Les professionnels de santé de soins primaires
en Île-de-France face à la prise en charge du tabagisme
de la personne âgée

// Primary care health professionals in Île-de-France confronted with treating tobacco use among the elderly

Sarah Mir1, Anaïs Cloppet2, Sylvain Gautier1,3, Clément Duville2, Jean-Manuel Morvillers2, Anne-Bérénice Simzac2, Katiuska Miliani1, Loïc Josseran1,3 (loic.josseran@aphp.fr)
1 Groupement hospitalier universitaire Paris-Saclay, Garches
2 Gérond’if, Paris
3 CESP UMR 1018 Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Montigny-le-Bretonneux
Soumis le 11.03.2022 // Date of submission: 03.11.2022
Mots-clés : Tabagisme | Personnes âgées | Dépendance | Sevrage | Professionnels de santé
Keywords: Smoking | Elderly | Addiction | Smoking cessation | Health professionals

Résumé

Introduction –

En France, le tabagisme connaît une baisse, à l’exclusion des 65-75 ans dont la prévalence demeure autour de 10%. C’est l’une des principales causes de morbi-mortalité à cet âge. Ce travail explore les connaissances, attitudes et pratiques de professionnels de santé franciliens face à la consommation et le sevrage tabagique des plus de 65 ans.

Matériel et méthode –

Il s’agit d’une étude observationnelle transversale réalisée en 2019 par passation d’un questionnaire auprès de 300 médecins, infirmiers et pharmaciens libéraux franciliens. L’analyse repose sur une approche univariée et multivariée.

Résultats –

Les connaissances varient selon la profession et l’âge. Les pharmaciens obtiennent le meilleur score, qui baisse avec l’âge. Ces différences n’apparaissent pas dans le modèle multivarié. Les attitudes sont significativement différentes suivant la profession. Les pharmaciens ont un meilleur score ainsi que les professionnels ayant suivi une formation, les hommes, les non/ex-fumeurs. Le modèle multivarié confirme la différence suivant la profession et le suivi d’une formation. Les pratiques varient significativement selon la profession. Les médecins ont le meilleur score. Le suivi d’une formation et l’âge augmentent le score. Le modèle multivarié confirme ce poids professionnel des médecins et celui d’une formation et la met en évidence pour l’exercice en quartier prioritaire.

Discussion-conclusion –

Les professionnels interrogés ont des connaissances sur la prise en charge tabagique des personnes âgées qu’ils considèrent comme une de leur mission. Toutefois, ils semblent manquer de confiance en leurs capacités à gérer une telle prise en charge. La formation est indispensable pour améliorer les pratiques.

Abstract

Introduction –

In France, smoking is declining, except among 65-75 year-olds where the prevalence remains around 10%. It is one of the main causes of morbidity and mortality in this age group. The present study explores the knowledge, attitudes and practices of healthcare professionals in the Île-de-France region regarding smoking and smoking cessation in the over 65s.

Material and method –

 This is a cross-sectional observational study carried out in 2019 by means of a questionnaire sent to 300 private doctors, nurses and pharmacists in the Île-de-France region. The analysis was based on a univariate and multivariate approach.

Results –

 Knowledge varied according to profession and age. Pharmacists obtained the highest score, which decreased with age. These differences did not appear in the multivariate model. Attitudes were significantly different by profession. Pharmacists showed a better score, as did trained professionals, men, and non-/ex-smokers. The multivariate model confirms the difference according to profession and education. Practices varied significantly by profession, with physicians showing the highest score. Training and age increased the scores. The multivariate model confirms the professional weight of doctors and training, supporting the implementation of programmes in priority neighbourhoods.

Discussion-Conclusion –

The professionals interviewed have knowledge about treating tobacco use among the elderly, which they consider to be one of their missions. However, they seem to lack confidence in their ability to manage such care. Training is essential to improve practices.

