Consommation de tabac et vapotage chez les personnes en situation de handicap intellectuel : une enquête dans les Hauts-de-France
// Tobacco smoking and vaping among persons with intellectual disabilities: A French regional survey
Résumé
Introduction –
Les prévalences du tabagisme et du vapotage, les types de produits consommés, les modes d’obtention et l’impact des campagnes de prévention du tabagisme chez les personnes en situation de handicap intellectuel ne sont, à ce jour, documentés par aucune enquête épidémiologique en France.
Méthodes –
Une traduction en Facile à lire et à comprendre (Falc) des items en matière de tabac et de vapotage du questionnaire du Baromètre de Santé publique France a été réalisée (« Le Thermomètre de la santé »). Elle a été administrée auprès de plus de 1 000 individus en situation de handicap intellectuel dans la région des Hauts-de-France, entre septembre 2022 et avril 2023.
Résultats –
Dans la région des Hauts-de-France, 23,5% des personnes en situation de handicap intellectuel déclarent fumer et 19,6% le faire quotidiennement, plus souvent les hommes que les femmes (22,9% vs 14,5%, p=0,001). Elles sont 8,6% à vapoter et 4,9% quotidiennement. La très grande majorité des personnes qui fument consomment des cigarettes manufacturées ou du tabac à rouler ou à tuber. Chez les fumeurs quotidiens, le nombre de cigarettes consommées quotidiennement est de 12,4 en moyenne, les hommes en fumant plus que les femmes (13,6 vs 9,5, p=0,009). Une part importante des fumeurs (36%) déclare acheter son tabac à l’étranger (en Belgique). Bien que 45% des fumeurs disent avoir connaissance du « Mois sans Tabac », personne ou presque ne s’y est engagé.
Conclusion –
Les personnes en situation de handicap intellectuel sont des usagères des produits du tabac, adoptant, tout autant que la population générale, des stratégies opportunes de contournement des politiques publiques d’augmentation des prix. Elles ne semblent pas touchées par les campagnes de prévention destinées à la population générale. Elles sont également moins fréquemment usagères d’outils de réduction des risques du tabagisme. Ces résultats plaident pour une inclusivité accrue des personnes en situation de handicap intellectuel dans les campagnes de prévention du tabagisme, une intelligibilité accrue des messages et des outils mis à disposition, mais surtout pour la mise en œuvre d’interventions complexes favorisant le pouvoir d’agir et un environnement favorable à la santé sur des bases de co-construction et de recherche participative.
Abstract
Introduction –
Among people with intellectual disabilities, the prevalence of smoking and vaping, the types of products consumed, the methods of obtaining them and the impact of smoking prevention campaigns have not been documented by any epidemiological survey in France to date.
Methods –
The Santé publique France Health Barometer survey translated its smoking and vaping items into Easy Read format in a version called “The Health Thermometer”. This was administered to over 1,000 people with intellectual disabilities in the Hauts-de-France region between September 2022 and April 2023.
Results –
In the Hauts-de-France region, 23.5% of people with intellectual disabilities declared smoking and 19.6% on a daily basis, more often men than women (22.9% vs 14.5%, p=0.001). A further 8.6% vaped and 4.9% daily. The vast majority of smokers consumed manufactured cigarettes or tobacco for hand rolling or tubing. The average number of cigarettes smoked daily was 12.4, with men smoking more than women (13.6 vs 9.5, p=0.009). A significant proportion of smokers (36%) declared buying their tobacco abroad (in Belgium). Although 45% of smokers were aware of “No Smoking Month”, almost none had signed up to take part.
Conclusion –
People with intellectual disabilities are users of tobacco products who, like the general population, adopt opportunistic strategies to circumvent the public policies of price rises. They do not seem receptive to prevention campaigns aimed at the general population. They are also less likely to use harm reduction tools for smoking. These results argue for greater inclusiveness in smoking prevention campaigns, greater intelligibility of the messages and tools made available and, above all, the implementation of complex interventions promoting empowerment and a health-friendly environment based on co-construction and participatory research.
