Prévalences de la gale et de la pédiculose corporelle chez les personnes sans domicile en Île-de-France en 2011 (enquête HYTPEAC)*
// Prevalence of scabies and pediculosis corporis among homeless in the greater Paris area (France) in 2011: HYTPEAC study
Résumé
Les parasitoses cutanées sont un problème fréquent chez les personnes sans domicile. Afin d’estimer la prévalence de la gale et de la pédiculose corporelle chez ces dernières, deux enquêtes transversales reposant sur des échantillons aléatoires ont été menées, l’une dans l’espace public parisien et l’autre dans différents types de centres d’hébergement franciliens.
Une infirmière administrait un questionnaire détaillé sur les caractéristiques sociodémographiques, les conditions de vie, les pratiques d’hygiène, le recours aux soins, puis pratiquait un examen dermatologique. Elle prenait des photos de lésions suspectes pour soumission ultérieure à un dermatologue et inspectait les vêtements à la recherche de poux de corps.
La prévalence de la pédiculose corporelle a été estimée à 5,4% chez les personnes dormant dans l’espace public (IC95%:[1,7-9,1]) et celle de la gale à 6,5% (IC95%:[0,5-12,5]), tandis que chez les personnes dormant dans les centres elles étaient respectivement de 0,15% (IC95%:[0,0-9,7]) et 0,4% (IC95%:[0,1-1,8]), (p<10-2 dans les deux cas). Dans l’espace public, après analyse multivariée, être une femme, citer le squat parmi les trois modes d’hébergement principaux et ne pas posséder de duvet sont significativement associés au diagnostic de gale. De même, toujours dans l’espace public, la mendicité, les antécédents de morpions et le fait de ne pas se doucher dans les bains-douches publics sont associés au fait d’avoir une pédiculose corporelle.
La mise en évidence de deux sous-populations aux caractéristiques sociodémographiques différentes, aux modes de vie et pratiques d’hygiène spécifiques et aux prévalences d’ectoparasitoses différentes devrait permettre des actions de prévention et de sensibilisation ciblées.
Abstract
Dermatological infections constitute the most common health problem in the homeless population. In order to estimate the prevalence of scabies and pediculosis corporis among them, two random cross-sectional surveys were performed, one on the homeless population sleeping in public places in Paris, the other on the homeless population in various shelters in the Ile-de-France administrative region.
A nurse administered a detailed questionnaire collecting data on sociodemographic characteristics, living conditions, hygiene practices and healthcare. She then performed a dermatological examination. She also took photos of suspicious lesions for further investigation by a dermatologist and inspected the clothes of each individual for body lice.
The prevalence of pediculosis corporis was estimated at 5.4% in individuals sleeping in public places (95%CI [1.7-9.1]) and at 6.5% for scabies (95%CI [0.5-12.5]). For those sleeping in shelters these values were 0.15% (95%CI [0.0-9.7]) and 0.4% (95%CI [0.1-1.8]), respectively (p<10-2 in both cases). In public places, after multivariate analysis, the fact of being a woman, citing squats among the three main types of accommodation, and not possessing a comforter were significantly associated with diagnosis of scabies. Likewise, begging, a history of pubic lice, and not taking showers in municipal baths were associated with pediculosis corporis in public places.
First, this study highlighted the existence of two distinct sub-populations having different socio-demographic characteristics, with specific lifestyles and practices, and with different levels of prevalence of ectoparasitism. Then, the results of multivariate analyses will allow prevention interventions and awareness campaigns on targeted groups of people.
