Évolution des symptomatologies anxieuses et dépressives et leurs facteurs associés chez les actifs occupés en France métropolitaine en 2020

// Evolution of anxiety and depressive symptoms and their associated factors among employed workers in metropolitan France in 2020

Alexandre Lesage (alexandre.lesage@santepubliquefrance.fr), Christine Chan Chee, Christophe Léon, Enguerrand du Roscoät
Santé publique France, Saint-Maurice
Soumis le 28.09.2021 // Date of submission: 09.28.2021
Mots-clés : Covid-19 | Population active occupée | Anxiété | Dépression
Keywords: COVID-19 | Working population | Anxiety | Depression

Résumé

Introduction –

 Des mesures de distanciation sociale plus ou moins strictes ont été mises en place depuis le 17 mars 2020 (date de mise en place du premier confinement) afin de limiter la propagation du SARS-CoV-2. Ces mesures ont impacté les conditions de travail à des degrés variables. Ont alors pu émerger de nouvelles sources de risque pour la santé mentale. La présente étude visait à suivre l’évolution de l’anxiété et de la dépression dans la population active occupée et à identifier les sous-groupes les plus touchés. Elle constitue une première étape dans l’élaboration d’interventions ciblées.

Méthodes –

 Les données proviennent de l’enquête Coviprev en population générale. Lors de chacune des vagues d’enquête, un échantillon indépendant de 2 000 personnes âgées de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine a été interrogé par Internet. Dans le cadre de cette étude, seuls les actifs occupés ont été sélectionnés (personnes travaillant in situ, à domicile, au chômage partiel ou en arrêt de travail). Cette population représentait entre 52 et 55% de l’échantillon total selon la vague considérée. Les données présentées dans cet article sont issues des vagues 1 (23 au 25 mars) à 19 (14 au 16 décembre 2020).

Résultats –

 La prévalence des états anxieux était de 30,5% lors de la vague 1. Elle a ensuite connu une baisse significative jusqu’à la vague 3 (14 au 16 avril) avant de rester à des niveaux stables, mais relativement élevés. Pour la dépression, la prévalence était de 20,9% en vague 2. Elle a connu une baisse significative avec la période du déconfinement avant de ré-augmenter de façon significative en octobre aux alentours du second confinement.

Sur l’organisation du travail : être en arrêt de travail par rapport au travail in situ était associé à un risque accru de présenter un état anxieux uniquement pour les hommes. Pour les deux sexes, travailler in situ était associé à un plus faible risque de présenter un état dépressif par rapport au fait de travailler à domicile, d’être en chômage partiel ou en arrêt de travail.

Les analyses par secteur mettent en avant un risque plus élevé de présenter un état anxieux parmi les travailleurs des secteurs des activités financières et assurances, et des arts, spectacles et activités récréatives. À l’inverse, ce risque était plus faible pour les travailleurs de la santé humaine et de l’action sociale, de l’administration publique et des activités spécialisées et scientifiques. Le risque de présenter un état dépressif était quant à lui plus important parmi les travailleurs de l’enseignement et plus faible parmi les travailleurs du secteur de la santé humaine et de l’action sociale.

Conclusions –

 Nos résultats montrent que les prévalences de symptomatologies anxieuses et dépressives sont restées élevées sur l’ensemble de l’année 2020 chez les actifs occupés. Il semble qu’une vigilance particulière doit être apportée à certaines catégories de population comme les personnes en arrêt de travail et plus globalement auprès des travailleurs des secteurs des arts, spectacles et autres activités récréatives, et de l’enseignement.

Abstract

Introduction –

 In France, social distancing measures of varying extents are in place since 17 March 2020 (date of the first lockdown) to limit the spread of SARS-CoV-2. These measures have had different degrees of impact on working conditions. In consequence, new sources of risk for mental health may have emerged. This study aims to document the evolution of anxiety and depression among the employed working population and to identify the subgroups most affected by these mental health conditions. It constitutes a first step towards the development of targeted interventions.

Methods –

 Data were obtained from Coviprev, a survey carried out on the general population. For each wave of the survey, an independent sample of 2,000 people aged 18 and over residing in metropolitan France was interviewed via the Internet. For the present study, only employed workers were selected (people working from or outside of home, on furlough or off work). This population represented 52-55% of the total sample depending on the wave concerned. The data presented here were gathered from the first wave (23-25 March 2020) to the 19th wave (14-16 December 2020).

Results –

 The prevalence of anxiety was 30.5% during the first wave. It then declined significantly until wave 3 (14-16 April) before stabilizing at relatively high levels. For depression, prevalence was 20.9% in wave 2. It showed a significant drop with the easing of lockdown measures, before increasing significantly again in October around the second lockdown.

In terms of work organisation: for men, being off work was associated with an increased risk of presenting an anxiety vs working outside of home. For both men and women, working outside of home was associated with a lower risk of depression vs working from home, being on furlough or off work.

Analysis by sector showed a higher risk of presenting anxiety among workers in the financial and insurance services and in the arts, entertainment and recreational industries. Conversely, this risk was lower for workers in human health and social services, public administration, and professional, scientific and technical services. The risk of depression was higher in education services and lower in human health and social work activities.

Conclusions –

 Our results show that the prevalence of anxiety and depressive symptoms among the employed was consistently high in France throughout 2020. It appears that particular vigilance must be shown to certain population categories such as people on sick leave, women with dependent children and more globally to workers employed in the arts, entertainment and recreational industries and education services.

