Prévalences d’exposition professionnelle au formaldéhyde en France en 2015 et évolution depuis 1982. Résultats obtenus à partir de la matrice emplois-expositions du programme Matgéné

// Occupational exposure to formaldehyde in France in 2015 and trends of exposure prevalence since 1982. Results from the job-exposure matrix of the Matgéné programme

Laurène Delabre1 (laurene.delabre@santepubliquefrance.fr), Loïc Garras1, Marie Houot1, Corinne Pilorget1,2
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Université de Lyon, Unité mixte de recherche épidémiologique et de surveillance en transport, travail et environnement (Umrestte), Lyon, France
Soumis le 15.03.2019 // Date of submission: 03.15.2019
Mots-clés : Prévalence | Formaldéhyde | Matrice emplois-exposition | Exposition professionnelle
Keywords: Prevalence | Formaldehyde | Job-exposure matrix | Occupational exposure

Résumé

Cette étude s’intéresse à l’exposition professionnelle au formaldéhyde de l’ensemble des travailleurs âgés entre 20 et 74 ans, en France en 2015. Les expositions à ce cancérogène avéré chez l’homme (classé en groupe 1 par le CIRC), sont évaluées à l’aide de la matrice emplois-expositions du programme Matgéné. Les données de population issues du recensement de 2015 (2013-2017) sont croisées avec la matrice pour estimer les prévalences d’exposition déclinées par secteur d’activité, profession, statut du travailleur et selon le genre. La matrice a été également croisée avec les recensements de 1982, 1990, 1999 et 2007 afin de décrire l’évolution de cette prévalence sur cette période.

L’exposition au formaldéhyde a fortement diminué au cours de ces 30 dernières années en passant de 822 000 travailleurs potentiellement exposés en 1982 (36,6‰) à 90 000 travailleurs en 2015 (3,5‰). Parmi ces travailleurs exposés, 56% sont salariés et 44% sont non salariés. Chez les salariés, les trois secteurs présentant le plus de travailleurs potentiellement exposés au formaldéhyde sont l’agriculture (19,1% des exposés), les travaux de construction spécialisés (16,3%) et les activités pour la santé humaine (9,6%). Chez les non-salariés, les trois secteurs les plus représentés parmi les travailleurs exposés sont l’agriculture (50,4%), les travaux de construction spécialisés (23,7%) et les autres services personnels (15,7%). Les professions présentant le nombre de travailleurs exposés les plus importants sont également détaillées.

Cet article est le premier à décrire l’exposition professionnelle au formaldéhyde en France pour l’ensemble des travailleurs. Les résultats présentés permettent d’identifier les secteurs et les professions encore exposés en 2015 malgré les différentes réglementations limitant son usage, et contribuent à l’élaboration de politiques de prévention pour cibler les efforts sur des groupes professionnels les plus à risque.

Abstract

This study focuses on the occupational exposure to formaldehyde of workers aged 20 to 74 years old, in France in 2015. Occupational exposures to this carcinogen for humans (group 1 by IARC) are assessed by a job-exposure matrix of the Matgéné program. This matrix was linked with population data from the 2015 French census, annually elaborated between 2013 and 2017, to obtain exposure prevalence by occupation, industry, worker status and gender. The matrix was also linked with French census of 1990, 1999 and 2007 to describe evolution of this prevalence during this period.

Occupational exposure to formaldehyde has considerably decreased in the last 30 years from 822,000 (36.6‰) workers potentially exposed in 1982 to 90,000 (3.5‰) in 2015. Among workers exposed, 56% were employees and 44% were self-employed. In 2015, activity sectors representing the highest proportion of employees exposed to formaldehyde were agriculture (19.1% of people exposed), specialized construction activities (16.3%) and activities for human health (9.6%). For self-employed, the three activities mostly represented were agriculture (50.4%), specialized construction activities (23.7%) and other personal services (15.7%). The occupations the most frequently represented among exposed workers are also described.

