État des lieux des pratiques d’orientation des patients vers le système de santé de droit commun, à la suite d’une prise en charge en permanence d’accès aux soins de santé

// Current practices of patient orientation directed to mainstream health services, following free medical assistance through the Health Service Access Points

Jérémy Khouani1,2 (jeremy.khouani@univ-amu.fr), Christophe Bertrand1, Eugénie Launay2, Maeva Jégo1,2, Pascal Auquier2, Clémence Tabélé2
1 Département universitaire de médecine générale, Faculté des sciences médicales et paramédicales, Aix-Marseille Université, Faculté de médecine, Marseille
2 Centre d’études et de recherche sur les services de santé et qualité́ de vie, Aix-Marseille Université, Marseille
Soumis le 09.07.2021 // Date of submission: 07.09.2021
Mots-clés : Pass | Soins primaires | Relai ville-hôpital | Continuité des soins | Précarité
Keywords: PASS | Primary health care | Town-hospital network | Continuity of care | Vulnerable populations.

Résumé

Introduction –

Les permanences d’accès aux soins de santé (Pass) ont pour mission d’offrir des soins ambulatoires à des personnes qui n’y ont pas accès et de résoudre leurs problématiques d’accès aux droits, de sorte qu’ils aient in fine accès au dispositif médecin traitant de droit commun. Notre objectif était d’établir un état des lieux des pratiques des Pass concernant l’orientation vers le droit commun du patient ayant obtenu une couverture maladie complète.

Matériel et méthode –

Cette étude observationnelle transversale a été menée dans le cadre du Programme de recherche sur la performance du système de soins Pass-Multi. Des questionnaires ont été envoyés à 274 Pass sur les 410 que compte le territoire français. Le recueil des données s’est déroulé de juin à octobre 2020.

Résultats –

Il existe une grande diversité au niveau du personnel dédié à l’organisation des Pass. Un tiers des Pass n’ont jamais connaissance de l’ouverture des droits de leurs patients et l’orientation vers le droit commun des patients ayant acquis une couverture maladie n’est systématique que dans 33% des Pass. Bien que rarement mise en place, l’existence d’une procédure formalisée d’accompagnement du patient en ambulatoire permet une connaissance plus systématique de l’ouverture des droits des patients et une orientation optimisée vers les soins de ville. Une plus grande évaluation de la bonne intégration du patient dans le droit commun s’avère nécessaire face aux nombreux retours de patients vers les Pass. Le renforcement du travail en réseau avec les soins de ville pourrait permettre d’anticiper la suite de la prise en charge du patient.

Conclusion –

Il existe une hétérogénéité des pratiques d’orientation des patients vers le système de santé de droit commun en sortie du dispositif Pass. Une rationalisation des pratiques de sortie du dispositif paraît nécessaire afin d’y permettre une intégration plus efficiente du patient.

Abstract

Introduction –

Health Service Access Points (PASS) aim to provide walk-in medical and social support to vulnerable populations and to resolve issues that are blocking their right of access to care via general practice surgeries. Our purpose was to assess current practices in PASS for orientating those who obtain full health insurance towards the regular system of public healthcare.

Materials and methods –

This cross-sectional observational study was carried out in the framework of a research program evaluating the “PASS-MULTI” healthcare system. Questionnaires were sent to 274 PASS centres out of the 410 that exist across the French territory. Data collection was conducted from June to October 2020.

Results –

PASS centres represent a diversity of professions. One third of the centres declared never being informed of their patients’ health-insurance eligibility, and orientation towards the common primary health for those entitled is systematic only for 33% of “PASS”. Although rarely implemented the existence of a formalised assistance procedure of ambulatory patient provide a better systematic knowledge of the person’s entitlement and an optimal orientation to primary health care. A wider assessment of the successful integration of patient to common primary care services should be set up considering the huge number of patients who are coming back to “PASS” due to refusals from health care workers to receive vulnerable patients. Strengthening the networking with a community-based practice could help to anticipate patient care.

Conclusion –

There is a great heterogeneity in patient orientation to common primary health are in PASS. A rationalization of the end of the PASS scheme seems necessary to ensure a more effective integration.

