Travailleurs salariés et non salariés en France entre 2007 et 2015 : description des populations et identification de différences d’exposition professionnelle

// Salaried and self-employed workers in France between 2007 and 2015: Population description and differences in occupational exposure

Audrey Fels, Marie Houot, Loïc Garras, Laurène Delabre, Corinne Pilorget (corinne.pilorget@santepubliquefrance.fr)
Santé publique France, Saint-Maurice
Soumis le 08.06.2020 // Date of submission: 06.08.2020
Mots-clés : Population salariée | Population non salariée | Matrice emplois-expositions (MEE) | Exposition professionnelle
Keywords: Salaried workers population | Self-employed workers population | Job-exposure matrix (JEM) | Occupational exposure

Résumé

Objectif –

Cette étude décrit l’évolution entre 2007 et 2015 des populations de salariés et non-salariés en France et leurs différences d’exposition aux poussières de farine, de céréales et au formaldéhyde.

Méthodes –

Les données des recensements de la population de 2007, 2011 et 2015 ont été croisées avec trois matrices emplois-expositions du programme Matgéné qui concernent les poussières de farine, de céréales et le formaldéhyde. L’évolution de la répartition des travailleurs ainsi que les proportions d’exposés aux trois nuisances ont été étudiées selon leur statut (salarié vs non-salarié), le sexe et le secteur d’activité.

Résultats –

Entre 2007 et 2015, la population des salariés est restée stable alors que celle des non-salariés a augmenté de 10,7%. Les secteurs d’activité avec la plus forte augmentation étaient le secteur de l’action sociale chez les salariés et le secteur des activités pour la santé humaine chez les non-salariés. En 2015, la proportion d’exposés était plus élevée chez les non-salariés que chez les salariés pour les trois nuisances étudiées (farine : 1,5% vs 1,0% ; céréales : 3,0% vs 0,1% ; formaldéhyde : 1,3% vs 0,2%).

Conclusion –

Cette étude met en évidence des différences d’exposition selon le statut du travailleur et montre que la population non salariée, qui est en progression en France sur la dernière décennie, est proportionnellement plus exposée que la population salariée. Ces résultats peuvent aider à orienter la prévention en ciblant les secteurs et les expositions professionnelles encore préoccupants, notamment pour la population non salariée non suivie par la médecine du travail.

Abstract

Objective –

This study presents the trend of salaried and self-employed workers in France and their differences in exposure for flour dust, cereal dust and formaldehyde between 2007 and 2015.

Methods –

French Census data from 2007, 2011 and 2015 were merged with three job-exposure matrices from the Matgéné program assessing flour dust, cereal dust and formaldehyde. The evolution of the workers’ distribution and the proportion of exposed workers to the three agents were studied according to their employment status (salaried vs self-employed), gender and activity sector.

Results –

Between 2007 and 2015, the salaried workers population remained stable while the self-employed workers population increased by 10.7%. The activity sectors with the highest increase were the social work activities in the salaried workers population and human health activities in the self-employed workers population. In 2015, the proportion of exposed workers was higher in self-employed workers than in salaried workers for the three agents studied (flour: 1.5% vs 1.0%; cereal: 3.0% vs 0.1%; formaldehyde: 1.3% vs 0.2%).

Conclusion –

This study highlights differences in exposure according to the employment status and shows that the self-employed workers population, which has been increasing in France over the last decade, is proportionally more exposed than the salaried workers population. These results can help guide prevention by targeting activity sectors and occupational exposures of particular concern, especially for the self-employed workers population that does not benefit from an institutionalized follow-up by occupational medicine.

Introduction

En France, le statut d’emploi, selon que l’on est travailleur salarié ou non salarié, implique des réglementations au travail différentes. Les travailleurs salariés sont employés par une entreprise pour laquelle ils réalisent leur activité, alors que les travailleurs non salariés (agriculteurs exploitants, artisans, commerçants, professions libérales) réalisent leur activité professionnelle pour leur propre compte. Ces derniers sont classés en trois catégories que sont : 1) les travailleurs indépendants qui n’ont pas de salariés dans leur entreprise ; 2) les employeurs, définis par les chefs d’entreprise, les présidents directeurs généraux (PDG), les gérants minoritaires de SARL (1) ou les indépendants avec au moins un salarié dans leur entreprise ; et 3) les aides familiaux définis comme les personnes aidant une personne de leur famille dans son travail, c’est-à-dire contribuant directement à l’activité productive ou effectuant des tâches administratives ou commerciales liées à celle-ci.

