Surveillance nationale des intoxications alimentaires par des champignons : bilan des cas rapportés au réseau des centres antipoison de 2010 à 2017 en France métropolitaine

// National surveillance of food poisoning by mushrooms: cases reported
to the network of Poison Control Centres from 2010 to 2017

Sandra Sinno-Tellier1 (sandra.sinno-tellier@anses.fr), Chloé Bruneau2, Jamel Daoudi3, Chloé Greillet1, Agnès Verrier3, Juliette Bloch1
1 Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, Maisons-Alfort, France
2 Centre antipoison et de toxicovigilance, Centre hospitalier et universitaire, Angers, France
3 Santé publique France, Saint-Maurice, France
Soumis le 15.03.2019 // Date of submission: 03.15.2019
Mots-clés : Champignons | Toxicovigilance | Intoxications | Centres antipoison.
Keywords: Mushrooms | Toxicovigilance | Poisoning | Poison control centers.

Résumé

Introduction –

En 2010, des signalements d’intoxications par des amanites phalloïdes ont conduit les autorités sanitaires en charge de la toxicovigilance à mettre en place une surveillance saisonnière des intoxications par des champignons à des fins d’alerte et de prévention.

Méthodes –

Étude rétrospective des cas d’intoxication accidentelle par ingestion de champignons enregistrés par les centres antipoison (CAP) de 2010 à 2017 en France métropolitaine. Les cas graves ont été revus et validés par un toxicologue du réseau des CAP.

Résultats –

Au total, 10 625 cas ont été inclus de 2010 à 2017, collectifs pour la moitié d’entre eux. La saisonnalité était marquée en octobre, malgré un pic mensuel de cas dès août pour deux années. Les intoxications prédominaient à l’ouest, au sud et à l’est de la France. L’âge variait de 9 mois à 96 ans (moyenne à 45,3 ans) ; 3,3% des cas étaient âgés de moins de 5 ans. Plus de 90% des personnes intoxiquées présentaient un ou plusieurs signes digestifs, suivis de signes généraux et/ou neurologiques. Sans qu’il soit possible de confirmer l’espèce réellement consommée, les champignons le plus souvent incriminés correspondaient à des bolets (26,3% des cas), puis à des agarics (7,7%) ; dans environ 30% des cas, l’espèce n’était pas précisée. De 11 à 44 cas graves et 0 à 5 décès ont été identifiés chaque année (médianes : 30,5 cas graves et 3 décès par an). Les décès étaient dus à des syndromes phalloïdiens (68,2%) ou sudoriens (31,8%).

Conclusion –

Si la surveillance est nécessaire pour diffuser des recommandations nationales de cueillette et consommation des champignons au moment du pic d’intoxication, des relais locaux (associations de mycologues, pharmaciens…) restent indispensables pour aider à identifier la cueillette et ainsi limiter le nombre d’intoxications.

Abstract

Introduction –

Reported poisonings in 2010 by phalloid amanita led the health authorities in charge of toxicovigilance to set up a seasonal surveillance of mushroom poisonings for alert and prevention purposes.

Methods –

A retrospective study of cases of unintentional poisoning due to ingestion of mushrooms recorded by the French poison control centers (PCCs) from 2010 to 2017 was carried out. A toxicologist from the PCCs network reviewed and validated severe cases.

Results –

A total of 10,625 cases were included from 2010 to 2017, half of them were part of a cluster. Seasonality was marked in October although there was a monthly peak of cases in August for two years. Intoxications occurred predominantly in the west, south and east of France. Age ranged from 9 months to 96 years (average of 45.3 years); 3.3% of cases were aged under 5 years. More than 90% of people intoxicated had one or more digestive signs, followed by general and/or neurological signs. Although it was not always possible to confirm the species actually consumed, the mushrooms most often involved were boletus (26.3% of cases), then agarics (7.7%); in about 30% of cases, the species was not specified. Between 11 and 44 severe cases and 0 to 5 deaths were identified each year (median of 30.5 serious cases and 3 deaths per year). Deaths were due to phalloid (68.2%) or sudorian (31.8%) syndromes.

Conclusion –

While surveillance is necessary to disseminate national recommendations for the picking and consumption of mushrooms when peak of poisoning occurs, local intermediaries (associations of mycologists, pharmacists, etc.) remain essential to help identify the picking and thus limit the number of poisonings.

