Grandes causes de mortalité en France en 2022 et tendances récentes
// Leading causes of death in France in 2022 and recent trends
Résumé
Introduction –
Cette étude décrit la mortalité par cause de décès en 2022, en comparant son évolution avec les tendances entre 2015 et 2019 et en 2020 et 2021.
Méthodes –
À partir des certificats de décès des personnes résidentes et décédées en France en 2022 et entre 2015 et 2021, les causes médicales de décès ont été codées selon la Classification internationale des maladies, 10e révision (CIM-10) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les causes initiales de décès ont été regroupées selon la liste européenne des causes de décès, à laquelle s’ajoute la Covid-19. Les effectifs et les taux de mortalité standardisés ont été analysés par cause, classe d’âge et sexe. Les taux de 2020 à 2022 sont comparés aux niveaux tendanciels de mortalité estimés par un modèle de régression de Poisson entre 2015 et 2019.
Résultats –
Le taux de mortalité standardisé est stable à tous les âges par rapport à 2021, mais augmente chez les personnes de 85 ans ou plus. En 2022, les tumeurs et les maladies de l’appareil circulatoire (cardiopathies ischémiques, maladies cérébrovasculaires) restent les deux premières causes de décès, mais les maladies de l’appareil respiratoire ont fortement progressé et deviennent la troisième cause de décès. Ainsi, alors que la mortalité par Covid-19 recule, celle des autres maladies respiratoires progresse et revient à un niveau proche de celui de 2019. De plus, la hausse de la mortalité pour la majorité des grandes causes se poursuit en 2022, notamment pour les maladies de l’appareil circulatoire chez les femmes. Les taux standardisés de mortalité sont significativement plus élevés que ce que suggérait la prolongation de la tendance 2015-2019, en particulier pour les maladies de l’appareil digestif et les causes externes (accidents domestiques, chutes, suicides...).
Discussion –
Les écarts par rapport à la tendance passée sont cohérents avec les résultats internationaux et contribuent à documenter les évolutions de la mortalité depuis l’épidémie de Covid-19.
Abstract
Introduction –
This study describes cause-specific mortality in 2022, compared with the trends observed between 2015 and 2019, in 2020, and in 2021.
Methods –
Based on the death certificates of French residents who died in France between 2015 and 2022, causes of death (CoD) were coded according to the International Classification of Diseases (ICD-10) of the World Health Organization (WHO). Underlying CoDs were grouped according to the European Shortlist for Causes of Death, supplemented by COVID-19. Death counts and standardized mortality rates (SMR) were analyzed by cause, age group, and sex. SMRs from 2020 to 2022 were compared to mortality trends between 2015 and 2019, estimated by a Poisson regression model.
Results –
The standardized mortality rate remains stable compared with 2021, but increases for people aged 85 or over. In 2022, tumors and diseases of the circulatory system (ischemic heart disease, cerebrovascular disease) remain the two leading causes of death, but diseases of the respiratory system have risen sharply to become the third leading cause of death. So, while mortality due to COVID-19 declines, respiratory disease mortality rises, returning to a level close to that observed for 2019. In addition, the increase in mortality for the majority of main causes continues into 2022, particularly for circulatory diseases in women. Standardized death rates are significantly higher than suggested by the 2015–2019 trends, particularly for diseases of the digestive system and external causes (accidents, falls, suicides...).
Discussion –
Deviations from past trends are consistent with international results and help to document changes in mortality since the COVID-19 epidemic.
Introduction
Après deux années fortement marquées par la Covid-19, l’épidémie recule en 2022 en France. Pour autant, l’année 2022 se caractérise par un excès de 54 000 décès toutes causes confondues par rapport au nombre attendu en l’absence d’épidémies ou d’autres événements inhabituels, excès un peu plus marqué qu’en 2020 (48 000 décès) et 2021 (43 000) 1. Par groupe d’âges, la surmortalité est plus élevée chez les personnes de plus de 75 ans (+9,1%, soit +39 600 décès) et celles de moins de 55 ans (+8,9%, soit +3 500 décès).
