Impact de la crise sanitaire liée à la Covid-19 sur l’incidence des cancers en France en 2020 et 2021 : première évaluation à partir des variations temporelles du nombre de patients hospitalisés pour un nouveau cancer

// Impact of the health crisis caused by COVID-19 on cancer incidence in France in 2020 and 2021: First evaluation through the temporal variations in the number of patients hospitalized for a new cancer

Fabien Le Marec1, Laurent Remontet2, Édouard Chatignoux1, Yao Cyril Kudjawu1, Christine Le Bihan-Benjamin3, Pascale Grosclaude4, Zoé Uhry1,2 (zoe.uhry@chu-lyon.fr)
1 Santé publique France, Saint-Maurice
2 Service de biostatistique-bioinformatique, Pôle santé publique, Hospices civils de Lyon, Lyon
3 Institut national du cancer, Boulogne-Billancourt
4 Registre des cancers du Tarn, Toulouse
Soumis le 20.12.2022 // Date of submission: 12.20.2022
Mots-clés : Covid-19 | Cancer | Hospitalisations | Tendances
Keywords: COVID-19 | Cancer | Hospital admissions | Trends

Résumé

Contexte –

Le cancer étant une maladie fréquente et le plus souvent grave, le potentiel impact de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 sur l’incidence des cancers (i.e. sur le nombre de cancers nouvellement diagnostiqués) est une préoccupation importante de santé publique. L’objectif de cette étude était de réaliser une première estimation indirecte de cet impact en France à partir des variations temporelles du nombre de patients hospitalisés pour un nouveau cancer.

Matériel et méthode –

Les données hospitalières de 2010 à 2021 ont été extraites du Système national des données de santé. Dans un premier temps, une description graphique du nombre mensuel de patients hospitalisés pour un nouveau cancer (en diagnostic principal) avant et pendant la pandémie a été réalisée (de 2018 à 2021). Dans un second temps, afin de mesurer plus directement l’impact de la crise sanitaire, nous avons comparé les nombres annuels observés de patients hospitalisés pour un nouveau cancer en 2020 et 2021 à des nombres attendus estimés en projetant les tendances modélisées de 2010 à 2019.

Résultats –

La description graphique montrait un déficit manifeste du nombre de patients hospitalisés pour un nouveau cancer au moment du premier confinement (mars à mai 2020). À partir de la modélisation et des projections, on estimait que l’écart annuel à l’attendu était de -5% (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [-7,0 ; -2,9]) en 2020 et de -0,9% [-3,5 ; 1,9]) en 2021. Les cancers bénéficiant d’un dépistage organisé ou d’un report de chirurgie possible étaient plus impactés que les cancers de mauvais pronostic, tels que les cancers du foie ou du pancréas. Le déficit du nombre de patients hospitalisés pour un nouveau cancer en 2020 s’observait dans toutes les régions de France, ainsi que dans les départements et régions d’outre-mer.

Discussion –

L’impact de la crise sanitaire engendrée par la pandémie de Covid-19 sur le nombre de patients hospitalisés pour un nouveau cancer en France était manifeste lors du premier confinement en 2020, et le déficit ne semble pas avoir été compensé en 2021 (pas d’excès observé). Par ailleurs, les indicateurs étudiés ne témoignent que partiellement des retards au diagnostic et de leurs multiples conséquences potentielles. L’évaluation de l’impact de la pandémie dans toutes ses dimensions doit être poursuivie et affinée, en particulier à l’aide des données observées d’incidence des registres de cancer, qui seront disponibles courant 2023 pour les diagnostics réalisés en 2020.

Abstract

Context and objective –

Cancer being a frequent and serious disease, the potential impact of the health crisis caused by the COVID-19 pandemic on cancer incidence cancer (i.e., on the number of newly diagnosed cancers) is a major public health concern. The objective of this study was to provide a first indirect estimate of this impact in France, based on the temporal variations in the number of patients hospitalized for a new cancer.

Material and method –

Hospital data from 2010 to 2021 were extracted from the “Système national des données de santé”. First, a graphical description of the monthly number of patients hospitalized for a new cancer (as main diagnosis) cancer before and during the pandemic was performed (years 2018 to 2021). In a second step, in order to measure more directly the impact of the health crisis, we compared the observed annual numbers of patients hospitalized for a new cancer in 2020 and 2021 to expected numbers, estimated by projecting the trends modelled from 2010 to 2019.