La population salariée est très largement la plus importante et représentait, en 2016, 87,4% des actifs occupés (notés travailleurs dans la suite du document) 1. Cependant, la part de la population non salariée augmente en France depuis 2009, suite notamment à la mise en place du statut d’auto-entrepreneur remplacé en décembre 2014 par le micro-entrepreneuriat 2. Ces sous-populations n’appartiennent pas au même régime de sécurité sociale (les salariés sont rattachés au régime général ou au régime de la mutualité sociale agricole (MSA) et les non-salariés à la sécurité sociale des indépendants (2) ou à la MSA) et ne bénéficient pas du même suivi médical au travail. En effet, les travailleurs salariés bénéficient d’un suivi individualisé de leur état de santé et de leurs expositions professionnelles dans le cadre de la médecine du travail 3 ; ils font également l’objet d’études sur leurs conditions de travail permettant de documenter leurs expositions et les effets sanitaires au niveau populationnel 4,5,6. À l’inverse, les travailleurs non salariés n’entrent pas dans le cadre du suivi médical obligatoire de la médecine du travail et ne disposent donc pas d’un suivi de leurs expositions et de leur état de santé ; peu d’études leur sont par ailleurs dédiées 7,8,9 et peu de données au niveau populationnel sont disponibles. D’autre part, le statut d’indépendant implique une activité professionnelle certainement différente de celle de la population salariée même quand celle-ci relève du même domaine, compte tenu de l’organisation de travail et des tâches différentes entre les deux statuts. Peu de données existent pour documenter les différences d’exposition professionnelle associées à chacun de ces statuts 10,11,12.

Les outils d’évaluation des expositions professionnelles au niveau populationnel mis en place à Santé publique France permettent de documenter les expositions pour l’ensemble des travailleurs quel que soit leur statut. Compte tenu de la progression récente de la population non-salariée depuis les 10 dernières années et des différences précédemment publiées sur les conditions de travail entre les populations de salariés et non-salariés, cet article vise deux objectifs. Le premier objectif est de décrire l’évolution entre 2007 et 2015 des populations de salariés et non-salariés en France et de leurs secteurs d’activité. Le second objectif est de décrire les différences observées entre ces deux sous-populations pour trois expositions professionnelles responsables de pathologies en lien avec le travail : les poussières de farine et les poussières de céréales à l’origine de rhinite, asthme et pneumopathie, et le formaldéhyde à l’origine d’asthme et de pathologies cancéreuses. Ce deuxième objectif constitue une première approche pour décrire l’exposition des travailleurs selon leur statut salarié ou non salarié.

Matériels et méthodes

La population d’étude est issue du recensement national en continu réalisé par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et porte sur les actifs ayant un emploi, âgés de 15 ans ou plus 13. Chacun des emplois déclarés par les travailleurs est défini par une profession (codée selon la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles 2003 – PCS 2003) 14 et par un secteur d’activité (codé selon la nomenclature d’activités française 2008 – NAF 2008) 15. Afin de déterminer la répartition des travailleurs selon leur statut d’emploi (salariés ou non-salariés) et son évolution sur les 10 dernières années, les effectifs ont été calculés selon le sexe puis selon les secteurs d’activité à partir des recensements millésimés de 2007 et de 2015. Ces derniers regroupent cinq années consécutives d’enquêtes et sont datés par la date du milieu de période (recensements annuels de 2005 à 2009 pour le recensement millésimé de 2007 et de 2013 à 2017 pour celui de 2015). Pour le recensement de 2015, une information supplémentaire concernant la catégorie des travailleurs non salariés (à savoir : indépendants, employeurs ou aides familiaux), obtenue à la suite d’une demande d’extraction plus détaillée, a été exploitée et la répartition des travailleurs non salariés selon leur catégorie au sein de chaque secteur d’activité a été analysée. Les 88 secteurs d’activité (NAF 2008 agrégée à deux positions) ont été classés par ordre décroissant selon leurs effectifs chez les salariés et les non-salariés, de manière à définir leur rang de fréquence en 2015.

