Diagnostics d’infection à VIH en Nouvelle-Aquitaine,
2015-2016 : comparaison de deux sources d’information

// HIV diagnoses in Nouvelle-Aquitaine, 2015-2016: Comparison of two sources of information

Sullivan Evain1 (sullivan.evain@hotmail.fr), Marie-Eve Raguenaud1, Françoise Cazein2, Denis Lacoste3, Isabelle Crespel3, Julie Lamant3, Stéphanie Vandentorren1
1 Santé publique France – Nouvelle-Aquitaine, Bordeaux, France
2 Santé publique France, Saint-Maurice, France
3 CoreVIH Nouvelle-Aquitaine, Bordeaux, France
Soumis le 14.03.2019 // Date of submission: 03.14.2019
Mots clés : VIH | Méthode de capture-recapture | Exhaustivité | Évaluation | Nouvelle-Aquitaine
Keywords: HIV | Capture-recapture method | Completeness | Evaluation | Nouvelle-Aquitaine

Résumé

Le VIH et le sida représentent un problème de santé publique mondial avec des enjeux tant médicaux et sociaux que politiques. Pour répondre à l’objectif instauré par l’Onusida, il est nécessaire d’avoir en France une meilleure connaissance de la performance de nos systèmes de surveillance et de prise en charge de l’infection à VIH. L’objectif de ce travail était d’estimer le nombre de nouveaux diagnostics d’infection à VIH en Nouvelle-Aquitaine sur la période 2015-2016, et de documenter les différences observées entre les deux sources d’information : la déclaration obligatoire (DO) et les Comités de coordination régionale de la lutte contre le VIH (CoreVIH) dans cette région.

Le nombre de nouveaux diagnostics d’infection à VIH en Nouvelle-Aquitaine a été estimé à l’aide d’une méthode de capture-recapture à deux sources d’informations (DO et CoreVIH). Cette étude contenait également un volet qualitatif consistant en des entretiens individuels semi-directifs avec des professionnels prenant en charge des patients de la file active du CoreVIH, des médecins généralistes et des bénévoles d’associations de patients.

Cette étude a permis d’estimer l’exhaustivité de la DO VIH en Nouvelle-Aquitaine à 65% (intervalle de confiance à 95% [IC95% : 61,4-68,7]) et celle du CoreVIH à 46% [43,6-48,8] en 2015-2016. Deux facteurs principaux semblent affecter la saisie des nouveaux diagnostics dans ces bases : une diminution de l’adhésion des cliniciens à la DO depuis le déploiement de la déclaration obligatoire électronique (e-DO) et un retard d’inclusion des patients dans la base du CoreVIH. Vingt-deux entretiens ont permis d’explorer les facteurs susceptibles d’entrainer un retard dans la DO ou l’inclusion dans la base de données du CoreVIH Aquitaine.

En conclusion, une meilleure diffusion de l’information et un travail de formation pourraient améliorer les processus de DO et d’inclusion dans la base de données du CoreVIH Nouvelle-Aquitaine. Les entretiens ont permis de soulever des pistes d’amélioration dans ces domaines qui doivent être poursuivies. Enfin, les estimations du nombre de nouveaux diagnostics doivent faire l’objet de mises à jour régulières pour pouvoir répondre aux besoins de santé publique.

Abstract

HIV and AIDS are major public health concern worldwide whith medical social and political consequences. To reach the UNAIDS objectives in France, an improved knowledge of the performance of our HIV surveillance system would be valuable. We aimed at estimating the number of new HIV diagnoses in the French region of Nouvelle-Aquitaine between 2015-2016, and describing the differences observed between two information systems : the mandatory reporting system (déclaration obligatoire : DO) and the Regional Coordinating Committees on HIV (Comités de coordination régionale de la lutte contre le VIH : CoreVIH).

The number of new HIV diagnoses in Nouvelle-Aquitaine was estimated trough a two sources capture-recapture method (mandatory notification and CoreVIH). The study also contained a qualitative component consisting of semi-structured individual interviews of CoreVIH staff, general and hospital practitioners and volunteers involved in patients organizations.

This study contributed to estimate the exhaustiveness of mandatory reporting (DO) of HIV in Nouvelle-Aquitaine at 65% (95% Confidence Interval [95%CI: 61.4-68.7]), for the CoreVIH it was estimated to be 46% [43.6-48.8] in 2015 and 2016. To main factors seemed to affect the exhaustiveness of these systems: a decreasing involvement in reporting physicians since the implementation of a web based declaration system (e-DO), and delays in patients inclusions in the CoreVIH database. Factots potentially leading to issues in mandatory notification or in a delayed inclusion in the CoreVIH database were assessed through 22 interviews.