Introduction

En France, le tabagisme demeure une problématique centrale de santé publique. Responsable de 75 000 décès annuels, i.e. 13% de l’ensemble des décès enregistrés, la consommation de tabac est la première cause de mortalité évitable 1. Sur le plan de la prévalence, la situation s’est améliorée au cours des dernières années, passant de 30,0% en 2000 à 25,5% en 2020, malgré un léger rebond observé en 2020 2. Néanmoins, le tabagisme évolue différemment selon les classes d’âges : en 2019, on estimait sa prévalence à 9,0% chez les femmes âgées de 65 à 75 ans et à 10,4% chez les hommes du même âge, sans changement depuis plusieurs années 2.

Si cette prévalence chez les plus de 65 ans apparait comme faible comparativement aux autres classes d’âge, elle reste importante pour une population très concernée par ses méfaits. En effet, les plus de 65 ans voient se réaliser les conséquences de leur tabagisme : la littérature estime que 70% des décès attribuables au tabac surviennent chez les plus de 60 ans 3. À 70 ans, 81% des hommes et 87% de femmes non-fumeurs sont encore vivants, contre 55% des hommes fumeurs et 68% des femmes fumeuses. À 80 ans, cet écart est encore plus marqué 4.

Les conséquences du tabagisme vont au-delà d’une mortalité prématurée. Sur le plan cognitif, plusieurs études montrent que les personnes âgées fumeuses présentent des résultats inférieurs aux non-fumeurs 5,6, un déclin des fonctions cognitives plus rapide à âge égal, ainsi qu’un risque accru de développer une maladie d’Alzheimer 7,8. De même, le risque de survenue d’une insuffisance cardiaque est corrélé à la persistance du tabagisme chez le sujet âgé 9. Le tabagisme est aussi un facteur de risque de mortalité postopératoire en chirurgie cardiaque chez le sujet âgé, avec une mortalité de 14,8 versus 2,1% chez les non-fumeurs (p<0,001), du fait des complications respiratoires, significativement plus fréquentes chez les fumeurs 10,11.

Les représentations de ces professionnels vis-à-vis du tabagisme des plus de 65 ans méritent d’être documentées. L’objectif de ce travail est d’explorer les connaissances, les attitudes et les pratiques de professionnels de santé libéraux (infirmiers, pharmaciens d’officine et médecins) d’Île-de-France, en rapport avec la consommation de tabac et le sevrage des adultes âgés de plus de 65 ans.

Matériel et méthode

Une enquête transversale a été menée auprès d’un échantillon représentatif de 300 professionnels de soins primaires exerçant en libéral en Île-de-France (médecins généralistes et/ou spécialistes, infirmiers et pharmaciens). La représentativité de l’échantillon vis-à-vis de la population des professionnels de santé franciliens a été assurée par la méthode des quotas, en tenant compte des caractéristiques des répondants au fur et à mesure de la réalisation de l’enquête. Au total, 100 pharmaciens, 100 infirmiers et 100 médecins ont été interrogés par téléphone sur leur lieu de travail entre le 23 septembre et le 4 octobre 2019.

Le questionnaire utilisé (annexe) a été adapté de celui d’une étude similaire réalisée en Angleterre 12 par un comité scientifique composé d’experts en santé publique, de gériatres et de représentants des ordres professionnels (médecins, pharmaciens et infirmiers). Ce questionnaire (29 questions) visait à évaluer les connaissances, à travers 10 questions pour lesquelles deux propositions (« vrai » ou « faux ») étaient proposées dont une seule était valide, les attitudes définies comme « l’état d’esprit des professionnels envers cette problématique, fortement liée à ses connaissances ou représentations sur le sujet », à travers 12 affirmations pour lesquelles une échelle de Likert à 4 modalités allant de « tout à fait d’accord » à « pas du tout d’accord » était proposée, et enfin les pratiques, à travers 7 questions pour lesquelles une échelle de Likert à 4 modalités allant de « toujours » à « jamais » était proposée. Les échelles de Likert ont été utilisées afin de permettre aux individus de donner une réponse au plus proche de leur ressenti, puis certaines modalités comme « tout à fait d’accord » et « plutôt d’accord » ou « toujours » et « souvent » ont été regroupées pour l’analyse des résultats. Chacune des 29 questions appelait une réponse considérée comme exacte à dire d’expert. Ces questions fermées et à choix multiples ont permis d’explorer les différentes dimensions de la dépendance au tabac et son traitement chez les personnes âgées. Des questions supplémentaires portaient sur les caractéristiques sociodémographiques des répondants (âge, sexe, profession, lieu d’exercice), leur statut tabagique actuel (fumeur, non-fumeur ou ex-fumeur de cigarettes, durée du tabagisme…) et leur participation déclarée à des formations en tabacologie et/ou gériatrie, quelles qu’elles soient.