À partir de la statistique nationale des causes de décès, cette étude décrit les principaux indicateurs de mortalité par cause en 2022 et les compare aux tendances observées entre 2015 et 2019, et depuis 2020. Une étude complémentaire reposant sur les mêmes données analyse la mortalité évitable et la mortalité par cause selon les lieux de décès 2.
Matériel et méthodes
La statistique annuelle des causes médicales de décès est produite par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), à partir du recueil exhaustif et du codage des volets médicaux des certificats de décès, renseignés par les médecins constatant le décès 3. Elle documente les causes de décès des personnes résidentes et décédées en France enregistrés par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) 4.
Les causes médicales de décès ont été codées selon la Classification internationale des maladies (CIM-10) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). À chaque entité nosologique (maladie, traumatisme, etc.) mentionnée sur le certificat est attribué un code CIM-10. La cause initiale de décès est définie, en appliquant les règles de la CIM-10, comme étant la maladie, le traumatisme ou les circonstances en cas de mort violente à l’origine du processus morbide ayant entraîné le décès. Pour les décès survenus jusqu’en 2017 et en 2020, les codes des causes de décès provenaient soit d’un codage automatique (système de règle Iris/Muse), soit d’un codage manuel assisté. Pour les années 2018, 2019 et depuis 2021, une méthode d’intelligence artificielle (IA) est utilisée en complément des modes de codage précédents 5. Ainsi, 63% des décès de 2022 ont été codés par le logiciel Iris/Muse, 12% par codage manuel et 25% par la méthode d’IA.
Dans cette étude, les causes initiales de l’ensemble des décès ont été regroupées selon la liste succincte européenne des causes de décès en 70 catégories 6 avec, en plus, deux catégories spécifiques : « Covid-19 » incluant U07.1 et U07.2, et « Autres Covid-19 », incluant U10.9 et U12.9 7.
Le champ de l’étude concerne les personnes résidentes et décédées en France métropolitaine ou dans les cinq départements et régions d’outre-mer (DROM) en 2022.
Les indicateurs présentés dans cette étude sont les effectifs de décès et les taux de mortalité standardisés selon l’âge (selon la population standardisée européenne de 2013 8), afin de permettre les comparaisons de la mortalité entre populations n’ayant pas la même structure par âge. Le calcul des taux de mortalité repose sur les estimations de population aux 1ers janvier, par sexe et âge, produites et diffusées par l’Insee (provisoires pour 2022 et 2023). Dans cette publication, les taux de 2020 et 2021 n’ont pas été révisés. Les taux mensuels sont rapportés à une année complète pour permettre les comparaisons entre les mois et sur l’année.
Les analyses sont déclinées pour trois classes d’âges (0-64 ans, 65-84 ans et 85 ans ou plus) et par sexe. Les tendances annuelles des taux de mortalité par cause, par sexe et classe d’âges entre 2015 et 2019 ont été estimées à partir de modèles de log-Poisson indépendants surdispersés 9, intégrant une tendance linéaire. Ces tendances ont été projetées pour les années 2020 à 2022 afin d’apprécier les éventuelles sorties de l’intervalle de prédiction à 99%. Pour cette analyse des tendances, le recodage des causes initiales d’arrêt cardiaque mal défini (I46.0 et I46.9) en R99 à partir de 2019, conformément aux recommandations de l’OMS, a été généralisé sur l’ensemble de la période d’étude pour permettre une analyse sur une base homogène.
Résultats
Mortalité toutes causes en 2022
En 2022, 673 190 décès de personnes domiciliées et décédées en France ont été enregistrés (tableau). Le taux standardisé de mortalité est de 886,6 pour 100 000 habitants soit un niveau proche de 2021 (885,5). La standardisation, en ramenant les populations féminine et masculine à une même distribution par âge, met en évidence la surmortalité masculine : le taux masculin (1 106,8) est 1,7 fois (sex-ratio) plus élevé que le taux féminin (666,5).