Introduction
Les personnes sans domicile souffrent d’un large éventail de problèmes médicaux et sont prédisposées aux infections en raison de leur état physique fragilisé et des difficultés d’hygiène qu’elles rencontrent 1,2,3. Lesproblèmes dermatologiques reflètent des conditions de vie difficiles (promiscuité, traumatismes, carences nutritionnelles, violences, accès limité aux soins de santé et d’hygiène), parfois exacerbées par la consommation d’alcool et/ou de drogues ou par des affections psychiatriques. Les affections cutanées peuvent ainsi avoir diverses origines, souvent intriquées. De plus, le recours aux soins étant souvent tardif, les lésions cutanées initiales sont souvent masquées par la surinfection et l’eczématisation, prenant rapidement des proportions difficiles à maîtriser ensuite. Le prurit est ainsi un motif fréquent de consultation chez les personnes sans domicile, souvent dû à une ectoparasitose : la pédiculose et/ou la gale.
Plusieurs enquêtes réalisées auprès des personnes sans domicile ont montré des prévalences variables pour ces pathologies : 3% à 56% pour la gale ; 22% à 68% pour la pédiculose corporelle 4,5,6. Ces études concernaient cependant des sélections particulières de la population sans domicile (personnes non tirées au sort dormant en centre d’hébergement d’urgence, personnes sans domicile rencontrées en consultations dermatologiques) et ne prenaient pas en compte la diversité des situations d’hébergement des personnes sans domicile. Mener une enquête uniquement dans des services d’hébergement peut en effet induire une sous-estimation des prévalences des ectoparasitoses, qui peuvent affecter différemment les personnes sans abri qui dorment dans la rue et les personnes sans domicile hébergées.
C’est pourquoi l’enquête HYTPEAC (HYgiène de la Tête aux Pieds : Ectoparasitoses et Affections Cutanées) avait pour objectif d’estimer la prévalence des ectoparasitoses (gale et pédiculose corporelle) d’une part chez les personnes sans domicile dormant dans l’espace public et, d’autre part, chez les personnes dormant en centres d’hébergement, d’identifier les facteurs associés et d’émettre des recommandations pour la mise en place d’actions ciblées.
Méthodes
Type d’étude
Deux enquêtes transversales reposant sur des échantillons aléatoires ont été menées successivement entre octobre et décembre 2011, l’une dans l’espace public à Paris, l’autre dans des centres d’hébergement d’Île-de-France, selon une méthodologie déjà employée auprès des sans-domicile 7. Les enquêtes ont eu lieu en journée et en soirée.
La population cible de l’enquête « espace public » était constituée des personnes ayant dormi la veille de l’enquête dans un lieu non prévu pour l’habitation à Paris, incluant les bois de Vincennes et de Boulogne.
La population cible de l’enquête « centres » était composée des personnes rencontrées dans des centres franciliens et ayant dormi la veille de l’enquête dans un lieu non prévu pour l’habitation ou ayant bénéficié d’un hébergement gratuit ou à faible participation 8.
Les personnes enquêtées étaient francophones, majeures, en mesure de comprendre le contenu et les enjeux de l’étude et de donner leur consentement éclairé. Le nombre nécessaire de sujets était de 500 dans les centres et de 200 dans l’espace public.
Échantillonnage
Un tirage aléatoire à deux degrés a été effectué pour construire les deux échantillons.
Dans l’espace public
En l’absence de base de sondage recensant les lieux d’installation des personnes dormant dans la rue, Paris a été découpé en 52 zones géographiques de tailles similaires. Les densités de population sans domicile ont été estimées pour chaque zone à partir du nombre de personnes ayant refusé un hébergement proposé par une maraude de nuit du Samusocial de Paris durant les nuits du 1er janvier au 30 juin 2011.
Au premier degré, toutes les zones géographiques à forte densité ont été sélectionnées, 50% des zones de densité moyenne et 25% des zones de densité faible ont été tirées aléatoirement. Au total, 31 zones ont été tirées au sort. Les deux bois parisiens ont par ailleurs été inclus dans l’enquête.
Au deuxième degré, dans chaque zone sélectionnée et au cours des journées d’enquête tirées au sort, l’ensemble des personnes paraissant être sans abri ont été abordées puis interrogées lorsqu’elles étaient éligibles. Lorsque des personnes étaient regroupées, une seule était tirée au sort. Dix camping-cars ont été loués afin de permettre la mobilité des équipes ainsi que la confidentialité des entretiens et l’intimité nécessaire à l’examen dermatologique.
