Hospitalisations pour tentative de suicide dans les établissements de soins aigus en France lors de l’infection à la Covid-19 : tendances temporelles nationales en 2020-2021
// Hospitalizations for deliberate self-harm in acute care facilities in France during COVID-19 infection: National and regional temporal trends in 2020-2021
Résumé
La pandémie, par la durée et l’importance des mesures de restrictions sociales et des contraintes qu’elle a entraînées, peut avoir eu un impact sur la santé mentale, et notamment sur les tentatives de suicide. C’est dans ce contexte que Santé publique France a comparé les hospitalisations pour tentative de suicide (HTS) en 2020 et durant la première partie de l’année 2021 par rapport aux années précédentes. Celles-ci ont été analysées par groupe d’âge, sexe et modalités utilisées pour la tentative de suicide. Tous les courts séjours dans les établissements français publics et privés des personnes âgées de 10 ans et plus hospitalisées entre le 2 janvier 2017 et le 31 mai 2021 pour un geste suicidaire ont été sélectionnés. En 2020, le taux estimé d’HTS tous âges confondus était de 13,3 pour 10 000 alors qu’il était de 14,8 en 2019 et 15,2 en 2018. Lors du premier confinement, les taux d’HTS étaient inférieurs à ceux observés en moyenne entre 2017 et 2019 quel que soit le sexe, à l’exception des hommes de 75 ans et plus. Ces taux sont restés inférieurs pour les personnes entre 35 et 85 ans. Cependant, ils ont progressivement augmenté chez les jeunes de 11 à 24 ans, jusqu’à devenir significativement supérieur à la moyenne de 2017-19 après le deuxième confinement (et dès le deuxième confinement pour les filles de 10 à 14 ans). Le recours à des modalités violentes apparaît alors plus fréquent quel que soit l’âge. Ces résultats convergent avec ceux d’autres indicateurs et mettent en évidence une souffrance psychologique encore présente à la fin de la période d’observation chez les adolescents et jeunes adultes, qui semblent particulièrement impactés par les bouleversements sociaux et économiques induits par la crise sanitaire. Un suivi régulier de l’indicateur « hospitalisations pour tentative de suicide » s’impose comme un élément du dispositif de surveillance épidémiologique de la santé mentale, en particulier chez les adolescents et les jeunes adultes, dans le futur.
Abstract
The pandemic, through the duration and importance of the social restriction measures and constraints it has caused, may have had an impact on mental health and in particular on suicide attempts. In this context, Santé publique France has compared to previous years hospital admissions for suicide attempts (HASA) by age group, sex, and modality used for suicide attempt in 2020 and during the first part of 2021. All stays in French public and private short-stay institutions of persons aged 10 years and over, hospitalised between 2 January 2017 and 31 May 2021 with an associated diagnosis of X60 to X84 were selected. In 2020, the estimated rate of HASA for all ages was 13.3 per 10,000, whereas it was 14.8 in 2019 and 15.2 in 2018 and around 15 in previous years. During the first containment, the rates of HASA were lower than those observed on average between 2017 and 2019, for all sexes, except men aged 75 and over. These rates then remained lower between the ages of 35 and 85. In contrast, for young people aged 11 to 24, they gradually increased to become significantly higher than the 2017-2019 average after the second confinement (from the second confinement for girls aged 10 to 14). The use of violent modalities appears to be more frequent regardless of age. These results converge with those of other indicators to highlight psychological suffering still present at the end of the monitoring period, among adolescents and young adults who seem particularly affected by the social and economic upheavals caused by the health crisis. Monitoring of this indicator is necessary in the future.
Introduction
En France, en réponse à la propagation du SARS-CoV-2, deux confinements nationaux ont été mis en place en 2020 : du 17 mars au 11 mai et du 30 octobre au 14 décembre. Tous les individus vivant en France ont reçu l’injonction de rester chez eux, sauf pour des raisons professionnelles spécifiques ou d’autres questions urgentes telles que des consultations médicales qui ne pouvaient être effectuées à distance, des raisons familiales impératives, l’approvisionnement en produits de première nécessité, etc. Les écoles ont été fermées lors du premier confinement, mais sont restées ouvertes, à l’exception des universités, lors du second.
