La situation périnatale à Mayotte en 2016 : principaux résultats de l’Enquête nationale périnatale (ENP) et de son extension

// Mayotte’s perinatal health situation in 2016: main results of the National Perinatal Survey and its extension

Fanny Parenton (fparenton@gmail.com), Hassani Youssouf, Éric Mariotti, Anne Barbail
Agence régionale de Santé Océan Indien (ARS OI), Saint-Denis, La Réunion, France
Soumis le 05.12.2018 // Date of submission: 12.05.2018
Mots-clés : Périnatalité | Mayotte | Accouchement | Enquête nationale périnatale | Naissance
Keywords: Perinatal | Mayotte | Delivery | National Perinatal Survey | Birth

Résumé

Contexte –

Avec plus de 9 000 naissances en 2016, Mayotte abrite la plus grande maternité de France. Or, peu de données actualisées et exhaustives sur la santé périnatale sont disponibles pour ce département.

Objectif –

Cette étude a été menée afin de disposer d’un état des lieux actualisé de la santé périnatale, d’apprécier son évolution par rapport à 2010 et la comparer avec la situation en métropole.

Matériel et méthodes –

Cette étude a porté sur l’ensemble des femmes ayant accouché à Mayotte entre le 14 mars et le 17 avril 2016 ; le recueil de données, réalisé par des équipes d’enquêtrices (sages-femmes et traductrices), comprenait un entretien en face à face, une collecte de données dans le dossier médical et un auto-questionnaire en langue française. Les thématiques abordées étaient multiples : caractéristiques sociodémographiques, santé avant et pendant la grossesse, contraception, suivi de grossesse, déroulement de l’accouchement et santé du nouveau-né à la naissance. Cet article présente les principaux résultats et les compare avec ceux obtenus dans le département lors de la dernière Enquête nationale périnatale (ENP) en 2010 et avec les résultats métropolitains de l’ENP 2016.

Résultats –

Les parturientes à Mayotte étaient jeunes, leur précarité s’était accrue depuis 2010 et 61,9% d’entre elles ne possédaient pas de couverture sociale. Le suivi prénatal était en deçà des recommandations de la HAS pour 70,3% des mères. Les sages-femmes réalisaient 83,1% des accouchements, interventions et complications obstétricales étaient moins fréquentes qu’en métropole. Le taux de prématurité (11,8% en 2016), stable depuis 2010, restait supérieur au taux métropolitain.

Certaines questions présentaient des taux de non-réponse importants, explicables en partie par le faible niveau d’instruction et le suivi médical insuffisant des mères. L’existence probable de biais de sous-diagnostic (lié aux carences du suivi médical de certaines mères) constitue une des autres limites de l’étude.

Conclusions –

Les constats issus de cette étude apportent un éclairage de la situation périnatale à Mayotte nécessaire à la définition d’une politique de santé adaptée au contexte socio-sanitaire.

Abstract

Background –

With more than 9,000 births in 2016, Mayotte has the largest French maternity. Though, very few updated and complete data are available on health situation for this overseas department.

Objective –

The survey aimed to provide an up-to-date account of perinatal health, to assess its evolution since 2010, and to it compare with mainland France.

Material and methods –

The survey covered all women who have given birth in Mayotte between 14 March and 17 April 2016. Data collection was performed by midwives and translators; it included a face to face interview, data collection in mother’s medical report, and a self-administered questionnaire. Multiple topics were addressed: socioeconomic characteristics, health before and during pregnancy, contraception, prenatal care, progress of delivery and newborn health. This article submits main results and comparisons with the previous National Perinatal Survey (ENP 2010) and 2016 continental France results.

Results –

Mothers in Mayotte were young, their precariousness increased since 2010 and 61.9% did not have any health insurance. 70.3% of the mothers didn’t comply with the 7 prenatal consultations and the 3 ultrasounds recommended by the Higher Health Authority (HAS). Midwifes performed 83.1% of the deliveries, obstetric procedures and complications were less frequent than in metropolitan France. The prematurity ratio (11.8% in 2016), stable since 2010, was still superior to the metropolitan rate.