Introduction

Les Permanences d’accès aux soins de santé (Pass) ont été créées dans le cadre de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions 1. On compte aujourd’hui près de 430 Pass en France 2. Rattachées aux établissements de santé participant au service public hospitalier, l’objectif des Pass est de proposer aux personnes en situation de précarité une prise en charge médico-sociale ambulatoire dans une perspective d’intégration dans le droit commun. En 2013, une circulaire de la Direction générale de l’offre de soin (DHOS) identifie comme patientèle cible des Pass les patients qui n’ont pas de couverture maladie, donc pas d’accès au dispositif médecin traitant de droit commun 3. Une enquête de 2017 réalisée par Médecins du Monde retrouve que 70,9% des patients n’ayant pas de couverture maladie ont des droits potentiels à une assurance maladie, mais ne sont pas couverts car :

ils n’en ont pas fait la demande ;

ils en ont fait la demande, mais la procédure d’accès au droit est suffisamment complexe pour qu’ils n’aient pas accès aux soins au moment où ils en ont besoin. Ceci est corroboré par d’autres
enquêtes 4,5 ainsi que par le défenseur des droits qui explique que les procédures d’accès au droit peuvent s’accompagner : « d’un contrôle des conditions d’ouverture restrictif et de demandes de pièces injustifiées » 6. De fait, la mission des Pass est donc d’offrir des soins à des personnes qui n’y ont pas accès et de résoudre leurs problématiques d’accès aux droits, de sorte qu’elles aient in fine accès au dispositif médecin traitant de droit commun.

Des travaux s’intéressant à ce relais ville-hôpital ont mis en évidence des déficits de communication lors de la sortie d’hospitalisation, fragilisant la continuité des soins 7,8. Une étude interventionnelle s’intéressant à un programme spécifique comprenant la prise d’un rendez-vous et l’envoi du compte rendu d’hospitalisation au médecin traitant a retrouvé une réduction d’environ 30% des recours hospitaliers au cours des 30 jours suivant la sortie d’hospitalisation 9.

Concernant spécifiquement les Pass, trois travaux se sont intéressés à l’effectivité de l’intégration du patient dans le système de droit commun. On y retrouvait respectivement les proportions de 30% 10, 22% 11 ou 37,1% 12 des patients qui n’avaient pas consulté de médecin généraliste à la suite de leur prise en charge à la Pass.

Nous n’avons pas retrouvé de données s’intéressant aux pratiques des Pass concernant leur mission d’orientation vers le système de droit commun, qui permettraient de renforcer leur efficience.

L’objectif principal de notre travail était donc d’établir un état des lieux des pratiques des Pass concernant l’orientation vers le droit commun pour les patients ayant obtenu une couverture maladie complète.

Matériel et méthode

Design de l’étude et population concernée

Il s’agit d’une étude observationnelle transversale. Les structures éligibles sont l’ensemble des Pass répertoriées en France. Une cartographie basée sur les annuaires régionaux des Pass a été construite en amont de l’étude. Les Pass ayant refusé de participer ou les structures de coordination ne recevant pas de patients n’ont pas été incluses.

Cette étude a été menée dans le cadre du Programme de recherche sur la performance du système des soins (Preps) Pass-Multi, enregistré sous le numéro NCT03986801. Le Preps Pass-Multi a reçu un avis favorable du Comité de protection des personnes (CPP) Sud-Ouest et Outre-Mer (avis n° 2019-A02740-57) et de la Commission nationale de l’information et des libertés (Cnil) (avis n° DR-2021-143), garantissant le respect du Règlement général sur la protection des données (RGPD).

Élaboration du questionnaire

Le questionnaire a été élaboré par les professionnels de la Pass et de la pharmacie hospitalière de l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM).

N’ayant pas retrouvé dans la littérature d’études similaires, la création du questionnaire s’est appuyée sur le retour d’expérience des acteurs de ces services (voir annexe). Il reprend les étapes du parcours de soin du patient à la fin de son suivi en Pass. Il est composé de deux parties : une partie descriptive de l’organisation de la Pass répondante et une partie contenant des questions de type Likert. Les réponses sont de type « toujours », « le plus souvent », « parfois » ou « jamais ».

Recueil des données

Le questionnaire a été envoyé par mail à 274 Pass sur les 410 que compte le territoire français. Une seule réponse par un membre de l’équipe Pass était attendue. En cas de non-réponse à 15 jours, les Pass rattachées à un CHU ont été recontactées pour compléter le questionnaire directement en ligne.

Le recueil des données s’est déroulé de juin à octobre 2020.

