Hépatites virales B, C et delta en population générale adulte vivant à Mayotte, enquête Unono Wa Maore 2018-2019
// Hepatitis B, C and delta in the general adult population living in Mayotte, Unono Wa Maore survey, 2018-2019
Résumé
Objectifs –
Estimer, dans la population générale de 15-69 ans vivant à Mayotte, la prévalence des infections par les virus des hépatites B (VHB), C (VHC) et delta (VHD), la proportion de personnes non immunisées contre le VHB et décrire les caractéristiques épidémiologiques et virologiques des personnes infectées.
Méthodes –
L’enquête Unono Wa Maore, réalisée en 2018-2019, à domicile, auprès d’un échantillon aléatoire de la population générale vivant à Mayotte, comportait un recueil de données épidémiologiques et d’un échantillon sanguin veineux. Les marqueurs sérologiques et moléculaires du VHB, VHC et VHD ont été recherchés.
Résultats –
Parmi 5 207 personnes de 15-69 ans sollicitées, 4 643 ont répondu au questionnaire (89,2%), dont 2 917 ont été testées (62,8%). Soixante-seize personnes étaient positives pour l’antigène (Ag) HBs, soit une prévalence de l’infection par le VHB estimée à 3,0% (IC95%: [2,3-3,9]). Une personne était positive pour les anticorps (Ac) VHD (0,65%), avec une charge virale ARN-VHD négative. Une infection VHB ancienne guérie était retrouvée chez 27,8%. La proportion de personnes immunisées par la vaccination (AcHBs≥10 mUI/mL), estimée à 27,7% pour les 15-69 ans, était maximale chez les 15-29 ans (37,9%). Cependant, 47,9% des 15-29 ans n’étaient pas immunisés (vaccination ou infection ancienne).
Six personnes étaient positives pour les AcVHC (0,21%), dont trois avaient un ARN-VHC détectable.
Conclusion –
Ces résultats confirment que Mayotte est une zone de faible endémie pour le VHC et le VHD, mais de moyenne endémie pour le VHB. Avec une prévalence de l’AgHBs dix fois plus élevée qu’en métropole et une proportion élevée des 15-29 ans non immunisés, l’hépatite B doit constituer une priorité de santé publique à Mayotte.
Abstract
Objectives –
To estimate, among the 15-69-year-old general population living in Mayotte, the prevalence of infections with hepatitis B (HBV), C (HCV) and delta (VHD) viruses, as well as the proportion of people not immunized against HBV, and to describe the epidemiological and virological characteristics of infected people.
Methods –
The Unono Wa Maore survey, carried out in 2018–2019 on a random sample of Mayotte’s general population, included at-home collection of epidemiological data and venous blood samples. Detection of hepatitis B, C and delta serological and molecular markers was performed.
Results –
Among 5,207 people aged 15-69 invited to participate, 4,643 responded to the questionnaire (89.2%), of which 2,917 were tested (62.8%). Seventy-six individuals were positive for HBs (Ag) antigen, i.e., a HBV infection prevalence estimated at 3.0% (95% CI: [2.3-3.9]). One person was positive for HDV antibodies (Ab) (0.65%) with a negative HDV-RNA viral load. A past and cured HBV infection was found in 27.8%. The proportion of people immunised by vaccination (HBsAb≥10 mIU/mL), estimated at 27.7% in the 15-69 age group, was highest among 15-29 year-olds (37.9%). However, 47.9% of 15-29 year-olds were not immunised by vaccination or a past infection. Six individuals were positive for HCVAb (0.21%), including three positive for HCV RNA.
Conclusion –
These results confirm that Mayotte is a low endemic area for HCV and HDV, but an intermediate endemic area for HBV. HBsAg prevalence is ten times higher than in metropolitan France and a high proportion of 15-29 year olds are not immunised against HBV, making hepatitis B a major public health concern in Mayotte.