High non response rates were observed among specific items which can be partly explained by the mothers’ low education level and inadequate medical follow up. Insufficient medical care could also have caused an under-diagnostic bias which is another limits of this study.

Conclusion –

This study provides a global and detailed clarification of perinatal health situation in Mayotte, and therefore constitutes a valuable resource that would help decision-makers setting priorities for action and defining an adequate strategic guidance.

Introduction

Disposer de données fiables et actualisées sur la santé périnatale est indispensable pour en suivre l’évolution temporelle et orienter au mieux les politiques de prévention et de soins. Ce besoin est d’autant plus prégnant à Mayotte du fait de la singularité de ce territoire. Le 101e département français présente des spécificités, tant en termes de caractéristiques sociodémographiques qu’en termes de situation sanitaire et d’organisation de l’offre de soins. La précarité est importante, un tiers des ménages ne disposent pas de l’eau courante 1 et 84% de la population vit sous le seuil de bas revenu 2. L’île est soumise à une immigration importante en provenance des Comores ; lors du recensement de 2017, 48% de la population était de nationalité étrangère 3. Le niveau d’instruction est faible, 36,3% de la population n’a jamais été scolarisée 4 et 58,3% ne présente pas les compétences de base à l’écrit en français 5. Près d’un habitant sur deux n’est pas affilié à la sécurité sociale, l’aide médicale d’État (AME), la couverture mutuelle universelle (CMU) et complémentaire (CMUc) n’existent pas 6. À cela s’ajoute un fort accroissement du nombre des naissances, passé de 7 306 en 2014 à 9 496 en 2016 7. Dans un contexte de faible démographie médicale, cette natalité dynamique exerce une pression importante sur l’offre de soins du secteur périnatal qui repose majoritairement sur les structures publiques.

Le département dispose d’une maternité qui compte plusieurs sites géographiques : une maternité centrale située à Mamoudzou et quatre autres sites appelés « maternités périphériques ». Seule la maternité centrale bénéficie de la présence de médecins obstétriciens, d’anesthésistes-réanimateurs et de pédiatres ; elle comprend également un service de néonatalogie-réanimation. Les quatre maternités périphériques ont un fonctionnement reposant uniquement sur des sages-femmes, des puériculteurs, des infirmiers et des aides-soignants. Cette organisation est un héritage de l’histoire de la périnatalité à Mayotte qui a vu une médicalisation s’instaurer depuis la fin des années 50 avec l’installation de la maternité de Mamoudzou, puis progressivement un mouvement de concentrations successives de la vingtaine de maternités rurales pour aboutir à l’organisation encore en place.

Le recrutement de gynéco-obstétriciens a toujours été difficile à Mayotte et, depuis leur création, les trois maternités périphériques de Grande-Terre, tout comme celle de Dzaoudzi, ont toujours fonctionné avec uniquement des sages-femmes. Ce ne sont pas pour autant des maisons de naissances, car non autonomes et non contiguës à la maternité centrale du CHM. L’offre publique est complétée par 18 centres de Protection maternelle et infantile (PMI) qui contribuent fortement au suivi des grossesses, à la planification familiale et à la vaccination des enfants de 0 à 6 ans. Bien que l’offre libérale reste minoritaire, les cabinets de sages-femmes se sont développés depuis 2012 et jouent un rôle croissant dans le suivi des femmes enceintes.

Les décideurs sont confrontés à un contexte singulier marqué par une forte précarité et une évolution rapide de la natalité. Disposer d’indicateurs actualisés et fiables est un prérequis indispensable à la mise en place de politiques de santé et d’un programme d’actions adaptées au territoire.

Notre objectif était triple : dresser un état des lieux de la santé périnatale à Mayotte en 2016, évaluer les évolutions depuis la dernière ENP en 2010 8 et comparer la situation de Mayotte aux indicateurs métropolitains de l’ENP 2016 9.

