le score US FSSM. La diversité et la quantité des consommations alimentaires étaient également importantes à considérer chez les étudiants, en particulier comme déterminant de leur santé. Sur l’échantillon total, ce questionnaire a révélé une alimentation peu diversifiée. En effet, l’alimentation étudiante déclarée était essentiellement basée sur une consommation de féculents et protéines, avec peu de fruits, légumes et produits laitiers.
Les étudiants en très faible sécurité alimentaire déclaraient plus souvent une alimentation qu’ils percevaient comme déséquilibrée et pauvre en fruits et légumes. Les résultats de cette étude concernant les consommations alimentaires des grands groupes d’aliments ne permettaient toutefois pas de préciser les apports nutritionnels des étudiants. Dans la littérature, l’IA chez les adultes était associée à une insuffisance en termes d’apports nutritionnels 22. Dans notre étude, à partir des IMC déclarés, les proportions d’étudiants en maigreur (30,6%) et d’étudiants obèses (12,1%) parmi les moins de 25 ans étaient significativement plus importantes chez les étudiants en très faible sécurité alimentaire que chez les autres. En France en 2020, 14,3% de la population des 18-24 ans étaient en situation de maigreur, et 9,2% en obésité 23.
En contrepartie de cette consommation déclarée comme peu équilibrée par les étudiants, le recours à une parcelle cultivée (abattis) était lié à une augmentation de la consommation de fruits et légumes. En Guyane, le prix de l’alimentation est plus élevé que dans l’hexagone, et les dépenses alimentaires pèsent dans le budget des plus précaires 8. Ainsi, la cueillette, l’échange de nourriture, ou la culture sur abattis sont des alternatives très pratiquées qui permettent aux personnes les plus précaires d’avoir accès à des produits frais et locaux riches en micronutriments 15 (1). En effet, 24% des Guyanais en privation monétaire pratiquent l’auto-consommation 8.
Les étudiants en très faible sécurité alimentaire étaient significativement plus nombreux à déclarer un manque de ressources financières pour couvrir leur besoin et un impact plus important de la crise sanitaire sur leur budget. Parmi les étudiants en difficulté financière sur le territoire national, 38% avaient restreint leurs dépenses alimentaires en 2021 et 18% n’avaient pas toujours eu l’impression de manger à leur faim 24, une augmentation de 5 points par rapport à 2018 25. Dans notre étude, ils étaient 56,6% à avoir déjà eu faim pour raisons financières, autant que les étudiants bénéficiaires des aides alimentaires en Île-de-France 26.
La proportion d’étudiants boursiers était semblable à celle sur l’ensemble du territoire français, où ils étaient 34,5% en 2021-2022. Pourtant, la majorité des étudiants de notre enquête bénéficiaient de ressources mensuelles inférieures à la moyenne nationale (919 euros par mois) 20.
Au-delà de la dimension économique, la dimension sociale avec le manque de soutien apparaissait aussi comme un facteur caractérisant les étudiants en très faible sécurité alimentaire. En effet, les étudiants dans cette situation étaient significativement moins nombreux à avoir été encouragés par leurs parents à faire des études dans le supérieur. Ils étaient aussi significativement plus nombreux (44,4% d’entre eux) à ne pas pouvoir compter sur leur entourage en cas de difficultés ; presque autant que les étudiants bénéficiaires des aides alimentaires en Île-de-France, qui représentaient un étudiant sur deux 26. D’ailleurs, en 2021, l’OVE révélait que les étudiants n’ayant pas bénéficié du soutien rapproché de leur famille avaient été plus affectés par la crise de la Covid-19, notamment les étudiants d’origine étrangère, qui ont rencontré de manière plus importante des difficultés financières 24. La population étudiante étrangère était estimée à 13,9% en hexagone en 2020 27 alors qu’elle était de 33% à l’UG en 2022. Cette importante proportion traduit probablement une vulnérabilité accrue des étudiants de Guyane. En effet, les étudiants étrangers sont décrits comme étant plus touchés par la détresse psychologique 20, percevant de manière moins bonne leur santé 26 et étant plus affectés par la crise sanitaire 24.
De plus, ils étaient 37,5% à avoir renoncé au moins une fois aux soins médicaux pour raisons financières (depuis le début de l’année universitaire) contre 27% dans l’enquête de 2018 et un tiers en national 20,25. L’OVE montre d’ailleurs que ce renoncement était trois fois plus important chez les étudiants en détresse psychologique pendant le confinement. Ainsi, les étudiants en très faible sécurité alimentaire cumulaient le fait d’être plus à risque de souffrir de problèmes de santé avec le fait de ne pas avoir de mutuelle et renoncer de façon plus importante aux soins médicaux pour diverses raisons économiques.
Concernant les limites de l’étude, on suppose un biais de sélection lié au format d’auto-questionnaire ayant probablement attiré des étudiants ayant un intérêt à répondre à ces questions en lien avec des difficultés d’accès alimentaire. Néanmoins, le passage de l’enquêtrice sur le campus a permis d’obtenir une participation plus aléatoire. Par ailleurs, le fait d’avoir utilisé un outil unique de calcul de score de l’IA a pu entraîner un biais de mesure en surestimant la prévalence de l’IA 28 ; une approche multidimensionnelle utilisant des outils complémentaires (notamment sur la diversité alimentaire ou les comportements d’adaptation face à la pénurie) aurait permis une estimation plus précise de la situation. L’ajout des questions sur la fréquence de consommation alimentaire a pu ainsi enrichir les résultats. Toutefois, compte tenu de la population cible, le questionnaire devait être court, afin de limiter le risque d’abandon ou de non-participation. Enfin, le redressement par la méthode de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a permis de rendre l’échantillon plus représentatif par rapport à la population des inscrits de l’année en cours.
Conclusion
Cette étude met en lumière la vulnérabilité face à l’insécurité alimentaire dans laquelle se trouvent les étudiants en Guyane aujourd’hui. La crise sanitaire de la Covid-19 a engendré une crise sociale chez les personnes déjà précaires à Cayenne et dans ses environs 14,15. Cette vulnérabilité s’est maintenue dans un contexte de forte inflation. Au vu de la situation alarmante, des actions ciblées semblent impératives pour améliorer l’accès à une alimentation saine et équilibrée sur le long terme. La dynamique de campus est un levier à la mise en place d’actions, en raison de la proximité avec son public cible, que cela soit au travers du restaurant universitaire ou des initiatives spécifiques. Ainsi, la mise en place de l’épicerie solidaire proposant des aliments frais et variés, et le développement des projets étudiants comme celui du jardin partagé pourraient y contribuer.
Remerciements
Nous remercions l’ensemble des personnes ayant participé à la mise en place et au bon déroulement de l’étude, en particulier : Juliette Guirado et Samy Chevalier (Agence d’urbanisme et de développement de la Guyane), Luciano Valony (Insee), Antoine Primerose et Maria Lony (UG), Lionel Berton, Cédric René et toute l’équipe du Bureau de la vie étudiante, Dominique Forier (Service Universitaire de Médecine Préventive et de Promotion de la Santé), Cécile Mande et toute l’équipe du service de communication de l’UG. Sandra Lhuerre-Stanislas (Directrice de la Scolarité, de la recherche et de la vie étudiante), Ahmed Mulla (Directeur DFR Lettres et Sciences humaines) et Biringanine Ndagano. Nous remercions également les étudiants ayant accepté de participer à l’enquête.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
Citer cet article
gouv.fr/abattis-r40.html