Près de 47% des décès concernent les 85 ans et plus et 14,8% surviennent avant 65 ans : ces décès prématurés représentent 19,5% des décès masculins contre seulement 10,5% des décès féminins. Le taux de mortalité en 2022 augmente fortement chez les 85 ans et plus : on compte 398,6 décès pour 100 000 habitants de plus en 2022 qu’en 2021 (taux de 14 323,9), alors qu’il baisse légèrement pour les autres catégories d’âge. L’âge moyen au décès est en 2022 de 79,4 ans pour 79,1 ans en 2021.
La mortalité par cause en 2022
Tumeurs
En 2022, les tumeurs, première cause de décès, représentent 25,5% des décès (171 630 décès, taux de 241,9 pour 243,3 en 2021), dont 55,5% d’hommes (tableau et figure 1). Plus de la moitié des personnes décédées d’une tumeur avaient entre 65 et 84 ans. Les tumeurs du poumon, des bronches et de la trachée représentent 18,0% des décès par tumeur (taux de 45,3 pour 100 000 habitants) dont 66,7% d’hommes. Elles comptent pour près d’un quart des décès par tumeur des moins de 65 ans.
La deuxième tumeur la plus fréquente tous âges confondus est la tumeur colorectale (9,9%). Les tumeurs malignes du sein sont responsables de 12 963 décès quasiment tous féminins, soit 16,7% des décès féminins par tumeur (taux de 30,3 chez les femmes). Les tumeurs malignes du pancréas ont causé 12 931 décès (taux de 17,9), pour autant d’hommes que de femmes. Les tumeurs de la prostate ont causé le décès de 9 228 hommes (taux de 30,9 chez les hommes tous âges et première cause de décès par tumeur chez les hommes de 85 ans ou plus). Le taux standardisé de décès chez les hommes est supérieur à celui des femmes pour une grande majorité des tumeurs (sex-ratio de 1,7 pour l’ensemble des tumeurs).
Maladies de l’appareil circulatoire
Les maladies de l’appareil circulatoire, deuxième cause, ont entraîné 140 173 décès soit 20,8% de l’ensemble (taux de 177,8), dont 46,9% d’hommes (tableau et figure 1). Ces pathologies sont les premières causes de décès chez les 85 ans et plus, responsables de plus d’un quart des décès. Les cardiopathies ischémiques représentent 22,2% des décès dus aux maladies de l’appareil circulatoire et les maladies cérébrovasculaires, 22,5%. À âge identique, la surmortalité masculine atteint 2,7 pour les cardiopathies ischémiques et 1,3 pour les maladies cérébrovasculaires.
Maladies de l’appareil respiratoire et Covid-19
En 2022, les maladies de l’appareil respiratoire ont fortement progressé et deviennent la troisième cause de décès (hors symptômes et états morbides mal définis, tableau et figure 1). Elles sont responsables de 45 071 décès, soit 6,7% de l’ensemble des décès (taux de 59,4). Elles causent 10 décès de plus pour 100 000 habitants qu’en 2021 (figure 2). Plus de la moitié des décès concernent des personnes âgées de 85 ans ou plus (55,2%). Dans cette classe d’âge, elles causent 7,9% des décès en 2022 pour 6,4% en 2021. Le taux de mortalité des hommes (77,3) est près de 2 fois celui des femmes (41,5).
Les pneumonies représentent 30,7% des maladies de l’appareil respiratoire. Comme les décès de grippe (4,7% des maladies de l’appareil respiratoire), elles concernent majoritairement des personnes âgées de 85 ans et plus (67,4%). Les personnes décédées de maladies chroniques des voies respiratoires inférieures (25,5% des maladies de l’appareil respiratoire) sont pour près de moitié âgées de 65-84 ans et 10,9% ont moins de 65 ans.