This article describes for the first time occupational exposure in France to formaldehyde in the whole working population. The results contribute to identify activities and occupations still exposed in 2015 despite regulations limiting its use, and will help in the development of prevention policies targeting occupational groups the most at risk.

Introduction

Le formaldéhyde est le représentant le plus simple de la famille des aldéhydes. Il existe à température et pression normales sous forme gazeuse, mais son instabilité à cet état impose sa commercialisation sous forme solide (paraformaldéhyde) ou plus communément sous forme aqueuse (formol). Ses propriétés biocide, de fixateur et de liant ont conduit à son utilisation dans de nombreux secteurs d’activité. On le retrouve dans des résines formolées (résines thermoplastiques aminoplastes et phénoplastes), des désinfectants et biocides, ou utilisé directement sous forme liquide pour ses propriétés de conservation 1. Le formaldéhyde a été classé cancérogène avéré (groupe 1) pour le cancer du nasopharynx en 2004 2 par le Centre international de recherche sur le cancer, puis pour les leucémies en 2012 3. Au niveau européen, il a été classé en 2014 substance potentiellement cancérogène (Carc. 1B) et préoccupante du fait qu’il pourrait induire des mutations héréditaires (mutagène 2), et il est réglementé dans les États membres depuis 2016 4. La France a adopté le principe de précaution et, considérant le formaldéhyde comme une substance cancérogène, pris des dispositions réglementaires dès 2007 qui impliquaient une substitution dans les activités utilisatrices de cette substance.

L’exposition professionnelle au formaldéhyde en France pour l’ensemble des travailleurs a été évaluée par une matrice emplois-expositions, outil fréquemment utilisé pour documenter l’exposition actuelle et rétrospective dans de larges populations 5,6. Cette matrice croisée avec les données du recensement de la population permet de décrire l’exposition professionnelle à cette nuisance cancérogène et potentiellement mutagène chez tous les travailleurs en France, quel que soit leur statut, et de distinguer les activités et les groupes professionnels les plus exposés.

Méthode

Une matrice emplois-expositions (MEE) a été élaborée par expertise dans le cadre du projet Matgéné de Santé publique France. Cette MEE évalue l’exposition au formaldéhyde pour tous les emplois en France de 1950 à 2018. Ces emplois sont définis selon la Nomenclature d’activité française (NAF) 7,8,9 pour les secteurs d’activités et la Nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) 10,11 pour les professions. Plusieurs étapes pour l’élaboration de cette MEE ont été nécessaires. Une revue de la littérature scientifique, médicale et technique a permis de compiler les connaissances disponibles sur la nuisance afin de retracer les expositions depuis 1950 : procédés de fabrication, évolution de la réglementation, niveaux et évolution de l’exposition des métiers au cours du temps. Pour chacun des emplois, la variabilité des situations d’exposition rencontrées a été prise en compte et l’évaluation de l’exposition est moyennée et intègre l’ensemble des tâches réalisées au sein de l’emploi.

Trois indices d’exposition ont été définis (voir encadré) :

une probabilité d’exposition (proportion de travailleurs dans l’emploi exposés au formaldéhyde) ;

une intensité d’exposition (intensité moyenne des tâches exposantes) ;

une fréquence d’exposition (pourcentage du temps de travail à effectuer les tâches exposantes).

Encadré :
La Matrice emploi-exposition au formaldéhyde du programme Matgéné

Pour être présent dans la matrice, un emploi (association d’une profession dans un secteur d’activité) doit être considéré comme exposé. Les emplois sont exprimés selon la PCS 1994 10 ou 2003 11 pour décrire les professions et la NAF 2000 7, 2003 8 ou 2008 9 pour les secteurs d’activité.

La matrice évalue les expositions au formaldéhyde de 1950 à 2018, à travers différentes périodes définies en fonction des évolutions de la réglementation et des usages.

Indices d’exposition utilisés pour évaluer l’exposition

Probabilité : elle représente la proportion de travailleurs de l’emploi concerné qui sont exposés au formaldéhyde. Elle est évaluée par des classes de 10%.