Analyses statistiques

L’exploitation statistique n’a été commencée qu’après vérification de la validité de la base de données. Les données consolidées ont ensuite été traitées l’aide du logiciel SPSS® software. Le seuil de significativité a été fixé à 0,05. Des analyses de corrélation univariées avec détermination du coefficient de Pearson et des études d’association avec détermination du Chi2 ont été réalisées pour mettre en évidence les facteurs influençant certaines variables.

Résultats

Parmi les 274 Pass contactées, 73 ont répondu au questionnaire (taux de réponse : 26,6%) : 49 étaient rattachées à des centres hospitaliers (CH, 67,1%) et 21 à des centres hospitaliers universitaires (CHU, 28,8%). Parmi les 30 Pass rattachées à un CHU, le taux de réponse était de 70%. Les réponses analysées de ces questionnaires permettent donc d’avoir une bonne représentativité des pratiques dans les Pass rattachées à un CHU en France.

Files actives et organisation des Pass

La file active annuelle médiane est de 374 patients avec un minimum de 20 et un maximum de 5 000 patients. Les CHU ont des files actives annuelles significativement plus importantes que les autres établissements (p=0,047) : ils représentent plus de 66% des files actives annuelles de plus de 2 000 patients.

Les Pass comptent quasiment toutes, dans leurs équipes, des assistances sociales (AS) (97% des Pass sont dotées d’AS et 100% dans les CHU). Cependant, la présence de médecin et d’infirmier diplômé d’État (IDE) n’est pas systématique (présents respectivement dans 79% et 68% des Pass). Il existe en effet des Pass transversales limitées à un(e) assistant(e) social(e) (AS) avec répartition des consultants au sein des spécialités présentes dans l’établissement hospitalier auquel il (elle) est rattaché(e) ; dans ces cas, il n’y a pas d’équipe de soin spécifiquement rattachée à la Pass.

L’étude montre une variabilité des professions représentées au sein des Pass, présentant chacune des potentiels de valeur ajoutée permettant d’optimiser le parcours de soins des patients en situation de précarité : des agents d’accueil sont présents dans 44% (71% pour les CHU) des équipes, des pharmaciens dans 28% (52% pour les CHU) et des médiateurs en santé dans 4%.

Ouverture des droits et orientation vers le droit commun

Dans un tiers des cas (34%), les Pass n’ont jamais connaissance de l’ouverture des droits de leurs patients, et seulement 18,8% des Pass déclarent en avoir connaissance systématiquement ou le plus souvent. Dans ces cas, l’information est obtenue principalement lors d’un rendez-vous du patient avec l’AS du service (72%), mais aussi lors d’une consultation médicale (CS), de la consultation du logiciel « consultation des droits » de la Caisse primaire d’Assurance maladie (CPAM) ou lors d’une vérification régulière par un membre de la Pass (figure 1). Le patient n’informe que rarement la Pass de l’acquisition de ses droits complets à l’Assurance maladie.

Figure 1 : Circonstances de découverte de l’ouverture des droits des patients par les Pass (14 données manquantes), France, juin-octobre 2020
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Lorsque le patient acquiert une couverture maladie complète, l’orientation vers le système de santé de droit commun n’est systématique que dans 33% des Pass. Dans les autres cas, la décision d’orientation vers le droit commun se fait selon différents critères (figure 2) et, le plus souvent, lors de la résolution de l’événement aigu ayant amené le patient à consulter : 70% des patients sont orientés vers le système de droit commun à ce moment-là et pas nécessairement dès lors que l’équipe a la connaissance que ses droits complets à l’assurance maladie sont ouverts.

Concernant les patients allophones, leur maîtrise du français et/ou la déclaration d’un médecin traitant maîtrisant leur langue maternelle n’influence que très peu la décision des équipes des Pass de les orienter vers le système de santé de droit commun.

Figure 2 : Critères d’orientation vers le système de santé de droit commun par les Pass (12 données manquantes), France, juin-octobre 2020
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Accompagnement du patient en ambulatoire

Seules 35% des Pass ont formalisé une procédure d’accompagnement du patient en ambulatoire après l’ouverture des droits à l’Assurance maladie.

Cette procédure permet de protocoliser les démarches à entamer lorsqu’un patient obtient ses droits et sort du dispositif de Pass.