Avec 41 291 décès en 2022 (6,1% de l’ensemble des décès), la Covid-19 a reculé en cinquième place en 2022 (taux de 54,7, soit 28 décès pour 100 000 habitants de moins qu’en 2021) (tableau et figure 2). Les victimes de la Covid-19 sont plus âgées qu’en 2021 : 59,0% concernent des personnes de 85 ans ou plus (vs 50% en 2021) et 6,0% ont moins de 65 ans (8% en 2021). La diminution de la mortalité de la Covid-19 se retrouve pour les trois catégories d’âges. Le taux masculin (73,0) reste 2 fois supérieur à celui des femmes (36,5), comme en 2020 et 2021. En métropole, le taux standardisé varie de 43,7 en Bretagne à 62,4 en Provence-Alpes-Côte d’Azur, en diminution dans la plupart des régions par rapport à 2021 (annexe 1). Dans les DROM, à l’exception de Mayotte, les taux restent élevés et supérieurs à ceux de la métropole.
Causes externes
En 2022, 44 800 décès sont dus à des causes externes, soit 6,7% de l’ensemble (tableau, figure 1). Le taux de mortalité est de 61,8 pour 100 000 habitants, soit presque 5 décès pour 100 000 habitants de plus qu’en 2021. Les accidents représentent 71,7% de ces décès, dont 24,7 points de pourcentage (pp) pour les chutes accidentelles et 5,9 pp d’accidents de transport. Les décès par chutes accidentelles (11 073 décès, taux de 14,0) se produisent majoritairement à un âge élevé : 63,8% concernent des personnes âgées de 85 ans ou plus.
Les suicides représentent 20,5% des causes externes avec 9 200 décès en 2022 (14,2 pour 100 000). Les trois-quarts des décès par suicide concernent les hommes, et les deux-tiers, des personnes âgées de moins de 65 ans.
Symptômes et états morbides mal définis
Le chapitre des symptômes et états morbides mal définis (75 453 décès en 2022) couvre les morts subites du nourrisson (155 décès), les causes de décès inconnues ou non précisées sur le volet médical du certificat (36 549 décès) et les autres symptômes et états morbides mal définis (38 749 décès) (tableau). Ces derniers concernent pour 65,5% des personnes de 85 ans et plus et comptent en plus des « arrêts respiratoires » (R09.2), les « malaise ou fatigue » (R53), la « sénilité » (R54) ou encore le « découragement et apathie » (R45.3). En 2022, 88 décès de plus qu’en 2021 pour 100 000 habitants de 85 ans ou plus sont attribuables à ces autres symptômes et états morbides mal définis (+4 décès pour 100 000 habitants tous âges) (figure 2).
Évolution mensuelle de la mortalité en 2022
La dynamique mensuelle de la mortalité toutes causes, comme pour la plupart des grandes causes, présente une évolution saisonnière marquée, avec des taux standardisés plus élevés sur les mois de janvier-février et décembre (figure 3). La mortalité par Covid-19 s’est essentiellement concentrée sur les mois de janvier et février, atteignant entre 12,2% de la mortalité en janvier et 13,4% en février (jusqu’à 15,9% chez les personnes de plus de 85 ans) puis, dans une moindre mesure, sur le mois de juillet. Celles des maladies respiratoires et des symptômes et états morbides mal définis se sont portées de façon plus marquée sur décembre (respectivement 9,7% et 12,2% de la mortalité de ce mois).
Évolution de la mortalité en 2022, comparativement à 2015-2019 et à 2020 et 2021
Le taux standardisé de mortalité toutes causes en 2022 (886,6) est nettement plus élevé que celui auquel conduirait la prolongation de la tendance à la baisse des années passées (figure 4, annexe 2). Il est en hausse chez les femmes alors qu’il est en légère diminution chez les hommes (figure 5, annexe 3).
En 2022, la mortalité par maladies de l’appareil circulatoire est, comme en 2021, significativement plus élevée que ce que prédisait sa tendance à la diminution depuis 2015 ; elle est même en légère hausse par rapport à 2021 chez les 85 ans et plus et chez les femmes (figures 4 et 5, annexes 2 et 3). La légère hausse en 2022 chez les femmes s’observe pour les « autres maladies du cœur », en particulier l’insuffisance cardiaque, les cardiopathies et l’arythmie, pour les « maladies cérébrovasculaires » et les « autres maladies de l’appareil circulatoire » (notamment les cardionéphropathies hypertensives). Les cardiopathies ischémiques, en particulier les infarctus du myocarde, se stabilisent.