Matériel et méthodes

Il s’agit d’une étude épidémiologique descriptive transversale qui s’est appuyée sur le design de l’Enquête nationale périnatale (ENP). Les ENP sont réalisées à intervalle régulier par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Ces enquêtes portent sur la totalité des naissances survenues pendant une semaine donnée dans l’ensemble des maternités françaises. Du 14 au 20 mars 2016, a eu lieu la 5e édition des ENP 9. Afin d’augmenter la précision des indicateurs obtenus et combler les lacunes existantes, l’ARS Océan Indien a décidé de prolonger la collecte durant les 4 semaines suivantes en appliquant le même protocole. Lors de la précédente ENP en 2010, une extension de 4 semaines avait également été mise en place à Mayotte et avait permis d’inclure 500 mères 8.

Population incluse

L’étude a donc porté sur l’ensemble des naissances survenues dans un des 5 sites de la maternité, ou hors maternité mais adressées en post-partum immédiat entre le 14 mars et le 17 avril 2016. Les naissances étant définies comme l’ensemble des enfants nés vivants ou mort-nés, d’un âge gestationnel d’au moins 22 semaines d’aménorrhée ou pesant au moins 500 g à la naissance.

Recueil des informations

Le recueil des données était assuré par une sage-femme enquêtrice accompagnée d’une traductrice paramédicale et comprenait trois modules : un entretien en face-à-face, un auto-questionnaire et une collecte de données à partir des dossiers médicaux.

Les femmes avaient la possibilité de participer aux trois modules ou seulement à un ou à deux d’entre eux. Si elles ne souhaitaient pas participer, ou si leur état de santé ou celui de leur enfant ne le permettait pas, seul un recueil de 13 indicateurs (ou questionnaire minimal) était réalisé à partir de leur dossier médical.

En pratique, les femmes étaient contactées 1 à 2 jours après la naissance dans le service de suites de couches de la maternité. Un entretien d’environ 40 minutes était réalisé, puis un auto-questionnaire abordant des sujets sensibles (consommation d’alcool, usage de drogues, bien-être psychologique, violences physiques durant la grossesse) était distribué. L’aide des enquêtrices était proposée aux mères pas en capacité de compléter l’auto-questionnaire seule (illettrisme ou non maîtrise du français).

Traitement et analyse des données

Les données recueillies pendant les quatre semaines d’extension ont été saisies et apurées par le Service études et statistiques de l’ARS Océan Indien, celles recueillies pendant la semaine nationale par l’Inserm et la Drees. Les deux bases de données obtenues ont été fusionnées puis analysées, à l’aide du logiciel SAS® 9.3, par le Service études et statistiques de l’ARS Océan Indien. Les variables qualitatives ont été présentées par leur fréquence et leur pourcentage. Les proportions ont été présentées avec leur intervalle de confiance avec une marge d’erreur de 5%. Certaines variables recueillies sous forme de variables quantitatives ont été catégorisées pour obtenir des variables qualitatives. L’indépendance entre variables a été appréciée par le test du Chi2. Les moyennes des variables quantitatives ont été comparées, après s’être assuré que leur distribution suivait une loi normale, avec un test de Student.

Certaines questions admettaient des taux de non-réponse particulièrement élevés pouvant être à l’origine de biais de sélection. Afin d’identifier et d’apprécier ces éventuels biais, des questions admettant plus de 10% de non-réponse ont été sélectionnées. Pour chacun de ces items, quatre variables socioéconomiques (nationalité, couverture sociale, niveau d’étude, revenu du ménage) des femmes ayant répondu et de celles n’ayant pas répondu ont été comparées.

Résultats

Bilan des inclusions et exhaustivité

Au total, 1 008 femmes et 1 025 enfants ont été inclus (17 naissances gémellaires) : 821 mères (81,4%) ont accepté une participation totale à l’enquête, 92 (9,1%) ont participé seulement à la collecte de données du dossier médical et 95 (9,4%) ont fait l’objet du recueil minimal.

Sur cette période, 1 047 accouchements ont été recensés dans les registres de la maternité soit un taux d’exhaustivité de 96,3%.