Introduction

Le virus du SARS-CoV-2, responsable de la maladie Covid-19 a été identifié pour la première fois à Wuhan en décembre 2019 1. Sa propagation rapide à l’échelle mondiale a conduit l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à qualifier la situation de pandémie le 11 mars 2020 2. Afin de limiter la propagation de ce virus, de nombreux pays ont dû prendre des mesures visant à limiter les déplacements de leur population. En France, un premier confinement général fut mis en place du 17 mars au 11 mai 2020. Un assouplissement progressif de cette mesure a été ensuite observé jusqu’à la recrudescence de la propagation du virus, à l’automne, amenant le gouvernement à instaurer un second confinement, moins contraignant que le premier, du 30 octobre au 15 décembre 2020 3.

Les mesures de distanciation physique plus ou moins strictes ont eu un impact important sur l’activité économique et les conditions de travail. On estime ainsi que plus de quatre sociétés sur cinq ont subi une baisse de leur activité au cours du premier confinement 4. Certains travailleurs ont été contraints d’exercer leur activité en télétravail à domicile impliquant des difficultés à concilier vie professionnelle et vie familiale, en particulier pour les femmes à qui incombe une part importante des tâches domestiques 5,6,7,8. D’autres ont poursuivi leur activité sur site, mais des craintes ont pu émerger quant au risque d’être infecté et d’infecter leurs proches 9. Enfin, une grande partie s’est retrouvée en situation de chômage partiel ou en arrêt de travail et a dû faire face à un risque d’éloignement de la sphère professionnelle et de désocialisation, à mesure que cette situation se prolongeait.

Selon une enquête d’opinion commanditée par l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail, la réorganisation du travail représente, avec l’insécurité de l’emploi, le premier facteur de stress au travail en Europe 10. Il apparaît donc important de s’intéresser à la santé mentale des travailleurs dans un contexte où des aménagements plus ou moins importants des conditions de travail ont pu s’accumuler et interagir avec un climat social particulièrement anxiogène.

Par ailleurs, un nombre important d’études visant à évaluer l’impact psychologique de la pandémie ont été menées en population générale et parmi les soignants 11. Globalement, ces études ont mis en évidence une prévalence importante des troubles de santé mentale (anxiété, dépression, syndrome de stress post-traumatique…), et ont montré que l’accroissement du risque d’être affecté par ces troubles était associé à certaines caractéristiques individuelles et à des facteurs organisationnels, au premier rang desquels figurent le fait d’être une femme, d’être jeune ou encore, pour les soignants, de ne pas disposer d’une provision adéquate d’équipements de protection personnels.

Du côté des politiques publiques, s’intéresser aux troubles psychiques au travail représente un enjeu d’autant plus important qu’en 2011, le Forum économique mondial estimait à six mille milliards de dollars les coûts liés aux problèmes de santé mentale d’ici 2030 à l’échelle mondiale, dont environ deux tiers seraient attribuables à la perte de productivité liée à l’incapacité associée à des troubles psychiques 12. La recrudescence des troubles de santé mentale dans un contexte de pandémie mondiale pourrait amener à réévaluer ce coût à la hausse.

À notre connaissance, peu d’études épidémiologiques se sont intéressées à la santé mentale des travailleurs en dehors des soignants durant cette période de pandémie en France, et aucune n’a effectué de suivi de l’évolution de ces indicateurs 13. L’objectif de la présente étude est d’analyser l’évolution de la prévalence des symptomatologies anxieuses et dépressives, ainsi que leurs facteurs associés entre mars et décembre 2020 au sein de la population active occupée.

Matériel et méthodes

Sources de données

Coviprev est une enquête menée en population générale auprès des personnes âgées de 18 ans et plus. Elle interroge par vagues successives des échantillons de 2 000 personnes résidant en France métropolitaine. Les répondants sont recrutés par l’institut BVA au sein d’un panel Web. La construction des échantillons a été réalisée selon une méthode non probabiliste par quotas appliquée aux variables sexe, âge, région, catégorie socioprofessionnelle et taille d’agglomération. Afin d’assurer une représentativité des échantillons, ces derniers ont été redressés sur ces mêmes variables selon le recensement général de la population de 2016 de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), avec une pondération spécifique pour les actifs. La durée du remplissage du questionnaire en ligne était d’environ une vingtaine de minutes.

Dans le cadre de cette étude, les données présentées portent sur les actifs occupés, à savoir les personnes travaillant au moment de l’enquête, ainsi que celles au chômage partiel et en arrêt de travail. Ils représentent entre 52% et 55% de l’échantillon selon la vague d’enquête, soit entre 1 030 et 1 100 personnes. La période d’intérêt s’étend de la vague 1 (V1), dont les réponses ont été collectées du 23 au 25 mars 2020, à la vague 19 (V19), du 14 au 16 décembre 2020.

Variables

Les symptomatologies anxieuses et dépressives ont été mesurées par l’échelle Hospital Anxiety and Depression scale (HAD) développée par Zigmond et Snaith, qui comporte 14 items, dont sept sur le repérage d’une symptomatologie anxieuse et sept autres sur le repérage d’une symptomatologie dépressive 14. Elle a été traduite et validée en français par Lépine et coll. 15. Ses propriétés psychométriques sont jugées bonnes pour le repérage d’une symptomatologie anxieuse et dépressive chez les salariés en France 16. Selon les réponses, un score variant de 0 à 3 est attribué à chacun des sept items. Les scores sont ensuite additionnés afin d’établir un score global pour chacune des sous-échelles. Dans la présente étude, une symptomatologie anxieuse ou dépressive a été définie par un score strictement supérieur à 10 dans la sous-échelle correspondante 15. La sous-échelle « anxiété » a été introduite dès la première vague de Coviprev, tandis que celle concernant la dépression ne l’a été qu’à partir de la V2.