Contexte

À la suite du signalement, en septembre 2010, de six cas groupés d’intoxication alimentaire par des amanites phalloïdes en Pays de la Loire, l’Institut de veille sanitaire (InVS, actuel Santé Publique France) a mis en place en 2010 une surveillance saisonnière des intoxications par des champignons à partir des cas enregistrés par les centres antipoison (CAP). L’Agence nationale de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) assure cette surveillance depuis 2016, suite au transfert de la coordination de la toxicovigilance (1).

La surveillance consiste en un suivi hebdomadaire prospectif, de juillet à décembre, du nombre total de cas d’intoxication par des champignons enregistrés par les CAP, ainsi que du nombre de cas de gravité forte (2) et du nombre de décès.

À visée d’alerte et de prévention, son objectif est de détecter « en temps réel » une augmentation du nombre de cas d’intoxication afin d’alerter les autorités sanitaires et diffuser au public des recommandations de cueillette et de consommation des champignons 1.

À ce jour, aucune étude épidémiologique des intoxications observées pendant plusieurs années consécutives sur l’ensemble du territoire n’a été publiée.

L’objectif de l’étude était de décrire les cas d’intoxication alimentaire par des champignons signalés au réseau des CAP depuis la mise en place de la surveillance (de 2010 à 2017) et d’évaluer l’impact des messages de prévention.

Matériel et méthodes

Il s’agit d’une étude descriptive rétrospective des cas d’intoxication accidentelle par ingestion de champignons ayant fait l’objet d’un appel, par un particulier ou un professionnel de santé, au réseau des CAP, dans le cadre de leur mission de réponse téléphonique à l’urgence (RTU), entre 2010 et 2017.

De façon générale, chaque appel au réseau des CAP pour une exposition, avec ou sans symptôme, à un produit ou un « agent » (médicament, produit ménager, complément alimentaire, pesticide, champignon...) est enregistré dans la Base nationale des cas d’intoxication (BNCI) sous forme d’un dossier médical. L’agent est codé à partir des agents référencés dans la Base nationale des produits et compositions (BNPC) ou créé de novo lorsqu’il n’a pas encore été référencé. La BNCI et la BNPC forment le système d’information commun des CAP (SICAP).

La BNPC comporte un nœud « CHAMPIGNONS » qui permet, selon les informations disponibles pour identifier le champignon, de coder le dossier avec soit le genre (« BOLETS », « AMANITES », « CORTINAIRES »…), soit l’espèce du champignon (« BOLET SATAN », « AMANITE PHALLOÏDE », « CORTINAIRE COULEUR DE ROCOU »), ou bien, lorsque ces informations ne sont pas disponibles, de coder le champignon sans précision (« CHAMPIGNON [classe] », « CHAMPIGNON NON IDENTIFIÉ À LAMELLES », « CHAMPIGNON NON IDENTIFIÉ À TUBES »…).

Pour l’étude, ont été extraits de la BNCI les cas d’exposition enregistrés entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2017, avec ou sans symptômes, associés à un agent du nœud « CHAMPIGNONS » de la BNPC.

Les cas inclus dans l’étude correspondaient donc aux personnes ayant appelé un CAP et ayant présenté un ou plusieurs symptômes suite à un repas de champignons. Les personnes intoxiquées qui avaient partagé un même repas figuraient dans un même dossier (=intoxication collective). Le périmètre de l’étude ne concernait pas les intoxications dues à des moisissures, ni les intoxications par des champignons consommés dans un contexte d’usage récréatif ou suicidaire, ni celles survenues en Outre-mer. Les cas d’imputabilité nulle, c’est-à-dire sans lien de causalité entre les symptômes observés et le repas de champignons, ainsi que les doublons, ont été exclus.

Les cas de gravité forte ont été validés par un toxicologue du réseau des CAP, en continu pendant la période de surveillance saisonnière (de juillet à décembre), ou a posteriori en dehors de la période (de janvier à juin), après relecture de leur dossier complet. Pour ces cas, le toxicologue a identifié le syndrome mycotoxique (voir encadré) en cause.

Encadré :
Les principaux syndromes mycotoxiques : symptômes, délai de survenue, espèces toxiques à l’origine et confusions possibles avec des espèces comestibles*
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La répartition temporelle des cas a été analysée ; elle a été ajustée au nombre de cas tous agents confondus afin de tenir compte de l’activité des CAP.