La situation à Mayotte en 2016

La précarité des mères était importante : 43,5% (57,1% des répondantes) ont déclaré un revenu de ménage inférieur à 500 €, 44,8% n’avaient pas été scolarisées au-delà du primaire et 61,9% ne disposaient d’aucune couverture sociale. Elles étaient majoritairement (70,0%) comoriennes (tableau 1) et 71,2% des femmes nées à l’étranger étaient arrivées en France avant 2015. Malgré une proportion importante de jeunes femmes (plus de 13% des parturientes avaient moins de 20 ans), la parité était élevée (23,9% des parturientes avaient déjà eu quatre enfants ou plus).

Tableau 1 : Caractéristiques sociodémographiques des mères. Enquête nationale périnatale et extension à Mayotte, 2010 et 2016, Mayotte et France métropolitaine
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Le surpoids et l’obésité atteignait des proportions alarmantes, un quart de celles ayant su indiquer leur poids et leur taille étaient obèses (indice de masse corporelle ≥30) et, d’après les dossiers médicaux, 3,2% des parturientes avaient présenté avant leur grossesse, un diabète et 4,5% de l’hypertension artérielle (HTA) (tableau 2).

Tableau 2 : Santé avant la grossesse. Enquête nationale périnatale et extension à Mayotte, 2010 et 2016, Mayotte et France métropolitaine
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Au cours de leur grossesse, 98,8% des parturientes avaient consulté au moins une fois une sage-femme (67,2% dans une PMI, 69,5% en maternité et 35,4% dans le secteur libéral). Seulement 7,7% avaient consulté un gynécologue obstétricien en maternité et 6,1% un libéral (figure 1). Les sages-femmes de PMI étaient le professionnel principal du suivi des deux premiers trimestres pour 59,3% des mères, les libérales pour 26,9% et celles des maternités pour 9,6% des parturientes. Le nombre déclaré de consultations prénatales et d’échographies était en deçà des recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) pour une majorité de mères : 51,2% ont déclaré avoir eu moins de 7 consultations prénatales et 46,1% moins de 3 échographies, 70,3% n’ont pas effectué les 7 consultations et les 3 échographies (tableau 3). Le suivi des mères non affiliées était particulièrement insuffisant, 63,1% avaient eu moins de 7 consultations prénatales et 65,8% moins de 3 échographies. Une minorité de mères avaient suivi une séance de préparation à la naissance ou l’entretien précoce du quatrième mois (respectivement 8,7% et 6,5%).

Figure 1 : Professionnels consultés pour le suivi de grossesse. Enquête nationale périnatale et extension à Mayotte, 2010 et 2016, Mayotte et France métropolitaine
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Tableau 3 : Suivi médical pendant la grossesse. Enquête nationale périnatale et extension à Mayotte, 2010 et 2016, Mayotte et France métropolitaine
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Les taux de non-réponse aux questions portant sur la réalisation des tests anténataux étaient particulièrement importants (42,6% pour la réalisation de la clarté nucale, 41,3% pour le dépistage sérique de la trisomie 21). De ce fait, leurs taux de réalisation ne peuvent pas être estimés avec précision.

D’après les dossiers médicaux, les dépistages obligatoires ou fortement recommandés (rubéole, toxoplasmose, hépatite B, VIH) étaient largement réalisés, puisqu’au moment du recueil, le statut des parturientes vis-à-vis de ces maladies était inconnu pour seulement 2,0% (rubéole) et 3,1% (hépatite B) d’entre elles (tableau 4). La prévalence du virus de l’immunodéficience acquise (VIH) et de l’hépatite B étaient préoccupants : 0,7% des mères étaient séropositives (VIH), et 2,3% porteuses de l’antigène HBs de l’hépatite B.