Les termes « anxiété » ou « état anxieux » et « dépression » ou « état dépressif » ont été utilisés indistinctement pour désigner respectivement une symptomatologie anxieuse ou dépressive.

Analyses statistiques

Dans un premier temps, les prévalences de l’anxiété et de la dépression ont été estimées séparément pour chacune des vagues étudiées dans l’ensemble de la population des actifs occupés et selon le sexe. La comparaison des prévalences d’une vague à la précédente a été faite en utilisant le test d’indépendance du Chi2 de Pearson, avec un seuil maximal de significativité fixé à 5%. Les différentes vagues ont été regroupées en trois périodes correspondant au premier confinement (Période 1 = V1 à V6 du 23-25 mars au 4-6 mai), au déconfinement (Période 2 = V7 à V16 du 13-15 mai au 19-21 octobre) et au deuxième confinement (Période 3 = V17 à V19 du 4-6 novembre au 14-16 décembre). Des régressions linéaires (non présentées) ont été conduites pour analyser l’évolution des scores moyens d’anxiété et de dépression au sein de chacune de ces trois périodes.

Dans un second temps, les prévalences de l’anxiété et de la dépression ont été analysées par période selon des variables sociodémographiques : le sexe, l’âge, le niveau de diplôme, la situation financière perçue en deux modalités (vous êtes à l’aise / ça va versus c’est juste, il faut faire attention / vous y arrivez difficilement / vous ne pouvez pas y arriver sans faire de dettes) ; des variables liées aux conditions de vie : le fait de vivre seul, la présence d’enfant de 16 ans ou moins au sein du foyer, vivre dans un logement exigu (vivre seul dans un logement de moins de 25 m² ou vivre à plusieurs dans un logement avec moins de 18 m² par personne) ; des variables sur le travail : l’organisation du travail en quatre modalités (travailler in situ, à domicile, au chômage partiel, en arrêt de travail), la catégorie socioprofessionnelle en six modalités, le secteur d’activité en 15 modalités ; ainsi qu’une variable sur les antécédents de suivi pour un problème d’ordre psychologique avant mars 2020. Les pourcentages issus des analyses bivariées ont aussi été comparés en utilisant le test de Chi2 de Pearson, avec un seuil fixé à 5%. Les effectifs présentés sont des effectifs bruts, tandis que les estimations de prévalence ont été pondérées et présentées avec leurs intervalles de confiance à 95% (IC95%).

Des régressions logistiques multinomiales ont été réalisées afin d’identifier les facteurs indépendamment associés à la présence d’anxiété et de dépression et pour contrôler l’existence d’éventuels effets de structure liés aux caractéristiques de la population. Pour chaque modèle, la variable expliquée est la présence ou non d’une symptomatologie anxieuse ou dépressive. La sélection des variables explicatives a reposé sur deux critères : sa pertinence au regard des données de la littérature et sa significativité au seuil de 20% en analyse univariée. Les odds ratios ajustés (ORa) ainsi que leurs intervalles de confiance à 95% ont été calculés et les associations mesurées par le test de Wald avec un seuil de significativité fixé à 5%. Dans ces régressions logistiques, le secteur d’activité n’a pas été introduit car la question n’a été posée qu’à partir de la V5.

Dans un troisième temps, afin d’estimer le risque de présenter une anxiété ou une dépression selon le secteur d’activité, des régressions logistiques ont été réalisées en reprenant les variables des régressions précédentes et en ajoutant pour chaque modèle une variable dichotomique selon que la personne appartient ou non au secteur d’activité considéré. Dans les analyses portant sur le secteur d’activité, la période 1 comprend seulement les V5 et V6.

Pour toutes ces analyses, seules les réponses à la première occurrence ont été incluses lorsqu’une personne a répondu à plusieurs vagues. Par ailleurs, toutes les analyses ont aussi été conduites séparément par sexe et par période (non présentées ici).

Les analyses ont été réalisées avec le logiciel Stata® (version 15.1 SE).

Résultats

Évolution de la prévalence de l’anxiété et de la dépression par vague d’enquête

Anxiété

La figure 1a présente la prévalence de l’anxiété pour l’ensemble des actifs occupés et par sexe entre V1 (23-25 mars) et V19 (14-16 décembre). Pour l’ensemble des actifs occupés, la prévalence des états anxieux était de 30,5% en V1. Elle a ensuite connu une baisse significative passant à 22,8% (p<0,001) en V2 (30 mars-1er avril), puis à 18,7% (p<0,05) en V3 (14-16 avril). Cette prévalence n’a, par la suite, pas connu d’évolution significative d’une vague à l’autre. La régression linéaire a montré une diminution significative des scores moyens estimée à -0,24 par vague lors du premier confinement (p<0,001) tandis que dans les deux autres périodes (déconfinement, reconfinement), l’évolution des scores moyens n’était pas significative.