Results –

The graphical description showed a clear deficit in the number of patients hospitalized for a new cancer during first lockdown (March to May 2020). From the modeling and projections, the annual deviation from the expected was estimated to be -5% [CI : -7,0;-2,9] in 2020 and -0.9% [-3,5;1,9] in 2021. Cancers benefiting from organized screening or possible delay of the surgery were more concerned by the deficit than cancers with a poor prognosis, such as liver or pancreas cancers. The deficit in the number of patients hospitalized for a new cancer in 2020 was observed in all regions and French overseas departments and regions.

Discussion –

The impact of the health crisis caused by the COVID-19 pandemic on the number of patients hospitalized for a new cancer in France was obvious during the first containment in 2020, and the deficit does not appear to have been compensated in 2021 (no excess observed). Furthermore, the indicators studied only partially reflect delays in diagnosis and their multiple potential consequences. The evaluation of the impact of the pandemic in all its dimensions must be continued and refined, using in particular observed incidence data from cancer registries, which will be available in 2023 for diagnoses made in 2020.

Introduction

La crise sanitaire engendrée par la pandémie de Covid-19 a fragilisé la lutte contre le cancer, en affectant à la fois le recours des patients au système de soins et l’organisation du système de soins lui-même. Plusieurs pays ont observé une baisse du nombre de nouveaux cas de cancer diagnostiqués lors des premiers mois de la pandémie 1,2,3,4,5,6,7,8,9. En France, le « plan blanc » hospitalier, qui prévoit la déprogrammation des activités non urgentes, a été déclenché à plusieurs reprises. Par ailleurs, les invitations dans le cadre des programmes nationaux de dépistage des cancers ont été suspendues lors du premier confinement, avec une reprise entre mai et juillet selon les régions. Deux études récentes montraient que la pandémie avait eu un impact sur les activités de dépistage et de traitement des cancers en France en 2020 10 et sur les exérèses de cancer 11. La crise sanitaire a donc très probablement entraîné un risque accru de retard au diagnostic, alors même que le dépistage et le diagnostic précoce de ce type de pathologies sont un enjeu de santé publique majeur, le cancer étant l’une des principales causes de décès dans le monde.

Dans cet article, nous nous intéressons plus spécifiquement à l’impact de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 sur l’incidence des cancers (c’est-à-dire sur le nombre de cancers nouvellement diagnostiqués). La surveillance épidémiologique des cancers en France repose sur les données des registres des cancers, qui couvrent environ 20% de la population et qui constituent le gold standard en matière d’incidence. Ces données sont disponibles avec un délai de 2 à 3 ans, délai indispensable pour assurer leur exhaustivité et leur validation par les registres. L’incidence des cancers diagnostiqués au cours de l’année 2020 ne sera donc disponible qu’en milieu d’année 2023.

Dans ce contexte, l’impact de la crise sanitaire sur l’incidence ne peut pas encore être mesuré à partir des données des registres. Toutefois, afin de disposer dès à présent d’un ordre de grandeur de cet impact, nous proposons de l’estimer indirectement à partir du nombre de patients hospitalisés pour un nouveau cancer. Cet indicateur ne constitue pas une mesure directe de l’incidence 12. En revanche, il a l’avantage d’être disponible rapidement et de couvrir l’ensemble du territoire, et est utilisé ici pour suivre les variations temporelles de l’incidence. Ceci suppose que les variations temporelles de cet indicateur reflètent correctement celles de l’incidence, y compris en période pandémique, ce qui constitue l’hypothèse centrale de notre étude.

Cette étude se concentre sur l’évolution des indicateurs mensuels et annuels du nombre de patients hospitalisés pour un nouveau cancer pendant la pandémie de Covid-19. Ceci constitue un premier élément pour documenter l’impact de la crise sanitaire liée à cette pandémie sur l’incidence des cancers. Ce travail devra toutefois être complété d’une part, par une étude portant sur l’incidence des cancers mesurée par les registres, et d’autre part, par une évaluation des retards au diagnostic et de ses multiples conséquences potentielles.