Dans les centres d’hébergement
Trois types de centres étaient concernés : les centres d’hébergement d’urgence, les centres de stabilisation et ceux de réinsertion sociale.
Une base de sondage de 242 centres a été constituée et stratifiée selon ces trois types et selon le public accueilli (hommes, femmes, mixte) afin de pouvoir surreprésenter les femmes. Au premier degré du plan de sondage, des centres ont été tirés aléatoirement et proportionnellement au nombre moyen de personnes qu’ils hébergent. Au second degré, dans chacun des centres sélectionnés, des personnes ont été tirées au sort à partir d’une liste des personnes hébergées pour chaque jour d’enquête, eux-mêmes préalablement tirés au sort. Le tirage était réalisé selon un pas de sondage adapté à chaque centre. Les entretiens avaient lieu dans la chambre de l’enquêté ou dans un lieu privé mis à disposition par les centres.
Recueil de données
Le recueil de données a eu lieu d’octobre à décembre 2011. Il a mobilisé des binômes d’enquêteurs constitués d’un échantillonneur et d’une infirmière.
L’échantillonneur identifiait les personnes éligibles et, dans les centres, tirait au sort les participants. L’infirmière administrait un questionnaire sur les caractéristiques sociodémographiques, les conditions de vie, les pratiques d’hygiène, les éventuelles pathologies, le recours aux soins, puis pratiquait un examen dermatologique. Elle prenait des photos de lésions suspectes pour soumission ultérieure à un dermatologue et inspectait les vêtements à la recherche de poux de corps.
Les participants étaient volontaires et devaient signer un consentement éclairé.
Le protocole de l’étude a obtenu l’avis favorable du comité de protection des personnes (CCP) d’Île-de-France II (N° ID RCB 2010-A00576-33, le 16/09/2010) et a fait l’objet d’une déclaration à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).
Définition de cas
Les définitions de cas ont été établies, préalablement au recueil des données, selon les symptômes déclarés, les résultats de l’examen dermatologique par l’infirmière et le diagnostic du dermatologue d’après photo.
Un « cas certain » de gale était établi par un prurit associé à l’observation par l’infirmière d’un ou plusieurs sillons scabieux.
Un « cas probable » de gale était défini lorsqu’il remplissait l’une des conditions suivantes :
- prurit associé à :
- l’observation par l’infirmière d’un ou de plusieurs nodules scabieux ;
- un diagnostic probable de gale fait par les dermatologues sur photographie des lésions ;
- déclaration par l’enquêté d’un épisode actuel de gale associé à :
- la déclaration d’un prurit vespéral ;
- un prurit observé par l’infirmière ;
- des nodules scabieux observés par l’infirmière ;
- des sillons scabieux observés par l’infirmière ;
- un diagnostic probable de gale fait par les dermatologues sur photographies ;
- déclaration d’un prurit vespéral associé à celle d’un contact rapproché avec une personne qui se gratte et observation d’une hyperkératose palmaire (en direct par l’infirmière ou par le dermatologue sur les photographies).
Un « cas possible » de gale était établi par la seule déclaration d’un épisode actuel de gale par l’enquêté ou par celle d’un prurit vespéral associé à celle d’un contact rapproché avec une personne qui se gratte.
Un « cas certain » de pédiculose corporelle était établi lorsque la présence de poux de corps sur la peau ou dans les vêtements était observée par l’infirmière.
Un « cas probable » était établi lorsque cette dernière observait la présence de lésions de grattage au niveau de la nuque ou du dos menant à un diagnostic clinique positif de sa part, ou lorsque ces lésions étaient associées au diagnostic positif fait par les dermatologues sur photo.
Les prévalences des différentes maladies regroupent cas certains et cas probables.