Chez les femmes, cette prévalence était de 35,5% en V1. Elle a connu une baisse significative jusqu’à 27,6% en V2 (p<0,01) et 21,0% en V3 (p<0,05). Elle n’a par la suite pas évolué de façon significative d’une vague à l’autre, à l’exception d’une augmentation en fin d’année entre V18 (23-25 novembre) et V19 (14-16 décembre), passant de 20,9% à 26,1% (p<0,05). Chez les hommes, la prévalence des états anxieux était de 25,9% lors de la première vague. Elle a baissé de manière significative à 18,3% en V2 (p<0,01), puis entre V10 (8-10 juin) et V11 (22-24 juin), passant de 19,1% à 14,1% (p<0,05).

La prévalence des états anxieux était significativement plus importante chez les femmes que chez les hommes lors du premier confinement et pour certaines vagues (V12, V13 et V19). La régression linéaire menée séparément pour chaque sexe a montré une baisse significative des scores moyens d’anxiété estimée à -0,19 par vague pour les hommes et à -0,29 pour les femmes en première période (premier confinement). L’évolution des scores moyens pour chaque sexe n’était pas significative lors des deux autres périodes.

Dépression

En ce qui concerne la dépression (figure 1b), sa prévalence était de 20,9% en V2 pour l’ensemble de la population des actifs occupés. Cette dernière a diminué de façon significative entre V2 et V3 (17,6% ; p<0,05), puis n’a pas connu d’évolution significative d’une vague à l’autre jusqu’à la V7 (première vague de la période « déconfinement »), où une baisse fut constatée par rapport à la V6 (respectivement 19,0% et 14,8% ; p<0,01). La prévalence de la dépression a, par la suite, connu une évolution à la baisse non significative jusqu’à 10,6% en V15 (21 au 23 septembre), avant d’augmenter de façon significative (p<0,001) à 16,8% en V16 (19 au 21 octobre) et à 21,2% en V17 (p<0,05) (4 au 6 novembre) au moment du deuxième confinement. La régression linéaire a montré une diminution significative des scores moyens estimée à -0,03 par vague au sein de la deuxième période (p<0,05) tandis que dans les deux autres périodes, l’évolution des scores moyens n’était pas significative.

Chez les femmes, la prévalence des états dépressifs a diminué de façon significative entre V6 et V7 (respectivement 21,0% et 14,2% ; p<0,01). Elle a ensuite connu une hausse significative entre V15 et V16 (respectivement 10,1% et 18,6% ; p<0,001). Chez les hommes, cette prévalence a augmenté de manière significative entre V16 et V17 (respectivement 15,0% et 21,1% ; p<0,05).

Pour toutes les vagues, la prévalence des états dépressifs n’était pas significativement différente entre les hommes et les femmes.

La régression linéaire n’a pas montré d’évolution significative des scores moyens de dépression pour les hommes. Pour les femmes, la régression linéaire a montré une diminution des scores moyens de dépression uniquement en seconde période (déconfinement). Cette dernière était estimée à -0,02 par vague.

Figure 1 : Évolution de la prévalence de l’anxiété et de la dépression chez les actifs occupés selon le sexe
en France métropolitaine entre mars et décembre 2020, Coviprev
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Prévalences de l’anxiété et de la dépression par période

Anxiété

Les analyses par période montrent une baisse significative (p<0,01) de la prévalence de l’anxiété entre la période 1 durant le premier confinement (21,3%) et la période 2 durant le déconfinement (18,8%), puis une augmentation significative (p<0,01) de cette prévalence entre la période 2 et la période 3 (22,0%, deuxième confinement) (tableau 1).

Tableau 1 : Prévalence de l’anxiété et facteurs associés chez les actifs occupés en France métropolitaine selon les périodes de confinement, Coviprev 2020
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Quelle que soit la période, la prévalence des états anxieux était plus importante parmi les femmes, les personnes âgées de moins de 50 ans, les employés, les personnes les moins diplômées (niveau inférieur au Bac), celles qui vivaient dans un logement exigu, percevant leur situation financière comme étant juste ou difficile, ou ayant déjà eu un suivi pour des problèmes d’ordre psychologique avant mars 2020.

S’agissant des modalités de l’organisation du travail, une prévalence plus élevée d’anxiété a été notée seulement chez les personnes en arrêt de travail lors de la période du premier confinement, tandis qu’aucune différence n’était observée selon l’organisation du travail pour les périodes suivantes. La prévalence des états anxieux différait selon la catégorie socioprofessionnelle au cours des trois périodes (plus élevée parmi les artisans, commerçants et chefs d’entreprises, ainsi que parmi les employés).

La prévalence de l’anxiété par secteur d’activité et par période est décrite dans la figure 2a. Lors du premier confinement (période 1), la prévalence des états anxieux était la plus faible parmi les personnes travaillant dans le secteur de l’industrie, manufacture et fabrication, production d’énergie (13,1%), et des activités spécialisées scientifiques et techniques (13,1%) tandis que les personnes travaillant dans les secteurs de l’immobilier (33,8%) et des finances et assurance (28,3%) présentaient les prévalences les plus élevées. En période 2, cette prévalence était plus faible parmi les travailleurs des secteurs des activités spécialisées scientifiques et techniques (12,5%) et de l’administration publique (14,8%). À l’inverse, elle était plus importante parmi les travailleurs du secteur des arts, spectacles et activités récréatives (33,8%). En période 3, cette prévalence était la plus faible dans le secteur de l’administration publique (16,3%) et la plus élevée dans le secteur du commerce (26,5%).