La répartition géographique a été étudiée en calculant des taux d’incidence départementaux de 2010 à 2017, correspondant au nombre de cas d’intoxication par des champignons d’un département donné, rapporté au nombre d’habitants de ce département à partir des données démographiques de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) pendant la même période.

Pour aider à interpréter la représentativité géographique des données des CAP, la répartition départementale des passages aux urgences pour intoxication suite à l’ingestion de champignons a également été étudiée. Pour réaliser cette analyse, les passages aux urgences codés avec le code CIM-10 (Classification internationale des maladies – 10e révision) T62.0 « Effet toxique dû à la l’ingestion de champignons » ont été extraits de la base Oscour® (Organisation de la surveillance coordonnée des urgences hospitalières) à établissements constants, pour les années 2015 et 2016 (3) (611 établissements, représentant 88% des services d’urgences hospitalières en 2015). S’agissant d’une extraction détaillée complémentaire, cette extraction n’a pas été faite tous les ans.

Un coefficient de corrélation de Spearman, testé au risque α de 5%, a été estimé entre la répartition départementale des cas d’intoxication par des champignons enregistrés par les CAP d’une part, et celle des passages aux urgences pour intoxication suite à l’ingestion de champignons d’autre part. Ce coefficient varie entre -1 et +1 ; un coefficient proche de +1 signifie une corrélation positive, de 0 l’absence de corrélation et de -1 une corrélation négative.

Les analyses ont été réalisées à l’aide du logiciel Stata® v14.2.

Résultats

Au total, 10 625 cas d’intoxication alimentaire par des champignons, survenus en métropole, répartis dans 7 025 dossiers (4), ont été enregistrés par les CAP entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2017.

L’intoxication était collective, concernant deux ou plus de deux personnes au cours d’un même repas, dans plus de la moitié des cas (56,4%).

Répartition temporelle

Répartition annuelle

À l’exception de 2016, caractérisée par un plus faible nombre de cas (n=877) probablement lié à un été relativement chaud et sec, la répartition annuelle des intoxications par des champignons oscillait entre 1 248 cas (en 2014) et 1 596 cas (en 2017) (figure 1).

Figure 1 : Répartition annuelle des cas d’intoxication par des champignons rapportés au réseau des centres antipoison (nombre de cas bruts et nombre de cas ajustés sur l’activité des centres antipoison). Années 2010-2017, France métropolitaine
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Rapporté à l’activité des CAP, le taux de cas d’intoxication par des champignons était décroissant de 2010 à 2014 (de 88 à 75 cas/10 000 cas tous agents), puis croissant en 2015 (84 cas/10 000 cas tous agents) avant d’être fortement décroissant en 2016 (50 cas/10 000 cas tous agents). Ce taux était de nouveau croissant en 2017 (90 cas/10 000 cas tous agents), année où le plus grand nombre de cas a été rapporté sur l’ensemble des huit années de surveillance.

Répartition mensuelle

La répartition mensuelle des cas d’intoxication montre une forte saisonnalité, un pic de cas ayant été observé au mois d’octobre au cours de sept années, variant de 330 cas (octobre 2016) à 753 cas (octobre 2012) (figure 2). En 2011, le pic mensuel de cas a été observé en août (589 cas).

Figure 2 : Répartition mensuelle des cas d’intoxication par des champignons rapportés au réseau des centres antipoison. Années 2010-2017, France métropolitaine
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Si le nombre mensuel de cas augmentait le plus souvent lors de mois consécutifs, des pics distants de plusieurs mois d’intervalle ont été observés en 2011 (août et novembre) et en 2014 (août et octobre).

Au cours des huit années cumulées de 2010 à 2017, 90,1% des cas sont survenus de juillet à décembre et 82,5% entre août et novembre.

Répartition hebdomadaire et communiqués de presse

La répartition hebdomadaire des cas pendant la période de suivi prospectif (de juillet à décembre) met en évidence un décalage des pics d’intoxication d’une année à l’autre, le pic hebdomadaire le plus précoce ayant eu lieu en semaine 31 (fin juillet) en 2011 (n=282) et le plus tardif en semaine 43 (fin octobre) en 2012 (n=208). Le pic le plus élevé de cas (n=300) est survenu en 2017 en semaine 39 (fin septembre) (figure 3).