Cette étude vient compléter celle qui porte sur l’incidence des principaux cancers en France de 1990 à 2023, publiée dans ce BEH, et qui repose, elle, sur une projection au-delà de 2018, sans prendre en compte les effets de la crise sanitaire liée à la pandémie 13.

Matériel et méthode

Localisations cancéreuses étudiées

Définies comme dans l’étude de tendances nationales de l’incidence 14,15, 22 localisations cancéreuses ont été étudiées (annexe 1). L’analyse des hémopathies malignes a été limitée dans cet article à la maladie de Hodgkin et au lymphome non hodgkinien, ainsi qu’à l’ensemble « toutes hémopathies malignes ».

Données sources et indicateur étudié

Les données hospitalières (Programme de médicalisation des systèmes d’information – PMSI –, médecine, chirurgie, obstétrique) ont été extraites du Système national des données de santé. Nous avons repris un indicateur utilisé dans une précédente étude sur l’incidence départementale des cancers 16 qui porte sur le nombre de patients hospitalisés pour un « nouveau » cancer. Plus précisément, pour une localisation cancéreuse donnée et une année « N » donnée, cet indicateur décompte le nombre de patients hospitalisés pour cette localisation avec le cancer en diagnostic principal (DP) et sans hospitalisation mentionnant cette localisation cancéreuse dans les cinq années précédentes 16.

Méthode

Les analyses ont été réalisées à l’échelle nationale (France hexagonale) pour les 22 localisations cancéreuses étudiées. Elles ont de plus été déclinées par région (départements et régions d’outre-mer – DROM – compris) pour l’ensemble des cancers confondus (« tous cancers »).

Tout d’abord, le nombre mensuel de patients hospitalisés pour un nouveau cancer observé pour les années 2020 et 2021 a été comparé graphiquement aux années 2018-2019 regroupées (moyenne). Cette figure permet de visualiser si les variations des hospitalisations lors de l’épidémie de Covid-19, en particulier pendant les périodes de confinement, différaient des variations observées les années précédentes lors des mêmes périodes (premier confinement : 17 mars au 11 mai 2020 ; second : 30 octobre au 15 décembre 2020 ; troisième : 3 avril au 3 mai 2021). Cette figure, en revanche, ne prend pas en compte les tendances temporelles (au sens où la moyenne 2018-2019 ne représente pas ce qu’on attendrait en 2020 ou 2021).

Ensuite, l’impact de la pandémie sur l’ensemble de l’année 2020 (et de même pour 2021) a été estimé en prenant cette fois en compte les tendances. Pour ce faire, les effectifs observés ont été comparés à un effectif attendu obtenu en projetant les tendances observées jusqu’alors.

Cet attendu a été estimé à partir d’un modèle de Poisson, tous âges, où le log du taux annuel de patients hospitalisés pour un nouveau cancer de 2010 à 2019 est modélisé en fonction de l’année (en introduisant les personnes-années « en offset » dans le modèle). Des splines pénalisées (de type thin-plate17 ont été utilisées pour modéliser l’effet de l’année. Cette modélisation a permis d’estimer un attendu pour 2020 et 2021 par projection (linéaire sur l’échelle log en utilisant la pente estimée en 2019).

Le nombre de nœuds pour la spline de l’année a été fixé à 4, excepté pour trois localisations (cancers du côlon-rectum, de la prostate et de la thyroïde), où il a été fixé à 6. En effet, la complexité des évolutions pour ces trois localisations nécessitait plus de flexibilité (donc plus de nœuds). De plus, cette complexité rendait la projection incertaine, et il nous a paru plus raisonnable de « projeter » à taux constant pour ces trois localisations (en supposant que le taux en 2020 et 2021 soit égal au taux estimé par le modèle en 2019). Dans les analyses par région, ces mêmes options ont été appliquées pour la Martinique (6 nœuds et projection à taux constant) car l’incidence « tous cancers » présentait également une évolution trop complexe pour être modélisée avec seulement 4 nœuds.

Les modèles ont été ajustés séparément chez les hommes et chez les femmes (et par localisation cancéreuse). Les résultats présentés correspondent à l’ensemble « hommes et femmes », obtenu en sommant les deux estimations. L’écart à l’attendu est présenté avec son intervalle de confiance (IC) à 95% (en prenant en compte la surdispersion le cas échéant). Toutefois, cet IC ne rend pas compte de l’incertitude liée aux hypothèses de projection.