Intensité : elle estime l’intensité d’exposition à laquelle est soumis le travailleur pendant les tâches exposantes en fonction de leur nature et de l’environnement de travail. Cette estimation se base sur une revue des données métrologiques disponibles dans la bibliographie (138 références) ainsi que sur les données issues d’une interrogation de la base Colchic de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) 13.

L’intensité est évaluée en 5 classes :

• Classe 1 : 0,02 à 0,2 mg/m3 (valeur prise pour nos estimations : 0,15 mg/m3, soit 25% de la valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP)-8h) ;

• Classe 2 : 0,2 à 0,5 mg/m3 (valeur prise pour nos estimations : 0,3 mg/m3, soit 50% de la VLEP-8h) ;

• Classe 3 : 0,5 à 0,7 mg/m3 (valeur prise pour nos estimations : 0,6 mg/m3, soit la VLEP-8h) ;

• Classe 4 : 0,7 à 0,9 mg/m3 (valeur prise pour nos estimations : 0,75 mg/m3, soit 125% de la VLEP-8h) ;

• Classe 5 : >0,9 mg/m3 (valeur prise pour nos estimations : 1,2 mg/m3, soit la VLEP-court terme).

Fréquence : elle quantifie le pourcentage du temps de travail à effectuer les tâches exposantes. Elle est évaluée par intervalle de 10%.

De plus, des périodes d’exposition ont été définies à partir de la réglementation française et de l’évolution des techniques et des conditions de travail.

La MEE a été croisée avec les données professionnelles du recensement de la population pour la France métropolitaine à partir des codes de professions et de secteurs d’activité (PCS et NAF). Le recensement comprend les professions et secteurs d’activité de l’ensemble des actifs occupés 12 et, pour l’année 2015, il intègre les données des recensements annuels de 2013 à 2017. À partir de ce croisement, les prévalences d’exposition professionnelle actuelles ont été calculées en faisant la moyenne des probabilités d’exposition fournies par la MEE pour tous les sujets du recensement. Les valeurs des probabilités prises en compte dans le calcul sont présentées dans l’encadré.

Avec la même méthode, des prévalences d’exposition ont été estimées pour les années 1982, 1990, 1999, 2007 et 2015 selon le genre chez les actifs occupés âgés entre 20 et 74 ans en France métropolitaine. Pour l’année 2015, ces prévalences d’exposition ont également été déclinées selon le genre et le statut du travailleur (salariés/non salariés), quel que soit le niveau d’exposition ou pour un niveau substantiel. Le niveau d’exposition correspond au produit de l’intensité et de la fréquence, en prenant les centres des classes de chacun des indices. Le niveau substantiel a été défini en excluant le niveau d’exposition le plus faible (niveau substantiel >0,2 mg/m3). La répartition des travailleurs exposés au formaldéhyde a également été étudiée selon la profession et le secteur d’activité sur un niveau agrégé à deux positions.

Résultats

L’étude de la prévalence de l’exposition professionnelle au formaldéhyde entre 1982 et 2015 en France métropolitaine montre une baisse importante du nombre de travailleurs exposés sur ces 30 ans quel que soit le genre (figure 1). Environ 456 000 femmes (50,0‰) étaient exposées professionnellement au formaldéhyde en 1982 et un peu plus de 29 000 en 2015 (2,4‰). Chez les hommes, environ 367 000 (27,4‰) étaient exposés au formaldéhyde en 1982 et un peu moins de 61 000 (4,6‰) en 2015.

Figure 1 : Évolution du taux de prévalence d’exposition professionnelle au formaldéhyde chez les actifs occupés âgés de 20 à 74 ans en France métropolitaine entre 1982 et 2015 selon le genre
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Les prévalences d’exposition au formaldéhyde en 2015 en France métropolitaine chez les actifs occupés âgés de 20 à 74 ans sont présentées dans le tableau 1 selon le genre et le statut professionnel. On observe environ 90 000 travailleurs exposés au formaldéhyde en 2015 (3,5‰) dont plus de 3 000 exposés à un niveau supérieur à 0,2 mg/ m3. Parmi ces travailleurs exposés, 51 000 sont salariés (56%) et 39 000 sont non salariés (44%). Lorsque l’on compare la proportion d’exposés selon le statut du travailleur, on observe une proportion d’exposés 4 fois supérieure chez les hommes non salariés par rapport aux salariés. Chez les femmes, la différence est encore plus marquée avec une proportion d’exposées au formaldéhyde 13 fois plus élevée chez les non salariées par rapport aux salariées.

