Impact de l’épidémie de Covid-19 sur le recours aux associations SOS Médecins pour troubles de la santé mentale en Nouvelle-Aquitaine

// Impact of the COVID-19 epidemic on the use of SOS Médecins due to mental health disorders in Nouvelle-Aquitaine

Laure Meurice1* (laure.meurice@santepubliquefrance.fr), Pascal Vilain1*, Sophie Larrieu1, Julien Grelet2, Eilika Muller2, Morgane Sladeczek2, Frédéric Chemin2, Laurent Filleul1
1 Santé publique France – Nouvelle-Aquitaine, Bordeaux
2 SOS Médecins, Bordeaux
* Contribution égale, co-premiers auteurs
Soumis le 04.05.2022 // Date of submission: 05.04.2022
Mots clés : Covid-19 | Santé mentale | Confinement | SOS Médecins | Nouvelle-Aquitaine
Keywords: COVID-19 | Mental health | Lockdown | SOS Médecins | Nouvelle-Aquitaine

Résumé

Introduction –

Face à l’épidémie de Covid-19, des mesures restrictives ont été mises en place pour contrôler l’épidémie et limiter son impact sur le système de soins. Si elles se sont avérées efficaces, leurs répercussions sur la santé mentale de la population ont rapidement été soulevées. L’objectif est d’étudier l’association entre le contexte épidémiologique de la Covid-19 et le recours aux associations SOS Médecins pour troubles de la santé mentale (TSM) en Nouvelle-Aquitaine.

Méthode –

Une étude rétrospective basée sur les données des associations SOS Médecins de Nouvelle-Aquitaine a été menée du 1er janvier 2018 au 27 juin 2021. Un modèle de régression logistique a été utilisé pour caractériser les actes pour TSM, ainsi qu’un modèle additif généralisé de régression de Poisson pour étudier le recours aux soins pour TSM selon le contexte épidémiologique.

Résultats –

Les patients ayant consulté pour TSM étaient principalement des femmes (67%) et des sujets adultes. Quelle que soit la période de l’épidémie de Covid-19 (hors confinement ou pendant un confinement), le recours pour TSM était significativement plus élevé comparativement à la période hors Covid-19. La hausse du recours pour TSM était particulièrement élevée lors du premier confinement, tandis qu’il diminuait au cours du temps avec un recours de moins en moins important lors des confinements 2 et 3. Le recours pour troubles anxieux, psychoses et autres troubles psychiatriques était significativement plus élevé en période d’épidémie de Covid-19, et une augmentation significative des actes pour dépression était observée lors du 3e confinement.

Conclusion –

Les données SOS Médecins ont mis en exergue un impact de l’épidémie de Covid-19 et du confinement sur la santé mentale des Néo-Aquitains. Ce travail montre une nouvelle fois l’intérêt de ces données pour l’évaluation d’impact sanitaire.

Abstract

Introduction –

In response to the COVID-19 epidemic, restrictive measures were introduced to control the virus and limit its impact on the healthcare system. Although these measures proved effective, their impact on the mental health of the population was very quickly highlighted. Our primary objective was to study the association between the epidemiological context of COVID-19 and the use of SOS Médecins due to mental health disorders (MHD) in Nouvelle-Aquitaine.

Method –

A retrospective study was conducted on data collected by the SOS Médecins associations in Nouvelle-Aquitaine from January 1st 2018 to June 27th 2021. A logistic regression model was used to define the consultations due to MHD, along with a Poisson generalized additive model to study the use of care due to MHD according to the epidemiological context.

Results –

The patients who consulted due to MHD were mainly women (67%) and adults. Irrespective of the phase of the COVID-19 epidemic (in or out of lockdown), use of care due to MHD was significantly higher than during the pre-COVID-19 phase. The increase in use of care due to MHD was particularly high during the first lockdown then decreased over time, with progressively lower deviations during the second and third lockdowns. Use of care due to anxiety disorders, psychosis and other psychiatric disorders was significantly higher during the COVID-19 epidemic and a substantial increase in consultations due to depression was observed during the third lockdown.

Conclusion –

The SOS Médecins data highlights the impact of the COVID-19 epidemic and lockdowns on the mental health of people in Nouvelle-Aquitaine. This work once again shows the value of SOS Médecins data in health impact assessment.