Les situations pour lesquelles il y a toujours connaissance de l’ouverture des droits sont représentées uniquement par les Pass ayant formalisé une procédure d’accompagnement en ambulatoire (100%), contre 0% pour celle qui n’en ont pas formalisé (p=0,046) (figure 3). Il existe une relation statistiquement significative entre la présence d’une telle procédure et la connaissance systématique de l’ouverture des droits des patients, lors d’une consultation médicale (80% des cas où la connaissance de l’acquisition des droits en consultation médicale est systématique sont représentés par des Pass ayant formalisé une procédure d’accompagnement des patients, contre 20% des Pass ne l’ayant pas fait, p<0,001) ou d’un rendez-vous avec un(e) AS (71% des cas où la connaissance de l’ouverture des droits en rendez-vous avec l’AS est systématique sont représentés par des Pass ayant formalisé une procédure d’accompagnement des patients, contre 29% des Pass ne l’ayant pas fait, p=0,001) (figure 3).

Figure 3 : (a) Relation entre la présence d’une procédure d’accompagnement en ambulatoire par la Pass et la connaissance de l’ouverture des droits, (b) lors d’une consultation médicale
ou (c) d’un rendez-vous avec un(e) assistant(e) social(e), France, juin-octobre 2020
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La formalisation d’une procédure d’accompagnement des patients sortant du dispositif de la Pass permet une connaissance plus systématique de l’acquisition des droits des patients et donc de leur accès possible au dispositif médecin traitant.

D’autre part, seulement 22% des Pass ont construit un annuaire des professionnels de santé de ville vers qui orienter ces patients. Dans ces cas, cet annuaire a été réalisé majoritairement selon le lieu de résidence des patients suivis (79% des cas) et très peu selon les langues maternelles les plus représentées dans la patientèle (7% des cas). Cela explique pourquoi la majorité des orientations de l’équipe de la Pass vers les professionnels de ville s’effectue selon des critères géographiques de résidence des patients et rarement selon des critères linguistiques (figure 4).

Figure 4 : Modalités d’orientation des patients par les Pass vers les médecins, pharmaciens, ou autres professionnels de santé de ville (1 donnée manquante), France, juin-octobre 2020
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Cependant, dans cette étude, il existe deux situations dans lesquelles les patients en sortie du dispositif de la Pass sont orientés préférentiellement vers des professionnels de ville selon leur langue maternelle :

100% des Pass possédant un annuaire élaboré selon les langues maternelles des patients qui déclarent systématiquement les orienter vers les professionnels de ville bilingues, contre 8% en l’absence cet annuaire (p=0,003) ;

lorsqu’un médiateur en santé est intégré à l’équipe de la Pass, il y a une orientation quasi-systématique des patients en sortie du dispositif de la Pass vers un professionnel de santé ambulatoire maîtrisant la langue maternelle du patient (66,6% des cas d’orientation selon la langue maternelle du patient sont réalisés dans les équipes des Pass comportant un médiateur en santé, contre 12,5% quand le médiateur est absent p<0,001).

Pour une meilleure orientation des patients allophones au sortir du dispositif de la Pass, la présence d’un annuaire des professionnels de ville bilingues, ainsi que celle d’un médiateur en santé, semblent primordiales (figure 5).

Figure 5 : Impact de la présence d’un médiateur (a) ou d’un annuaire linguistique (b) sur l’orientation des patients allophones par les Pass vers les professionnels de ville polyglottes, France, juin-octobre 2020
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Après la sortie du dispositif

Plus de la moitié des Pass ne convoquent jamais les patients pour s’assurer qu’ils ont bien été intégrés dans le parcours de soins de droit commun (figure 6). Le médecin traitant qui a théoriquement pris le relais n’est jamais contacté par la Pass dans 33,8% des cas. Enfin, plus de 66% des Pass déclarent ne jamais contacter les officines pour s’assurer que le patient a bien pu récupérer ses traitements. Or, les retours des patients vers les Pass ou associations humanitaires sont nombreux le premier mois, car faute d’avoir reçu leur carte vitale ou carte d’AME, ils se voient refuser l’accès aux consultations médicales et aux traitements sans avance de frais 13,14,15.