Tableau 1 : Prévalence d’exposition au formaldéhyde chez les actifs occupés âgés de 20 à 74 ans en France en 2015 selon le genre et le statut du travailleur
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Une analyse plus précise des travailleurs exposés au formaldéhyde a été réalisée pour l’année 2015.

La figure 2 présente la répartition des travailleurs exposés par secteur d’activité et par genre et statut d’emploi.

Figure 2 : Répartition des actifs occupés exposés au formaldéhyde âgés de 20 à 74 ans en France en 2015 par secteur d’activité selon le genre et le statut du travailleur
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Les hommes actifs salariés exposés sont 23,9% dans le secteur des constructions spécialisées (les résines formolées sont utilisées comme liant dans les bois reconstitués mis en œuvre dans les travaux de charpente, menuiserie...), 17,1% à travailler dans le domaine de l’agriculture (utilisation du formaldéhyde pour la désinfection des locaux d’élevage), et 10,6% dans le travail du bois. Les 48,4% restants se répartissent dans 80 secteurs. Quant aux femmes salariées exposées, travaillant dans 59 secteurs, elles sont 23% dans l’agriculture, 21,7% dans les activités pour la santé humaine (utilisation comme fixateur dans les laboratoires d’anatomopathologies) et 20% dans les autres services personnels (présent comme conservateur dans les vernis utilisés en manucure/esthétique et comme fluide de conservation dans les services funéraires).

En ce qui concerne les actifs non salariés, les hommes exposés sont 52,4% à travailler dans le domaine de l’agriculture et 34,2% dans le secteur des constructions spécialisées, le reste étant réparti dans 71 secteurs différents. Les femmes non salariées exposées, réparties dans 43 secteurs, se retrouvent à 46,1% dans l’agriculture, 41,7% dans les autres services personnels et 3,5% dans l’industrie de l’habillement (résines formolées utilisées pour les apprêts des tissus).

La répartition des personnes exposées peut également être décrite selon la profession (figure 3). Les femmes salariées exposées occupent pour 22,9% des emplois d’ouvrières agricoles, 21,6% des professions de la santé et du travail social, et 20% sont des personnels des services directs aux particuliers. Les femmes non salariées exposées sont pour 48,4% des artisanes (principalement des manucures/esthéticiennes, et des artisanes du secteur du textile et du cuir) et 46,0% des agricultrices sur petites et grandes exploitations.

Figure 3 : Répartition des actifs occupés âgés de 20 à 74 ans exposés au formaldéhyde en France en 2015 par profession selon le genre et le statut du travailleur
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Pour les hommes actifs salariés exposés, 29,9% sont des ouvriers de type artisanal (principalement des menuisiers), 17,0% sont des ouvriers agricoles et 14,6% des ouvriers non qualifiés de type industriel du secteur de la métallurgie, de la chimie et du textile. Les hommes non salariés exposés sont à 52,1% des agriculteurs sur petites ou grandes exploitations et 41,6% des artisans du bâtiment.

Discussion

Cet article est le premier à décrire l’évolution au cours du temps de l’exposition professionnelle au formaldéhyde ainsi qu’une description détaillée des expositions professionnelles en 2015 en France, selon le statut des travailleurs (salariés/non salariés). La matrice a pour vocation de documenter les expositions actuelles et passées pour l’ensemble de la population des travailleurs en France, permettant ainsi de documenter l’évolution de cette exposition au cours du temps, ainsi que la possibilité d’évaluer l’exposition sur l’ensemble de la carrière professionnelle pour des travailleurs actuels.

