Épidémiologie descriptive des passages aux urgences pour intoxication éthylique aiguë en région Nouvelle-Aquitaine entre 2016 et 2021

// Descriptive epidemiology of visits to emergency departments for acute alcohol intoxication in Nouvelle-Aquitaine, France, between 2016 and 2021

Adam Loffler1 (adamloffler@outlook.fr), Pascal Vilain1, Laure Meurice1, Nicolas Marjanovic2, Olivier Ely3, Laurent Filleul1
1 Santé publique France – Nouvelle-Aquitaine, Bordeaux
2 Centre hospitalier universitaire, Poitiers
3 Centre hospitalier, Périgueux
Soumis le 02.05.2022 // Date of submission: 05.02.2022
Mots-clés : Alcool | Intoxication éthylique aiguë | Urgences | Base de données Oscour® | Nouvelle-Aquitaine
Keywords: Alcohol | Acute alcohol intoxication | Emergency department | OSCOUR® database | Nouvelle-Aquitaine

Résumé

Objectif –

 L’objectif de cette étude est de décrire les passages aux urgences pour intoxication éthylique aiguë (IEA) dans la région Nouvelle-Aquitaine et dans les différents départements de cette région.

Matériel et méthode –

Les passages aux urgences (PU) issus de la base de données Oscour® (Organisation de la surveillance coordonnée des urgences) ont été analysés du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2021. Le passage pour IEA a été défini grâce à un ensemble de codes CIM-10 (Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes, 10e révision). Une analyse descriptive des caractéristiques des patients, ainsi que des variations saisonnières, a été réalisée à l’échelon régional et départemental.

Résultats –

Sur la période d’étude, 78 325 passages pour IEA ont été identifiés. Près de 1% de la totalité des PU de la région a concerné des IEA, dont la moitié était suivie d’une hospitalisation. Ces PU impliquaient majoritairement des hommes (71%). Les classes d’âge les plus représentées étaient les 40-54 ans (33%) et les 25-39 ans (24%). Deux pics annuels ont été retrouvés : le 1er janvier et le 22 juin. Les horaires de forte affluence des PU étaient situés entre 20 h et 23 h, avec un décalage à 2-3 h chez les 15-24 ans. Le recours aux urgences pour IEA était plus élevé le week-end, les jours fériés ainsi que les veilles de jours fériés. Au cours de la période d’étude, le nombre de recours pour IEA et la proportion d’hommes ont diminué tandis que l’âge moyen a augmenté.

Conclusion –

En Nouvelle-Aquitaine, les recours pour IEA ont un impact important sur l’activité des urgences. Cette étude a permis d’identifier des périodes de forte affluence du recours aux urgences pour IEA à l’échelle de la région.

Abstract

Aim –

This study aims to describe the visits to emergency departments (ED) for acute alcohol intoxication (AAI) in the region of Nouvelle-Aquitaine and its departments.

Method –

Emergency department visits recorded in the OSCOUR® database were analyzed for the period of January 1st 2016 to December 31 2021. An ED visit due to AAI was defined according to a set of ICD-10 codes. Descriptive analysis of patient characteristics and seasonal variations was carried out at regional and departmental level.

Results –

Over the study period, 78 325 ED visits for AAI were identified. Nearly 1% of all ED visits in the region involved AAI, half of which led to hospitalization. These ED visits mainly concerned men (71%). The age groups most represented were 40-54 years old (33%) and 25-39 years old (24%). Two annual peaks were found: January 1st and June 22. The rush hours of these ED visits were between 8 p.m. and 11 p.m., with a shifted peak at 2-3 a.m. for the 15-24 age group. Emergency department visits for AAI were higher on weekends, public holidays and the day before public holidays. During the study period, the number of AAI visits and the proportion of male patients decreased while the mean age increased.

Conclusion –

In Nouvelle-Aquitaine, emergency department visits for AAI have a significant impact on ED activity. This study made it possible to identify periods of high affluence in ED visits for AAI at the regional level.