Figure 2 : Prévalences de l’anxiété et de la dépression par période selon les secteurs d’activité. 2020, Coviprev, France métropolitaine
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Dépression

La prévalence de la dépression a diminué de façon significative entre les périodes 1 et 2 (respectivement 19,1% et 12,7% ; p<0,001), puis a augmenté de façon significative entre les périodes 2 et 3 (22,2% ; p<0,001) pour l’ensemble des actifs occupés (tableau 2). Cette tendance montrant une baisse des prévalences lors de la période du déconfinement suivie d’une hausse lors du reconfinement (courbe en U) a globalement été observée pour l’ensemble des catégories de population.

Tableau 2 : Prévalence de la dépression et facteurs associés chez les actifs occupés en France métropolitaine selon les périodes de confinement, Coviprev 2020
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Sur les 3 périodes, la prévalence des états dépressifs était significativement plus importante parmi les personnes qui considéraient leur situation financière comme étant juste ou difficile et parmi celles qui avaient déjà été suivies pour des problèmes d’ordre psychologique avant mars 2020.

Selon les modalités d’organisation du travail, lors du premier confinement, la prévalence des états dépressifs était plus faible parmi les personnes qui ont continué leur activité sur site (16,9%) ou en télétravail (18,0%) que parmi les personnes au chômage partiel (21,7%) ou en arrêt de travail (24,3%). Lors du déconfinement, une prévalence plus faible était observée parmi les personnes qui travaillaient à l’extérieur de leur domicile (11,2%), suivie des personnes en télétravail (15,2%), par rapport à celles au chômage partiel ou en arrêt de travail (respectivement 20,6% et 18,3%). À l’inverse, aucune différence significative selon l’organisation du travail n’était observée en période 3.

Les analyses par catégorie socioprofessionnelle ne montrent pas de différence significative en matière de dépression lors du premier confinement. Lors du déconfinement, des différences sont observées selon la catégorie socioprofessionnelle avec des prévalences plus importantes parmi les artisans, commerçants et chefs d’entreprise, ainsi que parmi les employés. Lors du deuxième confinement, les prévalences étaient les plus importantes dans ces mêmes catégories socioprofessionnelles, ainsi que chez les ouvriers.

La figure 2b présente les prévalences de la dépression selon les secteurs par période. Les secteurs de l’agriculture, sylviculture et pêche (8,5%), de la santé humaine et de l’action sociale (15,0%) et de la construction, BTP (15,2%) étaient ceux pour lesquels les prévalences de dépression étaient les plus faibles en période 1, tandis que les secteurs des activités de services (24,6%), de l’hébergement et restauration (22,9%) et de l’enseignement (22,6%) présentaient les prévalences les plus élevées. En période 2, les prévalences étaient les plus faibles dans les secteurs des activités immobilières (5,4%) et de l’agriculture, la sylviculture et la pêche (8,8%), alors que le secteur des arts, spectacles et activités récréatives présentait la prévalence la plus élevée à 18,6%. En période 3, ces prévalences étaient les plus faibles dans le secteur de l’information et de la communication (10,8%) et la plus importante dans le secteur de l’hébergement et restauration (30,8% ; p=0,06).

Facteurs associés à l’anxiété et à la dépression

Facteurs associés à l’anxiété

Les deux dernières colonnes du tableau 1 présentent les modèles de régressions logistiques (RL) ajustés sur les facteurs associés à la présence d’une symptomatologie anxieuse prenant en compte les trois périodes. Après ajustement, le fait d’appartenir aux professions intermédiaires plutôt qu’être cadre (ORa=0,8 ; p<0,001) était associé à un risque plus faible de présenter un état anxieux. À l’inverse, l’organisation du travail ne semblait pas associée au risque de présenter des symptômes d’anxiété pour l’ensemble des trois périodes considérées. De même, des RL réalisées séparément pour chaque période (non présentées dans le tableau) ont confirmé l’absence d’association avec l’organisation du travail, quelle que soit la période considérée. En revanche, des RL menées séparément selon le sexe ont montré que le fait d’être en arrêt de travail augmentait le risque d’anxiété (ORa=1,5 ; p<0,05) chez les hommes, mais pas chez les femmes.

Parmi les caractéristiques sociodémographiques et les conditions de vie, être une femme (ORa=1,3 ; p<0,001), considérer sa situation financière comme étant juste ou difficile (ORa=1,9 ; p<0,001), vivre avec un enfant de 16 ans ou moins (ORa=1,2 ; p<0,01) ou dans un logement exigu (ORa=1,4 ; p<0,001), ainsi qu’avoir déjà eu un suivi pour des problèmes d’ordre psychologique avant mars 2020 (ORa=2,9 ; p<0,001) augmentaient indépendamment des autres variables le risque d’anxiété. Les analyses réalisées séparément pour chaque période et par sexe montrent que la présence d’enfants de 16 ans ou moins au sein du foyer était associé à un risque accru de présenter une symptomatologie anxieuse, uniquement chez les femmes et seulement pendant le premier confinement (ORa=1,2 ; p<0,01).

Enfin, les analyses par secteur (tableau 3) montrent que travailler dans le secteur des activités financières (ORa=1,3 ; p<0,05) ou des arts, spectacles et activités récréatives (ORa=1,7 ; p<0,01) était associé à un risque accru de présenter une symptomatologie anxieuse. À l’inverse, travailler dans le secteur de la santé humaine et de l’action sociale (ORa=0,8 ; p<0,05), de l’administration publique (ORa=0,8 ; p<0,05) ou des activités spécialisées scientifiques et techniques (ORa=0,7 ; p<0,05) était associé à un plus faible risque de présenter une symptomatologie anxieuse, toutes périodes confondues.