Introduction

Face à l’urgence sanitaire entraînée par l’épidémie de Covid-19, de nombreuses mesures restrictives ont été mises en place afin de contrôler la propagation de l’épidémie et de limiter son impact sur le système de soins, notamment en termes d’hospitalisations et de décès. En France, des mesures de confinement et de couvre-feu, ainsi que d’autres mesures de freinage, ont été appliquées (fermeture des établissements scolaires et universitaires, restrictions de déplacements, télétravail, fermeture des commerces et établissements non essentiels). Ces mesures, si elles ont effectivement eu un effet bénéfique sur l’évolution de la situation épidémiologique 1, ont profondément modifié les habitudes de vie et ont probablement eu des conséquences sur la santé mentale de la population.

En effet, plusieurs études ont mis en avant une détérioration générale de l’état de santé mentale de la population après la mise en place de mesures de confinement dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 2. Une étude descriptive réalisée en Angleterre à partir des urgences psychiatriques a mis en exergue une hausse des symptômes anxieux et dépressifs, notamment chez les plus jeunes 3. Une autre, menée en Allemagne auprès d’un échantillon de 4 335 adultes, va dans le même sens avec la survenue de troubles de la santé mentale significativement plus élevée selon le degré de restriction des mesures 4. Une augmentation des signes de stress post-traumatique a également été rapportée dans plusieurs travaux 2,5,6. Concernant les conduites suicidaires, toutes les études ne vont pas dans le même sens ; une étude a montré une hausse du recours aux urgences pour ces comportements 7, tandis que d’autres ont mis en évidence des tendances globalement inchangées 8.

En France, dès le printemps 2020, des professionnels de santé ont alerté sur l’impact psychologique de l’épidémie et les mesures qui en découlent ; l’enquête CoviPrev, portant sur les adultes, a très vite mis en avant la dégradation de la santé mentale des Français depuis le début de l’épidémie de Covid-19 avec une forte prévalence des états anxio-dépressifs et des troubles du sommeil 9. D’autres travaux, portant notamment sur des populations spécifiques, ont également souligné ces tendances. Les résultats issus des études Confins et Pims-Cov19 ont montré que les étudiants étaient particulièrement vulnérables et davantage touchés par les troubles de la santé mentale lors du premier confinement 10,11. Les premiers résultats de l’enquête EpiCov portant sur 35 000 personnes âgées de 15 ans et plus ont rapporté une hausse marquée des syndromes dépressifs lors du premier confinement chez les 15-24 ans 12.

L’analyse des indicateurs produits en région Nouvelle-Aquitaine va dans le même sens, avec une détérioration globale de l’état de santé mentale des Néo-Aquitains depuis le début de l’épidémie de Covid-19, en particulier chez les moins de 18 ans 13. Néanmoins, les travaux menés sur le sujet en France et dans la région restent rares, et les études réalisées relèvent pour la plupart d’études transversales ne disposant pas de données pré-épidémiques. Face à un tel constat, la production et l’analyse de données de surveillance de l’état de santé mentale en population générale apparaît essentielle, de manière à objectiver l’impact de l’épidémie de Covid-19 et des mesures qui ont été mises en œuvre.

Dans le cadre de la surveillance syndromique Sursaud® (Surveillance sanitaire des urgences et des décès) 14, les données des associations SOS Médecins sont transmises en routine à Santé publique France et permettent donc de suivre le recours aux soins pour santé mentale dans les territoires couverts par les associations.

L’objectif de cette étude est de :

comparer les caractéristiques des actes SOS Médecins pour TSM en fonction du contexte épidémiologique de la Covid-19 ;

étudier l’association entre ce contexte épidémiologique et le recours aux associations SOS Médecins pour TSM en Nouvelle-Aquitaine.

Matériel et méthode

Schéma d’étude

Il s’agit d’une étude rétrospective basée sur les données d’activité de l’ensemble des associations SOS Médecins de Nouvelle-Aquitaine (Bordeaux, Limoges, Pau, Bayonne, La Rochelle) sur la période du 1er janvier 2018 au 27 juin 2021.