Analyse statistique
Toutes les analyses ont été effectuées avec Stata 12® (StataCorp, Texas, États-Unis), avec prise en compte des plans de sondage. Afin de comparer les deux sous-populations, les bases de données issues des deux enquêtes ont été fusionnées en considérant que les deux échantillons provenaient de deux populations disjointes. Le pourcentage de données manquantes variant de 0% à 45%, une imputation multiple a été réalisée 9 en imputant trente bases. Deux analyses multivariées introduisant le lieu d’enquête (centres/espace public) comme variable explicative, puis une analyse stratifiée sur cette variable ont été réalisées. Pour chaque analyse, les facteurs associés à la gale et à la pédiculose corporelle ont été identifiés par un modèle multivarié de Poisson 10 pas à pas descendant, contenant les variables associées aux différentes maladies avec un p<0,25 en analyses univariées, avant et après imputation multiple 11.
Résultats
Taux de participation
Dans l’espace public, sur 1 802 personnes contactées, 726 étaient éligibles et 347 ont accepté de participer et ont été enquêtées, soit un taux de participation de 48,9%. Au final, 341 questionnaires ont pu être exploités.
Dans les centres, le taux de participation était de 65% avec 667 personnes enquêtées sur 1 043 personnes contactées.
Au total, 1 008 questionnaires ont pu être exploités.
Population d’étude
Dans l’espace public, 50,1% des personnes rencontrées déclaraient ne pas avoir fréquenté de centre d’hébergement dans les 12 derniers mois (intervalle de confiance à 95%, IC95%:[41,1-59,1]) et seules 26,9% des personnes rencontrées en centres déclaraient avoir dormi dans un lieu non prévu pour l’habitation ou dans un squat au cours des 12 mois précédant l’entretien (IC95%:[19,2-34,6]).
Les populations de l’espace public et des centres étaient différentes d’un point de vue sociodémographique mais également dans leur mode de vie (tableau 1, tableau 2). La population dormant dans l’espace public était quasiment exclusivement masculine, avec un sexe-ratio de 16,9 contre 1,8 dans les centres. L’âge moyen était de 44,1 ans dans l’espace public et de 42,8 ans dans les centres (p<10-3). La population dormant dans l’espace public était principalement née en France (55%), alors que 38,9% des personnes rencontrées dans les centres étaient nées en France et 32% en Afrique subsaharienne (p<10-3). Les personnes rencontrées en centres avaient plus souvent un niveau d’études supérieures que celles dormant dans l’espace public (p=0,02). Ces dernières avaient significativement moins souvent une couverture sociale, un travail, des ressources fixes et mendiaient plus que les personnes hébergées en centres. Elles étaient sans domicile depuis plus longtemps et l’épisode actuel était plus long. Elles avaient plus souvent dormi dans un lieu non prévu pour l’habitation et dans un squat au cours de l’année que les personnes hébergées en centres (p<10-3). Le squat faisait partie de l’un des trois principaux lieux d’hébergement pour 12,9% d’entre elles (versus 5,2%). Elles étaient plus nombreuses à consommer ou avoir consommé de la drogue (hors cannabis) et 12,5% en consommait encore régulièrement (versus 0,9%).
Les personnes rencontrées dans l’espace public étaient moins nombreuses à avoir vu un médecin dans l’année et déclaraient plus d’antécédents de gale et de pédiculoses. Leurs conditions d’hygiène n’étaient pas les mêmes : elles prenaient moins de douches, fréquentaient davantage les bains-douches, étaient moins nombreuses à changer régulièrement de vêtements et étaient plus nombreuses à ne pas faire de lessives en machine.
Prévalence des ectoparasitoses
La prévalence de la pédiculose corporelle a été estimée à 5,4% chez les personnes dormant dans l’espace public (IC95%:[1,7-9,1]) et celle de la gale à 6,5% (IC95%:[0,5-12,5]), tandis que chez les personnes dormant dans les centres ces prévalences étaient respectivement de 0,15% (IC95%:[0,0-9,7]) et 0,4% (IC95%:[0,1-1,8]). Ces prévalences étaient significativement différentes entre les sans-abri et les sans-domicile (p<10-2 dans les deux cas).