Les données de ces recensements ont été croisées avec plusieurs matrices emplois-expositions (MEE) du programme Matgéné, qui évaluent les expositions professionnelles à plusieurs nuisances pour l’ensemble des emplois depuis les années 1950 jusqu’à nos jours 16. Une MEE fournit pour un emploi – défini par une profession exercée dans un secteur d’activité – une probabilité et un niveau d’exposition à une période donnée. La probabilité d’exposition, seul indice utilisé dans cette étude, est définie comme la proportion de travailleurs de l’emploi qui sont exposés à la nuisance considérée et elle est présentée sous forme de classe d’exposition spécifique de la nuisance ; la probabilité attribuée à l’emploi correspond au centre de la classe de probabilité retenue.

Les MEE utilisées ici évaluent les expositions aux poussières de farine, aux poussières de céréales et au formaldéhyde 17. Le choix des nuisances dans le cadre de cette étude a été conditionné par : 1) leur toxicité et les effets sanitaires possibles en milieu professionnel, chacune des nuisances faisant l’objet d’un tableau de maladie professionnelle (rhinite, asthme et pneumopathie pour les poussières de céréales et de farine dans les tableaux 66 et 66bis du régime général et le tableau 45 du régime agricole ; et rhinite, asthme et cancer du nasopharynx pour le formaldéhyde dans les tableaux 43 et 43bis du régime général et les tableaux 28 et 28bis du régime agricole) ; 2) leur pertinence de les retrouver dans les environnements professionnels de chacune des sous-populations ; ainsi par exemple, l’exposition aux poussières de farine concerne les artisans boulangers, mais également les boulangers salariés employés d’un artisan ou d’une boulangerie industrielle, l’exposition aux poussières de céréales concerne les exploitants agricoles mais également les ouvriers agricoles salariés des exploitations et l’exposition au formaldéhyde concerne également les deux sous-populations pour les secteurs où il est utilisé comme biocide ou composant des résines formophénoliques ; et 3) l’existence de MEE développées selon les nomenclatures PCS 2003 et NAF 2008 pour permettre de les croiser avec les données du recensement.

Les croisements entre les recensements et les MEE ont été effectués à partir des codes PCS, des codes NAF et de la période d’exposition, pour attribuer les probabilités d’exposition associées à chacun des emplois. Les données du recensement intègrent un seul emploi (emploi principal) par actif occupé, codé au plus fin des nomenclatures 18 ; ainsi une personne ayant plusieurs emplois (polyactif) doit choisir quel est son emploi principal.

Les parts de travailleurs exposés (proportions d’exposés) ont ensuite été estimées en faisant la moyenne des probabilités d’exposition attribuées à l’ensemble des emplois du recensement. Des intervalles de sensibilité ont ensuite été calculés en prenant la borne basse et la borne haute de chaque classe de probabilité. Ces indicateurs d’exposition ont été calculés pour l’ensemble des travailleurs pour les années 2007 et 2015, ainsi que pour le recensement de 2011, pour chaque nuisance et selon le statut des travailleurs, afin de connaître leur évolution sur les 10 dernières années. Pour l’année 2015, les parts de travailleurs exposés ont ensuite été calculées pour chaque secteur d’activité sur un niveau agrégé à deux positions, selon le statut des travailleurs et selon la catégorie pour les travailleurs non salariés. Lorsque le nombre d’exposés par statut du travailleur était suffisamment grand (nombre d’exposés ≥30), les statut-ratios (SR) – rapport de la proportion d’exposés chez les salariés sur la proportion d’exposés chez les non-salariés – ont également été calculés afin de permettre une comparaison entre ces deux statuts en s’affranchissant des différences d’effectifs.

Résultats

La population des actifs ayant un emploi en France connaît entre 2007 et 2015 une très faible augmentation, passant de 26,3 millions à 26,7 millions (+1,4%). Cependant, l’évolution est hétérogène selon le sexe, avec une progression de l’emploi féminin (+4,4%) et une baisse de l’emploi masculin (-1,2%). Concernant le statut des travailleurs, alors que la population des salariés reste sensiblement la même (+0,3%), celle des non-salariés augmente de 10,7%, et notamment chez les femmes où elle augmente de 18,5% (+7,2% chez les hommes) (tableau 1).

