La recherche face au terrorisme : impact sanitaire et social des attentats à Paris en 2015 – Connaissances acquises et perspectives

// Research in response to terrorism: health and social impact of the attacks in Paris in 2015 – Knowledge gained and prospects

Lise Eilin Stene
Norwegian Centre for Violence and Traumatic Stress Studies (NKVTS), Oslo, Norvège

Un attentat terroriste est imprévisible et a des effets dévastateurs. Il pose ainsi un défi majeur pour la santé publique et la communauté scientifique. Les recherches sur ses conséquences sont de fait soumises à des contraintes exigeantes : les études doivent être rapidement mises en place tout en satisfaisant strictement aux obligations éthiques des enquêtes auprès de personnes et de populations potentiellement traumatisées. Il est pourtant impératif de mener ces recherches pour mieux prévenir et soigner les conséquences négatives de tels évènements et, ainsi, renforcer notre résilience au terrorisme et aux autres traumatismes collectifs. L’appel à la communauté scientifique, lancé immédiatement après les attentats de novembre 2015, a mobilisé les chercheurs pour développer une réponse pacifique et puissante
à la terreur 1. Dans ce contexte douloureux, de nombreux survivants, leurs proches, des intervenants, des personnes endeuillées comme de simples citoyens ont accepté de participer et de partager leurs expériences et leur vécu dans les études rassemblées dans ce BEH.

Trois ans après le 13 novembre 2015, les résultats présentés nous aident à comprendre les conséquences des attentats auprès des personnes directement affectées, mais aussi sur l’ensemble de la société française. C. Caserio-Schönemann et coll. décrivent la rapide activation d’un système de surveillance syndromique dès le lendemain des attentats, ainsi que les possibilités d’en améliorer l’efficacité dans la perspective de futures crises. C’est un pas important dans l’acquisition des connaissances permettant de dimensionner au mieux la prise en charge aux urgences en cas d’événements sanitaires exceptionnels. Le vécu de tels événements extrêmes est associé à des troubles psychiques et physiques qui peuvent persister durablement 2. Un enjeu de santé publique majeur est alors d’en estimer l’impact sanitaire, d’identifier les facteurs de risque et de protection des séquelles post-traumatiques et de mieux connaitre la prise en charge des individus affectés par les attentats afin de proposer d’éventuelles pistes d’amélioration. Dans cette optique, trois articles de ce BEH apportent de nouvelles données sur l’impact sanitaire et social et sur le recours aux soins des civils et des intervenants directement affectés par les attentats de janvier (S. Vandentorren et coll., étude IMPACTS) et de novembre 2015 (P. Pirard et coll. & Y. Motreff et coll., étude ESPA 13-Novembre). Ces études, tout comme celles menées dans d’autres pays, montrent malheureusement qu’une part importante des personnes touchées par les attentats ont des besoins de soins et de prise en charge non satisfaits 3,4.

Afin d’adapter au mieux les interventions, tant à l’échelle individuelle que collective, il est essentiel de bien comprendre les interactions entre les réactions de l’individu et celles de son entourage. En effet, le soutien social est l’un des principaux facteurs protecteurs contre la survenue d’un état de stress post-traumatique (ESPT) et d’autres troubles psychologiques après le vécu d’un événement potentiellement traumatique 5. Il faut donc également progresser dans la connaissance des conséquences des attentats terroristes sur la population générale, car ils affectent non seulement les personnes directement exposées, mais aussi leur entourage et, plus généralement, l’ensemble de la société. Ceci a été mis en évidence dans les premières semaines suivant les attentats du 22 juillet 2011 en Norvège, avec une hausse significative de plusieurs pathologies comme les infarctus du myocarde, les suicides et les hospitalisations pour psychose dans la population norvégienne 6. En France, aucune augmentation statistiquement significative des hospitalisations pour maladies cardiovasculaires n’a été observée dans la population générale suite aux attentats de 2015 et 2016 7. Cependant, l’étude du Crédoc (S. Hoibian et coll.) montre que les attentats ont laissé une empreinte profonde dans la population française. Ils ont fait l’objet d’une couverture immédiate et prolongée par les médias traditionnels et les réseaux sociaux, et tout le monde a pu ainsi être exposé aux images liées aux attentats eux-mêmes et à leurs conséquences. L’étude de E. du Roscoät et coll. confirme l’association positive entre le temps passé à regarder des images liées aux attaques et la survenue de symptômes de stress post-traumatique. Ces résultats sont en accord avec ceux d’études réalisées dans d’autres pays. Cette étude transversale ne permet pas de conclure sur les causes et les effets, mais elle souligne l’importance d’acquérir des connaissances approfondies sur le rôle des médias au cours de telles crises. Les médias ont un rôle clé d’information du public, ce qui est essentiel dans une démocratie. En matière de santé publique, ils peuvent aussi jouer un rôle important dans la diffusion d’informations permettant d’aider la population à accéder plus facilement aux mesures de soutien et de traitement en cas de besoin. Mais il est aussi nécessaire d’étudier davantage les effets potentiellement négatifs que la couverture médiatique peut avoir et, éventuellement, développer des mesures de prévention vis-à-vis de l’exposition indirecte aux attentats par les médias.