Introduction

La consommation d’alcool est un comportement fréquent et socialement accepté, particulièrement lors d’événements ou de rassemblements festifs. Une des conséquences possibles d’un usage excessif d’alcool est l’intoxication éthylique aiguë (IEA), qui expose à une morbi-mortalité accrue, liée notamment à des troubles du comportement induits et à la survenue en conséquence d’accidents ou de morts violentes 1. De plus, le binge drinking, acte qui consiste à consommer de grandes quantités de boissons alcoolisées sur une courte période de temps (consommation de 5 unités d’alcool pour un homme, et 4 pour une femme, en moins de deux heures, selon les critères du National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism (NIAAA) 2) peut entraîner comme conséquence une intoxication éthylique aiguë 3,4. Le passage dans un service d’accueil des urgences (SAU) lors d’un épisode d’IEA représente une part considérable de l’activité des services d’urgence, notamment chez les 15-44 ans, pour lesquels près de 2% des passages aux urgences en France sont en lien avec l’alcool 5. Le diagnostic d’IEA repose sur un faisceau d’arguments cliniques détaillés dans la conférence de consensus de la Société française de médecine d’urgence (SFMU) ; la mesure de l’alcoolémie est également utile dans ce contexte, tout comme la mesure d’éthanol dans l’air expiré, même si ces données ne présentent pas forcément de corrélation avec l’intensité de l’état clinique 6. Une étude menée par Santé publique France estimait qu’en 2017, dans la région, les passages aux urgences pour IEA représentaient 1,0% de l’ensemble des passages aux urgences. Cela équivalait à 71,8% des passages aux urgences en lien direct avec l’alcool 7. Une différence de recours était observée selon le sexe (2,0% des passages totaux chez les hommes ; 0,8% chez les femmes), et une hétérogénéité du recours aux urgences directement en lien avec l’alcool au sein des départements était observée 7. Si les données de consommation d’alcool en France ont été décrites par classe d’âge 8, elles restent néanmoins incomplètes à l’échelle régionale et départementale. En outre, la problématique de la morbi-mortalité induite par la consommation d’alcool est un enjeu de santé publique majeur ; il est donc primordial de pouvoir caractériser les patients consultant aux urgences pour IEA et d’identifier des facteurs de risque de présenter une IEA, afin de mieux pouvoir anticiper les périodes de forte activité et de pouvoir proposer des actions de prévention ou de sensibilisation ciblées à l’échelle de la région. Dans ce contexte, une étude descriptive a été réalisée à partir du système de surveillance syndromique de Santé publique France afin de compléter les données existantes. L’objectif principal de l’étude était de décrire les passages aux urgences pour IEA en région Nouvelle-Aquitaine et à l’échelle des départements.