Figure 6 : Modalités des Pass pour s’assurer du lien ville-hôpital effectif (14 données manquantes), France,
juin-octobre 2020
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Discussion

Organisation des Pass

Il existe une grande diversité au niveau du personnel dédié à l’organisation des Pass. La circulaire du 18 juin 2013 relative à leur organisation et fonctionnement précise qu’elles doivent disposer au minimum d’un référent social et d’un référent médical connus de tous. La présence de ces référents dans l’organisation de chaque Pass est donc un préalable indispensable à une prise en charge médicosociale globale du patient. On retrouve quasiment toujours un(e) AS qui joue un rôle pivot dans le dispositif, mais une partie des Pass ne comprennent pas de personnel médical dédié, que ce soit des médecins ou des infirmiers. La présence d’un pharmacien est rare, pouvant entraîner une dispensation des traitements dissociée de l’action des Pass et mener à des ruptures de traitements et à une moindre sécurisation de la dispensation des produits de santé. Sa présence effective dans l’équipe permettrait de plus un gain en termes de qualité de prise en charge du patient (consultations pharmaceutiques adaptées à la précarité des personnes et à leur niveau de littératie) et de diminution des surcoûts 16. Concernant la médiation en santé, le rapport 2016 d’évaluation du Programme national de médiation sanitaire (PNMS) 17 a mis en avant que celle-ci permet l’amélioration de l’accès aux soins et à la prévention des personnes en situation de précarité. In fine, l’existence d’équipes pluridisciplinaires dédiées à la prise en charge globale des personnes en situation de précarité étant retrouvée dans la littérature 18, nous pouvons formuler l’hypothèse que les Pass composées de professionnels du soin (médecins, IDE, médiation, pharmacie, etc.) et du social sont mieux préparées à la prise en charge des patients consultant en Pass que les Pass transversales composées uniquement d’AS.

Ouverture des droits et orientation vers le droit commun

Les Pass n’orientent pas toujours systématiquement vers le droit commun les patients ayant acquis une couverture maladie, ce qui peut contribuer à alourdir le dispositif en le saturant. Une enquête de la Fédération des acteurs de la solidarité menée en 2017 montre que 35% des intervenants sociaux auprès des Pass ayant répondu les estiment saturées, certaines Pass ne pouvant recevoir que sur rendez-vous et avec des délais pouvant atteindre plusieurs semaines 19. Il existe plusieurs freins à cette orientation vers le système de santé de droit commun : la persistance du problème médical ayant amené le patient à consulter, l’absence de personne de confiance permettant l’accompagnement du patient et, à un moindre niveau, la barrière linguistique. Le renforcement du travail en réseau avec les soins de ville pourrait permettre d’anticiper la suite de la prise en charge du patient 20, notamment avec les dispositifs innovants en soins primaires tels que les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui sont des champs que les Pass peuvent investir afin d’amplifier et de consolider ce réseau. En effet, l’une des missions socle de ces CPTS est de faciliter l’accès à un médecin traitant pour les patients n’en ayant pas 21.

Enfin, le déploiement à grande échelle de médiateurs en santé pourrait être pertinent dans les Pass, en soutien aux patients pour qui cette orientation vers les soins de ville est la plus complexe 22, en raison de barrières multiples et complexes (culturelles, linguistiques, renoncement, etc.), et pour lesquels la médiation en santé est une des solutions potentielles 23.

Accompagnement du patient en ambulatoire

Une procédure formalisée d’accompagnement du patient en ambulatoire après l’ouverture de ses droits est rarement mise en place. Cette absence de protocole peut entraîner une variabilité des pratiques qui ne permet pas de généraliser les plus efficientes. Il existe par ailleurs chez le patient précaire un manque de connaissance de l’offre de soins et de ses droits à la santé ce qui peut entraîner un renoncement aux soins 24. La mise en place d’une consultation d’orientation dédiée à la sortie du dispositif, permettant de fournir des informations adaptées au patient sur le système de santé, pourrait lui permettre d’acquérir des éléments essentiels pour son accès aux soins. Une étude menée par Médecins du Monde avait mis en évidence des difficultés liées au financement des Pass : les budgets alloués aux Pass sont trop peu conséquents et ne permettent pas de couvrir tous leurs besoins 25. Ce type de consultation nécessiterait des moyens humains et matériels qui ne sont pas actuellement effectifs, quand bien même ils permettraient in fine d’alléger le dispositif Pass en évitant des consultations itératives de patients ne trouvant pas de relais en ville.