Introduction
Situé dans l’archipel des Comores dans le sud-ouest de l’Océan Indien, Mayotte est la plus petite région française (376 km2), mais à la plus forte densité de population (768 habitants/km2) après l’Île-de-France 1. Sa population, estimée à 288 926 habitants (au 1er janvier 2021), est très jeune (53,8% ont moins de 20 ans) 1. Elle connaît une croissance démographique dynamique (+3,8% en moyenne par an depuis 2012) 2, essentiellement liée à un taux de natalité très élevé (35,2‰ vs. 10,7‰ pour la métropole) 3, mais également à une immigration importante, principalement depuis les Comores, qui s’est accrue depuis la départementalisation de Mayotte en 2011 2. Ainsi, près de la moitié de la population vivant à Mayotte (48%) est de nationalité étrangère 2. Sur le plan social, 77% de la population vit sous le seuil de pauvreté national (vs. 14% en métropole), dans des conditions de logement souvent difficiles (60% des logements sont dépourvus d’eau courante, toilettes ou douche) 4. La situation sanitaire est également préoccupante, avec une offre de soins limitée (la densité de médecins généralistes y est ainsi six fois plus faible que dans le reste de la France 5), dans un contexte de fréquences élevées de certaines pathologies chroniques 6,7 ou infectieuses 8,9 et de couvertures vaccinales insuffisantes 10.
Jusqu’à présent, les données épidémiologiques sur les hépatites B et C à Mayotte concernaient des populations spécifiques. La prévalence de l’antigène (Ag) HBs, témoignant d’une infection en cours par le virus de l’hépatite B (VHB), était estimée entre 2,3% et 4,8% chez les parturientes selon les études réalisées entre 2008 et 2016 11,12,13,14, soit une prévalence trois à six fois plus élevée que celle estimée dans la même population en France entière (0,84%) 12. Elle était de 4,3% parmi les patients hospitalisés dans le service de médecine du Centre hospitalier de Mamoudzou (CHM) en 2014-2015 15. En 2016, le taux de positivité des tests AgHBs réalisés au CHM était de 3,8% vs. 0,8% en France entière 16. Pour le virus de l’hépatite C (VHC), parmi les 697 patients hospitalisés en médecine au CHM en 2014-2015, 7 (1%) avaient des anticorps anti-VHC (AcVHC), dont trois avaient une infection en cours (ARN-VHC positif) 15. Le taux de positivité des tests AcVHC réalisés au CHM était de 0,03% vs. 0,7% en France entière en 2016 16. Concernant le virus de l’hépatite delta (VHD), il n’existait pas de données publiées.
Dans ce contexte, les objectifs de ce travail étaient, dans la population générale de 15-69 ans vivant à Mayotte :
1) d’estimer la prévalence des infections par le VHB, le VHC et le VHD ;
2) d’estimer la proportion de personnes non immunisées contre le VHB par la vaccination ou une infection (susceptibles d’infection par le VHB et le VHD) ;
3) de décrire les caractéristiques épidémiologiques et virologiques des personnes infectées.
Méthodes
Source de données
Ce travail a été réalisé à partir de l’enquête Unono Wa Maore, menée de novembre 2018 à juin 2019, auprès d’un échantillon aléatoire de la population générale âgée de moins de 70 ans et vivant à Mayotte depuis au moins trois mois 17. L’échantillon a été constitué selon un plan de sondage à trois degrés : tirage au sort des adresses à partir du Répertoire d’immeubles localisés fourni par I’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), puis des logements (si plusieurs logements à la même adresse), puis de cinq individus au maximum au sein des logements sélectionnés : un enfant de moins de trois ans, un enfant de 3-14 ans et trois personnes de 15-69 ans.
Recueil de données
Après information des participants et recueil du consentement, les données étaient recueillies, à domicile, en face-à-face par un enquêteur, à l’aide de deux questionnaires pour les participants de 15-69 ans : un questionnaire long de 45 minutes pour la première personne du foyer sélectionnée, un questionnaire court de 15 minutes pour les autres personnes. Les données recueillies portaient sur les caractéristiques sociodémographiques, l’état de santé (alimentation, diabète, consommation de substances psychoactives, maladies à transmission vectorielle…), le recours aux soins, la sexualité, les comportements préventifs, notamment le recours à la vaccination anti-VHB et au dépistage du VHC, du VHB et du VIH.
Pour les participants de 15-69 ans, un infirmier réalisait, à domicile, un prélèvement sanguin veineux et des mesures anthropométriques.