Cette pandémie sans précédent et sa réponse sociale et politique ont pu affecter la santé mentale de plusieurs façons : peur d’être infecté et des conséquences sanitaires, crainte d’une stigmatisation, réduction de l’accès aux soins due à la réorganisation des hôpitaux, vulnérabilité des organisations de soins psychiatriques pendant la pandémie, exposition répétée aux médias, distanciation sociale et stratégies de confinement qui contribuent à l’isolement, crise économique résultant de mesures sociales et politiques, durée de la crise (plus d’un an) et le manque de visibilité et de perspective de retour à une vie « normale ». Des études menées pendant la pandémie de Covid-19 ont fait état d’un impact négatif de cette dernière sur la santé mentale avec une augmentation des taux d’anxiété, de dépression, de stress post-traumatique et de troubles liés au stress dans la population générale, en France comme à l’international 1,2.
Devant la dégradation de la santé mentale, des craintes autour d’une augmentation des actes suicidaires pendant et après la pandémie ont rapidement émergé, étayées par plusieurs facteurs : l’augmentation des idées suicidaires rapportée dans certaines études 3, l’augmentation des taux de troubles psychiatriques pendant l’épidémie, la présence de ceux-ci étant classiquement associée à une augmentation des actes suicidaires 4, et l’impact des conséquences à plus long terme de l’épidémie (chômage, problèmes financiers, accès réduit à la scolarité et deuil). Les rapports internationaux publiés suggèrent une absence d’augmentation, voire une baisse de la mortalité par suicide dans les premiers mois de l’épidémie 5, tandis qu’une étude au Japon suggère une augmentation des taux de suicide par rapport aux années précédentes, dès juillet 2020 pour les femmes et dès octobre 2020 pour les hommes 6.
L’incidence des tentatives de suicide est également un indicateur important car il reflète une dégradation de la santé mentale n’ayant pas pour autant abouti au décès. Les évolutions de cet indicateur pendant l’épidémie ont été moins documentées que la mortalité par suicide. Des études menées au début de l’épidémie suggèrent initialement une baisse des tentatives de suicide 7,8,9,10. D’autres études mettent en évidence une augmentation de l’incidence des tentatives de suicide dans un second temps 11, parfois pour certains groupes d’âges 12,13.
L’objectif de notre étude était d’étudier l’évolution des hospitalisations pour tentative de suicide (HTS) dans tous les établissements hospitaliers de soins de courte durée, en France, de janvier à mai 2021, selon les périodes de confinement et de les comparer avec les années précédentes. Nous avons examiné les tendances par sexe, âge et modalités de tentative de suicide.
Méthodes
Nous avons utilisé les données du Programme de médicalisation des systèmes d’information en médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie (PMSI-MCO) pour décrire les hospitalisations pour tentative de suicide.
Les données du PMSI-MCO
Le PMSI-MCO recueille les données médico-administratives exhaustives relatives aux séjours dans tous les établissements publics et privés de soins de courte durée.
Définition et codage des tentatives de suicide dans le PMSI-MCO
L’acte de tentative de suicide est défini dans le PMSI-MCO par la Classification internationale des maladies – 10e révision (CIM-10) comme un empoisonnement ou une blessure traumatique qu’un individu s’inflige délibérément, regroupés sous les codes X60 à X84 dans le sous-chapitre « blessures auto-infligées » du chapitre XX de la CIM-10 consacré aux causes externes de mortalité et de morbidité.
Dans cette étude, les codes ont été regroupés en moyens violents (pendaison, noyade, arme à feu, objet tranchant, feu, saut, collision) (X66-82) et moyens non violents (médicaments et autres produits) (X60-65).
Extraction des données du PMSI-MCO
Tous les séjours des personnes âgées de 10 ans et plus (avant 10 ans, les actes suicidaires sont très rares et difficiles à distinguer des conduites à risques 14) hospitalisées entre le 2 janvier 2017 et le 31 mai 2021, avec un diagnostic associé d’HTS (X60-X84) dans les établissements français publics et privés de court séjour ont été sélectionnés, une HTS ne pouvant être le diagnostic principal dans les données du PMSI-MCO.