Recueil de données

Le recueil de données a reposé sur une extraction de la base de données pseudo-anonymisées de SOS Médecins Nouvelle-Aquitaine. Les variables retenues pour l’étude étaient : le numéro d’identifiant du patient, le code de l’association, l’âge en mois et années, le sexe, la date de naissance, la date d’appel, la commune de résidence du patient, le diagnostic à l’issue de la consultation ou visite (plusieurs diagnostics possibles).

Analyse des données

À partir du ou des diagnostics principaux ou secondaires renseignés par les médecins, des regroupements syndromiques (RS) ont été construits en concertation avec les associations du réseau (tableau 1). L’analyse a porté sur les actes SOS Médecins pour les TSM suivants : dépression, pensées/gestes suicidaires, troubles anxieux, troubles du sommeil, psychose, autres troubles psychiatriques, violence/agressivité. Un regroupement « tous troubles de la santé mentale », incluant tous les RS précédents, et « actes toutes causes », incluant tous les actes quel que soit le diagnostic, ont également été construits. Plusieurs périodes ont été identifiées en fonction du contexte épidémiologique : période pré-épidémique (1er janvier 2018 au 3 mars 2020), périodes de confinement (i/ du 17 mars au 10 mai 2020 ; ii/ du 30 octobre au 14 décembre 2020 ; et iii/ du 3 avril au 2 mai 2021), période d’épidémie sans confinement.

Tableau 1 : Composition des regroupements syndromiques liés aux troubles de la santé mentale, SOS Médecins, Santé publique France – Nouvelle-Aquitaine
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Analyse descriptive des patients ayant consulté pour TSM

Une analyse descriptive des patients ayant consulté pour l’un des TSM étudiés (codé en diagnostic principal et dont la première date de consultation du patient a été retenue) sur la période d’étude a été menée. Les classes d’âge retenues étaient les suivantes : inférieur à 11 ans, 11-17 ans, 18-24 ans, 25-44 ans, 45-64 ans et 65 ans et plus. L’évolution temporelle du nombre d’actes toutes causes et pour troubles de la santé mentale a été réalisée sur un pas de temps hebdomadaire, et une comparaison de la part des actes pour troubles de la santé mentale en fonction de la période Covid-19 a été construite à l’aide d’un test de Chi2.

Comparaison des caractéristiques des actes SOS Médecins pour TSM

Un modèle de régression logistique a été utilisé pour chaque regroupement syndromique, afin de comparer les caractéristiques des patients présentant un trouble de la santé mentale. Ont été inclus dans le modèle : le sexe, l’âge en classes (<11 ans, 11-17 ans, 18-24 ans, 25-44 ans, 45-64 ans et 65 ans et plus) et la période (hors épidémie Covid-19, épidémie Covid-19 hors confinement, périodes de confinement).

Association entre le recours aux soins pour TSM et le contexte épidémique de Covid-19

Afin d’estimer l’association entre le recours aux associations SOS Médecins pour TSM et la période épidémique (en prenant en référence la période pré-épidémique), le nombre quotidien d’actes pour TSM a été modélisé à partir d’un modèle additif généralisé utilisant une régression de quasi-Poisson. L’application de cette méthode semi-paramétrique permettait d’ajuster sur des facteurs ayant potentiellement une influence sur le recours aux soins pour troubles de la santé mentale. Ainsi, plusieurs variables d’ajustement ont été incluses dans le modèle : le jour de la semaine, le nombre total journalier d’actes toutes causes confondues, la tendance à long terme, ainsi que la composante saisonnière. Pour prendre en compte la surdispersion observée, un modèle de régression de quasi-Poisson a été utilisé 15.

L’analyse des données a été réalisée sous R® (version 4.0.4) avec un degré de significativité statistique de 5,0%.

Résultats

Description des patients ayant consulté pour TSM

Sur la période du 1er janvier 2018 au 27 juin 2021, 1 415 342 actes toutes causes confondues ont été enregistrés, correspondant à 636 693 patients. Parmi ces patients, 5,0% ont consulté au moins une fois pour un TSM avec une moyenne de 1,5 [1-157] consultations pour ce RS (tableau 2). Deux tiers des patients ayant consulté pour TSM étaient des femmes (66,5%) et un tiers des patients âgés de 25 à 44 ans (32,4%). Sur la période d’étude, plus des deux tiers des patients concernés ont consulté pour des troubles anxieux.