Les deux types de résultats présentés (« descriptif mensuel » et « modélisation annuelle et projection ») apportent des informations différentes. Le descriptif mensuel permet de visualiser un impact immédiat lorsqu’il est important (par exemple, lors des confinements). La modélisation annuelle prend en compte les tendances et fournit un résumé synthétique. Toutefois, cet indicateur annuel peut rendre invisible certains phénomènes, comme un rattrapage effectué au sein d’une même année. L’interprétation des résultats doit tenir compte de ces limites.

Résultats

Descriptif mensuel, 2018-2021

La figure 1 représente le nombre mensuel de patients hospitalisés pour un nouveau cancer observé pour les années 2018 à 2021. Le résultat le plus marquant était un déficit manifeste durant le premier confinement en 2020 (en particulier pour le mois d’avril) qui s’observait pour toutes les localisations, à l’exception du cancer du pancréas et de la maladie de Hodgkin. Ce déficit était particulièrement important pour les cancers de la thyroïde, du sein et de la prostate, et important pour les cancers de l’estomac, du côlon-rectum et du larynx. À l’inverse, le déficit durant le premier confinement était moins marqué pour les cancers du poumon ou du testicule. De manière générale, il n’y avait pas de déficit observé lors du second confinement en 2020.

On observait moins de variations en 2021 qu’en 2020 par rapport aux années 2018 et 2019, avec toutefois deux légers pics en mars et en juin, soit juste avant et après le confinement en avril, pour l’ensemble « tous cancers », et en particulier pour les localisations suivantes : cancers du poumon, de la prostate, de la thyroïde et de la vessie. On notait également un déficit pour la majorité des localisations en décembre.

Le déficit constaté au niveau national lors du premier confinement en 2020 s’observait dans l’ensemble des régions et des DROM (figure 2), d’ampleur toutefois variable selon la région.

Figure 1 : Évolution du nombre observé de patients hospitalisés pour un nouveau cancer par mois, 2018 à 2021,
France hexagonale
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Figure 2 : Évolution du nombre observé de patients hospitalisés pour un nouveau cancer par mois, « tous cancers »
2018 à 2021, par régions et DROM
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Modélisation annuelle 2010-2019 et projection 2020-2021

La prise en compte des tendances temporelles permet de calculer un attendu annuel. Le nombre observé de patients hospitalisés pour un nouveau cancer et les écarts avec l’attendu pour les années 2020 et 2021 sont présentés pour les différentes localisations cancéreuses dans le tableau 1 et dans la figure 3.

Tableau 1 : Nombre observé de patients hospitalisés pour un nouveau cancer en 2020 et 2021, nombre attendu
et écart à l’attendu, France hexagonale
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Figure 3 : Nombre de patients hospitalisés pour un nouveau cancer de 2010 à 2021, France hexagonale.
Observé et modélisé jusqu’en 2019, attendu pour 2020 et 2021 (projection)
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En 2020, le nombre observé de patients hospitalisés pour un nouveau cancer en France hexagonale (avec le cancer en DP), était de 366 582, alors que le nombre attendu était de 385 808, soit un écart relatif de -5,0% (IC95%: [-7,0% ; -2,9%]). Pour l’année 2021, on observait un déficit moindre avec un écart de -0,9% [-3,5% ; +1,9%].

En 2020, 19 des 22 localisations présentaient un écart à l’attendu négatif. Cet écart était particulièrement marqué pour les localisations suivantes : cancers de la thyroïde (-11,5%), du col utérin (-10,0%), du rein (-7,6%), du sein (-7,0%) et de la prostate (-6,4%). Les seules localisations avec un écart à l’attendu non négatif étaient les cancers du système nerveux central (0%) et du foie (+0,7%), ainsi que la maladie de Hodgkin (+4,0%).