Analyse statistique
Les données sont constituées du nombre d’hospitalisations pour HTS annuel et par sexe. Les taux annuels d’hospitalisation pour HTS ont été calculés par âge et par sexe. Les populations de référence ont été recueillies auprès de l’Institut national de la statistique et des études économiques.
Les incidences de HTS en 2020 ont été comparées aux incidences moyennes observées entre 2017 et 2019 (risque de 5%, test bilatéral) en calculant les ratios de taux d’incidence (RTI) et les intervalles de confiance à 95% (IC95%) à l’aide d’une régression de Poisson par sexe, âge et modalités de tentative de suicide pour cinq périodes : avant le premier confinement (semaines 1 à 10 de 2020, S1-2020 à S10), pendant le premier confinement (S11 à S19), entre le premier et le deuxième confinement (S20 à S44), pendant le deuxième confinement (S45 à S50), après le deuxième confinement et jusqu’au 21 mai 2021 (S51-2020 à S20-2021). Les analyses ont été effectuées à l’aide de SAS 9.3® (SAS Institute, Cary NC).
Aucune étude impliquant des sujets humains ou animaux n’a été réalisée au cours de l’élaboration de cet article, et les données ne comprenaient aucune information privée identifiable. Santé publique France dispose d’un accès réglementaire permanent aux données du Système national des données de santé. Cet accès permanent est assuré conformément aux articles R. 1461-13 et 14 du code de la santé publique (code de la santé publique 2019).
Résultats
En 2020, le nombre de séjours hospitaliers pour tentative de suicide était de 79 749, ce qui représente une franche diminution en comparaison aux années précédentes (plus de 88 000 séjours par an entre 2017 et 2019) (tableau 1). Le rapport entre le nombre de séjours et le nombre de patients est resté constant (1,15 en 2017 et 1,16 de 2018 à 2020). De même, le nombre annuel de patients hospitalisés pour tentative de suicide a fluctué autour de 77 000 entre 2017 et 2019, puis a diminué à 68 556 en 2020. Ainsi, le taux d’HTS en France est passé d’environ 15 séjours pour 10 000 habitants de 2017 à 2019 à 13,3 pour 10 000 en 2020 (tableau 1). Cette diminution a été plus importante chez les femmes.
La distribution des taux annuels d’HTS selon l’âge et le sexe de 2020 est la même que celle des années 2017 à 2019 (figure 1). Toutefois, les taux de tentatives de suicide suivies d’hospitalisation chez les femmes d’âge moyen semblent diminuer davantage en 2020 qu’au cours des années précédentes. Globalement, les taux d’HTS selon l’âge sont plus élevés chez les femmes que chez les hommes. Les jeunes filles de 15 à 19 ans présentent systématiquement le taux de séjour court le plus élevé (en moyenne 43,3/10 000 entre 2017 et 2019 et 38,8/10 000 en 2020). Un second pic est observé chez les femmes de 40 à 54 ans (environ 22/10 000 entre 2017 et 2019 et 18/10 000 en 2020). Chez les hommes, les taux d’HTS augmentent avec l’âge et atteignent un pic chez les 45-49 ans (environ 18/10 000 entre 2017 et 2019 et 16/10 000 en 2020), puis diminuent progressivement jusqu’à la tranche d’âge 70-74 ans (environ 5/10 000 quelle que soit l’année) avant de retrouver des taux plus élevés chez les personnes plus âgées.
Pour les 10-19 ans, chez les filles (RTI10-14 : 0,44 ; IC95%: [0,38-0,52] et RTI15-19 : 0,62 ; [0,56-0,69]) (figure 2), comme chez les garçons (RTI10-14 : 0,50 [0,35-0,70] et RTI15-19 : 0,68 [0,57-0,82]) (figure 3), les taux d’HTS durant le premier confinement sont plus faibles en 2020 qu’en 2017-2019. Ces taux augmentent ensuite progressivement selon les périodes suivantes. Pour les filles de 10 à 14 ans, le rapport des taux d’HTS de 2020, en comparaison aux années précédentes, devient significativement supérieur à 1 dès la période du deuxième confinement (RTI : 1,18 [1,02-1,37]) et le reste durant la dernière période (2020-2021) (1,61 [1,55-1,67]). Pour les filles de 15 à 19 ans ce rapport devient significatif pour la dernière période en 2020-2021 (1,30 [1,26-1,33]).