Tableau 3 : Facteurs associés à la dépression et à l’anxiété selon le secteur d’activité, toutes périodes confondues, France métropolitaine, Coviprev 2020
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Facteurs associés à la dépression

Après ajustement, le risque de présenter une symptomatologie dépressive était plus important chez les employés (ORa=1,2 ; p<0,05) par rapport aux cadres, ainsi que chez les personnes en télétravail (ORa=1,3 ; p<0,001), au chômage partiel (ORa=1,4 ; p<0,001), ou en arrêt de travail (ORa=1,5 ; p<0,001), par rapport à celles ayant travaillé in situ (tableau 2). Les RL menées séparément sur chaque période retrouvent ces associations entre dépression et organisation du travail pour les périodes 1 et 2 mais non pour la période 3.

Le risque de présenter un état dépressif était également plus important parmi les personnes qui considéraient leur situation financière comme étant juste ou difficile (ORa=2,0 ; p<0,001), parmi les personnes qui vivaient dans un logement exigu (ORa=1,4 ; p<0,001), ainsi que parmi les personnes ayant déjà eu un suivi pour des problèmes d’ordre psychologique avant mars 2020 (ORa=1,4 ; p<0,05). À l’inverse, ce risque était plus faible parmi les plus diplômés (niveau supérieur ou égal au Bac ; ORa=0,9 ; p<0,05). Les analyses par période montrent que le fait de vivre seul était associé à un risque accru de présenter une symptomatologie dépressive, uniquement pendant le premier confinement (ORa=1,2 ; p<0,05).

Indépendamment des caractéristiques prises en compte dans le modèle de régression logistique, les actifs occupés avaient un plus faible risque de présenter une symptomatologie dépressive en période 2 par rapport à la période 1 (ORa=0,7 ; p<0,001) et un risque accru en période 3 par rapport à la période 1 (ORa=1,3 ; p<0,001).

Dans le tableau 3, les analyses par secteur montrent que, toutes périodes confondues, les personnes qui travaillaient dans l’enseignement avaient un risque accru de présenter une symptomatologie dépressive (ORa=1,2 ; p<0,05) tandis que ce risque était plus faible parmi les personnes qui travaillaient dans le secteur de la santé humaine et de l’action sociale (ORa=0,8 ; p<0,01).

Discussion

À notre connaissance, cette étude est la seule menée en France ayant permis un suivi régulier de la santé mentale des personnes en activité professionnelle pendant l’année 2020 marquée par la crise sanitaire et les modifications importantes de l’organisation du travail. Les résultats de cette étude attestent, comme cela a été observé en population générale 11,17, d’une prévalence importante des symptomatologies anxieuses et dépressives parmi les actifs occupés. Au début du premier confinement, un peu moins d’un tiers des travailleurs (30,5%) présentaient une symptomatologie anxieuse. Cette proportion a ensuite décru fortement entre les mois de mars et avril, tout en restant à des niveaux stables, mais élevés (aux alentours des 20%), jusqu’à la fin de l’année. Face à la crise sanitaire, l’anxiété apparaît comme une réaction adaptative normale à cette situation exceptionnelle. Toutefois, avec la poursuite de la pandémie pendant de longs mois, le maintien dans le temps d’un niveau d’anxiété élevé touchant une partie non négligeable de la population peut devenir un problème de santé publique 18. En ce qui concerne la symptomatologie dépressive, sa prévalence se situait aux alentours de 20% lors du premier confinement, puis a diminué avec le déconfinement (à environ 13%) avant de ré-augmenter lors du second confinement à des niveaux comparables à ceux observés en première période. D’une part, la période estivale coïncidant avec la période de déconfinement, et d’autre part, les pertes de revenus et les tensions financières pendant les deux périodes de confinement pourraient en partie expliquer cette évolution en U de la dépression observée dans notre population de travailleurs 19.

De nombreuses études ont été menées sur la santé mentale des soignants 20, mais rares sont celles s’étant intéressées à l’ensemble de la population active. En Angleterre, la prévalence de la détresse psychologique a été estimée à 31,8% en avril 2020 dans la population active occupée 21 et à des niveaux plus élevés en Espagne : 65,1% parmi des actifs occupés hors soignants entre mars et avril 2020 22, et 55,1% dans la population active occupée en mai 2020 9. Une détresse psychologique est fortement associée à un état anxieux lié au Covid chez les travailleurs 17. Une étude menée conjointement en Espagne et au Brésil en avril-mai 2020 rapporte une prévalence de 27,4% de symptômes anxiodépressifs chez les travailleurs des secteurs essentiels 23. Lors du premier confinement, nos données font état d’une prévalence de symptômes anxiodépressifs de 30%. Bien que les indicateurs et les méthodologies mis en œuvre ne soient pas les mêmes, ces quelques études montrent que pour au moins un travailleur sur trois, la santé mentale était dégradée lors des premiers mois de la pandémie.