Introduction
Entre 1 et 3% de la population serait atteinte d’un trouble du développement neurologique, caractérisé principalement par un fonctionnement intellectuel limité et inférieur à la moyenne 1. Le degré de sévérité de la déficience intellectuelle s’évalue selon différentes échelles qui ont évolué et se sont affinées dans le temps : il est aujourd’hui possible de façon relativement fiable de qualifier ces déficiences, de sévères à légères. En France, alors que la première pourrait concerner trois à quatre personnes pour 1 000, la seconde pourrait être plus fréquente et retrouvée chez 10 à 20 personnes sur 1 000 2.
On ne sait que peu de choses sur les pratiques addictives des personnes en situation de handicap intellectuel, et ce alors même qu’elles sont aussi des usagères de tabac, d’alcool, de cannabis ou peuvent avoir d’autres addictions, comportementales ou sans produit. Les prévalences seraient toutefois plus faibles dans cette population qu’en population générale 2,3. Par exemple, la seule étude française à notre connaissance montre que les prévalences d’usage de tabac et d’alcool s’avèrent légèrement inférieures chez les jeunes étudiants français présentant une déficience intellectuelle ; seule la consommation de cannabis était significativement moins courante chez ces jeunes par rapport aux étudiants ne présentant pas de déficience intellectuelle 4. Cependant, une récente revue de la littérature montre qu’en raison de l’hétérogénéité des études, il est difficile d’affirmer que les prévalences sont plus faibles, équivalentes ou supérieures chez les personnes en situation de handicap intellectuel que dans la population générale 5. Selon cette revue des 39 études existantes à ce jour, la prévalence du tabagisme varie de 0 à 62,9%, laissant sans conclusion la question des prévalences tabagiques dans ce segment populationnel (voir le travail de Swerts et coll. spécifiquement pour des prévalences tabagiques dans les Flandres belges 6). Un fait saillant serait que plus la déficience intellectuelle tend à être légère, plus les conduites addictives, dans leur niveau et leur intensité, se rapprochent de celles de la population générale, tout au moins pour le tabagisme 7.
Afin d’améliorer les connaissances sur les pratiques addictives, et particulièrement sur le tabagisme des personnes en situation de handicap intellectuel, nous avons mené une enquête auprès d’elles et avec elles. Pour ce faire, le Thermomètre de la santé (1) est une enquête par questionnaire, reprenant, entre autres, les items en matière de tabac et de vapotage du Baromètre de Santé publique France traduits en Facile à lire et à comprendre (Falc). Nous présentons ici ces résultats.
Méthodes
Source de données
Le Thermomètre de la santé est une émanation du Baromètre de Santé publique France. Il reprend, outre les items sociodémographiques (âge, genre, situation professionnelle, situation de vie), les modules « tabac », « alcool » et « cannabis » du dernier Baromètre 2021. Il a été traduit en Facile à lire et à comprendre (Falc, encadré) par des personnes en situation de handicap intellectuel spécialisées dans la traduction Falc de l’Établissement et service d’accompagnement par le travail (Esat) Malécot des Papillons Blancs de Lille, puis testé auprès de 10 personnes en situation de handicap intellectuel volontaires. Les Esat sont des établissements médico-sociaux de travail protégé. Ils sont réservés aux personnes en situation de handicap et ont pour objectif leur insertion ou réinsertion sociale et professionnelle.
Définition et objectif du Falc et exemple de traduction
Définition. Le Facile à lire et à comprendre (Falc) est une méthode qui a pour objectif de traduire un langage classique en langage compréhensible par toutes et tous. La méthode élaborée dans le cadre du projet européen Pathways est portée en France par l’Union nationale des associations de parents d’enfants inadaptés (Unapei) et l’association Nous Aussi. Elle propose des règles pour aider les rédacteurs de documents à rendre l’information facile à lire et à comprendre pour les personnes déficientes intellectuelles.