Analyses

Les scores connaissances, attitudes, pratiques et le score total ont été calculés à partir des réponses des participants au questionnaire. Pour les réponses relatives aux connaissances, une réponse correcte valait 1, tandis qu’une réponse incorrecte valait 0. Pour l’attitude et les pratiques, une réponse concordant avec les attendus du comité scientifique valait 1, et une réponse discordante valait 0. Le score total pouvait être compris entre 0 et 29 et composé de la façon suivante : connaissances 0 à 10, attitude 0 à 12, et pratique de 0 à 7.

Les caractéristiques et les réponses des répondants ont été décrites à l’aide de mesures de position et de dispersion (moyenne, écart-type, minimum et maximum) pour les variables numériques et des effectifs et proportions en pourcentage pour les variables catégorielles. Pour les analyses, les non-fumeurs regroupaient les ex-fumeurs et ceux n’ayant jamais fumé. Des tests de Chi2 et d’Anova ont été utilisés pour comparer les caractéristiques des répondants en fonction des professions. Des analyses univariées ont été réalisées pour étudier les facteurs associés à de meilleurs résultats. Les tests Anova et Kruskal-Wallis ont été utilisés pour les variables catégorielles comportant plus de 2 modalités (profession par exemple), les tests de Student et Mann-Whitney pour les variables catégorielles à 2 modalités (sexe par exemple) et les corrélations de Pearson et Spearman pour les variables numériques comme l’âge. Les facteurs ont été considérés comme statistiquement significatifs si la valeur p était inférieure à 0,05. Les facteurs associés à de meilleurs résultats ont également été étudiés dans une analyse multivariée utilisant la régression de Poisson. Les résultats ont été rapportés avec le ratio de taux d’incidence (IRR) et les intervalles de confiance à 95 % (IC95%). Toutes les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide de R Studio 1.4.1103.

Résultats

Les professionnels de santé libéraux franciliens, interrogés sur leurs connaissances, attitudes et pratiques en lien avec le tabagisme des plus de 65 ans, se composent majoritairement de femmes (57,7%), d’âge moyen 53 ans, non-fumeurs (85,3%). Une minorité d’entre eux exercent dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (11,6%). Parmi les 100 médecins interrogés, on compte autant de généralistes que de spécialistes (51 vs 49%). Concernant les ex-fumeurs, les 3/4 ont arrêté de fumer depuis plus de 5 ans. Considérant les formations complémentaires, 23% des professionnels en ont suivi une en gérontologie et/ou tabacologie. La gérontologie est la formation la plus réalisée (46,4%) suivie de la tabacologie (33,3%). Une minorité des répondants est formée aux deux (20,3%) (tableau 1).

Tableau 1 : Caractéristiques des professionnels de santé libéraux interrogés. Enquête CAPZEROTABAC, Île-de-France, 2019
Agrandir l'image

Dans l’échantillon, le score total obtenu au questionnaire est compris entre 2 et 28/29. Le score moyen est de 18,4 (médiane à 19 ; tableau 2). Près de 20% des professionnels ont obtenu un score inférieur à 14,5 (correspondant à la moitié des points). Deux tiers des professionnels (66,7%) pensent que les fumeurs âgés sont moins enclins à arrêter de fumer que les jeunes. Par ailleurs, seuls 64,3% des répondants savent qu’il n’y a pas de risque à proposer une substitution nicotinique à une personne âgée (PA) et 43,3% qu’un bref conseil de sevrage n’est pas moins efficace que des conseils plus intensifs pour les aider à cesser de fumer.