Tableau 4 : Dépistages obligatoires ou fortement recommandés. Enquête nationale périnatale et extension à Mayotte, 2010 et 2016, Mayotte et France métropolitaine
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D’après les dossiers médicaux, pendant la grossesse, 5,9% des mères ont eu une HTA, 9,8% un diabète gestationnel (37,7% des femmes âgées de plus de 35 ans), 8,3% une suspicion d’anomalie du poids fœtal et 1,1% un placenta prævia. Diabète gestationnel et placenta prævia ont été plus de deux fois plus fréquemment rapportés dans les dossiers médicaux des mères affiliées que dans ceux des non-affiliées (respectivement 14,1% et 2,3% chez les affiliées contre 6,4% et 0,4% chez les non-affiliées). Au cours de la grossesse, 15,3% des parturientes (21,1% des affiliées et 11,7% des non-affiliées) ont été hospitalisées, 17,6% d’entre elles pour HTA et 38,6% pour menace d’accouchement prématuré.

Les transferts entre maternités ont concerné 16,9% des mères, essentiellement depuis les maternités périphériques vers la maternité centrale de Mamoudzou (qui concentre les médecins et les plateaux techniques). Le site central a accueilli 62,8% des accouchements, 28,8% ont eu lieu dans une maternité périphérique et 8,4% hors maternité.

Le taux de césarienne était de 17,6% pour l’ensemble des parturientes et de 32,0% chez les primipares. L’interventionnisme médical au cours du travail et de l’accouchement était faible : 12,4% des parturientes ont fait l’objet d’un déclenchement du travail, 3,1% d’une voie basse instrumentale, 2,2% d’une épisiotomie (accouchement par voie basse uniquement) et 11,6% ont eu une péridurale pendant le travail (tableau 5). Les complications obstétricales étaient peu fréquentes avec 0,5% de déchirures périnéales sévères et 0,5% d’hémorragies sévères du post-partum. Aucun décès obstétrical n’est survenu pendant l’enquête.

Tableau 5 : Déroulement du travail et de l’accouchement. Enquête nationale périnatale et extension à Mayotte, 2010 et 2016, Mayotte et France métropolitaine
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Les taux de prématurité et de petits poids de naissances étaient élevés : 11,8% des naissances vivantes étaient prématurées (figure 2) et 13,4% des nouveau-nés pesaient moins de 2 500 g. Au cours de l’enquête, 10 enfants sont nés sans vie soit un taux de mortinatalité de 1,0% (IC95%=0,4-1,6).

Figure 2 : Âge gestationnel en semaines d’aménorrhée. Enquête nationale périnatale et extension à Mayotte, 2010 et 2016, Mayotte et France métropolitaine
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Évolution départementale depuis 2010

La précarité des mères s’est accrue depuis 2010 : la part de répondantes ayant déclaré un revenu de ménage inférieur à 500 € est passée de 45% à 57,1%, la proportion de celles ne disposant d’aucune couverture sociale est passée de 53% à 61,9%. Les femmes de nationalité étrangère représentaient 63% des mères en 2010 contre 75,4% en 2016 (tableau 1).

Malgré cette dégradation, le suivi prénatal ne s’est pas détérioré (en termes de nombre de consultations et d’échographies réalisées) (tableau 3). En 2010, comme en 2016, les sages-femmes étaient l’acteur principal de ce suivi et, entre 2010 et 2016, les proportions de femmes ayant consulté pendant leur grossesse des sages-femmes libérales et des sages-femmes en maternité ont augmenté sensiblement (respectivement +22,8% et +27,5%) (figure 1).

Les complications pendant la grossesse n’ont pas évolué significativement et les transferts in utero ont diminué passant de 25% en 2010 à 16,9% en 2016.

En 2010, 23,1% des accouchements étaient réalisés par des gynécologues obstétriciens versus 8,9% en 2016. Le taux global de césarienne a diminué passant de 20,4% à 17,6% mais le taux de césarienne chez les primipares s’est accru (21,6% en 2010 contre 32,0% en 2016) (tableau 5).

Les taux de prématurité et de petits poids de naissance n’avaient pas varié significativement depuis 2010 (figure 2).