Tableau 1 : Répartition et évolution de la population des actifs occupés selon le sexe et le statut
(salariés, non-salariés), en France, entre 2007 et 2015
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En 2015, par ordre décroissant de fréquence, les secteurs qui emploient le plus fréquemment les salariés sont : l’administration publique, défense et sécurité sociale obligatoire (11,0% des salariés), puis les secteurs de l’enseignement (8,3%) et du commerce de détail, à l’exception des automobiles et des motocycles (7,0%) (figure 1). La répartition de ces secteurs a par ailleurs peu changé entre 2007 et 2015, avec des évolutions respectives de -0,1%, +0,9% et +1,2% (résultats non montrés). Entre 2007 et 2015, la population salariée augmente plus fortement dans le secteur de l’action sociale sans hébergement (+245 000 travailleurs, +22,8%), principalement dans les métiers des aides à domicile, aides ménagères et assistantes maternelles, et dans le secteur de l’hébergement médico-social et social (+120 000, +21,6%). La plus forte évolution est observée pour les métiers d’aides-soignants, infirmiers ou agents de services hospitaliers, et dans le service de la restauration (+96 000, +16,7%) où les métiers de serveurs et d’aides de cuisine ont progressé.

Figure 1 : Répartition des secteurs d’activité selon le statut d’emploi du travailleur et selon la catégorie des travailleurs non salariés, en France, en 2015
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Du côté des non-salariés, les secteurs les plus fréquemment représentés en 2015 sont ceux de la culture et production animale, chasse et services annexes (12,9% des non-salariés, dont plus de 95% sont des exploitants agricoles), puis des travaux de construction spécialisés (12,1%) et des activités pour la santé humaine (11,4%). On note une évolution importante des effectifs de non-salariés entre 2007 et 2015 pour ces secteurs, avec respectivement -18,5%, +17,7% et +21,3% (tableau 2). Les augmentations les plus fortes, en termes d’effectifs, sont observées : 1) dans le secteur des activités pour la santé humaine (+63 000 travailleurs, +21,3%) notamment chez les infirmiers et les autres spécialistes libéraux de la rééducation ; 2) dans le secteur des travaux de construction spécialisés (+57 000, +17,7%) avec une forte progression de métiers exercés par des artisans dans le domaine de l’électricité, des travaux de peinture et de maçonnerie ; et 3) dans le secteur des autres services personnels (+34 000, +33,0%), avec la plus forte progression chez les artisans coiffeurs, manucures et esthéticiens (tableau 3). Les secteurs de la santé humaine et des activités juridiques et comptables, déjà présents en 2007 dans les dix secteurs les plus fréquents pour la population de non-salariés, ont progressé en 2015 passant respectivement de la 4e à la 3e place et de la 8e à la 7e place. En revanche, les activités des sièges sociaux, conseils de gestion ainsi que l’enseignement ont fait leur apparition dans le top 10 de 2015 (respectivement rang 15 et 13 en 2007, +70,7% et +51,0%). À l’exception du secteur des travaux de construction spécialisés, l’ensemble des secteurs précédemment cités ont vu une augmentation plus importante chez les femmes que chez les hommes avec des taux de croissance au minimum deux fois supérieurs et jusqu’à 20 fois supérieurs (activités pour la santé humaine).

Tableau 2 : Les 10 secteurs d’activité les plus fréquents des travailleurs non salariés en 2015 et leur évolution depuis 2007 pour l’ensemble de la population non salariée et selon le sexe
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Tableau 3 : Les 10 secteurs d’activité avec les plus fortes augmentations d’effectifs chez les non-salariés en France entre 2007 et 2015
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La population non salariée est constituée en 2015 de : 59,1% d’indépendants, 39,7% d’employeurs et 1,2% d’aides familiaux. Alors que les hommes sont plus nombreux parmi les indépendants et les employeurs (respectivement 62,0% et 74,4%), les femmes sont quant à elles plus nombreuses parmi les aides familiaux (71,9%). Les secteurs les plus représentés varient selon ces trois catégories (figure 1). Les indépendants se répartissent majoritairement : 1) dans le secteur de la culture et production animale, chasse et services annexes (14,5%) ; 2) dans les activités pour la santé humaine (13,9%) ; puis 3) dans les travaux de construction spécialisés (11,3%). Les employeurs occupent principalement : 1) les secteurs des travaux de construction spécialisés (13,4%) ; 2) le commerce de détail, à l’exception des automobiles et des motocycles (11,5%) ; et 3) la culture et production animale (10,2%). Quasiment la moitié des aides familiaux occupe trois secteurs principalement, la culture et production animale (23,9%), les travaux de construction spécialisés (10,4%) et le commerce de détail à l’exception des automobiles et des motocycles (10,3%).