In conclusion, better dissemination of information and training efforts could improve the processes of MN and inclusion in the COREVIH dataase in Nouvelle-Aquitaine. Interviews contributed to raise avenues for improvement in these areas, which must be pursued. Finally, estimates of the number of new diagnoses need to be updated regularly to meet public health needs.

Introduction

En France, plusieurs systèmes d’information permettent de recenser et de décrire les nouveaux diagnostics d’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), dont la déclaration obligatoire (DO) et les systèmes d’information que constituent les bases de données des Comités de coordination régionale de la lutte contre le VIH (CoreVIH).

La déclaration des nouveaux diagnostics d’infection par le VIH est obligatoire depuis 2003 1 et doit être réalisée par tout biologiste et tout clinicien diagnostiquant une infection à VIH chez un patient. Santé publique France a instauré ce système de surveillance pour suivre la dynamique de l’épidémie et décrire les caractéristiques des patients nouvellement diagnostiqués 2. Depuis avril 2016, l’application e-DO permet de réaliser la DO en ligne 3.

Les CoreVIH ont pour mission de favoriser la coordination entre les différents acteurs de la lutte contre le VIH/sida (professionnels médicaux, médico-sociaux et associations). Ils sont également chargés du recueil et de l’analyse des données médico-épidémiologiques des établissements de santé de leur territoire 4,5. Les CoreVIH ne sont pas des opérateurs directs auprès des usagers, mais ils coordonnent les différents acteurs et adaptent les parcours de soins. La première prescription d’un traitement antirétroviral doit, en particulier, se faire au sein d’une équipe hospitalière 6. Les données recueillies concernent les personnes prises en charge pour leur infection à VIH dans les établissements hospitaliers dépendant du CoreVIH. L’inclusion dans la base de données (bdd) du CoreVIH nécessite au préalable le consentement signé du patient.

L’intérêt de ces deux dispositifs est leur complémentarité dans le parcours de soins d’une personne vivant avec le VIH (PVVIH) : la DO des nouveaux diagnostics et l’inclusion dans la bdd du CoreVIH au moment de la prise en charge médicale (PeC).

Le programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA a fixé un objectif mondial à atteindre en 2020 pour enrayer l’épidémie en 2030 : les « 90-90-90 » (90% des PVVIH connaissant leur statut, 90% d’entre elles recevant un traitement antirétroviral et 90% d’entre elles présentant une charge virale plasmatique contrôlée). En France, ces objectifs ont été portés à 95% dans le cadre de la stratégie nationale de santé sexuelle. La DO et la bdd du CoreVIH sont des dispositifs qui participent au suivi de ces indicateurs.

L’objectif principal de cette étude était d’estimer l’exhaustivité de la DO VIH et de la bdd du CoreVIH Nouvelle-Aquitaine concernant les nouveaux diagnostics d’infection à VIH en Nouvelle-Aquitaine (NA) sur la période 2015-2016. Ce travail visait également, en objectif secondaire, à documenter les différences identifiées entre ces deux sources de données en NA en 2015-2016 et d’évaluer la complétude de la DO du VIH. Un autre objectif secondaire était d’identifier les freins à la DO par les médecins, et les raisons des retards à l’inclusion des patients dans la bdd du CoreVIH NA.

Matériels et méthodes

Population d’étude

La population d’étude était composée de toute personne dont l’infection à VIH avait été diagnostiquée en 2015, 2016 ou 2017 en NA.

Sources de données

Deux sources d’information ont été utilisées : une extraction des données issues de la DO incluant 21 variables sociodémographiques et médico-cliniques, ainsi qu’une extraction de la bdd du CoreVIH incluant 41 variables sociodémographiques, médico-cliniques et d’habitudes de vie. Au total, 19 variables étaient communes aux bases : sexe, âge, région/département du domicile, région/département du déclarant, pays d’origine, date de diagnostic VIH, statut vital, date du décès, stade clinique, motif du dépistage, statut de l’infection récente, nombre de CD4, délai du diagnostic (précoce, intermédiaire ou tardif), mode de contamination, ainsi que l’infection au virus de l’hépatite B, C et les infections sexuellement transmissibles.