Des études menées en population générale ont mis en avant une probable hausse des troubles de santé mentale depuis le début du confinement par rapport aux périodes précédentes 24,25. Un constat similaire peut être fait parmi les travailleurs. Dans le Baromètre de Santé publique France 2017, la prévalence de l’anxiété mesurée à partir de la même échelle HAD était de 11,7% parmi les actifs occupés (résultat non publié) tandis que la prévalence de l’épisode dépressif caractérisé mesurée par le Composite International Diagnosis Interview-Short Form était de 8,2% 26. Dans notre étude, ces prévalences allaient de 15,9% à 30,5% pour l’anxiété et de 11,5% à 23,1% pour la dépression. La comparaison des résultats entre ces deux enquêtes doit cependant être réalisée avec précaution du fait des méthodologies différentes. D’une part, le fait que l’indicateur de dépression diffère entre ces deux enquêtes peut mener à des disparités importantes en matière de prévalence. D’autre part, les Baromètres de Santé publique France se basent sur un échantillonnage avec tirage probabiliste (aléatoire), alors que l’échantillonnage de l’enquête Coviprev repose sur une méthode non probabiliste, celle des quotas.

Les analyses par sexe montrent que les femmes avaient une prévalence plus importante d’état anxieux que les hommes. Bien que notre étude ne permette pas de savoir si une part de cette différence peut être attribuable au contexte induit par la pandémie, certains chercheurs ont mis en avant le fait que l’impact social de la pandémie semblait davantage se concentrer sur les femmes, ces dernières occupant plus souvent des emplois dans l’accompagnement des vies quotidiennes (soignantes, enseignantes, caissières et vendeuses…) 27. En revanche, aucune différence selon le genre n’était constatée en matière de dépression, là où les études trouvent généralement des prévalences plus importantes chez les femmes 16,28. Une des hypothèses que nous pouvons émettre serait que le contexte social, familial et professionnel induit par la pandémie a pu réduire ces écarts.

Dans le cadre de cette étude, le choix a été fait de s’intéresser aux variables liées au travail, mais également à celles en lien avec les conditions de vie. Ces dernières sont étroitement liées, les circonstances de la vie personnelle pouvant impacter la vie professionnelle et inversement. Les réorganisations liées au contexte sanitaire et les nouveaux modes d’organisation du travail ont en effet rendu la frontière entre vie personnelle et professionnelle particulièrement poreuse, en particulier pour les personnes qui travaillaient à domicile. De plus, les troubles de santé mentale peuvent être le résultat d’un cumul des conditions de vie et de travail défavorables. Nos analyses multivariées ont ainsi montré que les personnes vivant seules, dans un logement exigu, ou ayant un enfant de 16 ans ou moins au sein de leur logement avaient un risque accru de présenter une symptomatologie anxieuse et/ou dépressive.

Les résultats de l’enquête Coviprev permettent également de vérifier un certain nombre d’hypothèses sur les conditions de travail. Tout d’abord, il était plausible que le niveau d’anxiété soit accru chez les travailleurs sur site dans la mesure où le risque de contracter le Covid-19 était plus important. Or, notre étude ne trouve pas de différence significative en termes d’anxiété entre les personnes ayant travaillé à l’extérieur de leur domicile et celles qui étaient en télétravail ou au chômage partiel. Cela ne revient pas à minimiser le rôle qu’a pu jouer la crainte d’être infecté sur les troubles de santé mentale, risque mis en avant dans la littérature 9. En revanche, ces résultats semblent montrer que si les conditions de travail ont pu impacter la santé mentale des travailleurs, chaque modalité de travail a pu être associée à différentes sources de risques. Les personnes en arrêt de travail étaient celles qui présentaient les prévalences les plus importantes d’état anxieux lors du confinement. Cette association n’était toutefois plus significative dans nos analyses après la prise en compte d’un antécédent de suivi pour des problèmes d’ordre psychologique avant mars 2020. Pour les personnes en télétravail, la principale difficulté identifiée résidait dans le fait de pouvoir concilier vie professionnelle et personnelle. L’analyse des conditions de vie montrent que les actifs occupés qui vivaient avec un enfant âgé de 16 ans ou moins au sein de leur foyer durant le premier confinement présentaient une prévalence plus importante de symptomatologies anxieuses, et que ce risque n’était augmenté que chez les femmes. Cela pourrait s’expliquer par les inégalités homme/femme en matière de répartition du travail domestique et de soins, sans doute davantage exacerbées en situation de confinement. Cette interprétation est soutenue par les résultats de la première vague de l’enquête « Coco » montrant que les femmes déclaraient plus fréquemment s’occuper quotidiennement du travail scolaire de leur enfant (70% des femmes contre 32% des hommes) 6. De façon assez similaire, l’enquête « Living, working and COVID-19 » de juillet 2020 montrait que les femmes avec des enfants âgés de moins de 12 ans déclaraient davantage de conflits entre la vie professionnelle et personnelle 29. Enfin, nous avons retrouvé un risque plus faible d’état dépressif chez les personnes ayant travaillé à l’extérieur de leur domicile par rapport aux autres actifs occupés, toutes périodes confondues. Ces résultats ont aussi été rapportés dans d’autres études menées pendant le confinement 30. Cela pourrait s’expliquer en partie par le fait que travailler en dehors de son domicile, malgré les craintes de contracter le SARS-CoV-2, permettait de rompre un certain isolement et d’avoir davantage d’échanges avec autrui.