Figure 3 : Répartition hebdomadaire des cas d’intoxication par des champignons enregistrés par les centres antipoison pendant la surveillance saisonnière (semaines 27 à 52) de 2010 à 2017, France métropolitaine
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Chaque année, un communiqué de presse a été publié par les autorités sanitaires au moment du premier pic d’intoxication. Un deuxième, voire un troisième communiqué a été publié lorsque le nombre d’intoxications persistait (semaine 40 en 2010, semaines 41 et 43 en 2015) ou lorsque les intoxications étaient caractérisées par un nombre relativement élevé de cas graves (semaine 42 en 2017 : 32 cas graves depuis le début de la surveillance saisonnière) ou de décès (semaine 45 en 2012 : 3 décès depuis le début de la surveillance saisonnière).

Le nombre de cas avait tendance à diminuer après la publication de chaque communiqué de presse, sans qu’il ne soit possible de distinguer si cette diminution était due à la décroissance naturelle du « pic épidémique », liée à une diminution de la pousse des champignons, ou si elle était due à la diffusion de messages de prévention suite à la publication du communiqué.

Répartition géographique

Pour la période d’étude de 2010 à 2017, l’incidence métropolitaine des cas d’intoxication par des champignons enregistrés par les CAP était de 2,10 cas pour 100 000 habitants (médiane égale à 2,31/100 000 habitants). Les incidences départementales variaient de 0,18/100 000 habitants dans la Somme à 5,99/100 000 habitants dans les Hautes-Alpes (figure 4). Les intoxications étaient survenues dans une large zone en « U », traversant l’ouest, le sud puis l’est de la France (taux d’incidence départementaux supérieurs à la médiane). Moins de cas étaient rapportés dans le nord et le centre de la France (taux d’incidence départementaux inférieurs à la médiane).

Figure 4 : Taux d’incidence départementaux (pour 100 000 habitants) des cas d’intoxication par des champignons enregistrés par les centres antipoison entre 2010 et 2017, France métropolitaine
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En 2015-2016, le coefficient de Spearman entre la répartition départementale des cas rapportés aux CAP et des passages aux urgences était égal à 0,55 (p<10-4), montrant une corrélation positive et statistiquement significative entre ces deux sources de données. Cette corrélation peut être visualisée sur la figure 5, car plus les départements ont un taux d’incidence élevé (plus la couleur bleue du département est foncée), plus le nombre de passages aux urgences associé est important (plus le cercle de couleur rouge est grand).

Figure 5 : Taux départementaux des cas d’intoxication par des champignons enregistrés par les centres antipoison entre 2015 et 2016, et nombre de passage aux urgences pour intoxication due à l’ingestion de champignons pendant la même période, France métropolitaine
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Caractéristiques sociodémographiques

Parmi les 10 625 cas de l’étude, les données sur le sexe et l’âge étaient inconnues pour 0,3% et 5,1% d’entre eux respectivement. Le sexe ratio était égal à 1,00. Les cas étaient âgés de 9 mois à 96 ans, l’âge moyen (± écart-type) était égal à 45,3 ans (± 21,0) et l’âge médian à 47 ans. Près de 2/3 des cas (64,5%) étaient âgés entre 30 et 69 ans, et 3,3% étaient âgés de moins de 5 ans (figure 6).

Figure 6 : Répartition par sexe et âge des cas d’intoxication par des champignons rapportés au réseau des centres antipoison (N=10 078). Années 2010-2017, France métropolitaine
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Circonstances d’intoxication et mode d’obtention des champignons

Parmi l’ensemble des 10 625 cas, une grande majorité s’était intoxiquée au cours d’un repas (95,0%), les 5,0% des cas restants s’étant intoxiqués par méconnaissance du risque (enfant, ou adulte présentant des troubles cognitifs, ayant croqué dans un champignon après l’avoir ramassé). Un tiers (34,7%) des enfants de moins de 5 ans avaient consommé le champignon au cours d’un repas.

Une information sur le mode d’obtention des champignons a été recueillie à partir de 2016. Pour les saisons 2016 et 2017 (de juillet à décembre chacune), le mode d’obtention des champignons était connu dans 78,6% des cas, parmi lesquels les champignons étaient majoritairement issus de la cueillette (92,8%), plutôt qu’achetés dans le commerce (magasin, marché, restaurant…) (7,2%).

Symptômes

L’étude des symptômes codés dans les dossiers montre que la quasi-totalité (près de 95%) des personnes intoxiquées présentaient un ou plusieurs signes hépato-digestifs associés : deux tiers des cas avaient rapporté des vomissements (66,3%), 45,6% une diarrhée, 36,0% des douleurs abdominales et un quart des nausées (25,9%) (figure 7). La symptomatologie la plus fréquemment observée était même exclusivement hépato-digestive pour près de deux tiers des cas (64,2%).