L’objectif consiste à rendre les personnes déficientes intellectuelles plus autonomes dans leurs démarches grâce à une meilleure compréhension de l’information. L’information rédigée en facile à lire et à comprendre est par ailleurs utile pour les personnes maîtrisant mal le français.
Le questionnaire a été administré de septembre 2022 à avril 2023, sur tablette, avec l’aide éventuelle d’un professionnel des structures de l’Union nationale des associations de parents d’enfants inadaptés des Hauts-de-France (Unapei Hauts-de-France) volontaires à l’enquête. L’Unapei Hauts-de-France accompagne plus de 32 000 personnes, et, selon le dernier décompte réalisé par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) en 2020, il y avait 13 000 places en Esat dans cette même région (2). Les répondants au Thermomètre de la santé, majoritairement travailleurs d’Esat, sont au nombre de 1 030 (tableau 1).
Variables d’intérêt
Dans la mesure où nous avons repris les items « tabac » et « vapotage » du Baromètre de Santé publique France, nous qualifions de la même façon les personnes se déclarant de tel ou tel type d’usage 8. Ainsi, le qualificatif de fumeur s’applique indépendamment du produit consommé (cigarettes à rouler ou tubées, cigarettes en paquet, cigarillos, cigares, pipe, chicha ou narguilé, à l’exception de la cigarette électronique, traitée séparément). Un fumeur quotidien est une personne déclarant fumer tous les jours. Un individu disant ne pas fumer quotidiennement est qualifié de fumeur occasionnel. L’usage actuel regroupe les usages occasionnels et quotidiens de tous les produits du tabac. L’usage au cours de la vie inclut les anciens fumeurs qui sont des personnes qui ont fumé par le passé et qui ne fument plus au moment de l’enquête. De la même façon, l’usage de cigarette électronique repose sur trois indicateurs : l’expérimentation au cours de la vie, l’usage occasionnel et l’usage quotidien ; l’usage actuel confondant l’occasionnel et le quotidien.
Analyses
L’analyse est fondée sur l’étude descriptive de la prévalence du tabagisme et du vapotage. Elle présente les pourcentages pour les variables catégorielles, les moyennes, écarts-types, minima et maxima pour les variables continues. Des analyses par sous-groupes de genre et d’âge sont également effectuées. La significativité des différences est alors contrôlée par des tests du Chi2 (comparaison de pourcentages) ou par des t-tests (comparaison de moyennes entre 2 groupes) ou tests d’Anova (comparaison de moyennes dans plus de 2 groupes).
Résultats
Caractéristiques de la population
L’échantillon comporte 1 030 répondants majoritairement des hommes ; 4 personnes se déclarant à la fois homme et femme (3) (tableau 1). L’âge moyen est de 40 ans, le plus jeune des répondants ayant 15 ans, le plus âgé 79. Parmi les répondants, 41,2% déclarent vivre seuls, les autres vivant avec d’autres personnes, soit en foyer soit dans leur famille. Une grande majorité travaille (85%) et dit avoir une situation financière soit sans problème (25%), soit correcte (48,7%). Un peu plus d’un quart des répondants affirme avoir une situation financière juste ou difficile. Il y a quasiment autant de diplômés (un CAP le plus souvent) que de non diplômés.
L’origine des répondants est à plus de 50% du département du Nord, suivi du Pas-de-Calais, de l’Oise, de la Somme et de l’Aisne. Plus de 90% des répondants ont été accompagnés dans la passation du questionnaire par un ou une professionnelle des structures.
Prévalence du tabagisme et de l’usage de la cigarette électronique
L’expérimentation du tabac est partagée par un peu moins de la moitié des répondants (45,6%), un peu plus les hommes que les femmes (50,6% vs 38,0%, p<0,001), et se retrouve plus fortement dans les classes d’âges les plus élevées (tableau 2). Il en est de même de l’usage actuel : 27,8% vs 16,8% (p<0,001) pour les hommes par comparaison aux femmes (23,5% pour l’ensemble). L’usage quotidien de tabac concerne 1 répondant sur 5 (19,6%) ; il est significativement plus présent chez les hommes que chez les femmes (22,9% vs 14,5%, p=0,001) et se retrouve au niveau le plus élevé parmi les 41-55 ans.