L’extraction de la base DO VIH nationale a été réalisée le 30 juin 2017, elle concernait tous les cas avec une date de diagnostic en 2015 ou 2016. Pour les trois anciennes régions de Nouvelle-Aquitaine, des extractions partielles concernant le CoreVIH ont été réalisées (février 2018 pour l’Aquitaine, mars 2018 pour le Limousin et le Poitou-Charentes), incluant tous les patients ayant une date de diagnostic en 2015 ou 2016.

Volet quantitatif

La méthode de capture-recapture à deux sources d’information 7,8,9 a permis d’estimer l’exhaustivité de la DO et celle de la bdd du CoreVIH pour les années 2015 et 2016. L’identification des cas communs aux deux sources a été réalisée à l’aide d’un algorithme utilisant plusieurs variables communes aux deux bases de données (sexe, âge, département du domicile, pays de naissance, région/département du déclarant, année de séropositivité, nombre de CD4 et mode de contamination). La vérification des cas communs a porté sur un échantillon de 30% de cas identifiés par l’algorithme. L’échantillon était représentatif des différents centres hospitaliers en termes de taille du centre, caractère rural/urbain et type de département. Pour la base CoreVIH, nous avons utilisé la variable correspondant à la date du premier test positif au VIH (pouvant être celle de la déclaration ou non) et pour la DO, nous avons utilisé la variable de la date du test positif en lien avec la déclaration. Un cas commun était reconnu comme certain si le mois et l’année étaient les mêmes dans les deux bases, probable si le mois différait de ±1 mois, et possible si l’année était la même et le mois discordant (une différence de dates entre les deux bases n’était pas un critère discordant, car elles ne correspondaient pas à la même situation dans tous les cas).

Pour les cas possibles, une vérification a été effectuée dans un second temps. Nous avons ainsi vérifié si plus de la moitié des cas étaient identifiés après la requête 26bis de notre algorithme (stricte égalité sur le sexe, l’année de séroconversion, le département du domicile, le pays de naissance et sur l’âge à plus ou moins un an). Ce seuil a été choisi car nous pensons qu’au-delà de cette requête, la spécificité n’est plus satisfaisante. Dans le cas ou moins de la moitié des cas étaient identifiés après cette requête, tous les cas possibles et tous les cas communs identifiés après cette requête ont été conservés, en prenant garde à cette notion dans l’interprétation des résultats.

L’estimation du nombre total de nouveaux diagnostics en NA pour 2015-2016 a été réalisée par la méthode des estimateurs de Sekar et Deming 8, à l’aide du tableau de contingence, et par les estimateurs de Chapman et Seber lorsque les effectifs étaient faibles.

Les variables qualitatives ont été décrites en termes d’effectifs et de pourcentages, et selon les conditions d’application, un test de comparaison de Chi2, avec ou sans correction de Yates, a été réalisé.

Les facteurs associés à la présence des patients dans une seule base en comparaison de ceux présents dans les deux (« DO seule » vs « DO et CoreVIH », ainsi que « CoreVIH seule » vs « DO et CoreVIH ») ont été analysés par régression logistique univariée et multivariée.

Une stratification (sexe, âge et année de diagnostic) a été réalisée pour tester l’hétérogénéité de la capture des cas au sein de chaque strate (comparaison par un test de Chi2 des données observées dans chaque sous-groupe aux données attendues sous l’hypothèse d’un taux d’exhaustivité homogène). Le seuil de significativité retenu était de 5%.

L’évaluation de la complétude des données des DO VIH portait sur les variables remplies par les biologistes (sexe, âge au diagnostic, département et région du domicile, département et région du déclarant ainsi que le statut d’infection récent ou non) et sur les variables remplies par les cliniciens (mode de contamination, stade clinique, motif du dépistage, pays de naissance, nombre de CD4 au moment du diagnostic, délai du diagnostic ─ précoce, intermédiaire ou tardif ─ et co-infection au virus de l’hépatite B, C ou à une infection sexuellement transmissible) de 2015 à 2017 en Nouvelle-Aquitaine et au niveau national.

Volet qualitatif

Des entretiens ont été réalisés pendant deux mois (avril-mai 2017) sur un échantillon restreint de professionnels prenant en charge des patients de la file active du CoreVIH, ou impliqués dans le circuit de l’information (infectiologues hospitaliers, techniciens d’études cliniques (TEC), data-manager), médecins généralistes et bénévoles de l’association Aides (entretiens individuels semi-directifs en « face-à-face » ou téléphoniques).