Tableau 2 : Scores aux différentes parties du questionnaire. Enquête CAPZEROTABAC, Île-de-France, 2019
Agrandir l'image

Le score de connaissances s’étend de 1 à 10 (moyenne à 6,7/10 ; tableau 2). Il varie significativement selon la profession (pharmaciens 7,3/10 en moyenne, infirmiers 6,6 et médecins 6,2, p<0,001) et l’âge (score diminuant avec l’âge, corrélation -0,260, p<0,001) (tableau 3). Ces différences ne sont pas retrouvées significatives dans le modèle multivarié (tableau 4).

Tableau 3 : Analyses univariées des scores aux différentes parties du questionnaire en fonction de facteurs sociodémographiques. Enquête CAPZEROTABAC, Île-de-France, 2019
Agrandir l'image
Tableau 4 : Analyses multivariées, par régressions de Poisson, des scores aux différentes parties du questionnaire, en fonction de facteurs sociodémographiques. Enquête CAPZEROTABAC, Île-de-France, 2019
Agrandir l'image

Alors que plus de 8 professionnels sur 10 (82,7%) pensent avoir une connaissance suffisante des avantages de l’arrêt du tabac chez les PA pour en discuter avec elles et que près des 3/4 (74,3%) leur parlent facilement de leur comportement vis-à-vis du tabac, seuls 2/3 (68,0%) des professionnels pensent avoir une connaissance suffisante des propositions thérapeutiques disponibles pour le sevrage des fumeurs âgés et 61,0% pensent que le soutien réel d’une démarche d’arrêt chez la PA relève d’un spécialiste. Par ailleurs, 37,7% considèrent que fumer est l’un des rares plaisirs que les PA ont à leur disposition.

Le score d’attitudes varie de 1 à 12 (moyenne : 8,8/12 ; tableau 2). Une différence significative est observée selon la profession (pharmaciens 9,9/12 en moyenne, médecins 8,4 et infirmiers 8,2). Cette différence existe également avec le suivi d’au moins une formation complémentaire (9,6 vs 8,6), le sexe (hommes : 9,2 vs femmes : 8,6) et le statut tabagique (ex ou non-fumeurs : 9 vs fumeurs : 8) (tableau 3).

Le modèle multivarié confirme la différence significative selon la profession, mais uniquement pour les pharmaciens versus les infirmiers (IRR : 1,18, IC95%: [1,06-1,31]), et suivant la réalisation d’au moins une formation complémentaire (1,11 [1,01-1,22]) (tableau 4).

Concernant la formation, il est possible de décrire un gradient avec un score moyen de 8,6/12 pour les professionnels sans formation complémentaire, 8,8 pour ceux formés en gérontologie, 10,2 pour ceux formés en tabacologie et 10,7 pour ceux ayant validé les deux.

En pratique, moins d’un professionnel sur deux (44,7%) demande régulièrement aux PA leur statut tabagique, et 1/3 (35,0%) le note dans le dossier clinique. La motivation des fumeurs âgés à l’arrêt est régulièrement évaluée par 35,3% des professionnels. Les conseils brefs sont régulièrement donnés par 60,7% des répondants et les avantages de l’arrêt régulièrement discutés par seulement la moitié (51,0%). Seuls 47,7% des professionnels fournissent régulièrement un soutien lors du sevrage.

Le score de pratiques est le moins bon. Il s’étend de 0 à 7/7, moyenne à 2,8/7, et plus d’un quart des répondants (26%) a un score nul (tableau 2). Une différence significative des scores est retrouvée selon la profession (médecins 3,8/7 en moyenne, infirmiers 2,7 et pharmaciens 1,9). Cette différence apparaît également avec la réalisation d’au moins une formation complémentaire (3,4 vs 2,6) et l’âge (score augmentant avec l’âge, corrélation de 0,119, p<0,040) (tableau 3).