Concernant l’exposition professionnelle de ces travailleurs aux trois nuisances professionnelles retenues, la proportion de travailleurs exposés quel que soit le statut évolue très peu entre 2007 et 2015 pour les poussières de farine et de céréales, mais baisse nettement pour le formaldéhyde (1,2% IS[0,9-1,4] à 0,4% IS[0,3-0,5]) (figure 2). Quelle que soit l’exposition professionnelle, on constate que la proportion d’exposés est, sur l’ensemble de la période, nettement plus élevée dans la population des travailleurs non salariés, même si l’on note une diminution plus marquée de la fréquence d’exposition pour les travailleurs non salariés que pour les travailleurs salariés. En effet, en 2015 et pour les trois nuisances étudiées, en considérant l’ensemble des travailleurs exposés quel que soit le secteur d’activité, les statut-ratios (SR) sont tous inférieurs à 1, ce qui traduit que la proportion de non-salariés exposés est plus élevée que celle des salariés (figure 3) : le SR pour les poussières de farine est de 0,7 (psalariés = 1,0% IS[0,6-1,3] ;
pnon-salariés = 1,5% IS[1,0-1,8]), pour les poussières de céréales de 0,04 (psalariés = 0,1% IS[0,1-0,2] ;
pnon-salariés = 3,0% IS[1,3-4,8]) et pour le formaldéhyde de 0,2 (psalariés = 0,2% IS[0,2-0,3] ;
pnon-salariés = 1,3% IS[0,9-1,7]).

Figure 2 : Évolution des proportions d’exposés (%) aux poussières de farine, aux poussières de céréales et au formaldéhyde, pour les années 2007, 2011 et 2015, pour l’ensemble de la population, les salariés
et les non-salariés
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Figure 3 : Statut-ratios des secteurs d’activité ayant une prévalence d’exposition >5% pour au moins l’un des statuts d’emploi (salariés, non-salariés), en France, en 2015
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Pour les secteurs d’activité avec une proportion de travailleurs exposés supérieure à 5% pour au moins un des deux statuts, on constate que la proportion d’exposés chez les non-salariés est supérieure à celle des salariés dans la plupart des secteurs, avec des SR inférieurs à 1 (figure 3). Seul le secteur de la restauration voit sa proportion d’exposés aux poussières de farine plus élevée chez les salariés. À l’inverse, dans les industries alimentaires, la proportion d’exposés aux poussières de farine chez les salariés est bien plus faible que celle des nonsalariés (SR=0,4), tout comme pour les exposés aux poussières de céréales dans le secteur de la culture et production animale, chasse et services annexes. Pour l’exposition au formaldéhyde, les secteurs sont plus variés et les proportions d’exposés sont plus petites pour les salariés comme pour les nonsalariés, par rapport aux deux précédentes expositions. Toutefois, les non-salariés demeurent plus souvent exposés que les salariés, avec des SR variant entre 0,6 et 0,8. Ces analyses ont été réalisées selon le sexe et des résultats similaires sont observés, à l’exception du secteur de la restauration pour l’exposition aux poussières de farine. Dans ce dernier, on note un SR de 0,9 chez les femmes indiquant une proportion d’exposées plus importante chez les non-salariées que chez les salariées, alors que chez les hommes, la proportion est plus élevée chez les salariés (SR=2,4).

Discussion

Cette étude permet de décrire l’évolution entre 2007 et 2015 de la population des travailleurs en France selon leur statut (salariés ou non-salariés) et de spécifier les différences d’exposition professionnelle à trois nuisances (poussières de farine, poussières de céréales et formaldéhyde) selon le statut du travailleur.