La sélection des centres était réalisée avec un échantillon de convenance selon la diversité des profils et l’activité (urbain/rural, taille du centre, un centre par département au minimum). Les thèmes abordés étaient : fonctionnement/organisation du CoreVIH, organisation pour déclarer et pour utiliser l’e-DO, obstacles à l’intégration dans la file active du CoreVIH, parcours de soins, avis et attentes liées à l’étude. Le principe était de laisser le plus possible la parole aux interviewés, de favoriser le discours et de recueillir le maximum d’informations de qualité. Notre guide d’entretien nous servait dans un but de précision ou de clarification. Le questionnaire était à adapter selon le profil de l’interviewé.

La Cnil a donné son accord pour cette étude, sous le numéro d’enregistrement 1699250.

Résultats

En NA, 493 personnes découvrant leur séropositivité au VIH en 2015-2016 ont fait l’objet d’une DO et 350 patients diagnostiqués en 2015-2016 ont été inclus dans la bdd du CoreVIH. Pour les patients inclus dans la DO, 70% des cas étaient de sexe masculin versus 67% pour ceux inclus dans le CoreVIH (tableau 1). Près d’un tiers des cas avaient entre 30-39 ans (29% pour les patients inclus dans la DO et 30% pour ceux inclus dans la base de données du CoreVIH). La quasi-totalité des cas résidaient en Nouvelle-Aquitaine. La moitié des cas ont découvert leur séropositivité en 2015 et l’autre en 2016.

Tableau 1 : Caractéristiques sociodémographiques des cas appartenant à la DO et au CoreVIH, Nouvelle-Aquitaine, 2015-2016 (n=843)
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L’algorithme a identifié 227 cas communs aux deux sources, 123 cas uniquement enregistrés dans la bdd du CoreVIH et 266 cas uniquement enregistrés par la DO (tableau 2). Après vérification, 62% des cas étaient des cas certains et, pour les cas possibles, 50% des cas étaient identifiés avant la requête 25 (intervalle inter-quartile : requête 12bis – requête 29bis). Pour la suite, l’ensemble des cas communs identifiés ont été pris en compte.

Tableau 2 : Répartition des nouveaux cas d’infection à VIH recensés, dans la DO et/ou dans la base du CoreVIH, Nouvelle-Aquitaine, 2015-2016 (n=760)
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Comparaison de la DO et de la bdd du CoreVIH aux cas communs

Le facteur associé au fait d’appartenir uniquement à la base du CoreVIH était l’âge, avec les cas âgés de 30-39 ans ou de 40-49 ans (tableau 3), plutôt que les cas âgés de plus de 50 ans (respectivement, ORajusté=2,18 [1,08-4,38] et ORajusté=2,10 [IC95%: 1,01-4,37]).

Tableau 3 : Comparaison des cas détectés uniquement par le CoreVIH versus les cas communs aux bases DO et CoreVIH, Nouvelle-Aquitaine, 2015-2016 (n=350)
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Les facteurs associés au fait d’appartenir uniquement à la DO étaient les cas dépistés à la suite d’un bilan systématique (tableau 4) plutôt que ceux dépistés suite à l’apparition de signes cliniques (ORajusté=2,51 [1,07-5,89]). Le fait d’appartenir uniquement à la DO était plus faible pour un dépistage suite à une exposition à risque (ORajusté=0,49 [0,18-0,92]).

Tableau 4 : Comparaison des cas détectés uniquement par la DO versus les cas communs aux bases CoreVIH et DO, Nouvelle-Aquitaine, 2015-2016 (n=493)
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Les entretiens

Parmi les 35 personnes contactées, 22 entretiens d’une durée médiane de 38 minutes (moyenne = 40 minutes) ont été réalisés (avec 5 médecins hospitaliers, 2 médecins généralistes, 11 TEC, 2 bénévoles d’Aides et 2 data-managers). Le taux de participation était de 63% avec une participation plus élevée des TEC, 92% (11/12 TEC sollicités), vs cliniciens hospitaliers, 33% (5/15).