Comparaison avec la situation métropolitaine

Des différences majeures existent vis-à-vis des caractéristiques sociodémographiques. Les parturientes à Mayotte ont déclaré des revenus de ménage inférieurs (20,3% des mères à Mayotte ont déclaré un revenu supérieur à 1 500 € contre 81,8% des métropolitaines), leur niveau d’instruction était plus faible : 55,4% des métropolitaines avaient un niveau supérieur au Bac, elles étaient seulement 11,0% à Mayotte (tableau 1). Les mères mahoraises étaient plus jeunes que leur homologues métropolitaines et avaient une parité plus élevée (le taux de primipares était de 42,2% en métropole et de 22,8% à Mayotte ; près d’un quart des mahoraises (23,9%) avaient déjà eu 3 enfants ou plus contre seulement 3,1% des métropolitaines).

Le taux de mères obèses (indice de masse corporelle ≥30) était deux fois plus élevé à Mayotte qu’en métropole (25,4% contre 11,8%) et, d’après les dossiers médicaux, les parturientes mahoraises avaient, avant leur grossesse, présenté pour 3,2% d’entre elles un diabète et pour 4,5% de l’hypertension artérielle, contre respectivement 2,3% et 2,0% des métropolitaines. À l’exception près des antécédents d’enfant mort-né et des césariennes, les antécédents obstétricaux (décès néonataux, accouchements prématurés, petits poids de naissance) étaient plus fréquents à Mayotte qu’en métropole (tableau 2).

Concernant le suivi de grossesse, à Mayotte, les sages-femmes occupaient une place prépondérante au détriment des gynécologue-obstétriciens (en sous-effectif dans le département) : pour près des deux tiers des métropolitaines (65,7%), le professionnel principal du suivi des deux premiers trimestres était un gynécologue-obstétricien, alors que c’était le cas pour seulement 2,1% des parturientes à Mayotte. En métropole, seulement 1,0% des femmes n’avaient pas eu les 3 échographies recommandées et 19,8% les 7 consultations prénatales, contre respectivement 46,1% et 51,2% des femmes à Mayotte (tableau 3). Les taux de nonréponse aux questions portant sur la réalisation des tests anténataux étaient particulièrement importants (42,6% pour la réalisation de la clarté nucale, 41,3% pour le dépistage sérique de la trisomie 21). De ce fait, leurs taux de réalisation ne peuvent pas être estimés avec précision ou comparés avec ceux de la métropole.

D’après les dossiers médicaux les prévalences de certaines complications (HTA, diabète gestationnel, suspicion d’anomalie du poids fœtal et placenta prævia) n’étaient pas significativement différentes de celles constatées en métropole. Les comportements addictifs à risque étaient marginaux à Mayotte, seulement 1,0% des parturientes à Mayotte (8 femmes) avaient consommé de l’alcool et, au troisième trimestre, seules 1,7% fumaient contre 16,6% des métropolitaines. Du fait de l’organisation particulière des maternités, les transferts in utero entre maternités étaient 10 fois plus fréquents à Mayotte (16,9% des mères) qu’en métropole (1,7% des mères).

Les interventions obstétricales étaient moins fréquentes à Mayotte, seulement 3,1% des femmes ont eu une voie basse instrumentale (12,2% en métropole), 2,2% de celles qui ont accouché par voie basse ont eu une épisiotomie contre 20,1% en métropole (tableau 5). D’après les informations relevées dans les dossiers médicaux, les déchirures périnéales et les hémorragies sévères du post-partum étaient plus rares à Mayotte qu’en métropole avec respectivement 29,3% et 0,5% à Mayotte contre 52,1% et 1,8% en métropole.

Les taux de prématurité et de petits poids de naissance à Mayotte demeuraient supérieurs aux standards métropolitains : 11,8% des naissances vivantes étaient prématurées à Mayotte vs 7,5% en métropole (figure 2) et 13,4% des nouveau-nés mahorais pesaient moins de 2 500 g vs 7,5% des métropolitains.