Matériel et méthodes

Il s’agissait d’une étude épidémiologique rétrospective, portant sur la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2021. Cette étude s’est appuyée sur les données du dispositif Oscour® (Organisation de la surveillance coordonnée des urgences) qui repose sur la transmission des résumés de passage aux urgences (RPU) issus des services d’urgence. Ces données sont transmises quotidiennement à Santé publique France de manière automatisée via l’application Sursaud® (données de la veille disponibles à minuit). Les données disponibles, anonymisées, sont d’ordre administratif (âge, sexe, heure et date d’entrée et de sortie, devenir du patient et code postal de résidence) et d’ordre médical (diagnostic principal et diagnostics associés selon les codes de la CIM-10). Le transfert en service d’hospitalisation était disponible. Cet indicateur regroupait les hospitalisations en Médecine-Chirurgie-Obstétrique (MCO, dont unité d’hospitalisation de courte durée UHCD), en soins de suite et réadaptation (SSR), en soins de longue durée (SLD), en psychiatrie, et en hospitalisation à domicile (HAD). La base de données étudiée incluait tous les passages dans les services d’urgence de la région Nouvelle-Aquitaine pour intoxication éthylique aiguë (IEA) en diagnostic principal ou associé. En 2021, le réseau reposait sur 66 services d’urgence géographiques autorisés, 39 sièges de Smur, 13 de Samu. En ce qui concerne la région Nouvelle-Aquitaine, près de 98% des passages aux urgences sont enregistrés dans la base de données de ce système de surveillance syndromique 9. Pour la définition de cas, le code CIM-10 F10.0, figurant en diagnostic principal ou diagnostic associé, marquait la présence d’un diagnostic d’IEA. Ce code a été choisi en suivant la méthodologie utilisée précédemment dans la littérature française 10. Le code susmentionné ne comprenait pas les conséquences organiques (par exemple, cirrhose due à l’alcool), ni mentales (par exemple, troubles addictifs ou syndrome dépressif en lien avec l’alcool), dues à la consommation chronique d’alcool, ni les passages aux urgences pour syndrome de sevrage. Les codes concernant les intoxications accidentelles à l’alcool (X45 et déclinaisons) ont été exclus avec l’hypothèse que ces codes ne concernaient pas la même population que les IEA « conventionnelles » et que les intoxications accidentelles n’étaient pas sujettes à la même saisonnalité que ces IEA. Le diagnostic d’IEA étant clinique 6,11, les codes mentionnant une mesure d’alcoolémie ou une mesure par éthylotest n’ont également pas été employés. De plus, les « passages toutes causes codées » ont été utilisés comme dénominateur sur la période d’étude. Les caractéristiques des patients consultant aux urgences pour IEA dans la région ont été décrites selon l’âge, le sexe, le devenir du patient (hospitalisation, décès, retour à domicile), les comorbidités (c’est-à-dire les diagnostics associés si l’IEA est le trouble principal, ou le diagnostic principal si l’IEA est le trouble associé), l’heure d’arrivée aux urgences, la durée de passage. Les données ont été utilisées pour construire des séries temporelles afin de décrire d’éventuelles variations saisonnières (jour de la semaine, jour du mois, mois de l’année) par classes d’âge (0-14, 15-24, 25-39, 40-54, 55-69, >70 ans). Les résultats ont été corrigés en rapportant le nombre de PU pour IEA par le nombre de PU toutes causes confondues, afin de prendre en compte les années bissextiles, le nombre différent de jours par mois, le nombre différent de jours de la semaine dans la période d’étude et la saisonnalité de l’activité basale des services d’urgence. Une analyse spécifique à chaque département de la région, avec création de séries temporelles, a également été effectuée. L’analyse statistique a été réalisée à l’aide du logiciel R® version 4.0.5.

Résultats

Analyse descriptive régionale

Entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2021, 78 325 passages aux urgences (PU) pour IEA ont été enregistrés dans les services d’accueil des urgences (SAU) de Nouvelle-Aquitaine, participant au réseau Oscour®, soit 0,8% de tous les PU enregistrés par la surveillance syndromique dans la région. Les deux tranches d’âge les plus représentées étaient les 40-54 ans (32,9%) et les 25-39 ans (24,0%) (tableau 1). La majorité des PU pour IEA concernait des hommes (71,2%). Cependant, le sex-ratio variait en fonction des classes d’âge, allant de 1,1 chez les 10-14 ans, à 3,5 chez les 30-34 ans, puis diminuait progressivement pour atteindre 1,5 chez les plus de 80 ans. L’âge moyen était de 42,5 ans chez les hommes et de 42,8 chez les femmes (p<0,01). L’âge médian était de 42,9 ans chez les hommes et de 44,1 ans chez les femmes. Le code CIM-10 utilisé pour définir l’IEA désignait un diagnostic principal dans 83,9% des cas, et cela correspondait à 65 741 PU. Lorsque l’IEA figurait en diagnostic associé (n=12 584 ; 16,1%), les diagnostics principaux les plus souvent retrouvés étaient : traumatisme crânien ou plaie de la tête (1 495 ; 11,9%), consultation pour examen administratif (constat d’ivresse sur demande de la police) (1 107 ; 8,8%), intoxication aux benzodiazépines (983 ; 7,8%), malaise ou agitation (835 ; 6,6%), et épisode dépressif (576 ; 4,6%). La durée médiane de passage aux urgences était de 3,6 heures. Parmi ces PU, 50,0% ont été suivis d’une hospitalisation. Les femmes étaient plus souvent hospitalisées (52,7%) que les hommes (48,9%, p<0,001). De plus, la proportion d’hospitalisations après PU pour IEA augmentait avec les classes d’âge, avec 40,2% d’hospitalisation chez les 15-24 ans et 58,4% d’hospitalisation chez les plus de 80 ans. Les enfants de moins de 15 ans étaient hospitalisés dans 49,0% des cas. Un décès a été renseigné parmi ces PU.

