Alcool et réduction des risques

// Alcohol and risk reduction

François Bourdillon
Directeur général, Santé publique France, Saint-Maurice, France

Les comportements des Français vis-à-vis de l’alcool, leurs modes de consommation, les risques pour la santé et leur perception, l’impact sur la mortalité, tout comme les modes d’approvisionnement des jeunes de 17 ans auxquels la vente d’alcool est interdite, forment un ensemble de connaissances qui permettent de fonder les stratégies de prévention des consommations excessives d’alcool et d’adapter au mieux les interventions et actions de prévention. C’est le mérite de ce BEH consacré à l’alcool que d’aborder ces multiples questions.

Ainsi, nous constatons :

une consommation d’alcool en France qui reste, en 2017, à un niveau élevé et relativement stable par rapport aux années précédentes : la quantité d’alcool pur consommée par habitant de plus de 15 ans est équivalente à celle de 2013 (11,7 litres).

une très grande hétérogénéité des modes de consommation, notamment selon l’âge et le sexe (JB Richard et coll.). Ainsi,

les consommations quotidiennes d’alcool s’observent essentiellement chez les 65-75 ans (26%) ; elles ne sont que 2,3% chez les 18-24 ans. En moyenne, 10% des 18-75 ans déclarent consommer de l’alcool chaque jour et les hommes trois fois plus que les femmes ;

à l’inverse, les ivresses régulières (au moins dix ivresses au cours des 12 derniers mois) s’observent principalement chez les jeunes de 18 à 24 ans et concernent 19,4% d’entre eux en 2017, contre moins de 1% des plus de 55 ans.

Les données de l’enquête Escapad (OFDT) chez les jeunes mineurs de 17 ans (A Philippon et coll.) confirment les données sur l’ivresse ; ils étaient 16,4% à déclarer avoir connu trois alcoolisations ponctuelles importantes dans le mois précédant l’enquête. Les mêmes jeunes mineurs interrogés dans le cadre de l’enquête Escapad n’éprouvent aucune difficulté à s’approvisionner en alcool ; ceux qui ont déclaré avoir bu des boissons alcoolisées dans le mois les ont achetées en magasin pour 91% d’entre eux ; ils sont même 77,5% à en avoir consommé dans un débit de boisson. L’interdiction de vente aux mineurs peut donc être considérée comme non respectée.

qu’il existe une frange de très gros buveurs : 10% des 18-75 ans boivent à eux seuls 58% de l’alcool consommé.

que l’impact très élevé de l’alcool sur la mortalité se confirme. C Bonaldi et C Hill ont actualisé les fractions de mortalité attribuables à l’alcool qui dataient de 2009. Ils estiment à 41 000 le nombre de décès attribuables à l’alcool en France en 2015 : 30 000 chez l’homme et 11 000 chez la femme. L’alcool serait responsable en France de 7% des décès. C’est plus que ce qui est observé dans nombre d’autres pays européens.

Le fardeau sanitaire global lié à la consommation d’alcool est en effet très important, comme le confirme une récente étude mondiale parue dans la prestigieuse revue médicale anglaise The Lancet, intégrant 195 pays 1. Les minimes et très sélectifs effets protecteurs de l’alcool sont réduits à néant par ses effets délétères. Les auteurs montrent que boire de l’alcool quotidiennement, même en petite quantité, n’est pas sans risque pour la santé. Pour résumer les résultats de l’étude, l’une de ses auteurs, le Pr E. Gakidou, conclut : Less is better, none is best.

Il est donc nécessaire de réduire la consommation d’alcool pour en limiter les risques sanitaires et les dommages sociaux. Mais comment concilier le fait que la consommation occasionnelle d’alcool soit, pour une majorité de Français, synonyme de plaisir et de convivialité alors que ses usages sont à l’origine d’une très forte morbidité et mortalité dans notre pays et partout où il est consommé dans le monde ?

Développer une stratégie de réduction de risques

La solution de réconciliation est d’aborder la consommation d’alcool selon une stratégie de réduction des risques. Un travail d’expertise scientifique réalisé sous l’égide de Santé publique France et de l’Institut national du cancer (INCa), rendu public en mai 2017, ouvre la voie 2. Après avoir analysé les risques, les experts ont estimé qu’il fallait trouver un compromis entre les risques attribuables à l’alcool au sein d’une population donnée et le risque acceptable pour un individu qui choisit d’en consommer en connaissance de cause. Sur la base de ce ratio « risque/plaisir », ils ont fixé des repères pour la consommation. Ils recommandent ainsi aux personnes choisissant de consommer de l’alcool de ne pas dépasser deux verres par jour avec au moins deux jours par semaine sans consommation, ce qui peut se traduire par : « Pour votre santé, maximum deux verres par jour, et pas tous les jours ».

Ces repères sont d’autant plus attendus qu’ils s’inscrivent dans une tendance à la régulation constatée au sein de la population française. Ainsi, parmi les consommateurs d’alcool, le pourcentage de ceux qui consomment au moins un verre par jour est passé de 24% en 1992 à 10% en 2017. I Obradovic et MA Douchet montrent bien, dans leur focus sur l’étude Aramis, comment les jeunes développent des stratégies d’auto-réduction de risques et des systèmes de régulation solidaire ; jeunes qui sont demandeurs de repères...

Les Français ont donc déjà amorcé une synthèse raisonnable, conciliant plaisir et consommation à moindre risque. Promouvoir ces nouveaux repères de façon concordante, quel qu’en soit l’émetteur – pouvoirs publics, producteurs, industriels, débitants… – serait une bonne manière de leur montrer qu’ils ont fait le bon choix : le choix d’une consommation à moindre risque.

Références

1 GBD 2017 Risk Factor Collaborators. Global, regional, and national comparative risk assessment of 84 behavioural, environmental and occupational, and metabolic risks or clusters of risks for 195 countries and territories, 1990-2017: A systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2017. Lancet. 2018;392(10159):1923-94.
2 Santé publique France, Institut national du cancer. Avis d’experts relatif à l’évolution du discours public en matière de consommation d’alcool en France. Saint-Maurice: Santé publique France; 2017. 149 p. https://www.santepubliquefrance.fr/Actualites/Avis-d-experts-relatif-a-l-evolution-du-discours-public-en-matiere-de-consommation-d-alcool-en-France-organise-par-Sante-publique-France-et-l-Inca

Citer cet article

Bourdillon F. Éditorial. Alcool et réduction des risques. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(5-6):88-9. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/5-6/2019_5-6_0.html