Chez les personnes fumeuses quotidiennes, ce sont en moyenne 12,4 cigarettes qui sont consommées par jour. Cette consommation est plus élevée chez les hommes qui disent fumer 13,6 cigarettes par jour en moyenne que chez les femmes, avec 9,5 cigarettes par jour en moyenne (p=0,009). Les plus importantes consommations sont observées dans la classe d’âge 41-55 ans. Parmi les personnes fumeuses, les consommations se font très majoritairement le matin. Elles sont un peu plus de 1 sur 4 (27,3%) à rapporter un usage de tabac juste après le réveil, et plus de 1 sur 2 (58,3%) à fumer après le petit déjeuner. Les personnes fumeuses restantes disent ne pas fumer le matin (12,0%), ou alors juste avant le repas du midi (2,5%).
Un peu plus d’un cinquième (22,2%) des répondants ont déjà expérimenté la cigarette électronique, plus fréquemment les hommes que les femmes, et plus souvent les classes d’âges les plus jeunes. L’usage actuel ne concerne qu’à peine 1 répondant sur 11 (8,6%), et encore une fois plus souvent les hommes que les femmes, des classes d’âge 15-25 et 26-40 ans. Moins de 5% des répondants vapotent quotidiennement, plus les hommes que les femmes (6,4% vs 2,6%, p=0,006) et la prévalence quotidienne la plus élevée se retrouve chez les 26-40 ans. Plus de la moitié des vapoteurs actuels (55,7%) disent que leur e-liquide contient de la nicotine. Un gros tiers affirme vapoter sans nicotine (36,4%) et les autres alternent entre vapotage nicotiné et non nicotiné (8,0%).
Parmi l’ensemble des fumeurs et vapoteurs, une majorité (68,2%) est seulement fumeur, un peu moins d’1 sur 5 est à la fois fumeur et vapoteur (18,2%) et encore un peu moins est seulement vapoteur (13,6%).
Type de produits consommés et mode d’approvisionnement
Parmi les personnes qui fument, quasiment toutes fument soit des cigarettes manufacturées (45,9%), soit des cigarettes à rouler ou à tuber (45,0%). Les usages de cigares/cigarillos, de chicha ou de narguilé ou de pipe sont nettement moindres et ne représentent que 9,0% des réponses.
Un peu moins de 60% des répondants consommant du tabac disent l’acheter dans le réseau des débitants de tabac français (59,1%). Un peu plus de 35% des répondants affirment se procurer leur tabac dans un pays frontalier à la France (36,4%), en l’occurrence très majoritairement la Belgique et très marginalement le Luxembourg. Seuls 4,5% des répondants disent se procurer leur tabac d’une autre façon. Le don de cigarette ne semble pas être une pratique courante : moins de 1 répondant sur 12 dit que sa dernière cigarette consommée lui a été donnée (8,1%).
Tentatives d’arrêt et connaissance du « Mois sans tabac »
Environ 4 personnes sur 10 consommant du tabac déclarent avoir envie d’arrêter de fumer (42,6%). Parmi celles-ci, une majorité dit ne pas savoir quand (62,1%), mais 14% espèrent le faire dans les 12 prochains mois, 14% dans les 6 prochains mois et 11% dans le mois suivant la passation du questionnaire. Une personne consommant du tabac sur 3 n’a pas fumé pendant au moins une journée durant l’année écoulée (30,2%).
Les vapoteurs ne souhaitent majoritairement pas arrêter leur consommation (79,3%). Parmi celles et ceux ayant arrêté de fumer et qui vapotent actuellement, quasiment 20% disent avoir arrêté le tabac grâce à la cigarette électronique (19,1%), un peu moins de 80% affirment le contraire (78,7%). Quelques-uns disent avoir arrêté de fumer grâce au vapotage, mais couplé avec d’autres aides (2,3%).