Le taux standardisé des décès par tumeur en 2022 poursuit sa tendance à la diminution tous âges et chez les hommes, mais se stabilise chez les femmes et augmente légèrement chez celles de 65-84 ans sans pour autant sortir significativement de la tendance baissière passée (figures 4 et 5, annexes 2 et 3). Cette stabilisation chez les femmes est principalement portée par la hausse par rapport à 2021 des tumeurs du poumon, des bronches et de la trachée, alors que le taux baisse légèrement chez les hommes pour ces tumeurs. Les tumeurs du pancréas semblent se stabiliser à un niveau élevé, alors que l’on observait une tendance à la hausse depuis 2015. C’est également le cas du mélanome de la peau, stable par rapport à 2021.
Après une forte diminution de la mortalité des maladies respiratoires hors Covid-19 en 2020 et 2021, le taux standardisé en 2022 (59,4) est revenu à un niveau comparable à celui des années précédentes, légèrement plus faible qu’en 2019 (62,0). La hausse a concerné en particulier la mortalité due aux pneumonies, les maladies chroniques des voies respiratoires inférieures et la grippe. La hausse a touché toutes les classes d’âges, mais de façon plus marquée les personnes âgées de 85 ans ou plus (figure 4). Cette dynamique se retrouve de façon moins marquée pour la mortalité des maladies du système nerveux et des organes des sens et celle des troubles mentaux.
La mortalité par maladies endocriniennes, nutritionnelles et métaboliques est, pour la troisième année consécutive, significativement plus élevée que ce qu’aurait suggéré sa tendance sur 2015-2019 (pour la première année chez les 85 ans et plus) (figure 4). Elle est en hausse en 2022 par rapport à 2021 dans toutes les classes d’âges, notamment portée par les décès de malnutrition protéino-énergétique chez les personnes de 85 ans ou plus, les hypovolémies et dans une moindre mesure l’amylose. La mortalité par diabète sucré reste, elle, stable depuis 2020.
De même, la mortalité des maladies de l’appareil digestif a augmenté en 2022 par rapport à 2021, et se retrouve pour la première année significativement au-dessus de sa tendance 2015-2019 chez les hommes comme chez les femmes (figures 4 et 5, annexes 2 et 3). En particulier, chez les 65 ans et plus, les autres maladies de l’appareil digestif (notamment des occlusions intestinales) augmentent en 2022.
La mortalité due à des maladies de l’appareil génito-urinaire est également significativement plus élevée en 2022 que ce que suggère la prolongation de la tendance avant Covid-19, chez les hommes comme chez les femmes (annexe 2). Ces hausses sont principalement portées par les maladies du rein et de l’uretère chez les personnes de 85 ans et plus et par les autres maladies de l’appareil génito-urinaire tous sexes chez les personnes de 65 ans et plus (annexe 3).
Autre fait marquant en 2022, la mortalité due à des causes externes est en hausse et significativement plus élevée que ce que suggère la prolongation de sa tendance 2015-2019. Ceci se retrouve pour tous les groupes d’âges et est porté par les accidents : les « accidents de transport » qui retrouvent leur niveau de 2019, les « chutes » accidentelles qui poursuivent leur hausse, et les « autres accidents », en hausse. La mortalité par suicide est en 2022 très légèrement supérieure à celle de 2021 (14,2 pour 13,9), sans pour autant sortir significativement de sa tendance baissière d’avant Covid-19.
Discussion
En 2022, le taux de mortalité standardisé est stable tous âges confondus par rapport à 2021, mais augmente chez les personnes de 85 ans et plus et est nettement plus élevé tous âges confondus que celui auquel conduirait la prolongation de la tendance à la baisse des années 2015-2019.