Évolution et exposition

Forte augmentation de la population des travailleurs non salariés

La population globale des salariés évolue peu entre 2007 et 2015 (+0,3%). À l’inverse, la population des non-salariés, sept fois plus petite que celle des salariés, est en augmentation sur les dix dernières années (+10,7%) et notamment dans des secteurs avec une large population de non-salariés (activités pour la santé humaine et travaux de construction spécialisés). Cette augmentation peut être expliquée dans les secteurs principalement hors agriculture, par la mise en place du statut d’autoentrepreneur au 1er janvier 2009 19 qui a permis à des travailleurs de lancer une activité pour leur propre compte, en facilitant les modalités d’accès à l’entrepreneuriat. La répartition selon la catégorie des non-salariés montre une large concentration de non-salariés chez les indépendants et les employeurs (98,8% des non-salariés) qui sont également les catégories les plus masculinisées. À l’inverse, les femmes font plus souvent partie de la catégorie des aides familiaux, dont la part a baissé parmi les non-salariés depuis 2007 (passant de 5,9% en 2007 20 à 1,2% en 2015).

Quelle que soit la population de travailleurs, on note une évolution importante des effectifs dans les domaines de l’aide à la personne (aides à domicile, aides ménagères, assistantes maternelles, aidessoignantes) ou des services (personnels de restauration). À l’inverse, le secteur de l’agriculture est en déclin avec une baisse des effectifs sur la période.

Évolution de la population féminine dans la population des non-salariés

La population féminine est en augmentation dans le monde du travail sur la période d’étude, avec une très nette augmentation dans la population non salariée (+18,7%). Cette évolution de l’emploi indépendant des femmes est également constatée en 2015 où 40% des créations d’entreprises sont réalisées par des femmes, allant même jusqu’à 44% pour les secteurs d’activité hors construction 21. D’autre part, même si les femmes représentent encore aujourd’hui la grande majorité des emplois d’aides familiaux, l’emploi non salarié des femmes est recentré dans la catégories des indépendants (65% des femmes non salariées) et des employeurs (25%), la catégorie des aides familiaux ne représentant plus que 8% de leurs emplois 22.

Choix des nuisances

L’étude s’est intéressée à identifier les différences d’exposition au sein des populations de salariées et de non-salariées. Les MEE du programme Matgéné documentent l’exposition professionnelle à des poussières minérales ou organiques, des fibres minérales, des solvants ou autres produits chimiques, et à des expositions physiques ou des contraintes organisationnelles. Le choix des nuisances dans le cadre de cette étude a été conditionné par leur toxicité, leur pertinence de les retrouver dans les environnements professionnels de chacune des souspopulations et l’existence de MEE développées selon les nomenclatures PCS 2003 et NAF 2008 pour permettre de les croiser avec les données du recensement. Ainsi, chacune des trois nuisances sélectionnées (poussières de farine, de céréales et formaldéhyde) est retrouvée dans des secteurs occupés par des populations de salariés et nonsalariés et constitue un facteur de risque lié à l’activité professionnelle. La sélection des nuisances professionnelles pourrait être adaptée pour l’exploitation de sous-populations spécifiques d’un secteur ou d’un groupe professionnel.

Différences d’exposition entre les travailleurs salariés et les travailleurs non salariés

Concernant les expositions professionnelles, on constate que la proportion d’exposés aux poussières de farine et aux poussières de céréales change très peu dans l’ensemble entre 2007 et 2015, alors qu’elle chute pour le formaldéhyde, du fait en grande partie de l’évolution réglementaire des biocides en 2012, restreignant l’utilisation de cette substance dans de nombreux secteurs 23. Les résultats de notre étude pour les travailleurs salariés sont proches de ceux obtenus dans l’enquête Sumer 2017 pour la farine, avec 1% de salariés exposés aussi bien dans Sumer que dans notre étude en 2015 24. En revanche, pour le formaldéhyde, la baisse de la part de travailleurs salariés exposés identifiée dans notre étude n’est pas retrouvée dans Sumer (0,7% dans Sumer vs 0,2% dans notre étude). La même comparaison réalisée pour l’année 2010 montrait des proportions équivalentes (0,7% vs 0,7%) ; la baisse observée dans nos résultats en 2015 reflète la réglementation européenne biocides de 2012 qui a fortement limité l’utilisation du formaldéhyde en milieu professionnel 23. À notre connaissance, aucune donnée d’exposition professionnelle des travailleurs non salariés à ces nuisances n’est disponible dans la littérature et ne permet donc pas de confronter les résultats de notre étude pour cette population.