Analyses biologiques
À partir du prélèvement sanguin, la détection de l’AgHBs, des anticorps AcHBc totaux, AcHBs et AcVHC a été réalisée à l’aide des trousses Architect HBsAg Qualitative II, Anti-HBc II, Anti-HBs et Anti-HCV respectivement. Pour les échantillons positifs pour l’AgHBs, les analyses suivantes ont été conduites : détermination du statut HBe (Liaison HBeAg/Anti-HBe, DiaSorin), détection/quantification de l’ADN-VHB (Alinity HBV m, Abbott), détermination du génotype VHB (phylogénie région S/P), détection des AcVHD (Liaison XL Murex Anti-HDV et/ou HDV Ab-Elisa-Dia.pro) et si positifs, détection/quantification de l’ARN-VHD et détermination du génotype VHD (phylogénie région R0, technique CNR Delta). Pour les échantillons positifs pour les AcVHC, la détection/quantification de l’ARN-VHC (Alinity m HCV, Abbott) et la détermination du génotype VHC (phylogénie région NS5B, Sentosa SQ HCV Genoptyping Assay v2) ont été réalisées.
Les Ac VIH ont également été recherchés (Architect HIV Ag/Ab Combo) et en cas de positivité, une confirmation par western blot a été réalisée. Le taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c) a été mesuré par chromatographie liquide haute performance.
Définitions
Le statut sérologique vis-à-vis du VHB a été défini de la façon suivante :
–Infection en cours : AgHBs (+) ;
–Infection ancienne guérie: AcHBc (+), AgHBs (-) +/- AcHBs (+) ;
–Immunisation par la vaccination : AcHBs (+), AcHBc (-) et AgHBs (-) ;
–Absence d’infection ou d’immunité vaccinale en cas de négativité des trois marqueurs.
Le seuil de positivité pour les AcHBs était de 10 mUI/mL.
L’obésité était définie par un indice de masse corporelle d’au moins 30 kg/m2. Une personne était considérée comme diabétique si elle indiquait qu’un médecin lui avait déjà dit qu’elle avait un diabète ou si son taux d’HbA1c était d’au moins 6,5%.
Un logement précaire était défini comme une construction non en dur, ou sans eau courante, ou toilettes dans le logement.
Analyse des données
L’analyse des données a concerné les participants de 15-69 ans.
Les prévalences des infections par le VHB et le VHC ont été estimées par les proportions de personnes testées positives parmi les personnes testées, extrapolées à la population générale vivant à Mayotte.
Les comparaisons ont été réalisées à l’aide du test du Chi2 pour les variables qualitatives, en utilisant un seuil de significativité de 5%.
Les résultats ont été pondérés et redressés pour prendre en compte l’échantillonnage et la non réponse au niveau du logement et au niveau individuel 17.
L’analyse a été réalisée à l’aide de Stata® 14.2 (StataCorp., USA).
Résultats
Taux de participation et description de la population d’étude
Parmi les 5 069 logements individuels sélectionnés, 3 561 étaient exploitables (70,3%), parmi lesquels 2 600 foyers (73,0%) ont participé à l’enquête 17. Au sein de ces foyers, 5 207 personnes âgées de 15-69 ans ont été sollicitées, parmi lesquelles 4 643 personnes (89,2%) ont répondu aux questionnaires court (n=2 248) ou long (n=2 395) (figure 1). Parmi elles, 2 917 personnes ont été testées pour les marqueurs sérologiques du VHB et du VHC (62,8%) : respectivement 1 412 et 1 505 personnes ayant répondu aux questionnaires courts et longs.
Après pondération et redressement, les distributions des caractéristiques sociodémographiques et épidémiologiques des personnes testées pour le VHB et le VHC et de l’ensemble des participants étaient proches, à l’exception du lieu de naissance (avec 49,4% de personnes nées aux Comores parmi les personnes testées vs. 46,7% parmi l’ensemble des répondants) (tableau 1).
Hépatites B et delta
Le statut sérologique vis-à-vis du VHB a pu être déterminé pour 2 916 personnes (résultat AgHBs manquant pour un individu). Il variait de façon statistiquement significative selon l’ensemble des caractéristiques sociodémographiques et épidémiologiques étudiées (figure 2).
Soixante-seize personnes étaient positives pour l’AgHBs, soit une prévalence de l’infection en cours par le VHB estimée à 3,0% (IC95%: [2,3-3,9]). Elle était deux fois plus élevée chez les hommes que chez les femmes (4,3% vs. 1,9%, p<10-2) et était maximale chez les 30-49 ans (4,1%). Elle était significativement plus élevée chez les personnes vivant en couple que chez celles ne vivant pas en couple (3,8% vs. 1,9%, p<10-2), ainsi que chez celles ayant déclaré ne pas avoir utilisé de préservatif lors de leur premier rapport sexuel par rapport à celles ayant indiqué l’avoir utilisé (3,9% vs. 0,7%, p<0,05).