Concernant l’adhésion à l’e-DO, les médecins généralistes confiaient ne plus déclarer et laisser la déclaration aux laboratoires et médecins hospitaliers (tableau 5). Les médecins hospitaliers faisaient part d’un manque d’équipement ou de compréhension pour la déclaration dématérialisée. Ils regrettaient également de ne plus recevoir la sollicitation des laboratoires, permettant un rappel efficace. Le dépistage en ville ou dans un autre département était un autre facteur de non-déclaration. Pour les TEC, les dysfonctionnements liées à la déclaration dématérialisée (matériels, logistiques…) représentaient un problème majeur tout comme le manque de motivation de certains médecins ou le défaut d’accès aux outils (délégation). Cependant les TEC utilisant l’e-DO notaient un gain de temps avec ce dispositif et une correction des données facilitée.

Tableau 5 : Résultats des entretiens sur les obstacles à la déclaration obligatoire du VIH via e-DO et à l’intégration dans la base de données du CoreVIH Nouvelle-Aquitaine
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Les médecins notaient l’importance de la relation TEC-médecins. Les TEC ont indiqué qu’il était indispensable que les informations demandées dans le cadre de la DO soient bien indiquées dans les dossier médicaux pour permettre un remplissage de la déclaration dans de bonnes conditions. Dans l’ensemble, les TEC ont fait part de l’importance de la motivation des médecins, compte tenu de leur rôle dans le processus de la DO. Les TEC ont également signalé un problème d’accès à certains outils. Les messages d’alertes sont adressés au médecin et non au TEC auquel la déclaration est déléguée, ce qui peut entrainer un retard dans le traitement du message si le médecin n’informe pas le TEC. Enfin, le fait d’être informé lorsqu’une personne a déjà été déclarée était une demande émise par les médecins hospitaliers et les TEC.

Parmi les obstacles à l’inclusion des patients dans la bdd du CoreVIH, tous les interviewés citaient le refus du consentement, mais tous indiquaient également que ce refus n’était exprimé que par une minorité de patients. La notion de précarité, de marginalité, de décès rapide après le diagnostic ou le fait d’être de passage dans la région au moment du diagnostic étaient également des freins à l’inclusion des patients dans la bdd du CoreVIH. Être suivi par son médecin traitant pouvait être un obstacle s’il n’orientait pas rapidement le patient vers l’hôpital. Les médecins hospitaliers citaient le retard de PeC de certaines personnes, leur sentiment de honte/crainte d’entrer dans un circuit de soin et le fait que l’inclusion dans la base de données ne soit pas proposée au patient dès sa prise en charge. Les bénévoles ont évoqué le fait que certaines personnes, notamment des personnes présentant des comorbidités, avaient déjà rompu leur parcours de soin relatif à ces comorbidités au moment du diagnostic d’infection à VIH. De même, ils notaient la crainte de discrimination. Pour les TEC, une phase de déni plus ou moins longue pouvait être un obstacle et retarder l’inclusion dans la bdd. L’obstacle à l’inclusion le plus fréquemment rapporté restait néanmoins le retard de signature du consentement.

Exhaustivité

L’exhaustivité de la DO (tableau 6) était estimée à 65% (IC95%: 61,4-68,7) sur la période 2015-2016. Elle était hétérogène entre les classes d’âge et semblait plus élevée pour les personnes de plus de 50 ans. L’exhaustivité de la bdd du CoreVIH était estimé à 46% (IC95%: 43,6-48,8) et hétérogène selon le sexe, les classes d’âge et l’année de découverte de séropositivité. Elle était plus élevée pour les femmes, pour les personnes ayant découvert leur séropositivité en 2015 et semblait également plus élevée pour les moins de 30 ans.

Tableau 6 : Taux d’exhaustivité de la DO et de la bdd du CoreVIH selon le sexe, l’âge et l’année de découverte de séropositivité, Nouvelle-Aquitaine, 2015-2016
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Évaluation de la complétude des données de la DO

En NA, l’analyse des données sur la période 2015-2016 montre que la complétude des données renseignées par les cliniciens variait de 50 à 70% jusqu’au 2e trimestre 2016 (figure), date de l’ouverture de l’e-DO sur l’ensemble du territoire français. Après ce trimestre, la complétude a chuté pour atteindre une moyenne de 25% en 2017. Pour les biologistes, la complétude restait élevée et supérieure à 90%.

Figure : Évolution trimestrielle de la complétude des données de la DO VIH concernant les variables renseignées par les biologistes et par les cliniciens, Nouvelle-Aquitaine, France, 2015-2017 (n=11 202)
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Au niveau national, la même tendance a été observée. Pour les cliniciens, la baisse de la complétude a commencé début 2016, date de la phase pilote de l’e-DO, et s’est poursuivie au 2e trimestre 2016.