Tableau 1 : Caractéristiques des patients passant aux urgences pour intoxication éthylique aiguë dans la région Nouvelle-Aquitaine entre 2016 et 2021 (n=78 325)
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Analyse temporelle régionale

Au cours de la période d’étude, le nombre de PU pour IEA est resté stable de 2016 à 2019. Pour les années 2020 et 2021, le nombre de PU pour IEA était plus faible (diminution relative de 16% des PU pour IEA entre 2016 et 2021). La variation annuelle régionale des PU pour IEA a mis en évidence deux pics : le 1er janvier et le 22 juin (figure 1). L’analyse de la variation des PU sur les mois de l’année présentait un nombre de PU plus élevé sur la période estivale, et plus faible sur la période hivernale, et ceci pour toutes les classes d’âge. Le mois de juillet constituait le pic de PU pour toutes les classes d’âge. La proportion de PU par jour du mois montrait un pic le 1er jour du mois et une relative stabilité sur l’ensemble du mois. Une importante augmentation du nombre de PU pour IEA était observée en fin de semaine chez les 15-24 ans et de manière plus discrète chez les 25-39 ans (vendredi, samedi et dimanche). Après correction sur le nombre de passages toutes causes confondues, cette tendance à l’augmentation au cours de la semaine était visible pour toutes les classes d’âge de 15 ans et plus (figure 2). L’analyse des variations journalières des PU pour IEA a permis de mettre en évidence une période de forte affluence entre 20 h et 23 h dans les classes d’âge de plus de 25 ans, tandis que chez les 15-24 ans, le pic d’affluence se situait entre 2 h et 3 h (figure 3). En 2016, l’âge moyen régional était de 41,7 ans. Cet indicateur atteint 44,0 ans pour l’année 2020 avant de prendre la valeur de 43,1 ans en 2021. Le sex-ratio tous âges confondus a diminué au cours des six ans, avec un rapport hommes/femmes à 2,73 en 2016 et 2,23 en 2021 (p<0,001). L’analyse de la variation du sex-ratio annuel par classe d’âge dans la région n’a pas mis en évidence de tendance plus importante à un âge plutôt qu’à un autre.

Figure 1 : Variation des passages aux urgences pour intoxication éthylique aiguë au cours de l’année, moyenne mobile sur 7 jours, Nouvelle-Aquitaine, 2016-2021
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Figure 2 : Proportion ajustée de passages aux urgences pour intoxication éthylique aiguë, en fonction du jour de la semaine en Nouvelle-Aquitaine, 2016-2021
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Figure 3 : Passages aux urgences pour intoxication éthylique aiguë en fonction de l’heure du jour, dans la région Nouvelle-Aquitaine (sur la période 2016-2021)
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Analyse départementale

Cette analyse des séries temporelles suit sensiblement les tendances régionales. L’âge moyen par département variait de 40,9 à 46,5 ans. Le tableau 2 détaille les caractéristiques des populations selon les départements. Des différences sont observées par rapport à la répartition démographique des âges de la population des départements, avec une population consultant pour IEA plus jeune qu’attendue dans les Landes et en Charente-Maritime. Dans les Landes, deux pics de PU pour IEA sont identifiés aux alentours du 22 juillet et aux alentours du 15 août, non retrouvés dans l’analyse régionale (figure 4). Les autres départements ne présentent pas de tendance significativement contraire à la saisonnalité régionale (résultats non présentés).