Les caractéristiques épidémiologiques et virologiques des personnes testées positives pour l’AgHBs, ainsi que leurs comorbidités, sont présentées dans le tableau 2. Elles étaient âgées en moyenne de 37 ans (intervalle interquartile : 35-39) et étaient principalement nées à Mayotte (50,8%) ou aux Comores (44,3%). Aucune n’était co-infectée par le VIH ou le VHC. Près de 30% d’entre elles étaient obèses et 13,6% étaient diabétiques, sans différence significative avec les participants AgHBs (-). La grande majorité des personnes AgHBs (+) étaient AgHBe négatif (93,5%). La charge virale ADN-VHB (détectable pour 99%) était inférieure à 2 000 UI/mL pour 64,0% et supérieure à 20 000 UI/mL pour 11,8%. Les génotypes VHB étaient A (69,4%) et D (30,6%). Seule une personne était positive pour les AcVHD (0,65%), avec une charge virale ARN-VHD indétectable. Parmi les 34 personnes AgHBs (+) interrogées, 12 (32,1%) ont déclaré qu’un médecin leur avait indiqué qu’ils avaient une hépatite B.
Une infection ancienne guérie était retrouvée pour 27,8% [25,8-28,9] des participants testés. Cette proportion variait significativement selon toutes les caractéristiques des personnes, à l’exception de la couverture sociale, du statut vaccinal anti-VHB déclaré et de la précarité du logement. Elle était plus élevée chez les hommes (32%) que chez les femmes (24%, p<10-3), chez les participants nés aux Comores (33%) que chez ceux nés à Mayotte (22%), en métropole ou dans un autre DROM (4%) ou dans un autre pays (22%) et atteignait 50,5% chez les 50-69 ans.
La proportion de personnes immunisées par la vaccination était estimée à 27,7% [25,9-29,7] et était significativement associée à l’ensemble des variables de la figure 2. Elle était notamment plus élevée chez celles qui se déclaraient vaccinées contre le VHB (40,5%) que chez celles se déclarant non vaccinées (14,1%) ou chez celles indiquant ne pas savoir (23,6%). Elle atteignait 37,9% chez les moins de 30 ans.
Plus de quatre personnes sur dix étaient négatives pour les trois marqueurs sérologiques, donc susceptibles d’infection par le VHB et le VHD. Cette proportion était de 47,8% chez les moins de 30 ans, et de 51,3% chez celles déclarant ne jamais avoir eu de rapport sexuel.
Hépatite C
Parmi les 2 917 personnes testées, seules six étaient positives pour les AcVHC, soit 0,21%. Il s’agissait de trois hommes et de trois femmes, âgés en moyenne de 56,3 ans (min=33, max=66). Trois personnes avaient une infection en cours (ARN-VHC positif), avec une charge virale de 4,7, 5 et 5,2 Log UI/mL et un génotype 1b, 3h et 2 (non sous-typable).
Discussion
Cette enquête auprès d’un large échantillon aléatoire de la population générale vivant à Mayotte a permis, pour la première fois dans cette population, d’estimer la prévalence des hépatites B, C et delta, de décrire son statut sérologique vis-à-vis du VHB, ainsi que les caractéristiques épidémiologiques et virologiques des personnes infectées par le VHB.
La prévalence de l’AgHBs était estimée à 3,0% [2,3-3,9] chez les 15-69 ans, soit une prévalence dix fois plus élevée que celle estimée en population générale métropolitaine en 2016 (0,3%) 18 et supérieure à celles des autres DROM 19. Cette estimation est cohérente avec les précédentes estimations qui, jusqu’à présent, concernaient uniquement des populations spécifiques, tels les parturientes (2,3-4,8%) 11,12,13,14, les patients hospitalisés (4,3%) 15 ou les personnes dépistées au laboratoire du CHM (3,8%) 16 ou en consultation de dépistage anonyme et gratuit (4,5%) 14. Elle confirme que Mayotte est une zone de moyenne endémicité pour le VHB (prévalence de l’AgHBs entre 2 et 8%). Les résultats suggèrent que les hommes, avec une prévalence estimée à 4,3%, plus du double de celle estimée chez les femmes (1,9%), sont probablement à cibler en termes de dépistage. Avec une forte fécondité (5,0 enfants par femme) 2 et un taux élevé de réalisation du dépistage prénatal de l’hépatite B (96,4%) 13, obligatoire depuis 1992, les femmes sont en effet sans doute mieux dépistées. Le dépistage est d’autant plus important que près des trois quarts des personnes trouvées positives pour l’AgHBs déclaraient vivre en couple, avec un risque de transmission à leurs conjoint et enfants. L’estimation de la proportion de personnes AgHBs (+) indiquant qu’un médecin leur avait diagnostiqué une hépatite B (32%) est à interpréter avec prudence en raison des faibles effectifs, mais aussi des difficultés de compréhension de cette question lors de l’entretien. En termes d’âge, la prévalence était maximale chez les 30-49 ans, mais restait élevée dans les autres classes d’âges, à l’exception des 15-17 ans chez lesquels elle était estimée à 0,5%. Nés à Mayotte pour plus de 80% d’entre, ces derniers ont en effet pu bénéficier de la vaccination anti-VHB à la naissance, mise en œuvre au CHM dès 1999 et recommandée en 2012 14,20, ainsi que de la sérovaccination à la naissance pour ceux nés de mères positives pour l’AgHBs.