Les analyses par secteur d’activité montrent que le risque de présenter une symptomatologie anxieuse était plus important pour le secteur des arts, spectacles et activités récréatives et le secteur des activités financières. Cela pourrait s’expliquer par l’impossibilité pour la majorité des travailleurs de certains de ces secteurs de continuer leur activité du fait des mesures de contrôle sanitaire et par la présence d’une vulnérabilité financière, à laquelle a pu s’ajouter une incertitude sur l’avenir. À l’inverse, ce risque était plus faible dans les secteurs des activités spécialisées scientifiques et techniques, de la santé humaine et de l’action sociale et de l’administration publique. La stabilité de l’emploi dont bénéficient les travailleurs du secteur public ainsi que le maintien de leur salaire dans une période où le chômage partiel induisait une baisse de ce dernier pour de nombreux salariés du secteur privé, pourraient en partie expliquer ces résultats. En ce qui concerne plus particulièrement le secteur de la santé humaine et de l’action sociale, leur plus faible risque de présenter une symptomatologie anxieuse fait écho dans une certaine mesure aux résultats d’une autre étude qui montrait que les professionnels de santé avaient un score de bien-être plus important que le reste de la population. Pour expliquer cela, les auteurs de cette étude mettent en avant la reconnaissance exprimée par l’ensemble de la population envers les soignants (dans les médias, par les applaudissements aux fenêtres le soir…), ayant pu favoriser un sentiment d’utilité personnelle, à même de contribuer au maintien d’un certain niveau de bien-être 31,32. De plus, devant souvent faire face à des situations de travail stressantes et sous tension, il est possible que les soignants disposent davantage de ressources pour s’adapter à l’apparition de situations plus ou moins anxiogènes 33. Ces résultats ne minimisent pas les difficultés qu’ont pu rencontrer les soignants. Le secteur de la santé a été sujet à une tension forte durant la pandémie, à laquelle se sont ajoutées les craintes liées au risque d’infection 34. Ce dernier constat constitue d’autant plus un point de vigilance que des recherches ont montré que des précédentes épidémies comme le SARS avaient eu un impact psychologique sur les soignants durant plusieurs années 33,35. Les analyses portant sur le secteur de l’agriculture n’ont quant à elles pas pu donner lieu à interprétation en raison de faibles effectifs. Les données de l’enquête Coset-covid visant à évaluer l’impact de l’épidémie de Covid-19 auprès des travailleurs indépendants et agricoles permettront d’obtenir des résultats plus complets à cet égard (rapport à paraître).

En ce qui concerne le risque de présenter une symptomatologie dépressive, ce dernier était de nouveau plus faible parmi les travailleurs du secteur de la santé humaine et de l’action sociale et plus important parmi les travailleurs de l’enseignement. Rappelons toutefois que nos données ne permettaient pas de réaliser des analyses par profession (impossibilité de différencier les soignants des autres personnels de ce secteur). Par conséquent, les prévalences moins élevées que celles attendues pourraient en partie être expliquées par le fait que les répondants à notre étude n’étaient pas que des soignants stricto sensu 36. Le risque plus important dans le secteur de l’enseignement pourrait quant à lui résulter des interrogations auxquelles ont dû faire face les enseignants vis-à-vis de leur capacité à mettre en place un protocole sanitaire adéquat. De plus, ces travailleurs font partie de ceux ayant dû faire face à une intensification de leurs conditions de travail durant cette crise 34.

Cette étude comporte certaines limites qu’il est important de souligner. La première tient au fait que l’échantillon ait été recruté via un panel avec un échantillonnage par quota. Cette méthode n’assure pas le même niveau de représentativité que l’échantillonnage probabiliste. Par ailleurs, le recrutement s’est fait par Internet. Or, toutes les populations n’y ont pas accès et participer à une enquête en ligne requiert de disposer d’une certaine maitrise dans l’usage des outils numériques. La généralisation des prévalences à l’ensemble de la population française doit donc se faire avec précaution. Les répondants étaient amenés à spécifier eux-mêmes le secteur d’activité auquel ils appartenaient parmi la liste des 15 secteurs vus précédemment, ce qui a pu entrainer des erreurs de classification. Enfin, le regroupement des vagues en périodes comprend certaines limites, dans la mesure où les prévalences observées varient de façon plus ou moins importante d’une vague à l’autre au sein d’une même période.

Conclusion

Cette première étude sur le suivi de l’anxiété et de la dépression dans l’ensemble de la population des travailleurs a permis de montrer que ces indicateurs sont restés à des niveaux élevés pendant toute l’année 2020. Dans la mesure où cette population a vécu des situations très différentes selon les ressources personnelles et sociales à sa disposition, identifier les sous-groupes les plus touchés par ces troubles de santé mentale constitue une première étape dans l’élaboration d’interventions ciblées. À cet égard, le fait d’avoir été en arrêt de travail pour les hommes augmentait le risque de présenter une symptomatologie anxieuse par rapport aux personnes ayant travaillé sur site. Pour les deux sexes, travailler in situ était associé à un plus faible risque de présenter un état dépressif que d’avoir travaillé à domicile, d’avoir été au chômage partiel ou en arrêt de travail. Au niveau des secteurs d’activité, il semble qu’une vigilance particulière doit être apportée aux travailleurs des arts, spectacles et autres activités récréatives, et de l’enseignement.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.

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Citer cet article

Lesage A, Chan Chee C, Léon C, du Roscoät E. Évolution des symptomatologies anxieuses et dépressives et leurs facteurs associés chez les actifs occupés en France métropolitaine en 2020. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(Cov_13):2-15. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/Cov_13/2021_Cov_13_1.html