Figure 7 : Répartition des cas d’intoxication par des champignons enregistrés par les centres antipoison par classe de symptôme et principaux symptômes de chaque classe (pourcentages de cas, N=10 625). Années 2010-2017, France métropolitaine
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Des signes généraux (un ou plusieurs signes) avaient été rapportés pour 20,8% des cas (sueurs, fatigue...), des signes neurologiques et/ou neuromusculaires pour 12,9% (céphalées, vertige…), puis cardio-vasculaires pour environ 4% des cas (hypotension artérielle, tachycardie…). Enfin, environ 3% des cas avaient présenté un ou plusieurs signes oculaires (troubles de la vue, myosis, mydriase…), ou psychiques (hallucinations, agitation…), ou cutanés (érythème, prurit…) (figure 7).

Une symptomatologie hépato-digestive était associée à des signes généraux ou neurologiques pour respectivement 11,8% et 5,6% des cas. Il s’agissait d’une triade de signes hépato-digestifs, généraux et neurologiques pour 2,3% d’entre eux.

Cas graves et décès

Pour les huit années d’étude, 239 cas de gravité forte ont été identifiés (médiane : 30,5 cas par an), variant de 11 cas en 2016 à 44 cas en 2010 (tableau).

Tableau : Répartition des cas graves et des décès d’intoxication par des champignons enregistrés par les centres antipoison. Années 2010-2017, France métropolitaine
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Les cas de gravité forte ont majoritairement présenté un syndrome phalloïdien (61,9%) puis, dans une moindre mesure, un syndrome panthérinien (12,1%), sudorien (10,5%), orellanien (4,2%), résinoïdien (2,9%) et proximien (1,7%) encadré. Il n’y avait pas de syndrome mycotoxique identifié pour 6,7% des cas de gravité forte.

Vingt-deux décès ont été observés, variant de 0 à 5 par an (médiane : 3 cas par an, tableau). Ils étaient exclusivement dus à deux types de syndromes, phalloïdiens (68,2%, 15 cas) et sudoriens (31,8%, 7 cas). Il s’agissait de 10 hommes et 12 femmes, âgés de 38 à 88 ans (médiane égale à 74,5 ans). Deux décès dus à un syndrome phalloïdien sont survenus dans le cadre d’une intoxication collective ; il s’agissait d’un couple de personnes, âgées de plus de 80 ans, qui avait consommé de probables amanites phalloïdes.

Après interrogation de l’entourage des personnes décédées, pour les 15 cas de syndromes phalloïdiens, les patients intoxiqués avaient consommé une amanite phalloïde pour 11 cas ; le champignon n’avait pas pu être identifié pour les 4 cas restants. Les personnes intoxiquées disaient avoir recherché des rosés des prés (agarics champêtres) dans 6 cas, des coulemelles (macrolépiotes) dans 2 cas, ou avoir ramassé ou consommé des champignons sans les connaître dans 3 cas. L’information sur les champignons recherchés n’était pas connue pour 4 cas.

Pour les 7 décès avec syndromes sudoriens, le champignon consommé correspondait à : un clitocybe dans 3 cas, un inocybe dans 2 cas, et un champignon non identifié dans 2 cas. D’après leur entourage, les personnes décédées pensaient avoir ramassé des faux-mousserons dans 5 cas, des cèpes dans 1 cas et n’indiquaient pas d’information dans le dernier cas.

Champignons

Dans près d’un tiers des cas (29,9%), ni l’espèce ni le genre du champignon n’étaient précisés (figure 8). En considérant les champignons par genre (champignons codés directement par genre ou regroupement des espèces appartenant à un même genre), les champignons le plus souvent codés correspondaient à des bolets ou cèpes (pour 26,3% des cas), agarics (7,7%), clitocybes (6,4%), lépiotes (6,4%), amanites (5,6%), chanterelles (4,9%) ou tricholomes (4,8%). Un mélange de spécimens avait été consommé dans 14,2% des cas.

Figure 8 : Répartition des cas d’intoxication par genre de champignon suspecté d’être à l’origine de l’intoxication (pourcentages de cas, N=10 625). Années 2010-2017, France métropolitaine
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À noter que les champignons responsables d’intoxication achetés dans le commerce correspondaient notamment à des chanterelles, bolets ou cèpes, champignons de Paris, morilles ou shiitakes.