Évolution de l’exposition en France et réglementation

Cette étude indique une forte diminution de la prévalence d’exposition au formaldéhyde des travailleurs entre 1982 et 2015, passant de 36,6‰ (822 000 travailleurs exposés) à 3,5‰ (90 000 travailleurs exposés), soit un pourcentage d’exposés divisé par 9. La diminution de la prévalence s’explique par les réglementations successives pour cette substance sur ces décennies : mise en place de valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) en 1982 (valeur sur 15 minutes) et en 1993 (VLEP sur 8 h), classification en tant qu’agent cancérogène en France depuis 2007, réglementations spécifiques sur les produits biocides en 1998 et en 2012. Toutes ces évolutions réglementaires ont largement fait baisser les indices d’exposition et en particulier pour les métiers féminins, notamment dans le secteur de la santé qui passe de 180 500 femmes exposées au formaldéhyde en 1982 à 3 600 en 2015. De même, contrairement à 1982, le taux de prévalence est plus faible chez les femmes que chez les hommes en 2015. Cette baisse générale de la prévalence s’explique également par la modification des structures d’emploi notée dans les recensements entre 1982 et 2015, où l’on observe une diminution de la part des industries manufacturières et de l’agriculture au profit des entreprises de service ; par exemple, l’industrie textile est passée de 1,2% à 0,2% dans la répartition des emplois en France. Cette diminution peut s’expliquer aussi par des changements dans certains procédés. Ainsi, à l’hôpital, la crise du prion et du sida ont fait évoluer les techniques de désinfection : le formaldéhyde, inefficace sur le prion, a été remplacé et le sida a entraîné l’utilisation de matériel à usage unique. Dans le secteur de la fabrication des panneaux de bois, l’automatisation a également permis une baisse de l’exposition.

À la suite du classement du formaldéhyde en CMR en 2007 par la France, des recherches de substitution ont été entreprises par les pouvoirs publics et le secteur privé 14,15. Ces recherches ont permis l’émergence de produits de substitution pour certains usages du formaldéhyde (désinfectant, conservateur dans la fabrication de savons, de produits d’entretien ou de cosmétiques…). Cependant, d’autres secteurs peuvent difficilement se passer du formaldéhyde, comme l’anatomopathologie, le secteur des soins funéraires, et certains secteurs de l’agroalimentaire (désinfection des installations dans les sucreries). En 2015, les travailleurs potentiellement exposés au formaldéhyde se trouvaient dans les secteurs où la substitution n’a pas été possible, ou pour lesquels une utilisation en tant que biocide est encore autorisée : l’agriculture (désinfection des locaux d’élevage, usage vétérinaire), les travaux de construction spécialisés (travail avec panneaux de bois contenant des résines formolées) et les activités pour la santé humaine (laboratoires d’anatomopathologie).

Comparaison avec d’autres données sur l’exposition professionnelle au formaldéhyde

L’étude Sumer (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels) menée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) en 2010, donnait une prévalence d’exposition au formol de 139 400 travailleurs (0,6%) et de 24 500 travailleurs exposés aux résines formolées (0,1%) 16. Pour l’année 2011, l’évaluation dans notre étude, limitée aux travailleurs salariés, indiquait une prévalence de 162 141 travailleurs exposés (0,7%). Les calculs du taux de prévalence par l’approche populationnelle de la MEE et par expertise individuelle de terrain dans l’étude Sumer produisent des résultats similaires.

La matrice emplois-expositions Finjem, développée par l’Institut finlandais de la santé au travail, croisée avec des données de population finlandaises, a permis de calculer des prévalences d’exposition à différentes nuisances professionnelles de 1950 à 2008. Pour le formaldéhyde, ces taux de prévalences sont de 0,8% en 1990 et 0,4% en 2008 17. Pour ces mêmes périodes, notre étude montre également une baisse du taux de prévalence de plus de 50% (de 2,9% à 1,1% entre 1990 et 2007).

Les taux de prévalence chez les non salariés estimés dans notre population n’ont pas pu être comparés à d’autres études, car cette sous-population fait rarement l’objet d’étude, contrairement à la population des salariés suivis dans le cadre de la médecine du travail.