Tableau 2 : Caractéristiques des patients passant aux urgences pour intoxication éthylique aiguë par département entre 2016 et 2021
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Figure 4 : Variation des passages aux urgences pour intoxication éthylique aiguë au cours de l’année, moyenne mobile sur 7 jours, Landes (40)
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Discussion

Cette étude a permis de caractériser la fréquence des IEA issues des services d’urgence de Nouvelle-Aquitaine.

Près de 1% des PU sont en lien avec une IEA. Ce résultat est en accord avec les données de la littérature exploitant le même système de surveillance syndromique 10 et avec les études utilisant une méthodologie impliquant le traitement des résumés de passages aux urgences 12.

La prédominance masculine des PU pour IEA que l’on retrouve dans les résultats est conforme aux données de la littérature 10,12.

L’âge médian était de 42,9 ans chez les hommes et de 44,1 ans chez les femmes. Cette différence entre les deux sexes était déjà observée en France dans une étude précédente, mais les âges médians sont plus élevés dans notre étude 10. Cela peut s’expliquer par une différence à la fois de la population étudiée et de la période d’étude.

Le diagnostic d’IEA figure parfois en diagnostic associé. La présence de divers autres diagnostics principaux met en évidence l’association de l’IEA avec d’autres comorbidités et suggère une morbidité importante de l’IEA. Par exemple, un état d’IEA est retrouvé fréquemment dans plusieurs autres pathologies : traumatismes (5 à 50%), pathologies médicales (4 à 7%), affections psychiatriques (30%), tentatives de suicide (50 à 75%) et violences (15 à 25%) 13. C’est notamment le cas pour les patients qui consultent fréquemment aux urgences pour IEA, qui présentent plus fréquemment des comorbidités comme des pathologies du foie, une insuffisance rénale chronique, une pathologie vasculaire ischémique, des comorbidités psychiatriques (démence, schizophrénie, trouble bipolaire), un antécédent de traumatisme crânien ou une bronchopneumopathie chronique obstructive par rapport aux autres patients passant aux urgences 14.

Les pics d’activité retrouvés le 1er janvier et le 22 juin correspondent respectivement au jour de l’An et au lendemain de la Fête de la musique. Le pic mensuel le 1er jour du mois peut être en partie expliqué par l’effet événementiel du 1er janvier (jour de l’An) qui est le jour de l’année où le nombre de PU pour IEA est le plus élevé. De plus, le 1er jour du mois est fréquemment un jour férié (la Toussaint a lieu le 1er novembre, la fête du Travail est le 1er mai, et le 1er juin 2020 était le lundi de Pentecôte), ce qui est en accord avec l’effet jour férié décrit dans la littérature 15,16.