Le modèle multivarié confirme l’impact de la profession sur les pratiques pour les médecins versus infirmiers (1,62 [1,34-1,96]) et, en sens inverse, pour les pharmaciens versus infirmiers (0,77 [0,63-0,94]), la réalisation d’au moins une formation complémentaire (1,41 [1,20-1,65]) et évolue significativement avec un exercice en quartier prioritaire (1,31 [1,06-1,60], score moyen de 3,5 vs 2,7/7) (tableau 4).

Concernant la formation on peut décrire un gradient similaire à celui du score d’attitudes avec 2,6/7 pour ceux n’en ayant pas réalisé, 3,3 pour ceux formés à une et 4 pour ceux ayant validé les 2.

Discussion-Conclusion

Près de 10% des plus de 65 ans fument en France. Nos résultats montrent que moins de la moitié des professionnels de santé d’Île-de-France interrogent leurs patients de plus de 65 ans sur leur statut tabagique, un tiers le renseignerait dans le dossier médical du patient et à peine plus de la moitié des professionnels de santé disent apporter un soutien aux personnes âgées qui entament une démarche de sevrage. Cela représente autant d’occasions ratées de sortir du tabagisme. Car, contrairement à une idée répandue, y compris parmi les répondants à cette enquête, le sevrage n’est pas plus difficile passé 65 ans 11. Si arrêter de fumer après 65 ans ne réduit pas de façon forte les risques liés à cette consommation, le sevrage améliore rapidement, indépendamment de l’âge, l’odorat et le goût. Ce sevrage va aussi permettre d’améliorer la fonction respiratoire, y compris en cas de broncho-pneumopathie chronique obstructive, ou encore va conduire à une baisse des doses d’insuline chez le patient diabétique 13. Mais surtout, le sevrage améliore la qualité de vie et cela même en cas de pathologies chroniques associées. En effet, comme l’ont montré Henley et coll., près de la moitié des fumeurs américains de 65 ans et plus présentent une pathologie chronique en lien avec leur tabagisme et le quart d’entre eux est atteint d’un cancer également lié à cette consommation 14. Il existe de ce fait une nécessité pour les professionnels de santé à orienter les patients âgés vers un sevrage.

Si le suivi de formations spécifiques ne modifie pas les connaissances des professionnels, nous observons des attitudes plus adaptées et de meilleures pratiques chez les professionnels formés (moins du quart des répondants a suivi une formation). Ce résultat est important car il montre, pour tous les professionnels, l’intérêt de la formation continue. Outre l’amélioration des connaissances, ces formations permettent une réflexion sur les représentations liées au tabagisme dans cette population spécifique, ce qui semble conduire à une amélioration des attitudes et des pratiques 12. En effet, les connaissances et représentations d’un professionnel sur un sujet influencent grandement son état d’esprit, donc ses attitudes et pratiques. On passerait du savoir-faire vers le savoir-être. Cela renforce la nécessité de développer en France une offre de formation continue pour les professionnels de santé qui aborde le sujet tabac comme un facteur de risque spécifique, transversal, et de renforcer la formation initiale.

D’après nos résultats, le statut tabagique des professionnels ne semble pas modifier leurs attitudes et pratiques. En revanche, les prévalences élevées, observées notamment chez les médecins (12%) et les infirmiers (24%), tranchent avec les résultats internationaux, notamment en Angleterre où seulement 5% des médecins sont fumeurs. Or, l’implication d’un professionnel de santé fumeur dans la prise en charge d’un patient fumeur est moindre que s’il est non-fumeur 15. Il semble donc important de réduire la prévalence tabagique des professionnels de santé 16.