Discussion

Les conditions socioéconomiques des femmes sont plus défavorables à Mayotte qu’en métropole et semblent se dégrader depuis 2010. Les parturientes ont plus d’enfants à Mayotte et ont leur premier enfant plus tôt (13% des parturientes incluses dans l’enquête étaient âgées de moins de 20 ans et 23,9% avaient déjà eu 4 enfants ou plus). Le suivi prénatal, majoritairement réalisé par les sages-femmes, n’a pas connu de variation importante depuis 2010 et, pour une majorité des femmes, il demeure en deçà des recommandations de la HAS. La grande majorité des accouchements est réalisée par des sages-femmes, interventions et actes médicaux lors du travail et de l’accouchement sont moins fréquents qu’en métropole. Les taux de naissances prématurés et de petits poids de naissance n’ont pas diminué significativement depuis 2010 et restent préoccupants : 11,8% des naissances totales sont prématurées et 13,9% des nouveau-nés pèsent moins de 2,5 kg contre respectivement 8,3% et 8,2% des enfants nés en métropole.

Représentativité de la population incluse

D’après les données du Programme de médicalisation des systèmes d’informations (PMSI), l’enquête a inclus 10,7% des parturientes ayant accouché au Centre hospitalier de Mayotte (CHM) en 2016. Les principaux indicateurs (répartition par classe d’âge gestationnel, distribution des modes d’accouchement, répartition par classe d’âge de la mère, répartition par poids de naissance) obtenus dans cette étude ne sont pas significativement différents (d’après application du test du Chi2) de ceux obtenus sur l’ensemble des naissances de l’année répertoriées dans le PMSI.

Non-réponses

Certaines questions portant sur la réalisation d’examens médicaux, l’existence d’antécédents, ou sur des données chiffrées, admettaient des taux de non-réponse (les mères ne savaient ou ne souhaitaient pas répondre ou l’information ne figurait pas dans le dossier médical) particulièrement élevés. L’analyse de quatre variables (nationalité, couverture sociale, niveau d’étude, revenu du ménage) a montré que les femmes n’ayant pas répondu présentaient un profil socioéconomique plus défavorable : les mères non affiliées, celles de nationalité étrangère, celles ayant un niveau d’étude faible et celles présentant un revenu de ménage inférieur à 500 € présentaient davantage de données manquantes. Ce constat est à mettre en lien avec le faible niveau d’instruction, la compréhension difficile des termes médicaux qui ne peuvent être traduits dans les langues locales et le suivi médical irrégulier de certaines mères.

Du fait des non-réponses, certains indicateurs n’ont pas pu être mesurés précisément et la comparaison avec la métropole n’a pas été possible. Par exemple, seules 28,3% des mères à Mayotte ont déclaré avoir eu une mesure de la clarté nucale et 39,8% un dépistage sérique de la trisomie 21 contre respectivement 87,0% et 88,2% des métropolitaines. Ces questions admettant près de 40% de non-réponses, il n’est pas possible d’apprécier les taux de réalisation de ces tests et de les comparer avec la métropole. Le taux de non-réponse de 16,1% mesuré à la question portant sur les antécédents d’IVG rend possible une sous-déclaration, il s’agit d’une pratique encore tabou pour certaines femmes.

Suivi des grossesses et prévalence des pathologies

La HAS recommande, pour le suivi d’une grossesse sans risque associé, la réalisation de 7 consultations et 3 échographies prénatales 10, or 70,3% des mères n’ont pas effectué ce suivi minimal. Plusieurs explications peuvent être avancées, entre autres : un début de suivi tardif (seules 35,7% des mères avaient déclaré leur grossesse et 35,3% d’entre elles l’ont fait après le premier trimestre), une crainte des contrôles d’identité poussant les mères en situation irrégulière à limiter leurs déplacements 11, la fermeture de certains centres de PMI ou la réduction de leur activité causée par un manque de personnel.

Ce constat nous invite à être prudent quant à l’interprétation des résultats portant sur l’existence d’antécédents ou la survenue de complications pendant la grossesse : en effet, le suivi médical des mères à Mayotte étant inférieur à celui des métropolitaines, un biais lié à un sous-diagnostic n’est pas à exclure, les écarts de prévalence constatés entre les parturientes affiliées et non affiliées semblent étayer cette hypothèse.