Les données des années 2020 et 2021 ont été fortement impactées par la crise sanitaire et les confinements 17, entraînant un retentissement non négligeable sur le recours aux urgences pour IEA. En effet, sur toute la période d’étude, nous constatons une diminution des PU pour IEA (y compris toutes causes confondues), en plus d’une population de patients plus âgés et d’une diminution du sex-ratio H/F. Les femmes de moins de 25 ans sont de plus en plus concernées par les IEA. En effet, dans notre étude, en 2020 et en 2021, plus d’1 personne sur 3 âgée de moins de 25 ans et concernée par un PU pour IEA était une femme (contre environ moins de 1 sur 3 les années précédentes), ce qui est en accord avec la littérature internationale 18,19. À ce jour, il est difficile de conclure si ce changement des caractéristiques des patients est temporaire, ou si des modifications pérennes du mode de vie n’auraient pas également contribué aux résultats que nous observons. La littérature internationale présente deux scénarii de modification de la consommation d’alcool, avec une diminution à court terme, puis une augmentation de la consommation sur le long terme, particulièrement chez les hommes 20. Ces modifications de la consommation éthylique pourront probablement être constatées sur les données des années postérieures à notre étude. Une méta-analyse européenne récente objective en moyenne une diminution de la consommation d’alcool lors de la pandémie plus importante que l’augmentation de celle-ci 21.

Nous retrouvons un certain nombre de PU pour IEA chez les moins de 15 ans. Cependant l’intentionnalité n’est pas évidente en l’absence du détail du résumé de passage aux urgences. De plus, le code diagnostique d’intoxication accidentelle est parfois précisé dans les diagnostics associés chez les moins de 15 ans, ce qui peut expliquer la présence de sujets de cette classe d’âge dans nos résultats 22. Une étude réalisée aux Pays-Bas suggère que si le premier contact de l’enfant avec l’alcool est précoce, le risque de présenter une IEA chez l’adolescent est alors plus élevé 23.

Les deux pics estivaux retrouvés dans le département des Landes concordent avec les fêtes de la Madeleine à Mont-de-Marsan autour du 22 juillet, et les fêtes de Dax à la mi-août. Cependant, dans le département des Pyrénées-Atlantiques, lors des fêtes de Bayonne classiquement sur la période du 24 au 31 juillet, aucun pic de PU pour IEA n’a été observé. Pourtant, cet événement est l’un des plus grands rassemblements d’Europe. Néanmoins, une organisation médicale spécifique est mise en œuvre lors de cet événement (médicalisation des postes de secours préexistants, poste médical avancé, mise en place d’un poste de secours intra-hospitalier) pouvant expliquer la prise en charge en amont des urgences. Étant donné la consommation festive intense lors de cette circonstance, il paraît également vraisemblable que d’autres structures participent à la prise en charge de ces patients en renfort durant cette période (bénévoles de la Protection civile et de la Croix-Rouge, entre autres).