Pour chacun des genres, sans qu’il soit possible de confirmer l’espèce réellement consommée, certaines intoxications étaient liées à des espèces réputées comestibles (agaric champêtre dans 3,5% des cas, lépiote élevée dans 3,8% des cas). Certaines intoxications étaient à l’inverse liées à des espèces toxiques (bolet Satan dans 5,3% des cas, agaric jaunissant dans 3,3%, clitocybe de l’olivier dans 3,0% des cas, lépiote brune dans 0,4%, amanites phalloïde, printanière ou vireuse dans 1,8% des cas, amanites panthère, jonquille ou tue-mouche dans 2,4% des cas, entolome livide dans 1,9% des cas).

Discussion

Généralités

Plus de 1 000 intoxications par des champignons sont enregistrées par le réseau des CAP quasiment chaque année en France, dont environ 30 sont de gravité forte et 3 conduisent au décès. Ces intoxications représentent 2,0% de l’ensemble des intoxications enregistrés par les CAP et sont du même ordre de grandeur que les intoxications par des plantes (3,1%) 2.

Des proportions comparables sont retrouvées parmi les centres antipoison européens. En 2017 en Suisse, 1,8% des cas d’intoxication étaient dus à des champignons 3 et 2,5% des cas en Suède 4. En Belgique en 2017, 5,1% des intoxications étaient associées à des plantes et/ou des champignons 5 ; au Royaume-Uni, 2,8% des demandes d’investigations toxicologiques de 2016-2017 étaient liées à une exposition à des plantes et/ou champignons 6.

Représentativité des cas rapportés aux centres antipoison

Les cas de gravité faible (5) d’intoxication par des champignons enregistrés par les CAP pourraient être sous-estimés. En effet, plus de deux tiers des intoxications par des champignons (64,2%) ne comportent que des signes hépato-digestifs (vomissements, diarrhées, douleurs abdominales…) et lorsque ces signes sont bénins, les personnes intoxiquées peuvent traiter elles-mêmes leurs symptômes (automédication), consulter leur médecin traitant ou se rendre à la pharmacie sans qu’un CAP ne soit appelé.

À l’inverse, devant une intoxication grave, il est très probable qu’un professionnel de santé suspectant qu’un champignon soit à l’origine de cette intoxication demande conseil à un CAP qui pourra aider à l’identification de l’espèce de champignon et orienter le diagnostic vers un syndrome mycotoxique (encadré), afin d’adapter la prise en charge médicale.

Saisonnalité des intoxications

Pour sept des huit années de surveillance, le pic mensuel d’intoxication par des champignons est survenu en octobre. Dans une étude portant sur 443 cas d’intoxication admis aux urgences après ingestion de champignons dans la province de Parme (Italie) de 1996 à 2016 7, une forte saisonnalité a également été mise en évidence, avec des pics d’intoxication en octobre.

La pousse des champignons peut cependant varier d’une année à l’autre en fonction des conditions météorologiques, une augmentation de l’humidité et des températures relativement douces semblant précéder d’une dizaine de jours cette pousse. De plus, quelques espèces sont réputées printanières (morilles), et d’autres peuvent être présentes jusqu’en hiver (lactaires, chanterelles...).

Espèces de champignons en cause

Ces 20 dernières années, la Société mycologique de France a répertorié plus de 18 000 espèces de champignons macroscopiques (Macromycètes) 8.

L’étude présentée ici montre que les intoxications par des champignons pouvaient être dues à de nombreuses espèces, réputées comestibles ou toxiques avérées. De nombreux facteurs interviennent dans ces intoxications : confusion d’une espèce comestible avec une espèce toxique, consommation de champignons comestibles en mauvais état, défaut de cuisson d’espèces secrétant des toxines thermolabiles (morilles 9, shiitake 10), quantité trop importante consommée (tricholome équestre), sensibilité individuelle (rosés des près et déficit en tréhalase, coprins et absorption d’alcool 11). L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié en 2017 un avis définissant une liste de 146 champignons cultivés et sauvages correspondant à des variétés comestibles 12, en précisant les conditions de comestibilité de certaines espèces.

L’espèce de champignons consommée n’a pas pu être identifiée par le CAP dans près d’un tiers des cas (30%), par manque d’informations nécessaires (photographies de la cueillette, restes de repas…).