Après la sortie du dispositif

Cet état des lieux a également mis en évidence le fait que peu de Pass s’assurent de la bonne intégration du patient dans le droit commun. Une évaluation appréciant l’effectivité de cette intégration pourrait s’avérer nécessaire afin d’en apprécier la réalité, d’autant que les difficultés rencontrées par certains patients après l’ouverture de leurs droits peuvent les entraîner à retourner à la Pass. Une enquête menée en 2017 montre qu’un grand nombre de personnes se rendent à la Pass malgré leurs droits ouverts, en raison du refus de certains médecins de recevoir les patients bénéficiaires de la Complémentaire santé solidaire (CSS) ou de l’Aide médicale d’état (AME) 26. Une orientation ciblée vers les professionnels de la CPTS de proximité du lieu de vie du patient pourrait être une réponse. En effet, une étude réalisée à la Pass de Saint-Étienne a montré que l’efficience du relai avec la médecine de ville était plus importante lorsque celui-ci était nominatif et lorsqu’une communication portant sur l’ensemble des données médicales du patient auprès du médecin prenant la suite était assurée 27. Afin de limiter ces refus de soins 6 et donner les moyens aux professionnels de ville de répondre aux problématiques complexes des patients en situation de précarité, de futurs travaux pourraient évaluer l’impact d’une prise en charge multidisciplinaire en ville adaptée aux problématiques rencontrées par les patients (interprétariat professionnel, médiation en santé, expertise sociale, etc.) sur l’efficience du relais de la Pass vers le droit commun.

Limites

Il s’agit d’une étude déclarative : les résultats sont subjectifs et analysés en conséquence.

Il existe un manque de puissance de cette étude en lien avec des effectifs trop faibles et il aurait fallu obtenir des taux de réponses supérieurs pour augmenter la significativité de nos résultats. Le recueil s’est effectué pendant la période de crise sanitaire entre les deux confinements nationaux. Cette étude n’est pas exhaustive en ce qui concerne les critères d’orientation des patients (genre, expérience communautaire, etc.). Enfin, nous n’avons pu relancer que les Pass rattachées à un CHU, ce qui limite l’extrapolation de nos résultats à l’intégralité des Pass.

Forces

Il s’agit du premier état des lieux concernant les pratiques des Pass relatifs à l’orientation de leurs patients vers le droit commun. Ces données peuvent permettre aux Pass de construire leurs propres procédures d’accompagnement du patient vers les soins de ville.

Conclusion

Cet état des lieux met en évidence une hétérogénéité des pratiques d’orientation des patients vers le système de santé de droit commun en sortie du dispositif Pass. Les Pass constituant une interface entre les dispositifs spécifiques d’accès aux soins et le système de santé de droit commun pour les populations vulnérables, il paraît nécessaire de rationaliser les pratiques de sortie du dispositif. Une synergie entre les Pass et les CPTS, ainsi que l’instauration de consultations dédiées à la sortie du dispositif, pourraient permettre une intégration plus efficiente du patient dans les soins de ville. L’optimisation des moyens financiers, matériels et humains est un préalable à la mise en place de telles stratégies. Nos résultats ont permis l’élaboration d’un protocole d’orientation et un guide d’entretien de fin de suivi en Pass à destination des professionnels de santé.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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21 LOI n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (1). JO du 27 janvier 2016. https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000031912641/
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23 Haute Autorité de santé. La médiation en santé pour les personnes éloignées des systèmes de prévention et de soins. Saint-Denis La Plaine: HAS; 2017. 70 p. https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2801497/fr/la-mediation-en-sante-pour-les-personnes-eloignees-des-systemes-de-prevention-et-de-soins
24 Observatoire régional de la santé en Auvergne. Le renoncement aux soins des publics précaires en Auvergne. Clermont-Ferrand: ORS Auvergne; 2016. 49 p. https://www.pfoss-auvergne-rhone-alpes.fr/wp-content/uploads/
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26 Le fonctionnement des Pass (Permanence d’accès aux soins de santé). Veille inégalités sociales de santé. Hérouville Saint-Clair: Promotion santé Normandie; 2015. 5 p. https://resodochn.typepad.fr/inegalitessante/
2017/05/le-fonctionnement-des-pass-permanence-dacc%C3%A8s-aux-soins-de-sant%C3%A9.html
27 Rivollier E, Bourgin V. Pass et réintégration dans le système de soins de droit commun. Saint-Étienne: Permanence d’accès aux soins de santé du CHU de Saint-Étienne; Assurance maladie; 2005. 12 p.

Citer cet article

Khouani J, Bertrand C, Launay E, Jégo M, Auquier P, Tabélé C. État des lieux des pratiques d’orientation des patients vers le système de santé de droit commun, à la suite d’une prise en charge en permanence d’accès aux soins de santé. Bull Epidémiol Hebd. 2022;(1):10-21. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/1/2022_1_2.html


Annexe