Pour les filles de 20 à 24 ans, les taux d’hospitalisation, initialement plus élevés pour la première période de préconfinement de 2020, (1,24 [1,10-1,40]) chutent au moment du premier confinement, où ils sont moins élevés qu’en 2017-2019 (0,88 [0,76-1,01]). Ils remontent ensuite progressivement. On observe après le deuxième confinement une augmentation significative des HTS par rapport à 2017-2019 pour les filles (1,24 [1,19-1,29]), comme pour les garçons (1,12 [1,06-1,18]).
Entre 25 ans et 64 ans, les femmes et les hommes ont un rapport de taux d’HTS significativement moins élevé en 2020 et 2021 qu’en 2017-2019 dès la première période de confinement. Cette tendance persiste chez les femmes entre 65 et 79 ans.
Entre 65 et 84 ans chez les hommes et entre 75 et 84 ans chez les femmes, les taux d’incidence d’hospitalisation en 2020 et début 2021 n’ont pas varié significativement par rapport aux taux enregistrés en 2017-2019.
Pour les personnes de 85 ans et plus, le rapport des taux d’HTS est moins élevé pour la dernière période en 2020-2021 que la moyenne des taux enregistrés de 2017-2019.
En 2020, quel que soit le sexe, le recours global à des actes non violents est significativement moins fréquent pour la période de l’interconfinement, celle du deuxième confinement et pour le début de l’année 2021 par rapport aux années précédentes. Les femmes ont par ailleurs statistiquement moins recours à des actes non violents après la deuxième période de confinement (figure 4).
Le recours à des modalités violentes chez les femmes est moins fréquent pour la première période de confinement, mais il augmente progressivement au cours des périodes suivantes pour devenir significativement plus fréquent lors de la deuxième période de confinement (1,08 [1,00-1,18]) et le début de l’année 2021 par rapport aux années 2017-2019 (1,36 [1,30-1,41]). On observe aussi chez les hommes une augmentation significative du recours aux actes violents par rapport aux années précédentes pour la dernière période en 2020-2021 (1,08 [1,03-1,14]).
Discussion
Globalement, les taux d’HTS en 2020 sont inférieurs à ceux observés les années précédentes. Lors du premier confinement, c’est le cas quel que soit le sexe à l’exception des hommes de 75 ans et plus. Cette décroissance est particulièrement marquée chez les adolescents et les adultes jeunes. Ce plus faible niveau d’HTS dans les premiers mois de la pandémie, plus marqué chez les jeunes, est observé aussi à partir des données du Clinical Practice Research Datalink, représentatives de la population du Royaume-Uni 15.
Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ces décroissances. L’indicateur « hospitalisations pour tentative de suicide » ne couvre pas toutes les tentatives de suicide, puisque seuls 60% d’entre elles font l’objet d’une hospitalisation 16. Dans ce contexte, les situations de confinement et de modification d’accès aux soins en situation de crise peuvent avoir joué un rôle important dans la décroissance observée 8. Ce phénomène pourrait également avoir été exacerbé par une crainte d’entrer en contact avec le SARS-CoV-2 à l’hôpital. Une large étude de panel au niveau du Royaume-Uni, COVID-19 Social Study, a montré que le taux de tentatives de suicide déclarées survenues lors de la semaine précédant l’interview restait stable (2 à 4%) pendant et au décours de la première période de confinement, alors que parallèlement, on constatait une diminution de la prise en charge de suicide dans les services de santé anglais durant cette première période 17. Ainsi, les personnes ayant commis une tentative de suicide auraient cherché de l’aide (ou pas) ailleurs.