Facteurs associés aux ectoparasitoses
Deux premières analyses multivariées, introduisant le lieu d’enquête (centres/espace public) comme variable explicative, ont montré que cette dernière, ajustée sur les covariables, restait associée aux diagnostics des maladies investiguées. C’est pourquoi une analyse stratifiée a été réalisée. Cependant, les faibles prévalences retrouvées dans les centres n’ont pas rendu possibles les analyses multivariées. Celles-ci n’ont été faites que dans l’espace public.
L’analyse univariée de la gale dans l’espace public montre que les variables concernant le sexe, le lieu de naissance, le fait d’être en couple, le niveau d’études, le travail, la durée de l’épisode sans domicile en cours, les voyages en zones d’endémie de gale, le nombre de personnes dormant au même endroit, la possession d’un duvet, le fait de citer le squat parmi les trois hébergements principaux aux cours des 12 derniers mois, les antécédents de gale et ceux de poux de corps, la fréquence des douches, le fait d’avoir une couverture médicale et celui d’avoir vu un médecin il y a plus d’un an étaient associées à un diagnostic de gale avec un p<0,25. Ces variables ont été retenues dans l’analyse multivariée. Au final, trois variables sont restées significativement associées (tableau 3). Les femmes avaient une prévalence de gale 5,5 fois plus élevée que les hommes. La prévalence de gale était 4,6 fois plus élevée parmi les personnes citant un squat comme l’un de leurs trois principaux hébergements au cours des 12 derniers mois. Enfin, la prévalence de la gale était 4,1 fois plus élevée chez les personnes n’ayant pas de duvet.
L’analyse univariée de la pédiculose corporelle dans l’espace public montre que les variables concernant l’âge, le fait d’être né en France/DOM-TOM, le revenu, la mendicité, les antécédents de gale, de poux de corps, de poux de tête et de morpions, le fait d’avoir une couverture médicale, le fait d’avoir vu un médecin il y a plus d’un an, avoir une incapacité physique, se laver aux bains-douches, la fréquence de changement de vêtement haut, le fait de faire des lessives en machine et d’avoir un duvet étaient associées à un diagnostic de pédiculose corporelle avec un p<0.25. Ces variables ont été intégrées dans l’analyse multivariée. Au final, trois variables étaient significativement associées à la pédiculose corporelle (tableau 4). Les personnes qui mendiaient avaient une prévalence de pédiculose corporelle 5,1 fois plus élevée que celles qui ne mendiaient pas. Les personnes avec des antécédents de morpions avaient une prévalence de poux de corps 3,8 fois plus élevée. Enfin, la proportion de personnes ayant des poux de corps était 3,8 fois plus importante chez celles qui ne fréquentaient pas les bains-douches publics que chez celles qui les fréquentaient.
Discussion
Une des originalités du projet HYTPEAC est d’avoir mené deux enquêtes successives, en couplant une étude dans l’espace public à une étude plus classique dans les centres, mettant ainsi en évidence deux sous-populations aux caractéristiques sociodémographiques différentes, aux modes de vie et pratiques spécifiques pouvant en partie expliquer les différences notables de prévalences d’ectoparasitoses observées, un « effet rue » étant persistant lors des analyses multivariées toutes enquêtes confondues.
Les faibles prévalences estimées dans les centres semblent être le reflet d’un accès facilité aux douches et laveries sur place, comme déjà évoqué 12, et d’un meilleur accès aux soins et aux traitements. En effet, la différence d’antécédents d’ectoparasitoses entre les deux populations suppose une plusfaible contamination parmi les personnes hébergées, suggérant un meilleur contrôle de la transmission, probablement grâce à des mesures de prévention et de traitement mises en place. Ces résultats confortent d’autres résultats montrant que les personnes dormant dehors sont plus à risque de poux de corps 13.
Les prévalences en centres diffèrent de celles observées à Marseille dans les centres d’urgence (gale 3,8%, pédiculose corporelle 19,1%) 14. L’absence de tirage au sort des centres enquêtés et le profil des personnes qui y sont hébergées, avec une histoire migratoire différente de la population à Paris, peuvent en partie expliquer ces différences.