Depuis 2014, les CAP peuvent solliciter des experts mycologues du réseau national « Mycoliste » via une liste informatique sécurisée 13, pour les aider à identifier les champignons à partir des informations disponibles, et ainsi proposer le traitement le plus adapté.

Symptômes et syndromes

Si les syndromes phalloïdiens, connus pour être à risque de gravité forte 14, représentaient plus des deux tiers des décès, près d’un tiers étaient dus à un syndrome sudorien, pourtant considéré comme relativement peu dangereux 15. Dans notre étude, les intoxications graves liées au syndrome sudorien sont survenues chez des patients présentant des antécédents cardiovasculaires, qui sont décédés d’une décompensation cardiaque secondaire à l’intoxication (sueurs profuses, déshydratation, hypotension artérielle…).

Hormis pour les cas graves et les décès, il n’a pas été possible de décrire les cas de l’étude en fonction des syndromes mycotoxiques observés. Ce travail aurait nécessité de relire les dossiers complets de chacun des cas de l’étude (n=10 625 cas).

Cependant, dans une étude rétrospective des cas d’exposition par ingestion de champignon rapportés aux CAP en 2014 16, le CAP d’Angers a relu l’ensemble des dossiers afin de caractériser le syndrome mycotoxique en cause. Parmi les 1 280 cas symptomatiques identifiés, un syndrome mycotoxique a pu être déterminé dans 772 cas. Le syndrome résinoïdien était le plus fréquent (72% des cas), suivi du syndrome sudorien dans 10,5% des cas, du syndrome panthérinien dans 6% des cas et du syndrome phalloïdien dans 5% des cas. Les autres syndromes représentaient moins de 5% des cas.

Mesures de prévention

Le nombre de cas n’a globalement pas diminué depuis le début de la surveillance et semble davantage lié aux conditions météorologiques favorisant la pousse qu’aux mesures de communication mises en œuvre. Si les relais dans les medias locaux doivent être privilégiés pour informer la population des risques liés à la consommation de champignons, la mise à disposition sur un site Internet d’une liste d’officines ou sociétés de mycologie où pouvoir apporter sa cueillette, comme en Suisse (http://www.vapko.ch/index.php/fr/), pourrait inciter les cueilleurs à faire contrôler leur récolte.

De nombreuses intoxications surviennent par méconnaissance des espèces consommées, c’est pourquoi il est indispensable de faire identifier sa récolte par un spécialiste en cas de doute sur la comestibilité d’un champignon, mais également de la photographier avant sa cuisson. Par ailleurs, des cas sont rapportés chez de jeunes enfants alors qu’il est recommandé de ne pas donner de champignons sauvages à consommer aux plus jeunes 1.

Une étude prospective détaillant, à partir d’un questionnaire spécifique, le degré de connaissance des espèces ramassées, la fréquence des cueillettes, le recours éventuel à une personne compétente en mycologie…, permettrait d’ajuster au mieux les recommandations et d’assurer que la cueillette et la consommation des champignons restent un vrai plaisir chez les amateurs.

Remerciements

Les auteurs remercient Isabelle Pontais (Santé Publique France) pour l’extraction des données du réseau Oscour®, et Serge Faye (Anses) pour la cartographie.
Les auteurs tiennent également à remercier l’ensemble des centres antipoison pour leur activité quotidienne de réponse à leurs demandes de prise en charge, d’enregistrement et de suivi des dossiers.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