Par ailleurs, la diminution des tentatives de suicide pourrait être réelle. Les patients qui ont souffert du Covid-19 ont pu avoir le sentiment de faire partie d’un « phénomène de rassemblement » qui aurait diminué le risque de tentative de suicide 18. De plus, pour les jeunes, le confinement peut avoir diminué la pression scolaire et le risque de stigmatisation et renforcé les contacts parents-enfants dans le cadre de la famille, ce qui pourrait avoir amélioré leur santé mentale et diminué les passages à l’acte suicidaire 15. De même, aucune augmentation des taux de suicide n’est observée au cours de l’année 2020 dans les pays disposant d’un système de surveillance fiable et instantané des suicides 5, et des diminutions de ces taux ont déjà été constatées lors de moments de crise nationale ou régionale 19. Cette diminution des tentatives de suicide contraste avec les niveaux élevés de dépression, d’anxiété, d’insomnie et d’idées suicidaires mesurées durant la période de pandémie dans la population générale en France 1 et à l’étranger 2.
Après la période du premier confinement, les taux d’HTS continuent à être inférieurs à ceux des années précédentes pour les Français entre 35 et 85 ans. En revanche, on observe une augmentation progressive de ces taux chez les jeunes gens de 10 à 24 ans. Cette observation est plus nette chez les jeunes femmes. Une telle augmentation des comportements suicidaires consultants à l’hôpital a été observée à partir de l’été 2020 chez les adolescents dans d’autres études faites en France 13,20. Elle est également constatée durant la même période dans les dossiers d’un réseau de soins primaires au Royaume-Uni 21. De même, si les données de registre des tentatives de suicide de Catalogne ont relevé un taux de tentatives de suicide pratiquement inchangé parmi les garçons, elles ont mis en évidence une forte augmentation chez les adolescentes, en particulier de septembre 2020 à mars 2021 22. Aux États-Unis, l’analyse des Centers for disease control and prevention sur 71% des hôpitaux du pays montre que l’incidence des visites aux urgences liées au suicide chez les filles âgées de 5 à 17 ans a augmenté de juin à décembre 2020 par rapport aux mois correspondants en 2019 23.
Les résultats vont dans le sens de l’existence d’un mal-être persistant chez les enfants et les jeunes adultes qui se manifeste au travers d’autres indicateurs. Ainsi, presque 12 mois après l’irruption de la pandémie de Covid-19, les résultats de la deuxième vague de l’enquête Epicov 24 ont mesuré que près d’un quart des jeunes filles de 15 à 24 ans présentait des symptômes dépressifs. De même, au Royaume-Uni, la deuxième vague de l’enquête Mental Health of Children and Young People in England sur la santé mentale des enfants et des jeunes confirme une tendance à une augmentation des troubles mentaux probables chez les jeunes de 5 à 23 ans, et particulièrement chez les jeunes filles de 17 à 22 ans lors de l’année 2020 et au printemps 2021 par rapport à l’année 2017 25.
Ainsi, la persistance des différentes mesures de restriction sociale adoptées en conséquence de la durée de la pandémie de Covid-19 peut avoir à la longue joué sur la quantité et la qualité des relations interpersonnelles. Elle a aussi possiblement induit une sensation d’isolement préjudiciable pour la santé mentale des plus jeunes. Ces mesures de restrictions sociales sont survenues sur un groupe d’âge particulièrement exposé aux troubles psychopathologiques, à une étape charnière du développement de leur identité où les relations amicales et les expériences sociales gratifiantes sont importantes. Une revue systématique de l’impact psychologique de l’isolement social sur les enfants et les adolescents dans le contexte de la pandémie a fait apparaître des associations positives entre, d’une part, l’isolement social, et d’autre part, les idées suicidaires, les tentatives de suicide et les comportements à risque en matière de troubles alimentaires 26. Par ailleurs, dans un contexte d’augmentation du temps passé au sein de la famille, les facteurs de stress associés à la crise sanitaire qui affectent les adultes ont pu avoir un impact important sur la santé mentale des plus jeunes 27. Enfin, la pandémie a entraîné une situation d’hyperexposition virtuelle qui peut avoir majoré les situations de harcèlement 28. En outre, un travail sur les appels de tous les centres antipoison pour intoxication volontaire entre 2018 et 2021 montre un ralentissement de la décroissance observée depuis 2018 de ces appels chez les 12-24 ans, en février 2020 chez les femmes, et dès septembre 2019 chez les hommes. Ces résultats suggèrent que les effets négatifs de la Covid-19 pourraient avoir agi sur une situation fragilisée préexistante pour cette catégorie de population 12.