Un peu moins de la moitié des personnes qui consomment du tabac connaît le « Mois sans tabac » (46,1%), sans différence significative entre les hommes et les femmes et parmi les classes d’âges. Le vecteur de connaissance déclaré par les répondants est principalement la télévision (66,7%). Les autres canaux sont Internet (11,7%) et d’une façon nettement moindre la radio (5,4%) et le journal (1,8%). Un peu plus de 14% des répondants disent avoir connu cette campagne par un autre moyen. Parmi les répondants, 45% ont vu ou entendu parler de la campagne « Mois sans tabac » moins d’un jour par semaine, 33% y ont été exposés plus d’un jour par semaine et 21% quotidiennement.Sur 112 répondants, seule une personne déclare s’être inscrite sur Internet pour participer au « Mois sans tabac ». Elles sont 4 cependant à avoir essayé d’arrêter le tabac durant cette campagne : 1 affirme avoir réussi, 3 disent avoir échoué.
Discussion
La prévalence tabagique des personnes en situation de handicap intellectuel de la région des Hauts-de-France est proche de celle de la population générale (24,5% de fumeurs actuels en 2022 8), mais assez nettement inférieure si on la compare aux moins diplômés de la population générale : la prévalence tabagique des personnes non diplômées ou titulaires d’un diplôme inférieur au baccalauréat était de 30,8% en 2022 en population générale 8. Avec une prévalence de personnes fumant de 23,5% dans notre échantillon, ce sont ainsi 7 points de pourcentage qui séparent la population de personnes en situation de handicap intellectuel à la population non ou peu diplômée en population générale.
L’intensité de consommation apparaît quasiment identique à celle de la population générale : alors que les fumeurs répondant au Thermomètre de la santé fument en moyenne 12,4 cigarettes par jour, il semble en être de même en population générale avec une moyenne de 12,6 cigarettes. Les différences de genre sont cependant plus marquées dans notre enquête que dans le Baromètre. En 2021, les femmes déclaraient fumer 11,8 cigarettes par jour en moyenne contre 13,5 pour les hommes 9 ; nos répondantes déclarent fumer 9,5 cigarettes par jour en moyenne contre 13,6 pour les répondants.
L’usage de la cigarette électronique est encore une fois assez proche de celui de la population générale : alors que 4,9% des répondants au Thermomètre de la santé font état d’un usage quotidien, ils étaient 5,6% en population générale en 2022 8.
Les niveaux d’usage de tabac et d’usage de la cigarette électronique semblent donc assez proches de ceux observés en population générale. Un point de différenciation porte certainement sur la spécificité régionale de notre enquête dans laquelle plus d’un tiers des répondants fumeurs affirment se procurer leur tabac à la frontière, ce qui est nettement plus élevé qu’au niveau national, mais dans les mêmes ordres de grandeur que pour les fumeurs en population générale de notre région 10.
Un autre trait marquant de notre enquête est la connaissance du « Mois sans tabac », qui semble plutôt élevée (quasiment la moitié des répondants fumeurs). L’adhérence à sa participation est cependant quasi-nulle : seul 1 répondant affirmant s’être inscrit sur Internet et 4 avoir tenté un arrêt du tabac (voir l’article de Guignard et coll. pour la population générale 11).
Forces et limites
Pour la première fois en France, une enquête adaptée par et pour des personnes en situation de handicap intellectuel – le Thermomètre de la santé – a cherché à renseigner les comportements tabagiques de ces personnes. Non aléatoire puisque fondée sur le volontariat des structures, des professionnels et des personnes accueillies par les associations Unapei des Hauts-de-France, elle présente néanmoins l’avantage d’avoir permis la participation de plus de 1 000 individus travaillant en Esat et/ou vivant en foyer. Sa représentativité est difficile à établir, les caractéristiques statistiques de cette frange populationnelle étant peu connues. Toutefois, notre échantillon est d’une taille qui semble suffisante pour garantir une certaine robustesse (à titre de comparaison, l’édition 2022 du Baromètre s’établit sur plus de 3 000 individus pour établir des prévalences nationales 8).