Il ne faut pas s’arrêter là ; répondre aux défis liés aux attentats impose d’avoir une vision globale et d’intégrer des données issues de disciplines très diverses. Dans cette perspective, le vaste programme transdisciplinaire 13-Novembre, présenté dans un court article par ses codirecteurs, l’historien Denis Peschanski et le neuropsychologue Francis Eustache, a pour objectif d’étudier la construction et l’évolution de la mémoire individuelle et de la mémoire collective après les attentats, ainsi que les façons dont elles interagissent. Cette initiative inédite et ambitieuse réunit des chercheurs et chercheuses de différentes disciplines et mobilise de nombreuses méthodes pour appréhender la complexité de ces événements. Construire un savoir scientifique cohérent nécessite de rassembler et d’interpréter les connaissances dans leur diversité, et pas simplement d’accumuler des connaissances fragmentées.

Jusqu’à présent, les recherches post-attentats sont principalement des études transversales, qui ne permettent malheureusement pas de comprendre l’évolution dans le temps et les possibles liens de causalités. Il est donc primordial d’effectuer des études longitudinales. Le suivi des cohortes est déjà en cours, avec une deuxième enquête réalisée dans l’étude IMPACTS et dans le programme 13-Novembre. Une nouvelle phase d’interviews se prépare pour le printemps 2019 dans l’enquête ESPA 13-Novembre. Il est en effet essentiel de poursuivre les recherches à long terme pour mieux appréhender les réactions et les réponses aux attentats, ainsi que les facteurs qui les influencent. Aujourd’hui, à travers ces travaux, les chercheurs impliqués ont acquis des expériences et des connaissances qui sont également importantes à partager avec la communauté scientifique globale et, ainsi, placer la recherche française dans un contexte international. Pour bien comprendre les conséquences des attentats sur la société française et les facteurs qui sont en jeu, il faut pouvoir les comparer avec des événements semblables dans d’autres pays. Dans cette optique, il est incontournable de renforcer la collaboration internationale.

Le nouveau défi de la communauté scientifique – nationale et internationale – est de mettre en valeur les données recueillies. Nous devons contribuer à les communiquer et à discuter leur interprétation, avec leurs limites et leurs forces. Nous devons aussi réfléchir collectivement à la manière de poursuivre les recherches et d’échanger les connaissances qui en découlent pour améliorer nos pratiques et renforcer la résilience des individus et de la société face aux conséquences possibles de tels événements.

Références

1 Fuchs A. Appel à propositions de recherche. Paris: Centre national de la recherche scientifique; 2015. 2 p. http://www2.cnrs.fr/sites/communique/fichier/appel_alain_fuchs.pdf
2 Bonanno GA, Brewin CR, Kaniasty K, Greca AM. Weighing the cost of disaster: Consequences, risks, and resilience in individuals, families, and communities. Psychol Sci Public Interest. 2010;11(1):1-49.
3 Stene LE, Wentzel-Larsen T, Dyb G. Healthcare needs, experiences and satisfaction after terrorism: A Longitudinal study of survivors from the Utøya attack. Front Psychol. 2016; 7:1809.
4 Fairbrother G, Stuber J, Galea S, Pfefferbaum B, Fleischman AR. Unmet need for counseling services by children in New York City after the September 11th attacks on the World Trade Center: Implications for pediatricians. Pediatrics. 2004;113(5):1367-74.
5 Ozer EJ, Best SR, Lipsey TL, Weiss DS. Predictors of posttraumatic stress disorder and symptoms in adults: a meta-analysis. Psychol Bull. 2003;129(1):52-73.
6 Strand LB, Mukamal KJ, Halasz J, Vatten LJ, Janszky I. Short-term public health impact of the July 22, 2011, terrorist attacks in Norway: A nationwide register-based study. Psychosom Med. 2016;78(5):525-31.
7 Chatignoux E, Gabet A, Moutengou E, Pirard P, Motreff Y, Bonaldi C, et al. The 2015 and 2016 terrorist attacks in France: was there a short-term impact on hospitalizations for cardiovascular disease? Clin Epidemiol. 2018;10:413-9.

Citer cet article

Stene LE. Éditorial. La recherche face au terrorisme : impact sanitaire et social des attentats à Paris en 2015 – Connaissances acquises et perspectives. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(38-39):736-8. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/38-39/2018_38-39_0.html