Les deux premières causes de décès en France restent les tumeurs et les maladies de l’appareil circulatoire. La mortalité par maladies de l’appareil circulatoire poursuit sa hausse en rupture pour la deuxième année consécutive par rapport à sa tendance pré-pandémique, en particulier chez les femmes et les plus de 85 ans. Plusieurs pays rapportent aussi une hausse de la mortalité par maladies de l’appareil circulatoire, notamment les États-Unis 10,11 (où la hausse est, comme en France, plus marquée chez les femmes que chez les hommes), le Royaume-Uni 12 et la Norvège 13. Une étude sur les hospitalisations pour des maladies cardiovasculaires en France montre également une hausse significative chez les femmes de 15-64 ans en 2020 et 2021 14.
La mortalité par tumeurs, sans s’écarter significativement de sa tendance baissière d’avant 2020, se stabilise néanmoins en France chez les femmes. La situation aux États-Unis semble être comparable, avec une surmortalité liée aux tumeurs ne s’observant que chez les femmes de plus de 75 ans. En revanche, la mortalité par tumeurs augmente au Royaume-Uni et en Norvège 12,13.
La baisse de la mortalité par Covid-19 en France en 2022 se retrouve aux États-Unis (-12% par rapport à 2021) 15 et au Royaume-Uni (-66,7%) 12. Ce recul peut en grande partie s’expliquer par l’atteinte d’une immunité collective élevée, tant au niveau national qu’international, grâce à la grande circulation du virus dans la population et à une couverture vaccinale large, associée à une moindre virulence des variants.
La hausse de la mortalité liée aux maladies respiratoires (hors Covid-19) observée sur janvier, avril et décembre 2022 s’explique en partie par les deux épidémies de grippe saisonnières 2021-2022 et 2022-2023. La première était une épidémie grippale tardive (pic atteint début avril) d’intensité modérée 16 et concomitante à une vague de Covid‑19. La seconde, précoce, a démarré fin novembre avec un pic atteint fin décembre 2022 17, en même temps que la circulation d’autres virus respiratoires (virus respiratoire syncytial (VRS), Covid-19). Cette hausse pour partie liée à la grippe contribue à l’excès de mortalité toutes causes confondues décrit principalement sur cinq mois : janvier, avril, juillet et août et de façon plus marquée en décembre 1. Les trois épisodes de canicule et des périodes de fortes chaleurs de l’été, conjugués à une vague de Covid-19 en juillet ont pu contribuer à l’excès modéré de décès en juillet 18,19. En 2022, des excès de mortalité se retrouvent aussi dans d’autres pays : les États-Unis 20, l’Allemagne 21, le Danemark, la Suède, la Norvège 13,22.
Comme pour la mortalité liée aux maladies respiratoires, celles du système nerveux dont Alzheimer et dans une moindre mesure des troubles mentaux et du comportement (démences), largement en dessous de leurs tendances en 2020 et 2021, reviennent à des niveaux proches de ceux suggérés par la poursuite des tendances d’avant Covid-19. Ceci pourrait notamment être lié à la moindre mortalité due à la Covid-19 en 2022, et un effet de concurrence entre ces causes (qui concernent en particulier les plus âgés) et la Covid-19, effet fortement réduit par rapport aux deux années passées. Le Royaume-Uni rapporte également une hausse des décès pour troubles mentaux et du comportement (notamment démence) et pour les maladies du système nerveux (notamment Alzheimer), retrouvant le niveau atteint avant la pandémie de Covid-19 12.
Les hausses notables de mortalité concernant les maladies endocriniennes, les maladies de l’appareil digestif, les maladies génito-urinaires, déjà apparentes en 2021, se confirment en 2022. Elles pourraient être liées à des effets induits par l’épidémie et qui perdurent (retard de prise en charge, difficultés d’accès aux soins, changements dans les comportements, voire dans l’offre de soins). Toutefois, l’évolution de la mortalité due au diabète reste stable en France, alors que le nombre de décès dus au diabète augmente aux États-Unis en 2022, aussi bien pour les hommes que pour les femmes 20.