Ce travail présente certaines limites. La temporalité de l’enquête pose en effet question sur les réponses quant à la mémorisation du « Mois sans tabac » par exemple. La passation entre septembre 2022 et avril 2023 favorise, soit l’exposition récente à la campagne, soit son oubli.
Aussi, la passation par des professionnels des structures mériterait d’être contrôlée pour les éditions prochaines. La population enquêtée présente en effet probablement un fort biais de désirabilité sociale, préférant répondre ce qu’elle pense être la réponse attendue plutôt que la réponse correspondant vraiment aux réalités vécues. Ce biais pourrait être modifié (accentué ou au contraire limité) selon que les professionnels qui ont participé à la passation connaissaient ou non les personnes interrogées. Nous ne disposons pas de cette information. Un meilleur contrôle des conditions de passation serait souhaitable.
En lien avec ce point, l’usage de tabac dans un monde institutionnalisé comme celui des foyers ou des Esat est sujet à règles et injonctions, entre d’une part, des atteintes au droit et une infantilisation des personnes en leur restreignant l’accès au tabac, et d’autre part une volonté de protection vis-à-vis du tabagisme et des contraintes associées 12. Le Thermomètre de la santé devrait ainsi tenir compte de certaines spécificités de l’institutionnalisation vis-à-vis des usages de tabac et de cigarette électronique : règlement intérieur des foyers et Esat, campagnes de prévention mises en œuvre par les professionnels, ou encore tabagie ou non de ces derniers.
Finalement, la relativement bonne connaissance du « Mois sans tabac », mais la très faible adhésion qu’il suscite plaident probablement en faveur d’une plus grande inclusivité des populations concernées à ces programmes de prévention fondés sur le marketing social. Cela passe indubitablement par une inclusion des personnes en situation de handicap intellectuel dans l’imagerie des campagnes mais aussi certainement une intelligibilité accrue de ces dernières. Plus précisément, et comme le rappellent Margat et coll. dans une revue de littérature riche d’enseignements 13, la littératie en santé ne passe pas simplement par une meilleure compréhension des connaissances et des informations de prévention ou d’éducation à la santé (à travers le Falc par exemple) mais aussi, et peut-être avant tout, par une augmentation du pouvoir d’agir, de l’autonomisation des personnes concernées. Sur ce dernier point, des interventions complexes ciblant plusieurs niveaux d’action et faisant appel à de multiples stratégies d’intervention apparaissent efficaces 13. Elles supposent de faire plus mais également différemment pour celles et ceux qui ont des besoins de santé plus importants et des « capabilités » différentes.
Conclusion
Les personnes en situation de handicap intellectuel sont des usagères des produits du tabac, adoptant, tout autant que la population générale, des stratégies opportunes de contournement des politiques publiques d’augmentation des prix. Elles n’apparaissent pas touchées par les campagnes de prévention destinées à la population générale. Elles sont moins fréquemment usagères d’outils de réduction des risques du tabagisme. Au regard de ces résultats, il semblerait plus qu’opportun d’envisager des campagnes de prévention, soit plus inclusives, soit spécifiquement dédiées. Une réflexion accrue sur l’intelligibilité et la compréhension des outils de prévention et de réduction des risques du tabagisme par les personnes concernées devrait être menée. Et des interventions complexes, favorisant capacité d’agir et environnement favorable à la santé, engagées sur des bases de co-construction et de recherche participative, devraient être plus largement promues.
Liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêts au regard du contenu de l’article.
Remerciements
Nous sommes redevables à la gentillesse de François Beck et de Viêt Nguyen-Thanh de Santé publique France qui nous ont autorisés à traduire et utiliser le questionnaire du Baromètre. Nous remercions tous les professionnels ayant supervisé la passation du questionnaire, ainsi évidemment que tous les répondants.
Financement
Ce travail a fait l’objet d’un financement du Fonds de lutte contre les addictions 2022 de l’Agence régionale de santé des Hauts-de-France, Dossier n° C34.
Références
Citer cet article
panorama/index.htm