Le sevrage tabagique du sujet âgé, n’est pas plus difficile que pour une personne plus jeune 17. Toutefois, un mésusage associé de substance psychoactive rend l’arrêt du tabac plus problématique 15. Néanmoins, il est perçu comme plus compliqué et relevant de praticiens spécialisés par 61,0% des professionnels de santé. Cette attitude tranche d’ailleurs avec le fait que 82% des professionnels pensent avoir les connaissances suffisantes pour cette prise en charge. Il est nécessaire de renforcer la confiance des professionnels dans leurs compétences et leur légitimité pour mieux accompagner leurs patients de plus de 65 ans. Cela passe avant tout par la communication et les actions de formation. Ce sentiment de difficulté est majoré par une forme de fatalisme du tabagisme de la personne âgée, voire une volonté de ne pas s’engager au motif que fumer ferait partie des derniers plaisirs 18. Or, il n’en est rien et à ce fatalisme on peut opposer l’amélioration de la qualité de vie qui reste une des principales priorités de la prévention et du soin, et cela même avec l’avancée en âge.

Ce travail présente plusieurs limites. Il s’agit tout d’abord de réponses déclaratives. Il est donc possible que pour certaines d’entre elles, en fonction des questions (connaissances, attitudes ou pratiques), les réponses soient sur- ou sous-évaluées de la part de professionnels de santé ne voulant pas être pris en défaut sur un sujet comme le tabac (biais de désirabilité sociale). Toutefois, la cohérence des réponses entre elles nous permet de penser que ce biais reste limité 19. Les professionnels ont été interrogés sur leur réalisation d’une formation, sans tenir compte du type de formation et de sa durée. Ainsi, les professionnels ayant suivi une formation courte ont pu se déclarer et être pris en compte de la même façon que les professionnels ayant été formés de façon plus complète, ce qui pourrait sous-estimer l’impact de la réalisation d’une formation sur leurs connaissances, attitudes et pratiques. Ensuite, l’échantillon enquêté ne compte que 300 répondants (100 par catégorie) ce qui peut apparaître comme limité au regard de l’ensemble des professionnels de santé d’Île-de-France. Néanmoins, le recours à un institut de sondage professionnel pour réaliser l’échantillonnage nous semble de nature à réduire le risque d’une représentativité limitée. Le travail de Huddlestone et coll. reposait sur à peine 150 médecins à l’échelle de la Grande-Bretagne, c’est pourquoi nous pensons que les résultats de notre étude qui reposent sur 300 professionnels à l’échelle d’une seule région sont solides 12.

À notre connaissance, il s’agit du premier travail français s’intéressant à la prise en charge de la dépendance tabagique des plus de 65 ans par les professionnels de santé libéraux. Nos résultats montrent que les professionnels de santé d’Île-de-France ont des connaissances sur la prise en charge tabagique, considérée comme faisant partie de leur mission. En revanche, ils semblent manquer de confiance en leurs capacités à gérer cette prise en charge. Or les approches préventives à l’adresse des personnes âgées fumeuses, selon le concept du « chaque contact (avec le système de santé) compte » sont essentielles 20. L’amélioration des pratiques passera par une formation initiale et continue qui, outre l’acquisition des connaissances, changera les représentations ouvrant vers de meilleures attitudes et pratiques dans la prise en charge du tabagisme.

Remerciements

Les auteurs remercient le Dr Patrick Daimé (Conseil régional de l’Ordre des médecins), Mme Kine Veyer (Ordre des infirmiers d’Île-de-France), le Dr Bruno Maleine (Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens), Mme Isabelle Dufour (Gérond’If).

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Financement

Cette recherche, Tabac-V3-08, a été financée par l’Iresp dans le cadre de l’appel à projets pour réduire et lutter contre le tabagisme 2018. Ce financement a permis de conduire le recueil des données, réalisé par la société IFOP.