En 2021, les écarts à l’attendu étaient moins prononcés, mais 17 des 22 localisations présentaient tout de même un écart négatif (avec toutefois des bornes de l’IC contenant zéro pour la plupart des cas). Parmi les localisations cancéreuses les plus fréquentes et dépistables, on n’observait pas de déficit pour le cancer du sein (+0,4%), un excédent pour le cancer de la prostate (+5,1%), et un léger déficit pour le cancer du côlon-rectum (-1,3%). En ce qui concerne les cancers de mauvais pronostic qui présentaient un déficit en 2020, des déficits de même ordre étaient également observés en 2021 pour les cancers suivants : -5,1% (2020) et -3,2% (2021) pour le cancer de l’œsophage, -4,2% et -4,7% pour le cancer du poumon et -3,8% et -3,8% pour le cancer de l’estomac.

On n’observait pas de différence notable selon le sexe : les écarts à l’attendu en 2020 et 2021 étaient du même ordre de grandeur pour l’ensemble des localisations chez les hommes et les femmes (résultats non présentés). Pour l’ensemble « tous cancers », les écarts étaient respectivement chez les hommes et chez les femmes de -4,0% et -6,0% en 2020, et de +0,3% et -2,1% en 2021.

Au niveau régional (tableau 2 et figure 4), le nombre observé de patients hospitalisés pour un nouveau cancer (« tous cancers ») en 2020 était inférieur au nombre attendu dans chacune des régions ou des DROM. En France hexagonale, les régions les plus touchées étaient les Hauts-de-France (-6,5%), l’Occitanie (-6,1%), le Grand Est (-6,0%) et l’Île-de-France (-5,8%), alors que la Bretagne (-2,6%) et le Centre-Val de Loire (-2,7%) étaient moins touchées. En 2021, la situation revenait vers la normale (écarts proches de zéro), hormis pour la Bourgogne-Franche-Comté (-4,2%), qui présentait un léger déficit. Dans les DROM, la Guyane, la Martinique et La Réunion présentaient des déficits notables en 2020 (respectivement -17,3%, -7,3% et -6,0%), avec des IC toutefois larges, prolongés en 2021 pour la Guyane et La Réunion (-3,9% et -5,0%).

Tableau 2 : Nombre observé de patients hospitalisés pour un nouveau cancer en 2020 et 2021, nombre attendu
et écart à l’attendu, « tous cancers » selon les régions et les DROM
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Figure 4 : Nombre de patients hospitalisés pour un nouveau cancer de 2010 à 2021, « tous cancers »,
selon les régions et les DROM. Observé et modélisé jusqu’en 2019, attendu pour 2020 et 2021 (projection)
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Discussion

La pandémie de Covid-19 a engendré une crise sanitaire qui a rendu le recours aux soins plus complexe pour de multiples raisons. Cela a entraîné un risque accru de retard au diagnostic de cancer, voire l’absence de diagnostic sur la période. Il est nécessaire de pouvoir estimer cet impact. Cette étude visait plus spécifiquement à documenter l’impact de la crise sanitaire sur les variations temporelles de l’incidence des cancers, à travers le suivi d’un indicateur indirect qu’est le nombre de patients hospitalisés pour un nouveau cancer.

Le déficit du nombre de patients hospitalisés pour un nouveau cancer était très marqué au moment du premier confinement en mars-avril-mai 2020 (figure 1). On n’observait pas de déficit notable lors du second confinement fin 2020. Ce constat global est en accord avec ce qui a été observé dans les autres pays d’Europe, ainsi que sur le continent américain 1,2,3,4,5,6,7,8,9. Toutes les régions et DROM présentaient des déficits en 2020 (figure 2), même les territoires ayant été moins touchés en termes d’ampleur de la première vague de l’épidémie de Covid-19.

Afin de tenir compte des tendances à long terme et d’estimer l’impact de la crise sanitaire en résumé annuel, nous avons pris en compte les évolutions du nombre de patients hospitalisés pour un nouveau cancer entre 2010 et 2019 pour calculer un écart annuel à l’attendu en 2020 et en 2021, au moyen d’une modélisation (tableau 1 et figure 3). Ainsi, on observait un déficit du nombre de patients hospitalisés pour un nouveau cancer de 5,0% en 2020 par rapport à ce qui était attendu. Notons l’importance de prendre en compte les tendances temporelles : par exemple, les écarts pour le cancer du rein (-7,6%) et le cancer du poumon (-4%) étaient plus importants que ce qu’on anticiperait via la figure 1, car l’incidence était en augmentation (l’attendu en 2020 est donc plus élevé que la moyenne observée en 2018-2019).