L’étude met en évidence une part plus importante de l’exposition dans la population non salariée avec des proportions d’exposés de 1,2 à 2,5 fois plus importante dans de nombreux secteurs pour les trois nuisances retenues. La population non salariée apparaît donc comme une population certes minoritaire, mais qui concentre relativement l’exposition dans certains secteurs. Ces différences d’exposition entre les deux sous-populations n’ont pas ou peu été documentées compte tenu du peu de données disponibles sur les conditions de travail et notamment les expositions chimiques de la population non salariée. Il est cependant établi qu’il s’agit d’une population ayant des plages de travail beaucoup plus étendues, avec un nombre d’heures hebdomadaires en moyenne bien plus élevé et un travail plus fréquent le samedi et le dimanche que dans la population des salariés 9. L’enquête Conditions de travail, complémentaire de l’enquête emplois de 2015, a notamment montré que les travailleurs non salariés déclarent plus souvent être exposés à des risques professionnels que les salariés, notamment pour le risque de blessure ou d’accident (60,4% chez les non-salariés vs 48,2% chez les salariés) et pour le risque d’accident de la circulation (55,7% vs 30,1%) 11. D’autre part, il s’agit d’une population qui n’est pas suivie par la médecine du travail et qui a un rapport avec la santé différente de la population salariée. Ainsi, la population non salariée contracte moins souvent une assurance complémentaire et déclare avoir renoncé à des soins médicaux pour des raisons de coût de soins, mais également de manque de temps, alors que la population salariée évoque majoritairement le coût des soins. De plus, lorsque la maladie survient, la probabilité de s’arrêter de travailler quand on est en emploi depuis au moins 5 ans est de deux tiers moins élevée dans la population non salariée que dans la population salariée 25.

Conclusion et perspectives

Cette étude porte sur les évolutions des populations des travailleurs salariés et non salariés entre 2007 et 2015 et montre une nette progression des emplois non-salariés en France. Elle met également en évidence des différences de proportions d’exposés selon le statut du travailleur ; bien que la population des non-salariés soit une minorité dans la population des travailleurs, elle subit potentiellement plus lourdement les conséquences des expositions à certaines nuisances que la population des salariés, compte tenu de la concentration de ses emplois dans des activités d’artisanat ou de service. Ces résultats montrent qu’il faut développer des actions de prévention auprès de ces travailleurs non salariés qui ne sont aujourd’hui pas suivis par la médecine du travail, et font échos aux propositions faites dans ce sens dans l’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) portant sur le stress au travail et la santé dans cette population 9. En ce sens, nos résultats pourraient servir à orienter la prévention en ciblant les secteurs et les expositions professionnelles encore préoccupants pour cette population. Les cohortes Coset mises en place par Santé publique France 26 visent à connaître et suivre les expositions et l’état de santé de la population des travailleurs affiliés à la MSA (Coset-MSA) et des travailleurs indépendants (Coset-Indépendants) et fourniront des données longitudinales sur les expositions professionnelles et l’état de santé de ces populations particulières. Ces données permettront également de documenter les populations particulières des autoentrepreneurs et des polyactifs qui n’ont pas pu être décrits dans cette étude. Enfin, cette première approche visant à analyser l’exposition professionnelle selon le statut salarié ou non salarié des travailleurs pourra être reconduite avec d’autres nuisances et cibler des secteurs ou groupes professionnels à risque.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Fels A, Houot M, Garras L, Delabre L, Pilorget C. Travailleurs salariés et non salariés en France entre 2007 et 2015 : description des populations et identification de différences d’exposition professionnelle. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(2):22-31. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/2/2021_2_1.html

(1) SARL : Société à responsabilité limitée.
(2) Depuis le 1er janvier 2018, la protection sociale des indépendants anciennement gérée par le RSI (Régime social des indépendants) est transférée au régime général. Ce nouveau régime est effectif depuis le 1er janvier 2020 et concerne tous les travailleurs indépendants qui conservent les mêmes droits qu’auparavant.