Nos résultats suggèrent que les modes de transmission sont variés et que la contamination survient à tous âges, comme cela est classiquement décrit dans les zones de moyenne endémicité. Ainsi, 1,3% des personnes ne déclarant aucun rapport sexuel étaient AgHBs (+), suggérant une transmission périnatale ou dans l’enfance. À l’inverse, la prévalence cinq fois plus élevée chez les personnes déclarant ne pas avoir utilisé un préservatif lors de leur premier rapport sexuel (par rapport à celles indiquant en avoir utilisé) est en faveur d’une transmission sexuelle. L’hétérogénéité de la population vivant à Mayotte, avec plus de la moitié des adultes nés à l’étranger 2, principalement aux Comores où le contexte sanitaire et social est particulièrement défavorable 21, contribue probablement également à cette variabilité concernant la transmission du VHB. Si la situation économique est plus privilégiée à Mayotte, il n’en demeure pas moins que plus d’un tiers des répondants à l’enquête indiquaient ne bénéficier d’aucune couverture sociale (cette proportion était de 32,4% en 2019 selon la Caisse de Sécurité sociale de Mayotte 22). L’absence de couverture sociale concernait une proportion également élevée de personnes positives pour l’AgHBs (23%, sans différence statistiquement significative par rapport aux personnes négatives), avec un possible retentissement sur leur prise en charge. Il convient de rappeler que l’Aide médicale d’état n’existe pas à Mayotte et que seuls les résidents en situation régulière peuvent être assurés sociaux. Or, en 2015, la moitié des résidents de nationalité étrangère étaient en situation irrégulière 23.
En termes de comorbidités, aucun cas de co-infection par le VIH ou le VHC n’a été retrouvé, reflétant la circulation limitée de ces virus à Mayotte, probablement en lien avec une faible fréquence d’usage de drogues injectables et de rapports sexuels entre hommes 11. En revanche, les proportions de diabète (14%) et d’obésité (30%) étaient élevées chez les personnes AgHBs (+) (comme chez celles négatives), constituant des facteurs de risques supplémentaires d’évolution vers la cirrhose ou le cancer du foie 24. Concernant les caractéristiques virologiques, les proportions de personnes avec une charge virale ADN-VHB >20 000 UI/mL (11,8%), un AgHBe positif (6,5%) ou des AcVHD (0,65%) étaient plus faibles que celles observées chez des patients pris en charge dans les services experts en hépatologie en France entre 2008-2012 (respectivement 22,2%, 12,2% et 3,7%), ces services prenant généralement en charge les patients les plus graves 25. Les génotypes VHB identifiés (A et D) correspondaient à ceux circulant en Afrique, notamment de l’Est 26.
La proportion de personnes ayant une infection par le VHB ancienne guérie était estimée à 27,8% [25,8-29,9], ce chiffre augmentant fortement avec l’âge pour atteindre 51% chez les 50-69 ans. Ainsi, en tenant compte des personnes AgHBs (+), plus de trois personnes sur dix vivant à Mayotte ont été infectées par le VHB au cours de la vie.