On observe aussi un recours plus fréquent à des modalités de tentatives de suicide classées comme violentes, pour la deuxième période de confinement chez les femmes et la période suivante chez les hommes comme chez les femmes par rapport aux années 2017-2019. Ce résultat confirme ceux de Jollant et coll. 13. Par ailleurs, Olié et coll. ont mis en évidence une augmentation du recours à des actes violents en 2020 par rapport aux années 2018 et 2019 parmi les hospitalisés pour tentative de suicide en France 10. Or, l’utilisation de moyens violents est considérée comme un marqueur d’intentionnalité et de dangerosité du passage à l’acte suicidaire, ainsi qu’un facteur de risque de suicide ultérieur supplémentaire par rapport à celui d’avoir réalisé une tentative de suicide 29.
Forces et limites
Le PMSI-MCO est un système de surveillance qui offre l’avantage d’une image exhaustive des hospitalisations pour HTS sur le territoire national et qui permet une surveillance efficace et pérenne. Les données nous permettent également de distinguer différentes périodes en fonction des consignes sanitaires, ce qui est essentiel.
Cette étude comportait plusieurs limites. La qualité des données dépend du codage effectué par les cliniciens, et le fait que les données du PMSI-MCO national soient anonymes nécessite des études particulières, avec un retour aux sources pour vérification et évaluation d’une éventuelle sous-déclaration. Cependant, nous n’avons aucune raison de penser que la qualité du codage a changé en 2020 par rapport aux années précédentes.
Dans le PMSI-MCO, le recueil des données sociodémographiques reste limité au sexe, à l’âge et au lieu de résidence. Aucune donnée n’est recueillie sur les situations professionnelles, familiales ou scolaires (facteurs de risque de suicide bien connus) qui auraient été pertinentes à étudier dans ce contexte de crise liée à la pandémie de Covid-19. Par exemple, l’analyse des données de l’échantillon démographique permanent santé entre 2015 et 2017 montrait un risque d’hospitalisation pour tentative de suicide huit fois plus élevé chez les jeunes femmes de 15 à 19 ans appartenant aux 25% les plus pauvres de la population que chez les jeunes hommes de 15 à 19 ans appartenant aux 25% les plus aisés de la population 30. Enfin, cette étude n’inclut pas les personnes qui n’ont pas cherché à se soigner ou qui ont exclusivement consulté un médecin en ambulatoire, ni celles qui ont été vues aux urgences sans être transférées dans les services d’hospitalisation.
Conclusion
Si globalement les incidences des hospitalisations pour tentative de suicide sont inférieures en 2020 par rapport à celles des années 2017-2019, l’analyse de l’évolution de cet indicateur chez les jeunes femmes présente des spécificités qu’il est important de souligner d’un point de vue de santé publique. L’incidence des hospitalisations pour tentative de suicide dans cette catégorie de la population, d’abord très diminuée durant la première phase de confinement, augmente nettement au cours des phases suivantes pour dépasser significativement les niveaux des années précédentes. Ces résultats alertent sur une atteinte du bien-être psychique et émotionnel de cette population lors de la crise qui ne semble pas diminuer à moyen terme. Ce phénomène mérite d’être étudié plus en profondeur, en prenant en compte les différents déterminants qui président à son évolution. Il est très important de poursuivre la surveillance de cet indicateur sur l’ensemble de la population, ainsi que sur les groupes vulnérables (enfants et adolescents des deux sexes, mais aussi personnes adultes socio-économiquement défavorisées ou personnes âgées dont la situation peut se fragiliser en fonction de l’évolution de la situation économique et sociale suite à la crise de la Covid-19).
Lien d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
02_congres/Urgences/urgences2013/donnees/pdf/008_Delamare.pdf