Discussion

L’exhaustivité de la DO VIH a été estimée à 65% en NA en 2015-2016. Santé publique France l’avait estimée à 71% en France en 2013 (Aquitaine : 80%, Centre-Poitou-Charente : 67% et Lorraine-Limousin : 70%) et 68% en 2015 10,11 avec une méthodologie différente, basée sur la comparaison des DO reçues avec les sérologies positives recensées par une enquête nationale sur le dépistage du VIH, LaboVIH.

Les délais de signature des consentements par les patients, ou l’absence de proposition d’inclusion dans la base par les cliniciens contribuent à la faible exhaustivité de la bdd du CoreVIH que nous avons estimée à 46%. Ces patients sont en général pris en charge sans être inclus dans la bdd du CoreVIH.

La principale originalité de cette étude, qui a réalisé la première estimation de l’exhaustivité de la DO du VIH pour la nouvelle région Nouvelle-Aquitaine, réside dans la combinaison d’un volet analytique avec un volet qualitatif. Le nombre de PVVIH n’ayant ni fait l’objet d’une DO, ni été inclus dans la bdd du CoreVIH NA, a été estimé à 144. Il est possible que ces personnes ne soient pas entrées dans le circuit de soins et, afin de suivre les objectifs fixés dans le cadre de la stratégie nationale de santé sexuelle, il est important de pouvoir produire ces indicateurs en routine. Le recours à des méthodes d’études qualitatives, notamment les entretiens avec les professionnels de santé, a permis de mieux interpréter les résultats quantitatifs et d’identifier les changements de comportements face à l’e-DO.

Concernant la qualité des données de la DO, des difficultés pouvant aller jusqu’à l’absence de déclaration des nouveaux cas depuis le déploiement de l’e-DO ont été mises en évidence (problèmes matériels, informatiques ou motivation des équipes). Les professionnels notaient l’importance de la relation TEC/médecin/biologiste pour la qualité des données. L’augmentation du nombre de variables non renseignées par les cliniciens s’observe tant au niveau régional qu’au niveau national. En l’absence d’amélioration, ce problème pourrait empêcher la description, dans les délais attendus, des caractéristiques des personnes découvrant leur séropositivité.

Il y a une forte probabilité, étant donné les conditions d’application de la méthode capture-recapture, que l’exhaustivité soit sous-estimée pour les deux sources de données.

Cette étude apporte un éclairage sur les raisons de la non-déclaration des nouvelles découvertes d’infection au VIH et de l’absence d’inclusion dans la base de données du CoreVIH. Les pistes d’amélioration possibles concernant la surveillance incluent :

le renouvellement de la diffusion d’information sur la DO auprès des cliniciens, afin de leur rappeler la nécessité de déclarer et d’améliorer la connaissance du dispositif (rappel des pré-requis techniques à l’utilisation de l’e-DO, des possibilités de délégation possible aux TEC, de la nécessité de compléter les deux volets de la déclaration, et de l’implication nécessaire des médecins de ville) ;

un travail de terrain pour faciliter la mise en place de l’e-DO qui pourrait être réalisé avec un accompagnement territorial et un meilleur suivi de l’implémentation dans la durée de l’e-DO (évaluation de la qualité des données) ;

la désignation d’un coordinateur par région avec des référents par service dans les sites hospitaliers (centre de suivi CoreVIH) qui représenterait un relai d’information et un moteur à la motivation des équipes.

Les recommandations possibles concernant l’inclusion dans la bdd du CoreVIH :

l’amélioration de la procédure du consentement pour avoir une base de données représentative des PVVIH prises en charge ;

une attention accrue sur le parcours des patients entre le diagnostic et la PeC, afin que le délai entre diagnostic et PeC soit le plus bref possible.

L’amélioration du dispositif de surveillance du VIH et l’augmentation du nombre de personnes prises en charge parmi celles qui connaissent leur séropositivité pour le VIH sont des éléments clés pour permettre le suivi de la progression vers la réalisation de l’objectif de la stratégie nationale de santé sexuelle. Améliorer ces dispositifs, c’est pouvoir envisager de meilleurs programmes de prévention et de prise en charge à l’avenir.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Evain S, Raguenaud ME, Cazein F, Lacoste D, Crespel I, Lamant J, et al. Diagnostics d’infection à VIH en Nouvelle-Aquitaine, 2015-2016 : comparaison de deux sources d’information. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(33):686-94. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/33/2019_33_3.html