Dans l’espace public, être une femme est associé à une plus forte prévalence de gale. Cette dernière étant reconnue comme une IST, il se peut que cette observation soit la traduction d’une certaine promiscuité sexuelle, consentie ou non. Avoir cité un squat comme lieu d’hébergement principal était également associé au fait d’avoir une gale. Ce résultat peut refléter un mode de vie communautaire et sa promiscuité inhérente, favorisant ainsi la transmission de la gale. Enfin, utiliser un duvet protège du risque de gale, les personnes n’en déclarant pas étant 4,1 fois plus nombreuses à être infestées. Les personnes ayant un duvet ne partagent pas leur couchage, ou du moins leur linge de lit, ce qui diminuerait le risque de transmission.
Concernant la pédiculose corporelle, les personnes déclarant mendier, les personnes déclarant des antécédents des poux de pubis (morpions) et celles qui ne se douchaient pas aux bains-douches municipaux avaient des prévalences plus élevées. Il est probable que les personnes déclarant mendier ou celles ne pouvant pas fréquenter les bains-douches (faute de pouvoir s’acheter leurs propres affaires de toilette) soient celles qui ont le plus de difficultés à prendre soin d’elles régulièrement, et sont ainsi le plus à risque de pédiculose corporelle.
Ces résultats démontrent l’intérêt d’enquêter dans l’espace public pour mieux estimer les prévalences des ectoparasitoses et identifier leurs facteurs de risque. Cependant, de telles enquêtes soulèvent de réelles difficultés méthodologiques et pratiques. Aucune base de recensement des personnes installées dans l’espace public n’est disponible en dehors des parcs et jardins et des bois parisiens. À cela s’ajoutent les difficultés d’identification des personnes sans abri et les refus de participation, constituant des limites à notre étude. Ainsi, les femmes et les personnes plus âgées ont davantage refusé de participer à l’enquête dans l’espace public. De plus, la restriction de la population cible aux personnes francophones exclut : les migrants récents n’ayant pas encore appris le français, ce qui peut conduire à une sous-estimation des prévalences si ces derniers sont originaires de régions d’endémie (Europe de l’Est, Afrique du Nord, Afrique subsaharienne, Asie) ; certaines communautés vivant en groupe dans l’espace public, ce qui favorise la transmission des ectoparasites. L’exclusion des personnes n’étant pas en mesure de donner leur consentement éclairé, telles que celles souffrant de troubles psychotiques ou de déficiences mentales sévères, ou les personnes les plus alcoolisées pouvant se contaminer du fait de conduites à risque, pourrait aussi amener à sous-estimer la prévalence des ectoparasitoses.
Malgré ces limites, cette étude a permis de mettre en lumière une population rarement étudiée en France d’un point de vue épidémiologique et a démontré l’importance d’aller enquêter dans l’espace public. Ces résultats vont permettre de mettre en place des actions ciblées auprès des personnes dormant dans l’espace public, notamment les femmes, et celles dormant en squat. Des actions de prévention et de sensibilisation devront porter sur la nécessité de posséder un duvet personnel. L’information sur le faible risque de transmission d’ectoparasitoses dans les centres d’hébergement franciliens est également à diffuser afin d’encourager les personnes à les fréquenter. Afin de faciliter l’accès aux bains-douches, il serait également utile de généraliser la distribution de kits d’hygiène aux produits et conditionnements adaptés, déjà mise en place par certaines associations.
Remerciements
Nous remercions les Dr L. Dehen et G. Ancelle pour leur aide. Nous remercions également le service de dermatologie de la permanence d’accès aux soins de santé (PASS) du Pr Bagot à l’hôpital Saint-Louis (AP-HP) à Paris, ainsi que le service de dermatologie du Pr Chosidow de l’hôpital Henri Mondor (AP-HP) à Créteil pour la formation des infirmières.