La hausse de la mortalité due aux causes externes, en particulier les accidents, fait marquant de 2022 en France, se retrouve également aux États-Unis : les décès dus aux accidents sont à des niveaux supérieurs aux prévisions, avec des taux de mortalité élevés notamment chez les jeunes. Pour ce qui est spécifiquement des accidents du transport en France, l’évolution est la même qu’observée par l’Observatoire national de la sécurité routière 23.
Enfin, la hausse de la mortalité liée aux symptômes et états morbides mal définis, lesquels sont plus fréquents chez les plus âgés, pourrait être reliée à la hausse de la mortalité des personnes de 85 ans ou plus, caractéristique de 2022. Il peut en effet être plus complexe aux grands âges de préciser une cause initiale de décès unique dans un contexte de multi-morbidités ou peu informatif. L’analyse pour cette population âgée est plus pertinente en causes multiples 24.
Limites
Les évolutions concernant notamment les causes externes doivent être interprétées avec précaution du fait de la diffusion progressive d’un nouveau format de certificat depuis 2018, conduisant à mieux les recenser qu’auparavant (grâce à la collecte des circonstances apparentes de décès) et à la mise à disposition de données par l’Institut médico-légal de Paris depuis 2018 25.
La forte proportion de décès pour symptômes et états morbides mal définis dans l’ensemble des décès en France et leur évolution entraînent des limites sur les analyses temporelles des autres causes. Des méthodes de redistribution de ces causes mal définies vers les grandes causes s’appuyant sur les écarts régionaux peuvent permettre d’approfondir l’analyse de la mortalité par cause 26. Une attention particulière doit être portée sur la prise en compte de l’âge pour la redistribution.
Cette étude ne permet pas d’estimer quantitativement la part respective de chaque cause de décès dans l’excès de mortalité toutes causes confondues. Cela nécessiterait une modélisation statistique plus fine du contrefactuel, c’est-à-dire du nombre de décès par cause qui se serait produit en l’absence de la pandémie.
Perspectives
Les écarts par rapport à la tendance passée relevés dans cette étude contribuent à documenter les évolutions de la mortalité depuis l’épidémie de Covid-19. Cette étude incite à approfondir l’analyse pour les évolutions en hausse en prenant en compte les comorbidités via les causes associées et en documentant les disparités entre les populations.
La mortalité en 2022, qui touche en particulier les plus âgés, met en avant les difficultés et les limites d’un indicateur reposant uniquement sur la cause initiale. Avec l’allongement de la durée de la vie et l’accumulation des comorbidités dans la population, une analyse plus précise de la mortalité bénéficierait d’autres indicateurs s’appuyant sur l’ensemble du processus morbide, ainsi que d’une collecte plus précise de l’information. Des marges possibles d’amélioration de la collecte s’ouvrent avec la certification par les infirmiers lorsque ceux-ci ont connaissance du dossier médical du défunt, ou encore avec les possibilités de clarification en direct auprès du certificateur du texte décrivant le processus morbide conduisant au décès qu’offre la certification électronique.
La surveillance de la mortalité par cause pour la santé publique contribue à la connaissance de l’état de santé de la population et à celle de l’évolution des comportements et de l’offre de soins. Elle aide alors à la décision et à l’orientation des politiques publiques. Cette surveillance doit être continue pour objectiver des effets qui peuvent apparaître plusieurs années après. La mise à disposition régulière et rapide de la statistique nationale sur les causes de décès est nécessaire pour atteindre cet objectif.
Remerciements
Les auteurs remercient chaleureusement le Pôle Production au sein du CépiDc, en particulier Diane Martin, Aude Robert, Zina Hebbache, Cécile Billand et toute l’équipe, ainsi que les personnels de l'Insee impliqués dans la constitution de la base des causes médicales de décès. Les auteurs remercient également Sohanjit Halder, Diane Naouri, Benoît Ourliac, Elizabeth Fery-Lemonnier, Céline Caserio-Schönemann et Jérôme Guillevic pour leur relecture critique du manuscrit.
Liens d'intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.