Peu de données issues d’autres études peuvent être confrontées aux résultats obtenus. Les données les plus récentes sur la prévalence des maladies chroniques sont issues de l’étude Maydia 12 réalisée en 2008, mais elles ne permettent pas de comparaison directe du fait de la constitution différente des échantillons en sexe et en âge. D’après Maydia, 6,3% des femmes âgées de 30 à 69 ans déclaraient avoir présenté un diabète gestationnel et 1,0% des femmes et hommes de 30-39 ans avaient un diabète connu. Dans notre étude, 1,6% des mères déclaraient avoir déjà eu un diabète gestationnel et 1,5% déclaraient avoir un diabète chronique (2,7% des 30-39 ans).

La taille de l’échantillon ne permet pas d’apprécier avec précision l’incidence des complications très rares (décès néonataux ou maternels par exemple). Leur estimation précise ne peut se faire qu’à travers un recueil exhaustif (analyse du PMSI, registres dédiés) et non des études ponctuelles. Mayotte est à l’heure actuelle le seul département non inclus dans l’Enquête nationale confidentielle sur la mortalité maternelle.

Prise en charge des accouchements

L’interventionnisme médical lors des accouchements (déclenchement, voie basse instrumentale, épisiotomie, anesthésie, etc.) plus faible à Mayotte qu’en métropole peut être en partie expliqué par le fait que 83,1% des accouchements ont été réalisés par des sages-femmes et par des raisons physiologiques (parité plus importante, taille et poids des nouveau-nés plus faible, etc.). Concernant l’anesthésie péridurale, cet acte est peu accessible (anesthésistes présents uniquement sur le site de Mamoudzou et en nombre insuffisant) et la demande est plus faible (seulement 12,8% des parturientes souhaitaient absolument une analgésie péridurale avant leur accouchement, contre 64,3% des métropolitaines).

Dans ce contexte, à certains égards éloigné des standards métropolitains, il aurait été pertinent de prendre en compte des facteurs d’ajustement (âge des parturientes, affiliation à la Sécurité sociale ou nationalité). Toutefois, nous ne disposions pas de données suffisantes (effectifs croisés) pour Mayotte en 2010 et la Métropole en 2016 pour réaliser ce traitement.

Conclusion

L’offre de soins en périnatalité à Mayotte est soumise à un contexte particulièrement tendu. Confronté à des difficultés de recrutement et de pérennisation des professionnels de santé (particulièrement de spécialistes en obstétrique, pédiatrie et anesthésie), le département a dû de surcroît faire face à un accroissement brutal du nombre de naissances qui s’élevait à près de 10 000 en 2016. Cependant l’implication des sages-femmes, acteurs majeurs du secteur tant pour la prise en charge des accouchements que pour le suivi des grossesses, permet, en dépit du contexte compliqué et de la précarité croissante des mères, une prise en charge efficace et sûre des accouchements.

Les constats issus de cette étude permettent d’éclairer la situation périnatale à Mayotte, et ainsi d’aider les décideurs à définir les actions prioritaires. L’amélioration des conditions de suivi de la grossesse et de la naissance à Mayotte demeure un objectif majeur de l’ARS OI et est inscrit dans le Plan régional de santé 2018-2028 qui prévoit notamment le renforcement de la sécurisation des maternités, la mise en place et le suivi des indicateurs de santé périnatale, la création d’outils partagés entre les différents acteurs ou encore des campagnes d’information sur l’intérêt du suivi précoce.

Remerciements

Nous tenons à remercier l’ensemble des mères qui ont accepté de participer à cette enquête ainsi que les enquêteurs, les membres du comité scientifique, l’Inserm, le Centre hospitalier de Mayotte et la Drees pour leur contribution à cette étude.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Parenton F, Youssouf H, Mariotti E, Barbail A. La situation périnatale à Mayotte en 2016 : principaux résultats de l’Enquête nationale périnatale (ENP) et de son extension. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(1):17-27. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/1/2020_1_3.html