Les observations différaient selon les localisations cancéreuses. Pour deux des trois localisations disposant d’un dépistage organisé, on observait des déficits marqués en 2020 : le cancer du col utérin (-10,0%) et le cancer du sein (-7,0%). Le déficit était moindre pour le cancer colorectal (-4,6%). Ces déficits reflétaient l’arrêt temporaire des invitations à participer aux programmes de dépistage au cours du second trimestre 2020, entraînant sur l’année une baisse de 11% du nombre de tests de dépistage des cancers du col (HPV, cytologies), ainsi qu’une baisse de 10% du nombre de mammographies effectuées par rapport à 2019 10 ou du taux de participation au programme de dépistage organisé du cancer du sein 18. Le nombre de biopsies prostatiques était également en baisse (-8,7%) 10, ce qui peut expliquer le déficit observé du nombre d’hospitalisations pour cancer de la prostate (-6,4%). Ces observations pour les cancers du sein, du col et de la prostate étaient communes à d’autres pays d’Europe 1,3.

Des déficits importants s’observaient également en 2020 pour des cancers de pronostic relativement favorable. Par ailleurs, cette étude s’est appuyée sur l’utilisation des données hospitalières comme témoin des variations temporelles de l’incidence des cancers. L’indicateur utilisé ne constitue pas une mesure directe de l’incidence 16. En revanche, cet indicateur permet de suivre les variations temporelles de l’incidence, sous l’hypothèse que le rapport entre le nombre de patients hospitalisés pour un nouveau cancer (avec le cancer en DP) et le nombre réel de cas incidents soit constant dans le temps, et en particulier dans la période de pandémie. Ceci est une hypothèse forte, et il est possible que ce rapport ait évolué dans le contexte de crise sanitaire. En particulier, l’indicateur utilisé ne comptabilise pas, une année donnée, les cancers apparaissant seulement avec un diagnostic relié (DR) dans le PMSI. Or, pour les séances de chimiothérapie ou de radiothérapie, le cancer est en diagnostic relié. Ainsi, si par exemple lors de la crise sanitaire, des chimiothérapies ou radiothérapies ont été réalisées en primo-traitement en attendant une chirurgie (reportée à plus tard) pour des cancers dont la phase diagnostic n’a pas donné lieu à une hospitalisation avec le cancer en DP, ce rapport a pu évoluer ; il serait alors possible que le déficit ait été surestimé, en particulier pour l’indicateur mensuel (l’indicateur annuel serait lui plus faiblement concerné). Dans un sens opposé, pour des cancers tels que le mélanome de la peau, de nombreux cas diagnostiqués précocement et de bon pronostic sont pris en charge hors de l’hôpital (l’indicateur hospitalier sous-estimant alors fortement l’incidence, environ de moitié pour le mélanome). Il est alors probable que l’indicateur hospitalier reflète mal les variations de l’incidence pour ce cancer en période de crise sanitaire, et que le déficit ait été plus important que ce qui a été mesuré dans cette étude (-0,7%). Le mélanome a d’ailleurs été plusieurs fois cité comme un des cancers les plus fortement impactés par la pandémie en 2020 2,3,6. Aussi faut-il rester prudent, du fait de cette hypothèse forte, dans l’interprétation des résultats. Cette question pourra être éclaircie prochainement grâce aux données d’incidence des registres de cancers.

Nous avons ici opté pour un indicateur issu des données hospitalières, plutôt qu’un indicateur prenant également en compte les affections de longue durée (ALD), tel qu’initialement envisagé. Cet indicateur (noté AUP) décompte le nombre de patients avec une nouvelle hospitalisation ou une nouvelle mise en ALD pour cancer 19. Il n’a finalement pas été retenu du fait d’une perturbation observée dans les données ALD à partir de 2016 (et qui se répercute en partie sur l’indicateur AUP), pour un certain nombre de cancers (annexe 2). Cette perturbation serait liée à un allègement de la procédure de mise en ALD et de ce fait, l’indicateur AUP n’était pas toujours adapté pour modéliser les tendances récentes et les projeter. Toutefois, en utilisant l’indicateur AUP, pour « tous cancers », l’écart du nombre de cas était estimé à -4,2% et +0,7% en 2020 et 2021, respectivement : l’ordre de grandeur de l’impact était au final relativement proche de celui établi dans cet article à partir du PMSI.