1 Cueillir et consommer les champignons en toute sécurité. Infographie. Maisons-Alfort: Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. [Internet]. https://www.anses.fr/fr/system/files/InfographieChampignons.pdf
2 Sinno-Tellier S, Daoudi J, Manel J. Épidémiologie : étude des cas enregistrés par les centres antipoison français en 2013. Chapitre 4.1. In : Baud F, Garnier R. Toxicologie Clinique, 6e édition. Paris: Lavoisier Médecine & Sciences; 2017. 112-32.
3 Tox Info Suisse. Rapport annuel 2017. 24 p. [Internet]. https://toxinfo.ch/customer/files/691/9181408_Tox_JB-2017_FR_Website.pdf
4 Swedish Poisons Information Centre. Annual Report 2017. 19p. [Internet]. https://giftinformation.se/globalassets/publikationer/gic-annual-report-2017.pdf
5 Centre antipoison belge. Rapport d’activité annuel; 2017. 66 p. [Internet]. https://www.centreantipoisons.be/sites/default/files/imce/2017%20rapport%20d%27activit%C3%A9%202017.pdf.
6 Public Health England. National Poisons Information Service. Report 2016/2017. 91 p. http://www.npis.org/
NPISAnnualReport2016-17.pdf
7 Cervellin G, Comelli I, Rastelli G, Sanchis-Gomar F, Negri F, De Luca C, et al. Epidemiology and clinics of mushroom poisoning in the Northern Italy: a 21-year retrospective analysis. Hum Exp Toxicol. 2018;37(7):697-703.
8 Société Mycologique de France. http://www.mycofrance.fr/publications/le-fichier-smf/
9 Saviuc P, Harry P, Pulce C, Garnier R, Cochet A. Can morels (Morchella sp.) induce a toxic neurological syndrome? Clin Toxicol (Phila). 2010;48(4):365-72.
10 Boels D, Landreau A, Bruneau C, Garnier R, Pulce C, Labadie M, et al. Shiitake dermatitis recorded by French Poison Control Centers – new case series with clinical observations. Clin Toxicol (Phila). 2014;52(6):625-8.
11 Trueb L, Carron PN, Saviuc P. Intoxication par les champignons. Rev Med Suisse. 2013;9:1465-72.
12 Avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail relatif à « une demande d’avis lié à un projet d’arrêté relatif aux variétés comestibles de champignons de culture et sauvages ». Maisons-Alfort: Anses; 2017. 38 p. https://www.anses.fr/fr/content/avis-de-lanses-liéC3%A9-%C3%A0-un-projet-darr%C3%AAt%C3%A9-relatif-aux-vari%C3%A9t%C3%A9s-comestibles-de-champignons-de
13 Bourgeois N, Bruneau C, Courtois A, Nisse P, Sapori JM, De Haro L, et al. La Mycoliste : un outil d’aide à l’identification des champignons impliqués dans les intoxications humaines en France. Bilan de fonctionnement 2014–2015. Toxicologie Analytique et Clinique. 2017;29(2):S32-S33.
14 Amanite phalloïde et autres champignons responsables de syndromes phalloïdiens. Fiche de description de danger biologique par les aliments. Maisons-Alfort: Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail; 2015. 4 p. https://www.anses.fr/fr/system/files/BIORISK2014sa0232Fi.pdf.
15 De Haro L, Prost N, David JM, Arditti J, Valli M. Syndrome sudorien ou muscarien. Pres Med. 1999;28:1069-70.
16 Bruneau C, Frebet N, Sinno-Tellier S, Schmitt C, Pulce C, Amouroux N, et al. Bilan des expositions par champignons en 2014 : analyses de 2 325 cas. Toxicologie Analytique et Clinique. 2016;28(3):250.
17 Bédry R, Saviuc P. Intoxications graves par les champignons à l’exception du syndrome phalloïdien. Réanimation. 2002;11(7):524-32.
18 White J, Weinstein SA, De Haro L, Bédry R, Schaper A, Rumack BH, et al. Mushroom poisoning: A proposed new clinical classification. Review. Toxicon. 2019;157:53-65.

Citer cet article

Sinno-Tellier S, Bruneau C, Daoudi J, Greillet C, Verrier A, Bloch J. Surveillance nationale des intoxications alimentaires par des champignons : bilan des cas rapportés au réseau des centres antipoison de 2010 à 2017 en France métropolitaine. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(33):666-78. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/33/2019_33_1.html

(1) Article L.1340-2. du Code de la santé publique et décret n°2016-1744 du 15 décembre 2016.
(2) La gravité en toxicovigilance est adaptée du Poisoning severity score [Persson H, Sjöberg G, Haines J, Pronczuk de Garbino J. Poisoning Severity Score: Grading of acute poisoning. J Toxicology – Clinical Toxicology. 1998;36:205-13.]. La gravité globale d’un cas correspond à la gravité la plus élevée des différents symptômes de ce cas. Elle varie du niveau 0 (gravité nulle, aucun symptôme) au niveau 4 (décès). Un cas de gravité forte, niveau 3, correspond à un cas ayant présentés des symptômes sévères ou mettant en jeu le pronostic vital, ou des séquelles importantes.
(3) Cette période correspond aux deux dernières années où Santé publique France, en charge de la coordination du réseau Oscour®, était également en charge de la coordination de la toxicovigilance.
(4) Un dossier comporte l’ensemble des cas ayant consommé le même repas.
(5) Gravité de niveau 1, de signes ou symptômes bénins.