Tableau 2 : Caractéristiques des patients ayant consulté pour troubles de la santé mentale. Données SOS Médecins du 1er janvier 2018 au 27 juin 2021, Nouvelle-Aquitaine
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Le nombre hebdomadaire d’actes pour TSM oscillait entre 172 et 299 (avant l’épidémie de Covid-19) et 244 et 592 (pendant l’épidémie) (figure 1). Un pic de recours aux associations SOS Médecins pour TSM était observé en mars 2020 avec 592 actes en semaine 14-2020. La proportion d’activité SOS Médecins pour TSM était de 4,7% pendant l’épidémie de Covid-19 contre 3,0% hors période de Covid-19 (p<0,001).

Figure 1 : Évolution hebdomadaire du nombre d’actes toutes causes confondues, SOS Médecins, du 1er janvier 2018 au 27 juin 2021, Nouvelle-Aquitaine
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Comparaison des caractéristiques des actes en fonction de la période

Le tableau 3 présente les résultats du modèle de régression logistique.

Tableau 3 : Caractéristiques des actes SOS Médecins pour chacun des troubles étudiés selon le sexe, l’âge et la période épidémique. Données SOS Médecins du 1er janvier 2018 au 27 juin 2021, Nouvelle-Aquitaine
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Sur la période d’étude, le recours pour TSM concernait plus fréquemment des femmes que des hommes, et les plus de 45 ans comparativement aux 25-44 ans. Quelle que soit la période de l’épidémie de Covid-19 (hors confinement ou pendant un confinement), le recours pour TSM était significativement plus élevé comparativement à la période hors Covid-19. La hausse du recours pour TSM était particulièrement élevée lors du premier confinement (OR=2,42, p<0,001), tandis qu’il diminuait au cours du temps avec un recours de moins en moins important lors des confinements 2 et 3. Le recours pour troubles anxieux, psychoses et autres troubles psychiatriques était significativement plus élevé en période d’épidémie de Covid-19, et ce quelle que soit la période (hors confinement ou confinement). Une augmentation significative des actes pour dépression était observée lors du 3e confinement (OR=1,26). Concernant les actes liés aux violences/agressivité, un recours plus élevé était observé lors de l’épidémie de Covid-19 hors période de confinement (OR=1,39, p<0,001). Excepté lors du 2e confinement (OR=1,69, p<0,001), aucune hausse des actes pour pensées/gestes suicidaires n’a été constatée. Enfin, le recours pour troubles du sommeil était significativement plus élevé en période d’épidémie de Covid-19, excepté lors du 3e confinement.

Analyse de l’association entre le recours aux soins pour troubles de la santé mentale et la période de confinement

Les risques relatifs de recours à SOS Médecins pour TSM en fonction de la période sont rapportés dans le tableau 4. Le recours était significativement plus élevé en période d’épidémie de Covid-19 hors confinement par rapport à la période pré-épidémique (RR=1,33). Le recours aux associations pour TSM était 2,2 fois plus important pendant le 1er confinement par rapport à une période hors Covid-19 et 1,4 fois plus important pendant les confinements 2 et 3.

Concernant les autres facteurs indépendamment associés au recours pour TSM, un recours significativement plus élevé était observé les mardi, mercredi, jeudi, et un recours moins élevé était observé le week-end comparativement au lundi.

Tableau 4 : Association entre la période épidémique et le nombre d’actes SOS Médecins pour troubles de la santé mentale. Données SOS Médecins du 1er janvier 2018 au 27 juin 2021, Nouvelle-Aquitaine
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Discussion

D’après les résultats observés, les patients ayant consulté pour TSM étaient principalement des femmes (67%) et des sujets adultes. Parmi les personnes ayant consulté pour troubles de la santé mentale, la majorité a été diagnostiquée pour troubles anxieux tels que le décrit la littérature 16.