Références

1 Pasquereau A, Guignard R, Andler R, Richard JB, Arwidson P, Beck F, et al. Le tabagisme au domicile en France en 2014 et son évolution depuis 2005. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(30-31): 522-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2016/30-31/2016_30-31_6.html
2 Pasquereau A, Andler R, Arwidson P, Guignard R, Nguyen-Thanh V. Consommation de tabac parmi les adultes : bilan de cinq années de programme national contre le tabagisme, 2014-2019. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(14):273-81. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/14/2020_14_1.html
3 Cawkwell PB, Blaum C, Sherman SE. Pharmacological Smoking Cessation therapies in older adults: A review of the evidence. Drugs & Aging. 2015;32(6):443-51.
4 Jha P, Ramasundarahettige C, Landsman V, Rostron B, Thun M, Anderson RN, et al. 21st-century hazards of smoking and benefits of cessation in the United States. N Engl J Med 2013;368(4):341-50.
5 Elwood PC, Gallacher JE, Hopkinson CA, Pickering J, Rabbitt P, Stollery B, et al. Smoking, drinking, and other life style factors and cognitive function in men in the Caerphilly cohort. J Epidemiol Commun Health. 1999;53(1):9-14.
6 Mons U, Schottker B, Muller H, Kliegel M, Brenner H. History of lifetime smoking, smoking cessation and cognitive function in the elderly population. Eur J Epidemiol. 2013;28(10):823-31.
7 Ott A, Andersen K, Dewey ME, Letenneur L, Brayne C, Copeland JR, et al. Effect of smoking on global cognitive function in nondemented elderly. Neurology. 2004;62(6):920-4.
8 Peters R, Poulter R, Warner J, Beckett N, Burch L, Bulpitt C. Smoking, dementia and cognitive decline in the elderly, a systematic review. BMC Geriatr. 2008;8:36.
9 Gopal DM, Kalogeropoulos AP, Georgiopoulou VV, Smith AL, Bauer DC, Newman AB, et al. Cigarette smoking exposure and heart failure risk in older adults: The health: Aging, and body composition study. Am Heart J 2012;164:236-42.
10 Jones R, Nyawo B, Jamieson S, Clark S. Current smoking predicts increased operative mortality and morbidity after cardiac surgery in the elderly. Interact Cardiovas Thorac Surg 2011;12(3):449-53.
11 Thomas D. Is it useful to quit smoking in the elderly population? Yes! Smoking cessation is beneficial at any age. Presse Med. 2013;42(6 Pt 1):1019-27.
12 Huddlestone L, Walker GM, Hussain-Mills R, Ratschen E. Treating tobacco dependence in older adults: A survey of primary care clinicians’ knowledge, attitudes, and practice. BMC Fam Pract. 2015;16:97.
13 Rimer BK, Orleans CT, Keintz MK, Cristinzio S, Fleisher L. The older smoker. Status, challenges and opportunities for intervention. Chest. 1990;97(3):547-53.
14 Henley SJ, Asman K, Momin B, Gallaway MS, Culp MB, Ragan KR, et al. Smoking cessation behaviors among older U.S. adults. Prev Med Rep. 2019;17(16):100978.
15 Croizet A, Perriot J, Merson F, Aublet-Cuvelier B. Sevrage tabagique des fumeurs âgés. Étude rétrospective chez 181 fumeurs âgés pris en charge en centre de tabacologie. Rev Mal Respir. 2016;33(3):241-7.
16 Josseran L. Le tabagisme en France : quelle est la situation ? Rev Pneumol Clin. 2018;74(3):124-132.
17 Kössler W, Lanzenberger M, Zwick H. Smoking habits of office-based general practitioners and internists in Austria and their smoking cessation efforts. Wien Klin Wochenschr. 2002;114(17-18):762-5.
18 Schmitt EM, Tsoh JY, Dowling GA, Hall SH. Older adults’ and case managers’perceptions of smoking and smoking cessation. J Aging Health. 2005;17(6):717-33.
19 Wong SL, Shields M, Leatherdale S, Malaison E, Hammond D. Assessment of validity of self-reported smoking status. Health Rep. 2012;23(1):47-53. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/82-003-x/2012001/article/11625-eng.pdf
20 Anandanadesan R, Shah M, De Silva AC. Making every contact count: The role of the clinician in smoking cessation during the perioperative period. Clin Med (Lond). 2020;20(2):e2.

Citer cet article

Mir S, Cloppet A, Gautier S, Duville C, Morvillers JM, Simzac AB, et al. Les professionnels de santé de soins primaires en Île- de-France face à la prise en charge du tabagisme de la personne âgée. Bull Epidémiol Hebd. 2022;(12):212-20. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/12/2022_12_1.html