Aspects méthodologiques

La méthode de constitution du recensement a évolué sur la période d’étude. Elle était basée en 1999 sur un recensement exhaustif et, pour les années plus récentes, sur un échantillonnage réalisé sur 5 ans ; ainsi le recensement de 2015 documente la population des années 2013 à 2017. Il a été considéré que cela ne constituait pas un biais, compte tenu des redressements réalisés par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), pour que ces données issues de deux méthodes différentes soient comparables 18.

La MEE est dépendante des nomenclatures avec lesquelles elle est construite et possède donc certaines limites. En effet, les codes des nomenclatures regroupent parfois des professions ou des activités hétérogènes ayant une évaluation d’exposition potentiellement différente, obligeant à définir une exposition moyenne pour un même code. Par ailleurs, certains codes des nomenclatures d’activité (ou de profession) dans lesquels le formaldéhyde est utilisé n’ont pas pu être retenus dans la matrice car les activités exposantes représentent une trop faible part de l’ensemble des activités présentes dans ce code. Par exemple, la fabrication du formol est incluse dans le secteur « fabrication de produits inorganiques de base » qui comprend une multitude d’autres productions où le formaldéhyde est absent.

Pour estimer les prévalences d’exposition à partir de MEE, l’hypothèse a été faite de prendre les centres des classes de la probabilité d’exposition fournie par la MEE. Par exemple, pour une probabilité comprise entre 5% et 15%, nous avons fait le choix de prendre 10% pour notre calcul. Les résultats présentés dans cet article sont donc soumis à une incertitude liée à cette hypothèse, mais restent fiables pour classer les professions et secteurs exposés les uns par rapport aux autres.

Les niveaux d’exposition présents dans la matrice (intensité x fréquence) n’ont pas été utilisés pour cette étude, qui s’est concentrée principalement à documenter les prévalences dans la population des travailleurs en France. Cependant, l’évolution des niveaux d’exposition au formaldéhyde pour la population salariée en France a été documentée par Lavoué et coll. qui ont montré une diminution statistique des niveaux d’exposition de 7 à 9% par an entre 1986 et 2003 19.

Perspectives conclusion

Ces travaux documentent l’exposition professionnelle en France pour l’ensemble de la population des travailleurs (travailleurs salariés et non salariés). Les données présentées concernent l’exposition des travailleurs pour les emplois qu’ils occupaient au moment du recensement de la population et n’intègrent pas les expositions potentiellement survenues lors d’emplois antérieurs. Cette estimation de l’exposition sur l’ensemble de la vie professionnelle est cependant possible et constituera l’une des perspectives de travail. Ainsi, à partir d’un échantillon d’histoires professionnelles, constitué par Santé publique France, représentatif de la population générale en 2007, il est possible d’estimer une prévalence d’exposition sur la vie professionnelle entière grâce à l’évaluation de l’exposition de chaque emploi occupé par les sujets au cours de leur carrière professionnelle. Ces estimations de prévalence d’exposition sur la vie professionnelle entière contribueront dans un second temps à l’estimation de la fraction de risque attribuable à l’exposition professionnelle au formaldéhyde pour les pathologies en lien avec cette exposition (cancer du nasopharynx et leucémie).

En conclusion, cette étude permet d’identifier les secteurs et les professions encore exposés au formaldéhyde en 2015 après la mise en place des différentes réglementations. Ces résultats constituent une base d’information sur l’exposition professionnelle à cette nuisance cancérogène et ont vocation à alimenter des protocoles d’élaboration de politiques de prévention et de cibler les efforts de prévention sur des groupes professionnels identifiés.

La matrice formaldéhyde est en ligne pour consultation sur le portail Exp-Pro (http://www.exppro.fr) et pourra être mise à disposition des équipes de recherche en santé-travail, comme l’ensemble des matrices du programme Matgéné 5. Les indicateurs d’exposition présentés ici sont également disponibles en ligne sur le portail spécifique de Santé publique France, Géodes.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

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