Dans ce contexte de circulation importante du VHB, la mise en œuvre de mesures préventives, notamment de la vaccination, est essentielle. Si la mise en œuvre de la vaccination anti-VHB dès la naissance 14,20 depuis 1999 a permis d’atteindre des niveaux de couverture vaccinale chez les enfants (95% chez les 24-59 mois) et les adolescents (75% chez les 14-15 ans) 10 plus élevés que pour d’autres vaccinations 27, la vaccination mériterait encore d’être renforcée. Ainsi, seuls 39% des jeunes de 15-17 ans, débutant leur vie sexuelle, présentaient un profil sérologique témoignant d’une immunisation par la vaccination. Cette proportion demeure insuffisante même si l’on tient compte de la disparition possible des AcHBs, estimée autour de 40-45% chez les adolescents vaccinés à la naissance 28, sachant que la protection persiste au moins 30 ans, voire toute la vie, même en cas de disparition des AcHBs 29. En outre, le statut vaccinal anti-VHB était très mal connu, puisque plus d’une personne sur deux indiquait ne pas savoir si elle était vaccinée. En métropole, cette proportion était estimée à 7% en 2016 18. Parmi ceux indiquant être vaccinés, 2,4% étaient porteurs de l’AgHBs, donc susceptibles de transmettre l’infection, dans un contexte où les comportements préventifs en matière de sexualité semblent insuffisants. Ainsi, seules 19,5% des personnes avaient indiqué avoir utilisé un préservatif lors du premier rapport sexuel. Cette proportion était de 35,2% chez les 18-29 ans vs. 85% en population générale métropolitaine en 2016 30.
Concernant le virus de l’hépatite C, seules six des 2 917 personnes testées pour les AcVHC étaient positives (0,21%), dont trois étaient positives pour l’ARN VHC. Ce résultat confirme que Mayotte est une zone de faible endémie pour le VHC, comme la France métropolitaine, où la prévalence de l’ARN-VHC était estimée à 0,3% en 2016 18.
L’objectif de l’enquête Unono Wa Maore étant de fournir une description de l’état de santé et du recours aux soins de la population résidant à Mayotte, des choix ont dû être faits pour limiter la durée de passation des questionnaires. Aussi, les données épidémiologiques recueillies sur les hépatites sont peu nombreuses et ne figuraient que dans le questionnaire long, à l’instar du pays de naissance ou des questions sur la sexualité. Ceci limite donc la puissance des analyses statistiques réalisées. Enfin, l’ensemble des personnes interrogées n’ont pas pu être prélevées en raison de contraintes liées au terrain de l’étude. Cependant, grâce notamment à un taux de participation à l’enquête très élevé (89%), près de 3 000 personnes, soit près de 2% de l’ensemble des résidents âgés de 15-69 ans, ont pu être prélevées et testées pour le VHB et le VHC. Leurs caractéristiques étaient proches de celles de l’ensemble des participants après pondération et redressement. La mise en œuvre de l’enquête, directement au domicile des personnes enquêtées, a en outre rendu possible la réalisation de prélèvements sanguins veineux, permettant la recherche de nombreux marqueurs des hépatites B, C et delta.
Cette enquête auprès d’un large échantillon de la population générale adulte a permis de confirmer que Mayotte est une zone de faible endémie pour les virus des hépatites C et delta, mais de moyenne endémie pour celui de l’hépatite B. Avec une prévalence de l’AgHBs dix fois plus élevée qu’en métropole, une proportion élevée de personnes non immunisées, notamment parmi les jeunes, et dans un contexte démographique, sanitaire et social pouvant favoriser sa transmission, l’hépatite B doit constituer une priorité de santé publique à Mayotte. Dans cette perspective, le rattrapage vaccinal chez les adolescents et les jeunes adultes, le renforcement du dépistage de l’hépatite B chez les hommes, ainsi que la promotion des comportements préventifs en matière de sexualité figurent parmi les actions à mener prioritairement.
Remerciements
Aux personnes ayant participé à l’enquête Unono Wa Maore, aux cellules régionales de Mayotte et de La Réunion, aux équipes de Santé publique France, à l’Agence régionale de santé de Mayotte, aux équipes du Centre national de référence des Hépatites Virales B, C et delta, à l’institut Ipsos Observer et Sikajob, aux enquêteurs, aux infirmiers de l’Union régionale des professionnels de santé de l’Océan Indien, au laboratoire Mayobio, aux pharmacies, au centre hospitalier de Mayotte, ainsi que l’ensemble des personnes qui sont intervenues lors de cette enquête.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
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santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/vaccination/documents/enquetes-etudes/evaluation-epidemiologique-de-la-campagne-de-rattrapage-vaccinal-chez-les-enfants-de-moins-de-6-ans-a-mayotte-mai-juin-2018
documents/enquetes-etudes/barometre-sante-2016.-genre-et-sexualite