Le recours aux associations SOS Médecins, qui connaît habituellement des variations saisonnières (vacances scolaires, week-ends, jours fériés…), a été fortement impacté par le premier confinement de la population annoncé le 17 mars 2020, avec une diminution qui atteint près de 70% des actes en semaine 15 (comparée à la même semaine de 2019). En effet, une forte baisse du recours aux soins a été observée dans tous les secteurs (urgences, médecins généralistes et spécialistes), avec plusieurs hypothèses avancées comme le renoncement aux soins, la peur de contracter le virus ou encore la volonté de ne pas surcharger les professionnels de santé 17,18,19.

Malgré cette baisse du recours toutes causes aux associations SOS Médecins, un pic d’actes pour TSM a été observé à l’annonce du premier confinement et un recours plus important pour TSM est mis en évidence pendant l’épidémie comparativement à l’avant-Covid, confirmant les données de littérature et le ressenti des professionnels de santé de terrain.

La forte hausse du recours pour TSM au début de l’épidémie, en partie due à la forte hausse des troubles anxieux lors du premier confinement, a montré une tendance à la baisse au cours du temps. Cela va dans le sens de plusieurs travaux qui montrent que, plus les mesures sont longues et restrictives, plus les conséquences sur la santé mentale sont sévères 2,4 puisque les confinements suivants ont été plus courts et moins stricts. Par ailleurs, le début de l’épidémie a pu être une période particulièrement éprouvante pour les personnes fragiles psychologiquement avec une inquiétude liée au manque de connaissances sur un virus émergent.

Quelle que soit la période de confinement, l’activité des associations SOS Médecins a été particulièrement élevée pour les psychoses et les autres troubles psychiatriques. Cela suggère une difficulté pour certaines personnes de vivre avec ces contraintes, la privation de liberté individuelle pouvant favoriser une décompensation des troubles existants ou non. Plusieurs études ont en effet montré l’impact des confinements sur les décompensations de pathologies psychotiques 2 mais également chez des personnes n’ayant pas d’antécédents de troubles de santé mentale 20. On note également que plusieurs travaux ont caractérisé des profils de personnes plus à risque de développer ces symptômes (personnes avec des troubles de la santé mentale, femmes, jeunes, personnes sans emploi…) 2,6. Si une tendance à la baisse du recours pour troubles anxieux est observée au cours des trois périodes de confinement, cela n’est pas le cas pour les psychoses et autres troubles psychiatriques, pouvant suggérer que les personnes souffrant de troubles mentaux graves sont plus à risque, quelle que soit la période, à l’inverse d’un individu souffrant d’un trouble de la santé mentale plus léger.

L’augmentation significative des actes pour dépression observée lors du troisième confinement est cohérente avec les données de l’enquête CoviPrev qui mettent en avant une prévalence des troubles dépressifs plus importante qu’avant l’épidémie 9. En effet, lors de la 32e vague d’enquête, soit deux ans après le début de l’épidémie, 18% des français montraient des signes d’état dépressif (+7 points par rapport à la période hors épidémie). La durée de la crise et la répétition des confinements ont pu en effet entraîner une lassitude de la population et favoriser la survenue d’états dépressifs à long terme.

Si le confinement offre un terrain propice à l’augmentation du risque de violences conjugales et intrafamiliales tel que le suggère une étude américaine 21, les résultats obtenus dans notre étude ne montrent pas d’augmentation significative des actes pour violences/agressivité (notamment violences intrafamiliales) pendant les confinements. Un risque plus important est observé pendant l’épidémie hors période de confinement comparativement à une période sans épidémie, suggérant une exacerbation des facteurs de risque habituellement associés aux violences (faibles revenus, peur de mourir, isolement social, perte des repères, étroitesse des locaux, perte de proches, difficultés d’accès aux services médicaux et sociaux, impossibilité de sortir, augmentation de la consommation de substances addictives) 22.

La hausse des conduites suicidaires suggérée par plusieurs études n’a pas été observée dans nos résultats, excepté lors du 2e confinement (du 30 octobre au 14 décembre 2020). Le confinement a pu constituer une échappatoire pour certaines personnes (absence de phobie scolaire, absence de harcèlement scolaire ou au travail), ou encore un sentiment de protection au sein du milieu familial 23. Aussi, le confinement, notamment le premier, a engendré un accès limité à certains moyens létaux et aux hotspots. Les effectifs restent néanmoins faibles et peuvent expliquer l’absence d’association observée.