L’une des limites de cette étude est l’hétérogénéité du codage entre les différents établissements des départements. Le taux d’hospitalisation après PU en Corrèze est ininterprétable, étant donné l’absence de codage de cette variable dans l’un des services d’accueil des urgences (SAU) de ce département. Cela entraîne de ce fait une sous-estimation du taux régional d’hospitalisation pour IEA. De plus, le pourcentage d’IEA codé en diagnostic associé est probablement sous-estimé. En effet, le taux d’exhaustivité du code « diagnostic associé » peut varier d’un service d’urgence à un autre. Lorsque ce code n’est pas renseigné, il est possible que les professionnels privilégient le codage de la pathologie organique ou du traumatisme qui est une conséquence de l’IEA (par exemple, un traumatisme crânien ou une fracture après une chute) aux dépens de l’IEA, ce qui entraîne une sous-estimation du nombre de PU pour IEA, ainsi qu’une sous-estimation du taux d’IEA en « diagnostic associé ». Afin d’éviter un biais de classement évident, nous avons choisi de ne pas inclure les PU avec une valeur d’alcoolémie seule car le seuil de tolérance à l’alcool est différent d’une personne à l’autre. En effet, cette valeur ne nous permet pas de confirmer ou non la présence d’une IEA lors d’un doute sur les éléments cliniques en l’absence des détails des résumés de passages aux urgences. En complément, certaines IEA peuvent passer inaperçues puisqu’un test d’alcoolémie n’est pas systématiquement réalisé dans les services d’urgence. Certes, la grande variation interindividuelle liée à l’intensité de la tolérance à l’alcool semble rendre la mesure d’alcoolémie obsolète, mais l’ex-Agence nationale d’accréditation et d’évaluation de la santé (Anaes, remplacée par la Haute Autorité de santé en 2004) recommande de réaliser autant que possible une mesure de la concentration d’éthanol dans l’air expiré ou dans le sang, afin d’objectiver l’IEA. Cela permet d’identifier les situations où un patient présente une excellente tolérance physique, mais une altération psychique et cognitive ; sur ce point, les recommandations de la SFMU sont incomplètes 6,11. À cet égard, certains auteurs ont souligné que le « gold standard » de l’IEA était l’alcoolémie 24. De plus, certaines études ont retrouvé que le manque de corrélation entre alcoolémie et symptômes d’IEA était en partie lié à la tolérance pharmacologique des sujets dépendants, ce qui aboutit à un sous-diagnostic chez ces patients 25. Par ailleurs, il est possible que certains patients alcoolisés souhaitent quitter le service d’urgence sans avoir vu un médecin hospitalier comme décrit dans la littérature 26,27. Les données exploitées correspondent au nombre de passages aux urgences pour IEA et non au nombre de patients. Il est donc probable qu’un patient visite fréquemment un SAU pour ce même motif au cours de la période d’étude. La littérature états-unienne explique que les patients consultant régulièrement aux urgences pour IEA sont majoritairement des hommes de la classe d’âge 40-54 ans 14, ce qui pourrait biaiser notre interprétation des résultats parmi cette tranche d’âge. En effet, les auteurs de cette étude montrent que 3% des patients pris en charge aux urgences pour IEA représentent à eux seuls 33% des passages pour ce motif 14.

Certaines informations dont nous disposons sont difficilement interprétables. La durée de passage dans le SAU ne peut pas être exploitée car nous n’avons pas d’informations, ni sur la gravité de l’IEA, ni sur les antécédents du patient. En effet, la surveillance horaire du patient peut tout à fait être effectuée aux urgences, ou bien en unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD) si l’IEA est de faible gravité. De plus, le codage de la durée de passage semble être peu fiable ou incomplet étant donné les grandes variations présentes dans la base de données. Il est possible que le codage de la sortie du patient soit fait a posteriori, rendant l’indicateur de durée de présence obsolète. Malgré une couverture exhaustive des services d’urgence dans les départements (environ 98% des PU) 9, nous ne prenons pas en compte les IEA chez les patients ne recourant pas aux services de soins.

Conclusion

Les intoxications éthyliques aiguës constituent un problème de santé publique avéré car elles concernent tous les âges et représentent une part considérable (environ 1%, soit 13 054 passages par an environ) de tous les recours aux services d’urgence. Cette étude a permis d’identifier des périodes de forte affluence du recours aux urgences pour IEA à l’échelle de la région. Des dispositifs de désengorgement des services d’urgence lors de certaines Fêtes locales (fêtes de Bayonne dans le département des Pyrénées-Atlantiques) permettent de mieux gérer ces périodes de forte affluence. Mener des actions de prévention ciblées sur l’alcool le jour de l’An et le jour de la Fête de la musique semble être pertinent. Cette étude nous permet de mieux appréhender l’évolution des caractéristiques de la population de patients passant aux urgences pour IEA dans la région et met en évidence l’intérêt des données de surveillance syndromique.

Remerciements

Les auteurs remercient les services d’urgence participant au réseau Oscour®, l’Observatoire régional des urgences Nouvelle-Aquitaine, ainsi que l’équipe de Santé publique France – Nouvelle-Aquitaine.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

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Citer cet article

Loffler A, Vilain P, Meurice L, Marjanovic N, Ely O, Filleul L. Épidémiologie descriptive des passages aux urgences pour intoxication éthylique aiguë en région Nouvelle-Aquitaine entre 2016 et 2021. Bull Épidémiol Hebd. 2022;(17):290-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/17/2022_17_1.