Enfin, pour ce qui concerne l’analyse régionale, on ne peut exclure qu’à l’occasion des déplacements importants de population lors du premier confinement, le lieu de résidence du confinement ait pu être parfois renseigné plutôt que celui de la résidence habituelle. Toutefois, ce point reste probablement mineur concernant les hospitalisations pour un nouveau cancer, qui sont en général l’aboutissement d’une chaîne de recours aux soins débutée bien en amont, hormis pour les cancers diagnostiqués en urgence.

L’estimation de l’impact annuel repose sur l’estimation d’un attendu, calculé par projection et nécessairement entouré d’incertitude. De plus, les intervalles de confiance des écarts à l’attendu, issus de la modélisation annuelle, sont dans l’ensemble larges. Si les estimations d’écart pour l’année 2020 semblent relativement robustes, au vu de l’ampleur du déficit observé lors du premier confinement, celles pour l’année 2021 sont probablement plus fragiles et susceptibles d’être révisées à l’avenir.

À la différence de la majorité des études internationales sur le sujet, qui ont comparé les années impactées par la pandémie (2020 et 2021) à l’année 2019 (ou 2018-2019 dans certains cas), notre étude a l’avantage de prendre en compte les tendances spécifiques à chaque localisation, ce qui permet d’estimer plus justement le déficit d’activité potentiel lié à la pandémie. Cette étude donne une première vision des effets de la pandémie. Elle sera prochainement complétée par une analyse plus détaillée, avec une modélisation des données mensuelles prenant en compte l’âge, ce qui permettra de fournir des estimations plus précises des écarts à l’attendu.

Conclusion

Cette étude montrait un écart à l’attendu, en termes de nombre de patients hospitalisés pour un nouveau cancer, de -5% [-7,0;-2,9] en 2020 et de -0,9% [-3,5;1,9] en 2021. Les cancers bénéficiant d’un dépistage organisé ou d’un possible report de chirurgie étaient plus impactés que les cancers nécessitant une prise en charge rapide pour préserver leur pronostic. S’il convient de rester prudent dans l’interprétation de ces données hospitalières comme reflet des variations temporelles de l’incidence des cancers en France, ces données restent utiles comme outil de surveillance épidémiologique des cancers et permettent une première estimation de l’ordre de grandeur de l’impact de la pandémie en termes d’incidence des cancers. Cette première analyse sera affinée par une modélisation des données mensuelles.

Par ailleurs, lorsque les données des registres de cancer seront disponibles, l’impact de la pandémie sur l’incidence pourra être mesuré de façon plus précise. De plus, il faudra mener des études se focalisant sur le retard au diagnostic engendré par la pandémie et sur ses multiples effets potentiels (diagnostic des cancers à des stades plus avancés, entraînant une prise en charge plus complexe et plus lourde, un pronostic plus défavorable et/ou une qualité de vie moindre).

Le déficit du nombre de patients hospitalisés pour un nouveau cancer (avec le cancer en DP) observé en 2020 et ses conséquences potentielles à moyen et long terme rappelle la nécessité d’une vigilance particulière sur le maintien des filières de prise en charge de ces pathologies pendant les périodes de crise.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier Bénédicte Lapôtre, Tania d’Almeida, Florence Molinié et Camille Lecoffre pour leur relecture et leurs suggestions.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Le Marec F, Remontet L, Chatignoux E, Kudjawu YC, Le Bihan-Benjamin C, Grosclaude P, et al. Impact de la crise sanitaire liée à la Covid-19 sur l’incidence des cancers en France en 2020 et 2021 : première évaluation à partir des variations temporelles du nombre de patients hospitalisés pour un nouveau cancer. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(12-13):205-17. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/12-13/2023_12-13_2.html

Annexes

Annexe 1 : Localisations cancéreuses étudiées
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Annexe 2 : Évolution du nombre de patients : i) nouvellement mis en affection de longue durée pour cancer (ALD),
ii) hospitalisés pour un nouveau cancer (Programme de médicalisation des systèmes d’information)
et iii) nouvellement mis en ALD ou hospitalisés pour un nouveau cancer (AUP), 2010 à 2021, France hexagonale
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