Le confinement, qui a radicalement modifié nos modes de vie quotidiens, a pu perturber les rythmes biologiques du sommeil. Les résultats observés ici mettent en évidence un recours plus important pour troubles du sommeil pendant la période de Covid-19, plus marqué lors des 1er et 2e confinements. Si peu d’études sont disponibles en France, nos résultats corroborent les résultats de l’enquête CoviPrev 9 qui semblent mettre en évidence une hausse des troubles du sommeil lors des 1er et 2e confinements.

Les données des associations SOS Médecins ont permis de mettre en exergue un impact de l’épidémie de Covid et du confinement sur la santé mentale des Néo-Aquitains. Si nos résultats ne nous permettent pas de distinguer l’impact du confinement de celui de l’épidémie de Covid-19 sur la santé mentale, le coût-bénéfice d’une telle mesure mérite d’être étudié. La crise liée à la pandémie a fait émerger un besoin criant de données de santé mentale, notamment en population générale. Les données du Système national des données de santé (SNDS) pourraient permettre un éclairage à un échelon géographique fin avec, par exemple, l’étude des hospitalisations pour tentatives de suicide ou dépression, l’analyse des données de consommations médicamenteuses, ou encore les tendances sur les données de mortalité en lien avec la santé mentale. Les résultats du Baromètre Santé 2021 et l’analyse du recours aux soins d’urgence (réseau Oscour® : Organisation de la surveillance coordonnée des urgences) dans la région apporteront également des éléments complémentaires.

Limites

Les données disponibles ont concerné uniquement les territoires où une association SOS Médecins était présente, soit quatre départements de la Nouvelle-Aquitaine. Aussi, compte tenu de l’activité des associations, la zone géographique a porté quasi exclusivement sur des personnes résidant en zone urbaine, rendant impossible l’étude de ce facteur sociodémographique. Une autre limite à évoquer est la représentativité des patients : les recours aux associations pour TSM ne représentent qu’une petite partie des TSM rencontrés en population générale pouvant entraîner une sous-estimation des troubles observés. À l’inverse, l’état d’urgence et la forte modification de l’offre de soins (fermeture des cabinets de médecine générale et spécialistes comme les psychiatres) auraient pu entraîner un recours plus important aux associations SOS Médecins, en raison notamment des restrictions de déplacement.

Concernant les regroupements suivis, les actes pour renouvellement d’ordonnance sont comptabilisés, pouvant artificiellement augmenter le recours pour TSM pendant cette période marquée par une offre de soins ralentie sur la période du premier confinement. Compte tenu des faibles effectifs, l’analyse temporelle n’a pas pu être réalisée pour chaque regroupement syndromique, rendant la qualité des modèles insatisfaisante.

Conclusion

Les données SOS Médecins ont mis en exergue un impact de l’épidémie de Covid-19 et du confinement sur la santé mentale des Néo-Aquitains. Une exacerbation des problèmes de santé mentale engendrée par la crise sanitaire est soulevée ici et met en avant la prise en compte essentielle de cette dimension lors de la gestion de crise. À ce jour, peu de données sur la santé mentale sont disponibles en population générale, et ce travail met en lumière l’intérêt de celles-ci pour surveiller au plus près la santé des populations et alerter rapidement les autorités sanitaires. Enfin, ces résultats démontrent une nouvelle fois l’intérêt des données SOS Médecins pour l’évaluation d’impact sanitaire.

Remerciements

Aux présidents des associations SOS Médecins – Nouvelle-Aquitaine : Dr Gourinchas, Dr Chapon, Dr Uijttewaal, Dr Sauvagnac ; à l’ensemble des médecins du réseau SOS Médecins – Nouvelle-Aquitaine ; à l’équipe Data Sursaud® (Surveillance sanitaire des urgences et des décès).

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Meurice L, Vilain P, Larrieu S, Grelet J, Muller E, Sladeczek M, et al. Impact de l’épidémie de Covid-19 sur le recours aux associations SOS Médecins pour troubles de la santé mentale en Nouvelle-Aquitaine. Bull Epidémiol Hebd. 2022;(17):298-306. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/17/2022_17_2.html